Chapitre 5 – Le prix du silence

La poussière s’éleva dans l’air brûlant de l’aire de repos alors que Elliana s’écroulait au sol, le souffle coupé, une main instinctivement posée sur son ventre arrondi. La douleur dans ses hanches se mêlait à celle bien plus sourde et poignante dans sa poitrine. Les graviers râpaient sa peau, mais elle n’y prêtait aucune attention. Ses yeux fixaient Caleb, un regard chargé de fureur, de trahison… et d’un amour en train de se consumer.

— Tu es… horrible. murmura-t-elle, les larmes serrées dans sa gorge.

Caleb, toujours debout, le regard froid, n’esquissa aucun mouvement vers elle.

La portière arrière claqua.

Miranda, la mère de Caleb, descendit en premier. Son talon claqua sur le bitume alors qu’elle s’approchait de sa belle-fille tombée au sol. Son visage trahissait un mépris qu’elle ne cherchait même plus à dissimuler.

— Regarde, Caleb. Voilà ta soi-disant femme. Je ne sais pas dans quelle rue tu l’as ramassée, mais elle n’a rien à faire dans notre famille.

Cassie descendit à son tour. Elle se planta aux côtés de sa mère, les bras croisés, un sourire moqueur au coin des lèvres.

— Tu devrais te remettre à ta place, Elliana. T’as cru quoi ? Qu’en tombant enceinte, tu serais une reine ? Ne prends pas la grosse tête, ça ne te va pas du tout.

Elliana, toujours par terre, tenta de se redresser, serrant les dents sous l'effort. Mais le coup le plus violent ne venait pas du sol. Il vint des mots suivants.

Miranda pointa le doigt vers le ventre rond d’Elliana.

— Et pour couronner le tout, je ne vais même pas avoir un petit-fils. Non. Une fille. Inutile. Comme sa mère.

Un silence glacial s’abattit. Même Cassie cessa un instant de sourire.

Elliana se figea, abasourdie, avant de redresser lentement la tête.

— Qu’est-ce que tu viens de dire ? murmura-t-elle d’une voix tremblante.

— Tu m’as bien entendue, cracha Miranda. J’ai pris une photo de ton ventre et je l’ai envoyée à une voyante réputée. Elle a confirmé, ce sera une fille. Quelle déception…

Elliana laissa échapper un rire nerveux, presque hystérique.

— Une voyante ? Sérieusement ? Tu fais reposer tes espoirs sur une charlatane ? Et si c’est une fille… où est le problème, hein ?! Les filles ne valent rien pour toi ?!

— Exactement, dit Miranda sans honte. Je voulais un petit-fils. Un garçon fort, héritier. Pas une pleurnicheuse.

Elliana se leva d’un bond, le visage en feu. Elle se tourna vers Caleb, l’implorant du regard.

— Regarde-moi, Caleb. Ta mère m’insulte, me piétine, humilie notre enfant… Ton enfant ! Et toi tu dis rien ? J’ai tout quitté pour te suivre, j’ai tourné le dos à ma famille, à mes amis… à moi-même ! Et en retour, tu me trahis. Comme si j’étais… rien !

Le regard de Caleb vacilla un instant. Mais ce fut une lueur brève, aussitôt écrasée par sa colère.

— Tu ne comprends rien, Elliana ! Tu es têtue, capricieuse, toujours à vouloir tout contrôler ! Tu crois que tout tourne autour de toi ! Mais tu n’es qu’une orpheline, tu ne viens de nulle part, tu ne représentes rien !

Ces mots-là brisèrent quelque chose en elle.

Elle recula, choquée.

Cassie, profitant du silence, tendit à Caleb le téléphone qu’elle avait gardé.

Sans un mot, Caleb saisit le téléphone d’Elliana… et le jeta de toutes ses forces contre le sol. L’appareil explosa en morceaux, la coque éclatée, l’écran fendu en une toile d’araignée.

Le hurlement d’Elliana fendit l’air.

— Ça suffit ! cria-t-elle.

Elle leva la main et gifla Caleb de toutes ses forces. La gifle claqua comme un coup de tonnerre dans l’aire de repos.

Miranda et Cassie restèrent figées, la bouche ouverte, pétrifiées.

Caleb, lui, ne dit rien. Il porta sa main à sa joue rougie… puis détourna simplement les yeux.

— Montez. Toutes les deux. Maintenant. ordonna-t-il à sa mère et à sa sœur.

Sans discuter, elles remontèrent dans la voiture, encore sous le choc de la gifle.

Il se tourna alors vers Elliana.

— Tu devrais réfléchir à tes actes. On se reverra plus tard.

Et sur ces mots, il monta dans la voiture, referma sa portière d’un claquement sec, démarra… et s’éloigna.

Elliana courut après la voiture, trébuchant.

— Caleb ! Caleb, attends ! Tu ne peux pas me laisser comme ça ! Caleb !!

Mais ses jambes cédèrent sous elle. Elle tomba lourdement à genoux, ses bras autour de son ventre. Son souffle était court, son cœur en lambeaux. La poussière se mêlait à ses larmes. Elle était seule.

**

La voiture n’était pas encore sortie du champ de vision que Caleb freina brusquement.

— Demi-tour, ordonna-t-il en tournant le volant.

— Caleb, laisse-la, dit Miranda en soupirant. Elle a besoin de réfléchir à sa place dans cette famille.

— Je ne veux pas d’ennuis. Elle est seule, enceinte, en pleine aire de repos. Les gens vont poser des questions. Il suffit qu’un passant appelle les autorités et c’est terminé. On aura une sale image.

Il fit demi-tour.

**

Pendant ce temps, dans l’autre aire de repos, Lukas, Matteo et Julian attendaient toujours. Le soleil avait commencé à descendre à l’horizon. Le temps passait, et Elliana n’arrivait pas.

— Ça ne sent pas bon, murmura Matteo, les bras croisés.

— Je le savais, dit Julian. Ce type ne voulait pas qu’elle vienne. Il a dû l’emmener ailleurs.

Lukas, silencieux, fixait son téléphone, relisant pour la centième fois le dernier message d’Elliana. Un mauvais pressentiment lui rongeait le cœur.

— Elle nous a dit qu’elle serait là. Elle ne raterait jamais ça. Il s’est passé quelque chose.

Il fit quelques pas vers sa voiture, ouvrit la portière.

— Montez. On part la chercher.

— Mais on ne sait pas par où ils sont passés, répondit Julian.

— Je m’en fiche. Je retrouverai ma sœur, quoi qu’il en coûte.

Ils montèrent dans la voiture, le moteur rugit. À travers les routes sinueuses, un frère fonça vers l’inconnu, déterminé à ramener sa sœur. Tandis qu’à quelques kilomètres de là, une jeune femme en pleurs, le corps fatigué, tenait son ventre et priait en silence…

Qu’on ne l’oublie pas.