Éva Je sens sa chaleur avant même d’ouvrir les yeux. Son souffle dans ma nuque. Sa main posée contre mon ventre, légère. Présente. Je reste immobile. Pas par peur de le réveiller. Par besoin de retenir ce moment.Il dort encore. Ou peut-être fait-il semblant. Comme moi. À chercher un refuge dans la douceur quand tout, autour, menace de basculer.Sa peau contre la mienne me donne envie de croire. Que ce n’est pas une erreur. Qu’on peut être autre chose qu’un scandale, une chute, une folie. Je me retourne lentement. Ses paupières bougent à peine. Ses lèvres entrouvertes laissent filtrer un souffle calme.Éva – murmure « T’es beau quand tu dors. »Il sourit. Les yeux toujours fermés.Léo – voix rauque « Et toi, t’es belle quand tu crois que je dors. »Je ris. Un rire minuscule, suspendu. Il ouvre les yeux, enfin. Ils sont pleins de sommeil, pleins de moi.Léo Je pourrais rester là des heures. Juste à la regarder respirer. À effleurer sa peau du bou
LéoSilence. Puis une voix.Grave. Fatiguée. Connue.Et le monde s’arrête.Le père de Léo« Léo. »Je freine. Instinctivement.Comme si son nom dans ma bouche m’avait brûlé.Le cœur me monte dans la gorge.Je reconnaîtrais cette voix entre mille.Même si elle est plus râpeuse. Plus lente.Plus vieille.Léo« Qu’est-ce que tu veux ? »Ma voix est sèche. Trop sèche.Mais je n’ai pas appris à lui parler autrement.On ne parle pas avec un homme qui vous a nié.On survit. On s’éloigne.Père – calme« Que tu viennes. Que tu m’écoutes. »Je ris, sans joie.Il m’a fallu des années pour qu’il entende que je voulais autre chose.Des années à me battre pour exister en dehors de lui.Et maintenant, il veut que j’écoute ?Je serre le volant. Mes phalanges blanchissent.Léo« T’écouter ? T’as passé combien de temps à me faire taire ? À me faire comprendre que je n’étais qu’un déshonneur ? »Père – souffle court« Je suis malade. Très malade. Les médecins… Ils ne me donnent pas longtemps. »Il me fr
ÉvaIl est parti.Et je ne sais pas quand il reviendra.Ou s’il reviendra.J’ai refermé la porte derrière lui sans un mot.Parce que s’il s’était retourné, je l’aurais supplié de rester.Et je ne suis pas ce genre de femme.Enfin… je croyais ne pas l’être.Le silence est lourd.Pas celui de la paix.Celui qui hurle dans les coins, dans les verres vides, dans les draps encore chauds.Je tourne en rond.Une tasse de café froid entre les doigts.Je ne la bois pas.Je veux juste sentir quelque chose.Je relis son mot.Court.Simple.Comme lui."Je dois régler ça. Je reviens. Promis."Promis.Un mot qui peut tout contenir.Ou rien.Je m’effondre dans le canapé.Mon téléphone sur la table.Aucune notification.Aucun message.Je me surprends à guetter le moindre bruit, le moindre signe.Je repense à ses mains.À sa voix contre ma peau.À ce qu’on a construit, malgré la peur, malgré la nuit, malgré les cicatrices.Et maintenant ?Il doit faire face à son passé.Et moi, je reste ici, à me dema
LéoLes sirènes hurlent. Les gyrophares peignent la nuit de flashes rouges et bleus. Le froid s’infiltre sous ma peau, mordant, implacable. Je suis à genoux, les poignets menottés dans mon dos, mon souffle court. L’asphalte sous moi est tâché de sang. Pas le mien. Celui de l’homme étendu à quelques mètres, la poitrine perforée de deux balles. Mort.Je fixe son corps sans ciller, sans trembler. Autour de moi, les flics s’agitent, parlent dans leurs radios. « Suspect neutralisé », « Scène sécurisée », « Procédure standard ». Des mots vides. Des mots qui scellent mon destin.— Léo Morgan, vous êtes en état d’arrestation pour complicité de meurtre et trafic de stupéfiants.La voix résonne au-dessus de moi. Je relève la tête et croise le regard du lieutenant en charge. Morel, un type raide, avec la certitude du juste ancrée au fond des yeux. Il me toise, persuadé d’avoir bouclé une belle affaire. J’ai envie de rire. Ils n’ont rien compris.J’ouvre la bouche pour parler, mais ma lèvre éclat
LéoLa porte de ma cellule claque derrière moi, un bruit métallique qui résonne longtemps dans l’étroite pièce. Mur gris, lit en ferraille, matelas trop mince. Une table fixée au mur, une petite fenêtre avec des barreaux. L’air sent la lessive bon marché et le renfermé.Je reste debout, balayant les lieux du regard. Une seule couche. J’ai cette cellule pour moi, au moins pour le moment. Un luxe.Je m’assois sur le matelas et passe une main dans mes cheveux. L’adrénaline du transfert s’estompe, laissant place à une tension sourde. Une prison pour femmes. Je savais que mon dossier était sensible, mais ça…— Faut croire que j’ai un don pour les situations de merde.Un ricanement attire mon attention. Je tourne la tête vers la porte. À travers la grille, deux paires d’yeux m’observent. Deux détenues, appuyées contre le mur, bras croisés.— Le petit prince parle tout seul ? lâche l’une d’elles, une brune aux traits durs, cigarette coincée entre ses doigts.— Il a peut-être peur du noir, aj
LéoLe soleil perce à peine à travers les barreaux de ma cellule. Je suis réveillé depuis longtemps, assis sur le bord du lit, en train de repasser les événements de la veille dans ma tête. Deux filles ont essayé de me tester. Cigarette et Rasée.Elles ont compris. Je ne suis pas une proie facile.Mais ça ne veut pas dire que les emmerdes sont terminées. Au contraire. Quand tu survis à une première attaque en taule, deux choses peuvent arriver : soit on te respecte, soit on t'attend au tournant.La grille s’ouvre brusquement.— Morgan, réfectoire.Une gardienne, l’air blasé.Je me lève et la suis dans les couloirs. L’atmosphère est différente ce matin. Des regards échangés, des murmures. Je le sens. Quelque chose se prépare.---Le Réfectoire – Nouveau Terrain de JeuDès que je franchis la porte du réfectoire, je sais que je suis attendu.Mira est installée à sa table habituelle, sa « meute » autour d’elle. Son regard croise le mien. Elle n’a pas oublié notre échange d’hier.J’avance,
LéoLéa tremble contre moi. Je la soutiens d’un bras alors qu’on avance lentement dans le couloir désert. Ses pas sont hésitants, son souffle court. Chaque gémissement qu’elle lâche me fait serrer les dents.La violence, je connais. Je l’ai vue. J’y ai goûté. Mais ce que je vois sur elle… ça me fout en rage.— Elles t’ont fait quoi exactement ?Elle hésite, baisse les yeux.— Elles voulaient… t’atteindre. Elles savent que tu veux te faire une place ici. Alors elles ont voulu t’envoyer un message.Je me fige.— Elles t’ont frappée juste pour me faire comprendre que je suis une cible ?Elle hoche la tête, et sa mâchoire se contracte.Samira.Son nom tourne en boucle dans ma tête. Je n’ai jamais eu l’intention de rester passif dans cette prison, mais maintenant, c’est personnel.On atteint enfin l’infirmerie. Je frappe. Personne ne répond. Évidemment.Je pousse la porte. Le bureau est vide, mais l’odeur de désinfectant flotte dans l’air. J’aide Léa à s’asseoir sur une des chaises en plas
LéoLe silence après un combat est toujours plus pesant que le choc des coups. Je sens encore l’adrénaline vibrer sous ma peau, mes muscles tendus, mes poings serrés. Rasée est au sol, son souffle court, la tête légèrement tournée. Elle ne se relève pas.Les murmures reprennent. Mira sourit, amusée. Elle aime le spectacle.Samira, elle, a cessé de sourire. Son regard est froid, calculateur. Elle comprend qu’elle a sous-estimé le "nouveau".— Bien joué, Morgan.La voix de Mira claque dans l’air. Je lève la tête vers elle.— T’as tenu bon.Elle se tourne vers Samira, son sourire toujours vissé aux lèvres.— T’en penses quoi ?Samira descend lentement du muret où elle était perchée. Son regard glisse sur moi, de haut en bas, comme si elle évaluait ma valeur.— Je pense que c’est pas fini.Elle s’approche. Les autres se taisent.— Tu t’es fait une place, Morgan. Mais ici, une place, ça se défend tous les jours.Elle passe près de moi, s’arrête un instant.— On se reverra bientôt.Puis ell
ÉvaIl est parti.Et je ne sais pas quand il reviendra.Ou s’il reviendra.J’ai refermé la porte derrière lui sans un mot.Parce que s’il s’était retourné, je l’aurais supplié de rester.Et je ne suis pas ce genre de femme.Enfin… je croyais ne pas l’être.Le silence est lourd.Pas celui de la paix.Celui qui hurle dans les coins, dans les verres vides, dans les draps encore chauds.Je tourne en rond.Une tasse de café froid entre les doigts.Je ne la bois pas.Je veux juste sentir quelque chose.Je relis son mot.Court.Simple.Comme lui."Je dois régler ça. Je reviens. Promis."Promis.Un mot qui peut tout contenir.Ou rien.Je m’effondre dans le canapé.Mon téléphone sur la table.Aucune notification.Aucun message.Je me surprends à guetter le moindre bruit, le moindre signe.Je repense à ses mains.À sa voix contre ma peau.À ce qu’on a construit, malgré la peur, malgré la nuit, malgré les cicatrices.Et maintenant ?Il doit faire face à son passé.Et moi, je reste ici, à me dema
LéoSilence. Puis une voix.Grave. Fatiguée. Connue.Et le monde s’arrête.Le père de Léo« Léo. »Je freine. Instinctivement.Comme si son nom dans ma bouche m’avait brûlé.Le cœur me monte dans la gorge.Je reconnaîtrais cette voix entre mille.Même si elle est plus râpeuse. Plus lente.Plus vieille.Léo« Qu’est-ce que tu veux ? »Ma voix est sèche. Trop sèche.Mais je n’ai pas appris à lui parler autrement.On ne parle pas avec un homme qui vous a nié.On survit. On s’éloigne.Père – calme« Que tu viennes. Que tu m’écoutes. »Je ris, sans joie.Il m’a fallu des années pour qu’il entende que je voulais autre chose.Des années à me battre pour exister en dehors de lui.Et maintenant, il veut que j’écoute ?Je serre le volant. Mes phalanges blanchissent.Léo« T’écouter ? T’as passé combien de temps à me faire taire ? À me faire comprendre que je n’étais qu’un déshonneur ? »Père – souffle court« Je suis malade. Très malade. Les médecins… Ils ne me donnent pas longtemps. »Il me fr
Éva Je sens sa chaleur avant même d’ouvrir les yeux. Son souffle dans ma nuque. Sa main posée contre mon ventre, légère. Présente. Je reste immobile. Pas par peur de le réveiller. Par besoin de retenir ce moment.Il dort encore. Ou peut-être fait-il semblant. Comme moi. À chercher un refuge dans la douceur quand tout, autour, menace de basculer.Sa peau contre la mienne me donne envie de croire. Que ce n’est pas une erreur. Qu’on peut être autre chose qu’un scandale, une chute, une folie. Je me retourne lentement. Ses paupières bougent à peine. Ses lèvres entrouvertes laissent filtrer un souffle calme.Éva – murmure « T’es beau quand tu dors. »Il sourit. Les yeux toujours fermés.Léo – voix rauque « Et toi, t’es belle quand tu crois que je dors. »Je ris. Un rire minuscule, suspendu. Il ouvre les yeux, enfin. Ils sont pleins de sommeil, pleins de moi.Léo Je pourrais rester là des heures. Juste à la regarder respirer. À effleurer sa peau du bou
ÉvaIl pleut. Pas dehors. Dedans.Pas une pluie qu’on voit. Une qui ronge, qui s’infiltre.Dans les gestes, les silences, les regards évités.Dans la façon dont je m’attarde à la fenêtre, sans vraiment regarder.L’eau coule sur la vitre. Dehors, le monde suit son cours.Dedans, le mien s’arrête. Ou tourne en boucle. Je ne sais plus.Léo est encore là.Son sac posé contre le mur.Intact. Prêt.Comme s’il savait. Comme s’il attendait.Peut-être qu’il attend que je dise enfin ce que je n’arrive pas à dire.LéoElle ne parle presque plus.Elle bouge avec lenteur, comme si chaque mouvement était une décision.Je la regarde se servir un café qu’elle ne boira pas.Je la regarde s’asseoir sans bruit, les doigts serrés autour de la tasse froide.Elle porte un pull trop large. Ses cheveux sont en désordre.Mais elle est belle. Abîmée, mais belle.Et je suis là. Encore là.Léo – doucement« Tu veux que je parte ? »ÉvaJe relève les yeux.Il n’y a pas de colère dans sa voix. Pas même de tristess
ÉvaLe matin s’étire comme un fil tendu entre deux chaises bancales.Je me lève sans bruit.Léo dort encore.Sa respiration est lente, paisible, presque enfantine.Je l’observe quelques secondes.Ce visage-là, je le reconnais.Pas celui du taulard qu’ils décrivaient dans les rapports, pas celui du fuyard.Non. Juste Léo.Celui que j’ai aimé avant que tout ne devienne flou, interdit.Celui dont le rire résonnait dans mes nuits quand j’avais encore foi en quelque chose.Je pourrais le toucher, passer ma main sur sa joue, effleurer ses cils.Mais je n’ose pas.Parce que si je le réveille, je casse ce moment.Et peut-être que je le regretterais aussitôt.Je descends à la cuisine.Pas faim. Pas soif.Juste envie de silence.Mais il n’est plus là.Serge l’a emporté avec lui.Serge et ses silences pleins de sens, ses gestes lents, son regard franc.Et moi, je n’ai plus que des miettes de courage.Je me fais un café que je ne bois pas.J’ouvre la fenêtre.L’air est froid. Tranchant.Il sent l
ÉvaLa porte claque doucement derrière moi.Il est encore tôt. Le silence flotte dans l’air, chargé, électrique.Le salon est baigné de lumière dorée, celle qui rend tout plus doux, plus beau… plus mensonger.Parce que rien n’est doux ici. Ni beau.Tout est en train de s’effondrer.Je pose mes clés, lentement, comme si ce geste pouvait retarder l’inévitable.Il est là. Serge. Assis dans le fauteuil de lin gris qu’il aime tant.Il ne bouge pas. Ne parle pas.Mais je sens son regard peser sur moi.J’ai laissé Léo dans la chambre, encore allongé sur le lit, vêtu d’un t-shirt propre que je lui ai donné.Pas blessé. Pas brisé.Juste… libre.Et c’est moi qui ai signé sa sortie.Moi qui ai franchi ce seuil interdit.SergeElle entre comme si rien n’avait changé.Comme si elle ne venait pas de ramener chez nous le chaos que j’ai mis des années à tenir à distance.Mais je l’ai toujours su.Léo n’a jamais vraiment quitté sa tête.Ni son cœur.Ses gestes sont calmes. Mais son regard est flou.El
Éva, LéoLéoJe me réveille avant l’aube.Pas parce que je le veux.Parce que mon corps ne connaît plus le repos.Parce que mon cœur n’a pas encore compris que la guerre est finie.Il me faut quelques secondes pour comprendre où je suis.Le plafond est blanc.Le silence est pur.Il n’y a plus de cris derrière les murs, plus de portes qui claquent, plus d’ombres qui glissent dans les coins.Et pourtant, je reste figé.Il y a une main sur mon torse.Sa main.Éva.Son souffle est lent. Régulier.Son corps lové contre le mien, comme si le monde entier pouvait s’écrouler, elle resterait là.Et moi, dans cette éternité suspendue, je n’ose plus bouger.Pas par peur de la réveiller.Mais parce que je ne veux pas briser ce miracle.Ce premier matin.ÉvaJe sens qu’il est éveillé.Depuis longtemps.Je sens sa tension, ce mélange de stupeur et de peur contenue.Je sens sa solitude, aussi, cette solitude ancienne, qui hurle en silence.Il n’a pas bougé, mais son cœur bat trop vite.Il se débat en
Éva, LéoÉvaJe n’ai pas bougé.Les marches du palais de justice me blessent les jambes, mais je reste là.Figée dans l’instant d’après.Comme si le monde s’était arrêté juste pour que je puisse retenir ce moment un peu plus longtemps.Le bracelet est toujours dans ma main. Je le serre si fort qu’il imprime sa forme dans ma paume, comme une trace brûlante, comme une promesse qu’on ne pourrait plus effacer.Autour de moi, tout se déchaîne.Les journalistes crient, les micros se tendent, les flashs crépitent.Mais moi, je suis ailleurs.Je suis dans l’instant où ses yeux ont croisé les miens.Dans le battement de cœur où tout a basculé.Là où son regard m’a dit « je t’aime » sans prononcer un mot.Là où le mot liberté a cessé d’être une revendication pour devenir une certitude. Une vérité simple.Notre vérité.Je ne sais pas combien de temps passe.Cinq minutes. Une heure. Un siècle.Puis, je le sens.Ce n’est pas un bruit, pas un mouvement.C’est une onde. Un frisson dans l’air.Un bat
Éva, LéoÉvaJe n’ai pas bougé.Les marches du palais de justice me blessent les jambes, mais je reste là.Figée dans l’instant d’après.Comme si le monde s’était arrêté juste pour que je puisse retenir ce moment un peu plus longtemps.Le bracelet est toujours dans ma main. Je le serre si fort qu’il imprime sa forme dans ma paume, comme une trace brûlante, comme une promesse qu’on ne pourrait plus effacer.Autour de moi, tout se déchaîne.Les journalistes crient, les micros se tendent, les flashs crépitent.Mais moi, je suis ailleurs.Je suis dans l’instant où ses yeux ont croisé les miens.Dans le battement de cœur où tout a basculé.Là où son regard m’a dit « je t’aime » sans prononcer un mot.Là où le mot liberté a cessé d’être une revendication pour devenir une certitude. Une vérité simple.Notre vérité.Je ne sais pas combien de temps passe.Cinq minutes. Une heure. Un siècle.Puis, je le sens.Ce n’est pas un bruit, pas un mouvement.C’est une onde. Un frisson dans l’air.Un bat