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CHAPITRE 4

last update Last Updated: 2021-11-15 15:35:24
 

Cité du Vatican, palais du gouvernement…

 

Celui que l’on surnommait « le Pape Noir », entra d’une démarche majestueuse dans la vaste salle de réunion réservée aux membres de l’Opus Sanctorum, sa robe sombre effleurant le sol. Six cardinaux, tous professeurs de théologie, l’attendaient en devisant passionnément autour de la longue table en chêne patinée par les ans qui meublait le centre de la pièce. Ils se turent instantanément à son arrivée.

À soixante ans passés, Mgr Francisco de Torquemada possédait une aura de puissance toujours aussi éclatante, et lorsqu’il pénétrait dans une pièce, les conversations baissaient en général d’un cran. Il était l’incarnation même de la puissante Église catholique romaine et n’hésitait pas à en faire un usage immodéré si les circonstances l’exigeaient.

Un autre homme entra à sa suite, d’une envergure plus discrète, ce qui allait parfaitement à sa fonction puisqu’il dirigeait les services secrets du Vatican. Mgr Pietro Franco s’approcha d’un siège et s’y assit.

De Torquemada resta debout un instant, toisant ses condisciples et les fixant dans les yeux un par un. Il s’assit ensuite lentement et posa les mains bien à plat sur la table.

– Messieurs, nous vivons une situation absolument hors du commun, c’est peu de le dire.

– La dernière manifestation divine remonte à 1995, dit un cardinal.

– Il s’agissait de lacrymations d’une statue de la Vierge à Civitavecchia poursuivit un autre.

    – Celle la précédant remonte à 1986, une vierge au Burkina, renchérit le premier. Une autre vierge à San Nicolas, en Argentine, en 1983.

– Mais là… s’exclama un troisième en écartant les mains dans un geste d’étonnement.

– Deux apparitions divines à quelques heures d’intervalle termina de Torquemada. Toutes les deux dans un dispensaire, l’une en Inde et l’autre au Darfour.

– Et dans les deux cas, les témoins sont des enfants sidéens en phase terminale.

– Précisément.

– Mes amis, je crois que le moment est arrivé.

Un long silence suivit ses derniers mots. Car ce qu’ils impliquaient touchait chaque homme ici présent au plus profond de son âme. Et bientôt, ce serait au tour du monde entier.

– Francisco, dit le plus âgé des cardinaux après un long moment, vous allez un peu vite en besogne !

– Depuis dix-neuf siècles, nous observons le monde à la recherche des signes. C’est notre fonction, ici, au sein de l’Opus Sanctorum, répondit de Torquemada. Il souligna ses paroles en joignant les mains comme pour une prière.

– Nos frères examinent chaque signe divin depuis la mort du Christ, espérant que chacun d’entre eux soit celui annonciateur du retour parmi nous de notre Seigneur. Notre expérience dans ce domaine est immense, vous le savez, poursuivit de Torquemada en hochant très lentement son auguste tête.

– Nous connaissons tous les signes bibliques, toutes les prophéties, Francisco. Où voulez-vous en venir ?

– Ils sont obsolètes et abscons. Nous devons chercher autre chose, des signes tangibles.

    – Obsolètes et abscons ?

– Le jour du Seigneur viendra comme un voleur, récita de Torquemada. En ce jour, les cieux passeront avec fracas, les éléments embrasés se dissoudront, et la terre avec les œuvres qu’elle renferme sera consumée.

– Le feu nucléaire…

– Une guerre totale détruisant la planète.

– Si cela arrive, mes frères, l’avènement de notre Seigneur interviendra trop tard. Cela n’a aucun sens. Apparitions de faux prophètes, pestes, famines, guerres, sociétés secrètes, tremblements de terre et autres désastres… voici deux mille ans que ces prétendus signes surgissent de toute part, n’annonçant finalement rien d’autre que la misérable condition de notre humanité. Non mes amis, nous devons chercher d’autres signes, être attentifs à des manifestations plus tangibles.

– Et vous pensez que deux apparitions divines incontestables au même moment dans des circonstances similaires, sont des signes suffisamment tangibles pour annoncer le Second Avènement du Christ, Francisco ?

– Que vous dit votre cœur ? Que vous dit votre intuition ?

De Torquemada fixa dans les yeux tour à tour chacun des cardinaux. Aucun ne cilla, ni ne répondit.

– Il va y avoir d’autres signes. Veillons, mes frères, et soyons prêts.

 

Sur le chemin qui le menait à ses appartements, au sein du palais apostolique, de Torquemada ne leva même pas les yeux une seule fois pour contempler le ciel étoilé. Ombre parmi les ombres, il se déplaçait rapidement, pressé par quelques desseins connus de lui seul. À ses côtés, bien que de plus petite taille, Franco avançait d’une démarche souple et coulée lui permettant de maintenir l’allure de son supérieur sans efforts.

– Puis-je savoir à quoi rime cette mascarade ? fit-il de la voix basse et éraillée d’un fumeur de longue haleine.

– Franco, j’ai la conviction que le Second Avènement est proche.

– Mais pourquoi faire bénéficier l’Opus de vos conclusions ?

Je croyais que nous nous servions d’eux, et pas le contraire ?

– Ces hommes sont d’une intelligence et d’une érudition peu commune. J’ai besoin de leur aide pour déterminer le plus précisément possible la date du Second Avènement.

– Comme l’éclair part de l’Orient et brille jusqu’en Occident, ainsi sera l’avènement du fils de l’homme, récita presque machinalement de Torquemada.

Ils montèrent les marches menant au palais avec promptitude. Les gardes suisses qui veillaient sur l’entrée de la résidence du Pape s’écartèrent pour les laisser passer.

– Nous allons devoir accélérer nos plans. Contactez nos frères à Princeton, lança le cardinal à son compagnon.

Puis, sur un dernier regard appuyé, il tourna les talons et monta le grand escalier menant aux appartements du souverain pontife. Il allait devoir s’entretenir avec l’un des personnages qu’il détestait le plus au monde. Mais tel était le devoir de sa charge.

Plus pour très longtemps, ne put-il s’empêcher de penser avec un sourire de satisfaction.

 

 

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