Chapitre 2 – Le Poids du Passé

Lysandra

Je reste figée.

Autour de moi, tout continue comme si de rien n’était : les bips réguliers des moniteurs, les chuchotements des infirmières, le grattement d’un stylo sur un dossier. Mais moi, je suis clouée sur place, incapable de détacher mon regard de l’homme allongé devant moi.

— Lysandra…

Son murmure résonne encore dans ma tête, comme une promesse oubliée.

— Docteur Hale ?

Sarah me tire de ma torpeur, et je réalise que j’ai toujours mes doigts autour du poignet du patient. Sa peau est brûlante, presque fiévreuse sous mon toucher. Pourtant, il ne tremble pas, ne frissonne pas.

— Vous le connaissez ? me demande-t-elle à voix basse.

— Non.

Le mot sort trop vite. Trop sec.

Je me force à me redresser et à remettre mon masque de professionnelle. Peu importe ce que je ressens, ce que mon corps hurle en présence de cet homme, il reste un patient. Un inconnu.

— Augmentez le débit du sérum et surveillez sa température. Je veux un bilan complet dans l’heure.

Sarah acquiesce, mais je sens son regard peser sur moi. Elle me connaît trop bien pour ne pas remarquer mon trouble.

Je sors de la chambre d’un pas rapide, mon cœur toujours en vrac. Dès que je me retrouve seule dans le couloir, je plaque une main sur ma poitrine.

La brûlure est toujours là.

Pourquoi son regard m’a-t-il fait cet effet ? Pourquoi son nom, Ciel Donovan, semble éveiller en moi quelque chose d’enfoui, d’oublié ?

Je secoue la tête.

— Ce n’est que la fatigue, murmuré-je à moi-même.

Mais au fond, je sais que ce n’est pas vrai.

Je retourne à mon bureau, bien décidée à me changer les idées en me plongeant dans les dossiers de la nuit. Pourtant, à peine ai-je ouvert le premier que mon téléphone vibre.

Un message s’affiche sur mon écran.

Numéro inconnu : Tu l’as retrouvé. Ne le laisse pas t’échapper cette fois.

Un frisson me parcourt l’échine.

Je relève les yeux et, à travers la vitre de mon bureau, je vois la silhouette endormie de Ciel.

Qui est-il vraiment ? Et pourquoi ai-je la sensation que nos destins sont déjà liés ?

Je relis le message encore et encore, les mots imprimés dans mon esprit comme une brûlure invisible.

"Tu l’as retrouvé. Ne le laisse pas t’échapper cette fois."

— Merde…

Mon pouls s’accélère, mes doigts se crispent sur mon téléphone. Qui a envoyé ça ? Et surtout… qu’est-ce que ça signifie ?

Je me lève brusquement, cherchant à calmer le tumulte en moi. Il me faut des réponses.

Sans attendre, je quitte mon bureau et retourne vers la chambre de Ciel Donovan. Mon pas est déterminé, mais mon cœur bat trop fort.

Quand j’entre, il est toujours allongé, son torse se soulevant au rythme lent de sa respiration. Son visage est paisible, mais il y a quelque chose de troublant dans son expression, comme s’il rêvait… ou se souvenait.

Je m’approche lentement et prends son dossier. Les analyses sont arrivées.

— Groupe sanguin rare… murmuré-je en parcourant les résultats. Des taux anormaux de certaines protéines… Une température corporelle légèrement plus élevée que la norme…

Rien de concluant, mais tout semble indiquer que Ciel Donovan n’est pas un patient ordinaire.

Un frisson parcourt ma peau lorsque mes yeux glissent sur ses brûlures. Elles n’ont rien de commun avec celles que j’ai déjà vues. La peau semble marquée en profondeur, comme si la chair avait été consumée de l’intérieur.

— Qui es-tu… ?

Je tends la main, hésitante, et frôle du bout des doigts l’une de ses cicatrices.

D’un coup, une vague de chaleur m’envahit.

Un flash brutal m’éblouit, et la douleur explose en moi.

— Lysandra !

Une voix. Grave, désespérée.

Des flammes m’encerclent, consumant tout sur leur passage. Une main se tend vers moi, des doigts effleurent les miens.

Puis tout s’effondre.

Je vacille, le souffle coupé, et recule précipitamment. Mon cœur cogne si fort que j’en ai la tête qui tourne.

Ciel émet un gémissement rauque.

— Lysandra…

Je me fige. Il murmure encore mon prénom.

Je recule jusqu’à la porte, les jambes tremblantes. Quelque chose ne tourne pas rond. Et ce message anonyme…

Je dois savoir qui il est. Et pourquoi, en sa présence, mon corps semble se souvenir de choses que mon esprit a oubliées.

Je n’arrive pas à dormir.

Allongée dans mon lit, je fixe le plafond, les pensées en vrac. Le visage de Ciel Donovan hante mon esprit, ses yeux couleur braise, la façon dont il a murmuré mon prénom… et cette douleur insoutenable qui m’a traversée quand j’ai touché sa peau.

— Ce n’est pas normal…

Je me redresse et attrape mon téléphone. Aucune nouvelle du numéro inconnu. Aucun autre message. Pourtant, une certitude s’ancre en moi : quelqu’un sait. Quelqu’un connaît l’histoire que j’ai oubliée.

Lassée de lutter contre mon agitation, je quitte mon appartement et retourne à l’hôpital. J’ai besoin de voir Ciel.

Quand j’arrive devant sa chambre, la lumière tamisée des urgences donne à l’endroit une ambiance irréelle. Je pousse la porte avec précaution.

Il est éveillé.

Ses yeux ambrés se posent sur moi aussitôt, perçants, brûlants.

— Lysandra…

Un frisson me parcourt. Ce n’est pas la première fois qu’il dit mon prénom, mais cette fois, il est pleinement conscient.

— Vous me connaissez ? demandé-je, la voix plus ferme que je ne le ressens.

Il me fixe un instant avant d’esquisser un sourire amer.

— Tu ne te souviens pas de moi…

Un poids s’abat sur ma poitrine.

— Pourquoi est-ce que je devrais ?