mercredi 6 juin 2108Je ne sais pas quelle douleur est la plus insupportable. Celle qui lance dans tout mon corps ou celle qui me déchire l’âme? Parfois l’une prend le dessus sur l’autre. À cet instant précis, je dirais qu’elles se valent.Cela fait plus d’une semaine qu’ils ont pris Fana. Une semaine que son regard est posé sur moi, continuant à me culpabiliser même après sa mort. Comme elle le prédisait, elle a rejoint l’amoncellement formé par les corps de Fleur, Luna, Orio, Assani, Jean-Kal, Loup et Finn. Et ce sera bientôt le tour de Taled.Voilà deux jours qu’il agonise en face de moi. Toujours enchaînée à cette maudite chaise, en plus d’être reliée à tout un tas d’appareils par des câbles, je ne lui suis d’aucun réconfort. Ses plaies béantes le font mourir à petit feu et je ne peux rien faire pour l’empêcher. D’habitude, quand ils sont décidés à tuer quelqu’un, ils le font assez rapidement. Cette fois, ces pourritures prennent leur temps
lundi 16 juillet 2108J’ai perdu le compte des jours depuis que Taled est mort. On doit être en juillet, mais le combien? Je ne sais pas. Comme Kraeffer n’arrive toujours pas à obtenir ce qu’il veut de moi, je m’attendais à rapidement rejoindre l’adolescent dans l’au-delà, mais je suis encore là. Plus ou moins en bonne santé, mais vivante.Je baisse la tête pour observer mon ventre. Le débardeur d’un blanc immaculé que je porte me colle davantage au corps que le précédent qui avait pris une teinte oscillant entre le gris, le marron et le jaune. Pourtant j’ai maigri depuis que je suis ici. Je le sens et je le vois à travers mes os qui saillent sous ma peau devenue blanchâtre à force de rester enfermée.Soudain, de petites bulles éclatent dans mon ventre, partant du pubis pour remonter vers les poumons. Un sourire éclaire mes traits fatigués. Un instinct primitif que je n’aurais jamais soupçonné avoir m’affirme que c’est le bébé qui bouge. Mon bé
jeudi 30 août 2108Plus d’un mois s’est écoulé depuis qu’ils me l’ont arraché de mes entrailles. J’ai l’impression que c’était hier. J’ai l’impression que c’était il y a des années. Chaque jour, j’ai ressenti ces petites bulles qui explosaient gaiement sous la peau plus tendue de mon ventre. Ces petites bulles pleines de vie qui aujourd’hui ne sont plus que de vagues réminiscences de ce que j’ai réellement ressenti.Putain, je l’ai perdu.À chaque fois que ces pensées me traversent l’esprit, je dois me mordre la langue ou l’intérieur de la joue jusqu’au sang pour éviter d’éclater en sanglots. Chaque jour qui passe se révèle être une épreuve de plus pour moi. Une épreuve où je dois réussir à me dire que ce bébé n’a pas eu le temps de comprendre ce qui lui arrivait. Qu’il n’a pas eu le temps de souffrir. Qu’il n’a pas eu le temps de vivre pour comprendre qu’il était déjà l’heure de partir. Une épreuve où je dois me convaincre que ça ne sert à rien de p
lundi 15 octobre 2108Les premières lueurs du jour caressent doucement mon visage. Je m’étire avec paresse dans les draps de soie qui glissent sous ma peau. La soirée a été délicieuse, la nuit torride. Mon corps se rappelle encore des violents assauts de mon amant, de ses mains explorant la moindre parcelle de mon anatomie, de sa bouche me dévorant avec une ardeur non retenue.Un soupir d’extase s’échappe entre mes lèvres et je me tourne vers celui qui partage mes nuits depuis peu. Jusqu’à présent, il me présentait son dos, mais mon agitation l’a sorti de son sommeil. Lentement, il se redresse sur un coude et m’attrape par la taille pour me faire rouler sur son torse à la puissante musculature. Je souris et dépose mes lèvres sur les siennes.Nos regards se croisent et mes yeux se plantent dans les siens. Pâles. Brillants de mille éclats. Mon sourire se fige. Mon cœur s’arrête de battre une fraction de seconde. Puis, comme si je venais de me prendre u
«—Tu vas t’arrêter sur chaque cadavre que tu croises?—Ferme-la, Éric. Sans ça tu pourrais pas débiter tes conneries à longueur de journée. Alors laisse-moi gérer, tu veux?—C’est toi qui vois. Tamo va encore pousser une gueulante, c’est tout.—Eh ben il gueulera s’il veut. J’en ai rien à foutre.Une main me palpe l’abdomen et je pousse un grognement qui n’a rien d’humain.— Merde, elle est vivante!—Ouais, alors viens m’aider.L’homme qui s’appelle Éric, semble se rapprocher et à deux ils me basculent sur le côté. Je cligne des yeux, mais je n’arrive pas à distinguer clairement leurs visages. Une main me tapote doucement la joue. Je crois que c’est celle de la femme.—Hé, toi, comment tu t’appelles?Ma voix gargouille quelque chose d’inaudible. La femme insiste, mais je n’ai pas la force de réitérer mon exploit. Mes paupières se referment.—&
mercredi 17 octobre 2108Je commence déjà à ressentir les premiers effets d’une fatigue extrême. Ma première nuit de liberté, je l’ai passée à explorer les appartements et bâtiments alentour à la recherche de ces fichus badges que tout le monde porte. J’ai dû prendre des risques inconsidérés en m’introduisant chez un couple d’une quarantaine d’années pour fouiner dans leurs placards. Et c’est dans leurs tables de chevet que j’ai trouvé les précieux accessoires.Au moment de refermer le tiroir du côté de la femme, cette dernière s’est retournée dans son sommeil, a marmonné quelque chose en rapport avec un drapeau, puis s’est mise à ronfler bruyamment. Très sexy. J’espère que je ne suis pas comme ça quand je dors.Je me ressaisis en secouant la tête. Qu’est-ce qui me prend de penser à ce genre de chose maintenant?Après avoir glissé mon précieux butin dans la poche de mon manteau, j’ai ensuite filé dans leur cuisine pour fouiller le frigo.
samedi 20 octobre 2108Ça fait déjà trois jours que nous avons quitté la forêt de Saint-Germain-en-Laye. Car c’est bien là que Cha et Éric nous ont laissés et non au sud de Paris comme je l’espérais. Enfin. C’est mieux que rien. Au moins nous avons réussi à franchir les deux couronnes sans trop d’encombres.Le premier jour, nous avons marché dix heures. Dix putains d’heures, entrecoupées de longues pauses pour faire manger Willy et le changer. Dan a fait preuve de beaucoup de ténacité. Depuis que je le connais, il ne s’est pas plaint une seule fois. Il a avancé comme un automate, jusqu’à ce que ses jambes ne puissent plus le porter et qu’il s’écroule au sol. Je me suis alors injecté ma deuxième demi-dose d’Énergisium et j’ai repris notre route, chargée d’une quarantaine de kilos supplémentaires. Mes pieds nous ont portés aussi loin que je le pouvais et quand mon corps a décidé à son tour qu’il était temps de se mettre en veille, Énergisium ou non dans le sa
mardi 23 octobre 2108Je marche mécaniquement. Mes jambes me portent encore. Je ne sais plus par quel miracle. L’Énergisium. Ah oui.J’ai les bras raides, le dos endolori, la tête sur le point d’exploser. Ma main gauche passe sur mon visage fatigué, creusé. Je sens les cernes sous mes yeux qui deviennent chaque jour plus profonds, plus noirs. Les os de mes pommettes saillent. De mon nez coule une substance visqueuse. Je retire ma main et regarde mes doigts; ils sont couverts de sang. Encore. J’ai pris ma dernière demi-dose ce matin. La dernière. Je vais crever.Mes doigts se resserrent sur les poignets du vélo que je pousse à mes côtés. Dan a maigri. Sa pâleur morbide me fait peur. Et Willy… la fièvre ne le quitte plus. Il n’a rien mangé hier. Ni aujourd’hui. À peine une gorgée de lait qu’il a aussitôt vomi. Nous allons crever.Pourtant je continue d’avancer. Un pied devant l’autre. Encore. Une poussée pour faire rouler la roue dégonflée