Judith, à demi consciente, observait les blouses blanches se bousculer dans les services du centre hospitalier. Une odeur de détresse valsait dans la salle d'attente. Elle put apercevoir des femmes au bord de la crise de nerfs s'arracher les cheveux. D'autres se tapaient la tête contre les murs comme si elles cherchaient à être en rythme avec un rappeur invisible. Une jeune fille, Kleenex à la main, racontait sa vie à une vieille dame qui nourrissait ses oreilles des confidences malheureuses. Une histoire de cœur, très certainement, pensa Judith. Un autre type empestant l'alcool et le tabac froid souffrait de terribles céphalées. Égarée au milieu de tous ces êtres en souffrance, Judith se demandait quel beau docteur allait venir la sortir de cet état léthargique dans lequel elle avait subitement plongé. Elle avait bien souvent avalé des kilos de Haribo devant des séries américaines avec des médecins à la parfaite plastique tomber amoureux des patientes. À l'appel de son nom, ses pensées furent interrompues lorsque ses yeux se posèrent sur le badge d'une interne, Lara Ferdini.
— Mademoiselle, vous m’entendez ?
La patiente fut surprise d'entendre que l'interne n'avait pas cet accent italien auquel elle s'attendait, mais un accent bien parisien assez huppé aux syllabes appuyées.
— Je suis dans les vapes... Je…, sanglota Judith.
— Ne vous épuisez pas. Vous avez subi un choc émotionnel.
— Ce salaud m’a quittée, je veux mourir, laissez-moi mourir, soupira-t-elle.
Un papy occupant le lit d’à côté paraissait touché par ces quelques mots. L'incompréhension pouvait se lire sur son visage.
Comment une femme aussi jeune pouvait-elle exprimer de telles envies ?
— Mais enfin ma petite, la jeunesse n'est pas un âge pour la mort, mais pour vivre.
Il voulut aller la rejoindre, mais l’infirmière qui venait de lui faire une piqûre sur la fesse gauche l’en empêcha.
— Monsieur André, de quoi je me mêle ? Restez couché ! fit la jolie blonde pulpeuse.
Le papy ne broncha pas. Il regagna sagement son lit et alluma la télé. Une série policière avec des coups de feu l'accapara.
L’interne sentit les larmes lui piquer les yeux comme après une nuit dénuée de sommeil. Elle avait pourtant appris la règle par cœur, ne pas trop s’investir, voire pas du tout dans la vie des patients, aussi désespérée fût-elle. Lara savait que Judith était maintenant hors de danger et qu’elle repartirait chez elle pour continuer à vivre, parce qu’il le fallait.
— Je vais chercher vos résultats, je reviens.
— Attendez ! Ne me laissez pas seule !
Mais l’interne n'attendit pas. Elle avait déjà tourné les talons. Et voilà, un autre abandon, une fois de plus. Judith ne supportait plus cette solitude injustement imposée. Elle arracha sa perfusion, renfila ses vêtements et lui courut après.
— De quels résultats parlez-vous ? Je ne me souviens de rien, dit-elle, désespérée.
— Votre prise de sang répondit l'interne de manière évasive. Et puis d’abord, que faites-vous là ? N’êtes-vous pas censée être dans votre box ?
Elle détestait ce mot, elle avait l’impression qu'on la considérait bête à manger du foin.
Judith repensa alors à ces quelques mots prononcés par le vieux monsieur.
— Je veux vivre ! S'écria-t-elle.
— Enfin des paroles sensées. Je vais chercher vos résultats, attendez-moi là. Je reviens.
Tout le personnel les regardait. Certains paraissaient irrités, d’autres surpris par le tableau qui se jouait sous leurs yeux. Ils voulurent en savoir davantage sur celle qui venait de décrocher le premier rôle.
— Je vais très bien, tout va bien, adressa-t-elle aux curieux, adorateurs des mélodrames, qui la dévisageaient comme une bête de foire
.
***
Enfermées dans une petite salle à demi éclairée, les deux jeunes femmes se regardèrent. L'esprit de Judith ne parvenait pas à gagner en sérénité. Les interrogations se bousculaient et ne trouvaient pas de réponse.
Que fais-je entre ces quatre murs délavés ? Comment tourner la page ? Et si Éric revenait ?
En proie à un énième doute, elle voulut pleurer, mais elle avait peur d'être internée à durée indéterminée. Toutes ces blouses qui s'affolaient de chambre en chambre pour calmer ces cris de douleur incessants, la blancheur d'une tristesse infinie... Non, Judith ne voulait pas rester. Elle vit le visage préoccupé de Lara Ferdini lui adressant une ordonnance à l'écriture ondulée :
Deprixa
Qui invente les noms de médicament ?
— C’est pour moi ? Faut pas, je vous assure ! fit Judith comme si l'on venait de lui offrir un cadeau inutile.
— Le traitement vous fatiguera un peu, mais il faut le prendre. Il faut continuer à vivre, assura Lara avant qu'un chat ne vienne se nicher dans sa gorge. Il faut... puis sa voix se brisa.
— Je me trompe ou vous pleurez ?
L’interne retira ses lunettes et se laissa aller à quelques larmes. C'était pourtant défendu. Elle le savait bien. Le Professeur Duvernois l’avait prévenue à maintes reprises. Ne pas montrer ses faiblesses devant les patients, faire preuve de courage en toute situation même lorsque celle-ci hurle au désespoir. Elle connaissait la leçon. Elle se la répétait tous les matins devant son miroir, mais ne parvenait plus à l’appliquer. Lara Ferdini présenta un sourire plein de compassion et dit :
— La vie est trop courte pour vouloir accélérer les choses. Vous avez failli y rester, vous.. Elle ne put achever sa phrase tant les sanglots se précipitaient dans sa gorge.
— Oui, j’ai voulu mourir par lassitude. Vous êtes célibataire ?
— Pourquoi vous a-t-il quittée ?
— La routine ou peut-être une autre femme là-dessous. J’ignore tout des raisons qui l'ont poussé à mettre un point à notre histoire, mais je dois continuer à vivre. Vous m’avez sauvée.
— Je n’ ai fait que mon travail, vous savez, fit l’interne, gênée.
— Vous avez fait plus que cela, vous m’avez écoutée. Vous ne m’avez pas regardée comme si j’étais une pauvre cinglée alors que mon curriculum vitae est déjà bien chargé, répondit Judith en lui adressant un sourire.
— Vous devez vous occuper de vous.
— Vous avez entièrement raison ! Vous connaissez un bon coiffeur ?
— Je parlais d’une thérapie, j’ai des adresses à…
— Une coupe de cheveux, voilà ce dont j’ai besoin ! Que pensez-vous du salon de coiffure le Lumin’hair, vous savez celui qui fait l’angle ?
Judith n’avait décidément rien de banal. Elle avait avalé un dangereux cocktail et aussitôt, elle s’était relevée. Lara Ferdini aimait cette capacité à rebondir. Sa patiente venait de tenter l'irréparable, mais elle n'était pas prête à laisser la vie lui échapper.
L'interne enchaînait les gardes à l'hôpital sans relâche. Gagnée par une certaine lassitude routinière, elle regrettait la chaleur de son lit, mais parfois, les patients lui apportaient d'agréables surprises telle une lueur dans la nuit, comme Judith avait su le faire.
— J’ai une amie qui travaille là-bas, souffla-t-elle. Tu penses... heu... vous, pardon.
— Je suis à l’aise avec le tutoiement, fit Judith.
Lara lâcha un sourire puis ajouta :
— Tu penses y aller quand ?
— En sortant !
— Alors, il me reste plus qu’à te dire de vivre et surtout pas à bientôt.
— Tu n’as pas répondu à ma question, fit remarquer Judith.
— Oui, je suis célibataire et heureuse ainsi, dit-elle dans un éclat de rire.
À ces paroles, Judith et Lara comprirent qu’une amitié venait de prendre vie au milieu des blouses blanches, des badges rouges et des cris de détresse. Les deux femmes riaient à présent. Ce désir de quitter la terre semblait désormais bien loin, comme s'il n'avait jamais existé. Elle avait presque oublié ce pour quoi les cachets parfumés à l'eau de Cologne avaient gagné son estomac.
Judith, encore un peu nauséeuse par le breuvage ingurgité jugea, finalement, que l'eau de Cologne était bien meilleure sur soi que dans un verre d'eau. Elle s'en voulait d'avoir gaspillé cet effluve ainsi, et surtout pour un chagrin d'amour. Elle devait renouer avec son odeur pour définitivement en oublier son goût. Son regard s'était d'abord posé sur un Chanel, par réminiscence. Elle ouvrit le flacon et, aussitôt, un parfum enivrant se répandit sous ses narines amusées. Elle savoura l'instant, s'observa dans la glace et se trouva presque séduisante. Un homme à la calvitie très engagée lui tapa sur l'épaule, mais Judith, apeurée, sursauta et le flacon lui échappa des mains. Sans se
Quelques mèches éparpillées sur le sol plus tard, Judith se sentait allégée. Les cheveux lui arrivant aux épaules, elle se trouvait rayonnante et tournait dans le salon tel un mannequin devant un parterre de photographes de mode.— Alors?— J'adore, tout simplement, dit-elle en laissant un copieux pourboire. Vous êtes une artiste, vous avez de l'or dans les doigts, vous...— N'exagérez rien, j’avais juste un très bon mod&egr
Le mois d'août, après avoir offert ses nombreux rayons de soleil, prenait congé. La lumière du jour se cachait derrière les nuages qui trônaient fièrement sur la capitale. Judith, fidèle à ses habitudes les observait de la fenêtre de sa chambre, cachée derrière les rideaux rouges. Imperturbables, ils dessinaient des personnages à l'âme souriante. Judith se sentait protégée des regards inquisiteurs de la rue. Elle n'ouvrait la fenêtre qu'à moitié. Coincée dans l'embrasure, elle respirait l'air frais que le vent laissait échapper. Le mois de septembre, celui de sa naissance, s'ouvrait timidement. Elle se mit à rêver, les yeux grands ouverts sur la beauté que le paysage offrait.
Un jour d'hiver, L'automne avait filé à la vitesse d'une voiture de course, emportant avec lui les dernières feuilles des arbres. La ville accueillait à présent, non sans réticence, le grand froid hivernal. Les passants, comme pris au dépourvu, avaient regagné la chaleur de leurs manteaux. Les décorations dans les rues annonçant l'arrivée des fêtes de fin d'année rendaient Judith aussi mélancolique qu'envieuse. Elle pensait à toutes ces familles nombreuses qui se partageaient la saveur d'un chapon. Elle s'imaginait les coupes de Champagne échangées au coin du feu entre amis. Les photos prises pour immortaliser c
Quatre mois plus tardMamie Jocelyne était partie, mais sa demeure retrouvait son souffle de vie. Judith, sirotant une limonade sur le canapé du salon, attendait avec impatience Lara, Garance et Pénélope. Au premier regard, les trois jeunes femmes avaient été conquises par le charme des lieux.La sonnette du portail de la Casa Bella fit bondir Judith du sofa. Elle traversa à grandes enjambées l'allée en gravillon blanc pour accueillir ses amies.—&n
Les portes de la Casa Bella s'ouvrent à notre nouvelle colocataire. La Casa Bella, c'est 245 mètres carrés de beauté en plein Vincennes, une grande véranda s'ouvrant sur un jardin avec cabane, un facteur sympa qui oublie de vous livrer vos factures, quatre amies qui, insatisfaites de leur vie tentent de s'en inventer une autre. Vous avez moins de 30 ans? Vous êtes positive et savez tenir une maison?
— Allô? Fit Pénélope d'une voix chantante.— Oui, bonjour. Voilà, j'ai trouvé votre annonce et je voudrais visiter la Casa Bella, annonça une jeune voix.— Votre prénom?— Annabelle, vingt-sept ans.— Vous &e
Le soleil venait de quitter le ciel après plusieurs semaines de chaleur écrasante. Adoptant une certaine modération, il ne se jetait plus sur la ville de manière aussi déterminée. Une farandole de nuages s'était regroupée et dessinait à présent des visages joyeux au-dessus des arbres qui balayaient l’horizon d'un simple frémissement de branches. Un léger vent tant attendu encourageait les familles à profiter de l’air frais que cette matinée était en mesure d'offrir. Bien loin des préoccupations de la rentrée et des cartables à alourdir de nouveaux manuels scolaires, les enfants jouaient au ballon dans le parc. Leurs parents, remplis d'insouciance, ne les surveillaient que d'un œil distrait. Égarés dans leurs pensées
— Allô? Fit Pénélope d'une voix chantante.— Oui, bonjour. Voilà, j'ai trouvé votre annonce et je voudrais visiter la Casa Bella, annonça une jeune voix.— Votre prénom?— Annabelle, vingt-sept ans.— Vous &e
Les portes de la Casa Bella s'ouvrent à notre nouvelle colocataire. La Casa Bella, c'est 245 mètres carrés de beauté en plein Vincennes, une grande véranda s'ouvrant sur un jardin avec cabane, un facteur sympa qui oublie de vous livrer vos factures, quatre amies qui, insatisfaites de leur vie tentent de s'en inventer une autre. Vous avez moins de 30 ans? Vous êtes positive et savez tenir une maison?
Quatre mois plus tardMamie Jocelyne était partie, mais sa demeure retrouvait son souffle de vie. Judith, sirotant une limonade sur le canapé du salon, attendait avec impatience Lara, Garance et Pénélope. Au premier regard, les trois jeunes femmes avaient été conquises par le charme des lieux.La sonnette du portail de la Casa Bella fit bondir Judith du sofa. Elle traversa à grandes enjambées l'allée en gravillon blanc pour accueillir ses amies.—&n
Un jour d'hiver, L'automne avait filé à la vitesse d'une voiture de course, emportant avec lui les dernières feuilles des arbres. La ville accueillait à présent, non sans réticence, le grand froid hivernal. Les passants, comme pris au dépourvu, avaient regagné la chaleur de leurs manteaux. Les décorations dans les rues annonçant l'arrivée des fêtes de fin d'année rendaient Judith aussi mélancolique qu'envieuse. Elle pensait à toutes ces familles nombreuses qui se partageaient la saveur d'un chapon. Elle s'imaginait les coupes de Champagne échangées au coin du feu entre amis. Les photos prises pour immortaliser c
Le mois d'août, après avoir offert ses nombreux rayons de soleil, prenait congé. La lumière du jour se cachait derrière les nuages qui trônaient fièrement sur la capitale. Judith, fidèle à ses habitudes les observait de la fenêtre de sa chambre, cachée derrière les rideaux rouges. Imperturbables, ils dessinaient des personnages à l'âme souriante. Judith se sentait protégée des regards inquisiteurs de la rue. Elle n'ouvrait la fenêtre qu'à moitié. Coincée dans l'embrasure, elle respirait l'air frais que le vent laissait échapper. Le mois de septembre, celui de sa naissance, s'ouvrait timidement. Elle se mit à rêver, les yeux grands ouverts sur la beauté que le paysage offrait.
Quelques mèches éparpillées sur le sol plus tard, Judith se sentait allégée. Les cheveux lui arrivant aux épaules, elle se trouvait rayonnante et tournait dans le salon tel un mannequin devant un parterre de photographes de mode.— Alors?— J'adore, tout simplement, dit-elle en laissant un copieux pourboire. Vous êtes une artiste, vous avez de l'or dans les doigts, vous...— N'exagérez rien, j’avais juste un très bon mod&egr
Judith, encore un peu nauséeuse par le breuvage ingurgité jugea, finalement, que l'eau de Cologne était bien meilleure sur soi que dans un verre d'eau. Elle s'en voulait d'avoir gaspillé cet effluve ainsi, et surtout pour un chagrin d'amour. Elle devait renouer avec son odeur pour définitivement en oublier son goût. Son regard s'était d'abord posé sur un Chanel, par réminiscence. Elle ouvrit le flacon et, aussitôt, un parfum enivrant se répandit sous ses narines amusées. Elle savoura l'instant, s'observa dans la glace et se trouva presque séduisante. Un homme à la calvitie très engagée lui tapa sur l'épaule, mais Judith, apeurée, sursauta et le flacon lui échappa des mains. Sans se
Judith, à demi consciente, observait les blouses blanches se bousculer dans les services du centre hospitalier. Une odeur de détresse valsait dans la salle d'attente. Elle put apercevoir des femmes au bord de la crise de nerfs s'arracher les cheveux. D'autres se tapaient la tête contre les murs comme si elles cherchaient à être en rythme avec un rappeur invisible. Une jeune fille, Kleenex à la main, racontait sa vie à une vieille dame qui nourrissait ses oreilles des confidences malheureuses. Une histoire de cœur, très certainement, pensa Judith. Un autre type empestant l'alcool et le tabac froid souffrait de terribles céphalées. Égarée au milieu de tous ces êtres en souffrance, Judith se demandait quel beau docteur allait venir la sortir de cet état léthargique dans lequel el
Le soleil venait de quitter le ciel après plusieurs semaines de chaleur écrasante. Adoptant une certaine modération, il ne se jetait plus sur la ville de manière aussi déterminée. Une farandole de nuages s'était regroupée et dessinait à présent des visages joyeux au-dessus des arbres qui balayaient l’horizon d'un simple frémissement de branches. Un léger vent tant attendu encourageait les familles à profiter de l’air frais que cette matinée était en mesure d'offrir. Bien loin des préoccupations de la rentrée et des cartables à alourdir de nouveaux manuels scolaires, les enfants jouaient au ballon dans le parc. Leurs parents, remplis d'insouciance, ne les surveillaient que d'un œil distrait. Égarés dans leurs pensées