samedi 20 octobre 2108Ça fait déjà trois jours que nous avons quitté la forêt de Saint-Germain-en-Laye. Car c’est bien là que Cha et Éric nous ont laissés et non au sud de Paris comme je l’espérais. Enfin. C’est mieux que rien. Au moins nous avons réussi à franchir les deux couronnes sans trop d’encombres.Le premier jour, nous avons marché dix heures. Dix putains d’heures, entrecoupées de longues pauses pour faire manger Willy et le changer. Dan a fait preuve de beaucoup de ténacité. Depuis que je le connais, il ne s’est pas plaint une seule fois. Il a avancé comme un automate, jusqu’à ce que ses jambes ne puissent plus le porter et qu’il s’écroule au sol. Je me suis alors injecté ma deuxième demi-dose d’Énergisium et j’ai repris notre route, chargée d’une quarantaine de kilos supplémentaires. Mes pieds nous ont portés aussi loin que je le pouvais et quand mon corps a décidé à son tour qu’il était temps de se mettre en veille, Énergisium ou non dans le sa
mardi 23 octobre 2108Je marche mécaniquement. Mes jambes me portent encore. Je ne sais plus par quel miracle. L’Énergisium. Ah oui.J’ai les bras raides, le dos endolori, la tête sur le point d’exploser. Ma main gauche passe sur mon visage fatigué, creusé. Je sens les cernes sous mes yeux qui deviennent chaque jour plus profonds, plus noirs. Les os de mes pommettes saillent. De mon nez coule une substance visqueuse. Je retire ma main et regarde mes doigts; ils sont couverts de sang. Encore. J’ai pris ma dernière demi-dose ce matin. La dernière. Je vais crever.Mes doigts se resserrent sur les poignets du vélo que je pousse à mes côtés. Dan a maigri. Sa pâleur morbide me fait peur. Et Willy… la fièvre ne le quitte plus. Il n’a rien mangé hier. Ni aujourd’hui. À peine une gorgée de lait qu’il a aussitôt vomi. Nous allons crever.Pourtant je continue d’avancer. Un pied devant l’autre. Encore. Une poussée pour faire rouler la roue dégonflée
lundi 29 octobre 2108Le cocon qui m’enveloppe se distord légèrement. Elle est là. Sa main trouve la mienne, la presse. Mon regard quitte la brume blanche pour se poser sur ses doigts délicats. Sa peau douce me rassure. Ses effluves fleuris m’entêtent. Je lui rends une petite pression pour lui signifier que j’apprécie sa présence.—Tu sais que je n’aime pas que tu passes trop de temps ici.Sa voix est douce comme une caresse. Un vent qui ne m’atteint pas balaye ses cheveux sur ses épaules. Elle s’accroupit à mes côtés, le visage toujours tourné vers l’horizon invisible. Je me tourne dans la même direction. Une sensation de bien-être m’envahit.—Qui es-tu?Sa deuxième main vient entourer la mienne.—Je crois que tu l’as toujours su, je me trompe?Je penche la tête sur le côté. Oui, au fond de moi, j’ai toujours su qui elle est et pourquoi elle vient à moi quand j’en ai besoin.—Je
jeudi 1 novembre 2108Mon pouce appuie une nouvelle fois sur le bouton. Mon rythme cardiaque s’accélère, tout comme mes foulées s’allongent. De la sueur me coule sur le front, le long des tempes, entre les omoplates. Je sens que j’atteins bientôt mes limites, mais je continue. Encore un peu. Pour me prouver que je suis capable de faire autre chose que rester allongée à longueur de journée dans ce foutu lit d’hôpital.Tout à coup, une grosse main se pose sur mon épaule et une deuxième stoppe la machine sur laquelle je cours depuis une bonne demi-heure. Surprise, je dérape sur le tapis de course et me rattrape tant bien que mal aux barres de fer, ce qui finit par arracher les écouteurs qui diffusaient de la musique à un volume sonore élevé dans mes oreilles.Le juron que je m’apprêtais à lâcher n’a pas le temps de sortir de ma gorge, qu’un colosse en uniforme de la Résistance m’attrape par un bras pour me relever et m’envoyer valser contre le mur le pl
dimanche 4 novembre 2108J’essuie le bord de mon bol, bien décidée à ne pas gaspiller cette merveilleuse compote de pomme chimique qui a su ravir mes papilles. Bon, d’accord, ça ne vaut pas un vrai fruit, mais on s’approche de plus en plus de quelque chose qui a du goût. Enfin! Pendant des mois, mes menus se sont composés uniquement de gelées, de soupes ou de pâtes dures infâmes, ultra enrichies en compléments alimentaires. Alors mon estomac est content de pouvoir ingurgiter autre chose, d’autant plus si ça a du goût, chimique ou pas.Avec un brin de nostalgie, je repense à mes envies furieuses de glace au schtroumpf au début de ma captivité. Je m’étais toujours dit que les envies de femmes enceintes faisaient partie de ces légendes urbaines qui persistent à travers le temps. Eh bien non. J’avais tout le temps envie de manger une glace au schtroumpf, c’était une véritable obsession. Obsession qui a disparu aussitôt après l’opération.D’y repens
mercredi 14 novembre 2108Dix jours que je suis là. Dix jours dont je n’ai que de vagues souvenirs. Après avoir perdu connaissance, je crois que j’ai mis au moins trois jours avant d’ouvrir un œil. Ou quatre. Je ne sais plus trop. Je me souviens seulement qu’à plusieurs reprises, j’ai croisé le regard inquiet d’Axel. Je me suis demandé ce qu’il faisait là. Pourquoi venir me voir chez Thomas alors que le général lui avait bien fait comprendre que je ne devais plus recevoir d’aide médicale? Ceci dit, il n’est pas venu avec des médicaments. J’aurais bien aimé pourtant, quitte à ce qu’il soit là. Mais j’avais juste droit à son soutien et l’entendre parler des heures avec Thomas, même si je ne distinguais pas leurs mots, cela avait le mérite de m’apaiser.Pendant ces dix jours, j’ai souffert. Putain, ça oui! Mon organisme, encore affaibli par les mois de tortures passés et le charcutage en bonne et due forme de mon ventre et de mon cerveau, a du mal
jeudi 29 novembre 2108Je me sens de mieux en mieux. Axel continue de passer une fois par jour pour s’assurer que mon état s’améliore, ce qui est le cas. Je remplis un peu mieux mon pantalon marron et je n’ai quasiment plus aucune crise de manque. Les choses semblent rentrer dans l’ordre pour ma santé. Pour le reste... c’est plus compliqué.On n’a pas reparlé de Kraeffer depuis la dernière fois. L’annonce a fait un drôle d’effet à Thomas et je l’ai senti préoccupé les jours qui ont suivi. J’ai eu beau le cuisiner pour savoir ce qui n’allait pas, il éludait mes questions, changeant à chaque fois de sujet. Alors j’ai laissé tomber. De toute façon, il n’y avait pas grand-chose de plus à dire. Je l’ai tué. Les choses s’arrêtent là.J’ai aussi insisté un nombre incalculable de fois auprès de Thomas pour que je puisse rendre visite à mon frère. Sans succès. Je lui ai posé tout un tas de questions sur les preuves qui pèsent contre lui, mais il n’a pas su me
«—C’est qui?—Une nana qu’on a ramassée sur la route.—Cha va se faire défoncer par Tamo. On a déjà du mal à subvenir à nos besoins...—Ouais, c’est ce que je lui ai dit. Mais tu la connais, elle n’en a rien à foutre.—Un jour, ça finira mal.—Ouais...—Bon, je te laisse, et puis je crois que ta patiente s’est réveillée.Une main me touche la joue, me la tapote. J’ai envie de la dégager, mais mon corps ne me répond pas.—Hé, tu es réveillée?Je grogne, cligne des yeux et croise le regard sombre d’Éric. Il me sourit. Je ne sais pas s’il me veut du bien ou du mal, alors je ne lui rends pas la politesse. Doucement, je tente de me redresser sur un coude, mais la douleur m’arrache un gémissement.—Vas-y mollo.L’homme pose une main sur mon dos et il m’aide à basculer en position assise. J’aimerais qu’il dégage. Je n’ai pas envie qu’il me tou