Un jour d'hiver,
L'automne avait filé à la vitesse d'une voiture de course, emportant avec lui les dernières feuilles des arbres. La ville accueillait à présent, non sans réticence, le grand froid hivernal. Les passants, comme pris au dépourvu, avaient regagné la chaleur de leurs manteaux. Les décorations dans les rues annonçant l'arrivée des fêtes de fin d'année rendaient Judith aussi mélancolique qu'envieuse.
Elle pensait à toutes ces familles nombreuses qui se partageaient la saveur d'un chapon. Elle s'imaginait les coupes de Champagne échangées au coin du feu entre amis. Les photos prises pour immortaliser cette joie comme autant de témoignages à ces instants de bonheur.
Ce matin-là, secouée par un cauchemar dans lequel sa dentition se déchaussait frénétiquement de sa mâchoire, elle repoussa ses draps et sortit du lit alors que l'aube se dessinait à l’horizon. Le regard perdu, elle se plaça devant le miroir révélateur de vérités, ouvrit la bouche pour vérifier la présence de ses dents. Ouf, elles ne se sont pas échappées ! se dit-elle rassurée. Elle voulut adresser tous ses remerciements à son miroir, mais saisie par une autre angoisse, elle quitta précipitamment la chambre, comme si ce mauvais rêve était annonciateur d'un présage des plus sombres.
Instinctivement, elle pensa immédiatement à mamie Jocelyne. Elle traversa le long couloir qui la séparait de la chambre de sa grand-mère comme une gazelle cherchant à échapper à son prédateur. Sans frapper, elle ouvrit brusquement la porte. Aucun bruit. Aucun ronflement ne se laissait entendre. Malgré l'obscurité de la pièce, Judith s'aperçut que le lit était à peine défait. La chambre à coucher semblait ne plus accueillir la moindre trace de vie, alimentant davantage son angoisse. Elle se précipita vers la fenêtre. D'un coup sec tira les rideaux et ouvrit les persiennes. À l'horizon, dans le jardin, le temps semblait figé. Les branches des arbres s'amusaient avec la neige fraîchement tombée. Des enfants se lançaient des boules de neige au visage en riant. Si la scène offrait un spectacle empreint de poésie, celle qui se jouait dans la pièce n'était pas aussi enjouée. La jeune femme le sentait, un drame avait surgi pendant la nuit. Trop tard pour intervenir. Il ne restait à Judith que cette vision glaçante. Le visage blême de sa grand-mère. La mort était intervenue sans laisser la possibilité à Judith de retarder l'échéance. C'est ainsi que mamie Jocelyne s'était éteinte de la façon la plus discrète possible. Dans son sommeil, oubliant son discours d'adieu.
Si un flot de larmes s'échappa sans qu'elle ne puisse le contrôler, c'est la colère qui prit rapidement le dessus.
Comment peut-on se laisser mourir à soixante-deux ans ?
Judith ne pouvait s'empêcher de lui en vouloir d'être partie de cette façon. Elle voulut protester, crier devant cet événement qu'elle ne pouvait changer. Elle aurait aimé plaider la cause de sa grand-mère pour lui faire bénéficier de quelques années supplémentaires. Soixante-deux ans, ce n'est pas un âge pour mourir se répétait-elle.
Judith, confuse, ne savait plus si elle en voulait davantage à mamie Jocelyne ou à la mort de lui avoir enlevé son repère familial.
Pourquoi lui faisait-elle ça ?
Pour qui se prenait-elle pour la laisser en chemin ?
De quel droit ?
Elle ne voulait pas croire à sa soudaine disparition à laquelle elle n'avait pas été préparée. C'est avec un dernier geste de désespoir qu'elle frappa violemment le visage de sa grand-mère. Une vaine tentative de résurrection.
Reviens à toi, reviens à toi, ne me laisse pas, tu n'as pas le droit !
Elle souhaitait voir ses yeux se rouvrir sur la vie, en accueillir avec entrain les moindres joies. Il fallait vivre encore et toujours, d'après la recette du bonheur de Lara.
Le visage de mamie Jocelyne demeurait froid et blême malgré tous les efforts de la jeune femme pour la faire revenir dans le monde des vivants. Trop tard. La nature avait fait son œuvre. Sa grand-mère avait définitivement quitté sa somptueuse demeure. 245 mètres carrés dans lesquels Judith n'avait plus que le silence pour compagnie.
***
Installée dans un fauteuil au cuir craquelé par le nombre des années, Judith se sentait mal à l'aise dans ce cabinet à l'atmosphère austère. Il semblait dater d'un autre temps. Le bureau qui la séparait du notaire était massif et noir aux ornements faussement somptueux. Ce n'était pas tant la décoration qui perturbait Judith, mais l'expression faciale de Maître Dutin. Un homme de loi, proche de la retraite, qui sentait la rigidité sans se préoccuper des états d'âme de ses clients.
— En tant qu'héritière, la maison de votre grand-mère vous revient pour partie, déclara-t-il en ôtant ses lourdes lunettes.
— La Casa Bella, vous voulez dire ?
— La quoi ?
— C'est le nom que ma grand-mère avait donné à la maison.
— C'est écrit ici même, répondit-il sèchement, les documents en ma possession l'attestent.
— Mais je ne peux pas l'accepter, il y a trop de souvenirs dedans, trop de... et puis, ces 245 mètres carrés, non vraiment, je suis navrée, mais je ne peux pas.
— Vous n'avez pas d'amis ? Se hasarda-t-il, imaginant déjà la réponse négative de la jeune femme.
— Bah, évidemment que j'en ai. Vous me prenez pour qui ? Une ourse ? Une asociale ? Lâcha-t-elle avec colère.
Maître Dutin, déstabilisé par la bêtise de sa question, n'avait plus aucune réplique à offrir à la jeune femme. Familiarisé avec ce genre de réactions dans une telle situation, il mit l'agressivité de son interlocutrice sur le compte de sa profonde tristesse.
Judith comprit qu'elle avait été un peu trop piquante et, le regardant à peine, reprit joyeusement :
— Lara, Garance et Pénélope !
— Pardon ?
— Elles vont emménager avec moi dans la Casa Bella !
— Attendez Mademoiselle, vous oubliez...
— Je dois vous laisser ! J'ai des coups de fil à passer.
— Judith, galvanisée par l'idée suggérée de Maître Dutin, ne prêta aucunement attention à ses derniers mots. Les avait-elle seulement entendus ?
Il tenta de rattraper la jeune femme dans l'escalier, mais elle avait déjà filé. Maître Dutin connaissait ces comportements frôlant l'impulsivité. Il avait longtemps hésité avant de se diriger vers cette carrière de notaire. Le calme d'une bibliothèque bien rangée, les nombreux étalages de livres dans une librairie auraient davantage répondu à ses profondes envies.
Son téléphone sonna et le tira d'une énième rêverie.
— Maître Dutin, j'écoute.
La communication se coupa brusquement. Il reposa le combiné, se leva et piocha un roman historique dans sa bibliothèque.
Quatre mois plus tardMamie Jocelyne était partie, mais sa demeure retrouvait son souffle de vie. Judith, sirotant une limonade sur le canapé du salon, attendait avec impatience Lara, Garance et Pénélope. Au premier regard, les trois jeunes femmes avaient été conquises par le charme des lieux.La sonnette du portail de la Casa Bella fit bondir Judith du sofa. Elle traversa à grandes enjambées l'allée en gravillon blanc pour accueillir ses amies.—&n
Les portes de la Casa Bella s'ouvrent à notre nouvelle colocataire. La Casa Bella, c'est 245 mètres carrés de beauté en plein Vincennes, une grande véranda s'ouvrant sur un jardin avec cabane, un facteur sympa qui oublie de vous livrer vos factures, quatre amies qui, insatisfaites de leur vie tentent de s'en inventer une autre. Vous avez moins de 30 ans? Vous êtes positive et savez tenir une maison?
— Allô? Fit Pénélope d'une voix chantante.— Oui, bonjour. Voilà, j'ai trouvé votre annonce et je voudrais visiter la Casa Bella, annonça une jeune voix.— Votre prénom?— Annabelle, vingt-sept ans.— Vous &e
Le soleil venait de quitter le ciel après plusieurs semaines de chaleur écrasante. Adoptant une certaine modération, il ne se jetait plus sur la ville de manière aussi déterminée. Une farandole de nuages s'était regroupée et dessinait à présent des visages joyeux au-dessus des arbres qui balayaient l’horizon d'un simple frémissement de branches. Un léger vent tant attendu encourageait les familles à profiter de l’air frais que cette matinée était en mesure d'offrir. Bien loin des préoccupations de la rentrée et des cartables à alourdir de nouveaux manuels scolaires, les enfants jouaient au ballon dans le parc. Leurs parents, remplis d'insouciance, ne les surveillaient que d'un œil distrait. Égarés dans leurs pensées
Judith, à demi consciente, observait les blouses blanches se bousculer dans les services du centre hospitalier. Une odeur de détresse valsait dans la salle d'attente. Elle put apercevoir des femmes au bord de la crise de nerfs s'arracher les cheveux. D'autres se tapaient la tête contre les murs comme si elles cherchaient à être en rythme avec un rappeur invisible. Une jeune fille, Kleenex à la main, racontait sa vie à une vieille dame qui nourrissait ses oreilles des confidences malheureuses. Une histoire de cœur, très certainement, pensa Judith. Un autre type empestant l'alcool et le tabac froid souffrait de terribles céphalées. Égarée au milieu de tous ces êtres en souffrance, Judith se demandait quel beau docteur allait venir la sortir de cet état léthargique dans lequel el
Judith, encore un peu nauséeuse par le breuvage ingurgité jugea, finalement, que l'eau de Cologne était bien meilleure sur soi que dans un verre d'eau. Elle s'en voulait d'avoir gaspillé cet effluve ainsi, et surtout pour un chagrin d'amour. Elle devait renouer avec son odeur pour définitivement en oublier son goût. Son regard s'était d'abord posé sur un Chanel, par réminiscence. Elle ouvrit le flacon et, aussitôt, un parfum enivrant se répandit sous ses narines amusées. Elle savoura l'instant, s'observa dans la glace et se trouva presque séduisante. Un homme à la calvitie très engagée lui tapa sur l'épaule, mais Judith, apeurée, sursauta et le flacon lui échappa des mains. Sans se
Quelques mèches éparpillées sur le sol plus tard, Judith se sentait allégée. Les cheveux lui arrivant aux épaules, elle se trouvait rayonnante et tournait dans le salon tel un mannequin devant un parterre de photographes de mode.— Alors?— J'adore, tout simplement, dit-elle en laissant un copieux pourboire. Vous êtes une artiste, vous avez de l'or dans les doigts, vous...— N'exagérez rien, j’avais juste un très bon mod&egr
Le mois d'août, après avoir offert ses nombreux rayons de soleil, prenait congé. La lumière du jour se cachait derrière les nuages qui trônaient fièrement sur la capitale. Judith, fidèle à ses habitudes les observait de la fenêtre de sa chambre, cachée derrière les rideaux rouges. Imperturbables, ils dessinaient des personnages à l'âme souriante. Judith se sentait protégée des regards inquisiteurs de la rue. Elle n'ouvrait la fenêtre qu'à moitié. Coincée dans l'embrasure, elle respirait l'air frais que le vent laissait échapper. Le mois de septembre, celui de sa naissance, s'ouvrait timidement. Elle se mit à rêver, les yeux grands ouverts sur la beauté que le paysage offrait.
— Allô? Fit Pénélope d'une voix chantante.— Oui, bonjour. Voilà, j'ai trouvé votre annonce et je voudrais visiter la Casa Bella, annonça une jeune voix.— Votre prénom?— Annabelle, vingt-sept ans.— Vous &e
Les portes de la Casa Bella s'ouvrent à notre nouvelle colocataire. La Casa Bella, c'est 245 mètres carrés de beauté en plein Vincennes, une grande véranda s'ouvrant sur un jardin avec cabane, un facteur sympa qui oublie de vous livrer vos factures, quatre amies qui, insatisfaites de leur vie tentent de s'en inventer une autre. Vous avez moins de 30 ans? Vous êtes positive et savez tenir une maison?
Quatre mois plus tardMamie Jocelyne était partie, mais sa demeure retrouvait son souffle de vie. Judith, sirotant une limonade sur le canapé du salon, attendait avec impatience Lara, Garance et Pénélope. Au premier regard, les trois jeunes femmes avaient été conquises par le charme des lieux.La sonnette du portail de la Casa Bella fit bondir Judith du sofa. Elle traversa à grandes enjambées l'allée en gravillon blanc pour accueillir ses amies.—&n
Un jour d'hiver, L'automne avait filé à la vitesse d'une voiture de course, emportant avec lui les dernières feuilles des arbres. La ville accueillait à présent, non sans réticence, le grand froid hivernal. Les passants, comme pris au dépourvu, avaient regagné la chaleur de leurs manteaux. Les décorations dans les rues annonçant l'arrivée des fêtes de fin d'année rendaient Judith aussi mélancolique qu'envieuse. Elle pensait à toutes ces familles nombreuses qui se partageaient la saveur d'un chapon. Elle s'imaginait les coupes de Champagne échangées au coin du feu entre amis. Les photos prises pour immortaliser c
Le mois d'août, après avoir offert ses nombreux rayons de soleil, prenait congé. La lumière du jour se cachait derrière les nuages qui trônaient fièrement sur la capitale. Judith, fidèle à ses habitudes les observait de la fenêtre de sa chambre, cachée derrière les rideaux rouges. Imperturbables, ils dessinaient des personnages à l'âme souriante. Judith se sentait protégée des regards inquisiteurs de la rue. Elle n'ouvrait la fenêtre qu'à moitié. Coincée dans l'embrasure, elle respirait l'air frais que le vent laissait échapper. Le mois de septembre, celui de sa naissance, s'ouvrait timidement. Elle se mit à rêver, les yeux grands ouverts sur la beauté que le paysage offrait.
Quelques mèches éparpillées sur le sol plus tard, Judith se sentait allégée. Les cheveux lui arrivant aux épaules, elle se trouvait rayonnante et tournait dans le salon tel un mannequin devant un parterre de photographes de mode.— Alors?— J'adore, tout simplement, dit-elle en laissant un copieux pourboire. Vous êtes une artiste, vous avez de l'or dans les doigts, vous...— N'exagérez rien, j’avais juste un très bon mod&egr
Judith, encore un peu nauséeuse par le breuvage ingurgité jugea, finalement, que l'eau de Cologne était bien meilleure sur soi que dans un verre d'eau. Elle s'en voulait d'avoir gaspillé cet effluve ainsi, et surtout pour un chagrin d'amour. Elle devait renouer avec son odeur pour définitivement en oublier son goût. Son regard s'était d'abord posé sur un Chanel, par réminiscence. Elle ouvrit le flacon et, aussitôt, un parfum enivrant se répandit sous ses narines amusées. Elle savoura l'instant, s'observa dans la glace et se trouva presque séduisante. Un homme à la calvitie très engagée lui tapa sur l'épaule, mais Judith, apeurée, sursauta et le flacon lui échappa des mains. Sans se
Judith, à demi consciente, observait les blouses blanches se bousculer dans les services du centre hospitalier. Une odeur de détresse valsait dans la salle d'attente. Elle put apercevoir des femmes au bord de la crise de nerfs s'arracher les cheveux. D'autres se tapaient la tête contre les murs comme si elles cherchaient à être en rythme avec un rappeur invisible. Une jeune fille, Kleenex à la main, racontait sa vie à une vieille dame qui nourrissait ses oreilles des confidences malheureuses. Une histoire de cœur, très certainement, pensa Judith. Un autre type empestant l'alcool et le tabac froid souffrait de terribles céphalées. Égarée au milieu de tous ces êtres en souffrance, Judith se demandait quel beau docteur allait venir la sortir de cet état léthargique dans lequel el
Le soleil venait de quitter le ciel après plusieurs semaines de chaleur écrasante. Adoptant une certaine modération, il ne se jetait plus sur la ville de manière aussi déterminée. Une farandole de nuages s'était regroupée et dessinait à présent des visages joyeux au-dessus des arbres qui balayaient l’horizon d'un simple frémissement de branches. Un léger vent tant attendu encourageait les familles à profiter de l’air frais que cette matinée était en mesure d'offrir. Bien loin des préoccupations de la rentrée et des cartables à alourdir de nouveaux manuels scolaires, les enfants jouaient au ballon dans le parc. Leurs parents, remplis d'insouciance, ne les surveillaient que d'un œil distrait. Égarés dans leurs pensées