Besançon2018L’après-midi même, Damien se rendit au domicile d’ Anka Kolienko:–Madame Kolienko ? Capitaine Damien Sergent.–Bonjour Sergent, euh, faut-il vous appeler Sergent ou capitaine ?Damien sourit, son patronyme suscitait souvent ce genre de réactions. Bien que le grade de Sergent n’exista pas dans la police, la confusion était fréquente chez les béotiens.–Capitaine c’est mon grade, Sergent c’est juste mon nom.Anka sourit et se mordit la lèvre inférieure pour ne pas demander si son nom était « sergent » et « juste » son prénom... humour de trentenaire, fait de réminiscence de «Dîner de Cons».–Dans ce cas, bonjour tout court, c’est plus simple. Que me vaut cette visite ?–Je viens de Saint-Gaudens, à côté de Toulouse. Je suis porteur d’une…Le doux visage aux yeux clairs se durcit instantanément à l’évocation familiale. Un voile de froideur l’enveloppa.
BesançonLa C5 noire avec cocarde et macaron handicapé se gara en silence dans la contre-allée du bois. Jarier attendait depuis dix minutes. Pas question d’arriver en retard avec le préfet! Il monta dans l’auto à la place du mort. Le chauffeur descendit, les laissant seuls.Quelques instants plus tard, la cloison séparatrice en verre baissa, avec son ronronnement de moteur électrique.Le préfet Bergeron était silencieux, comme à son habitude. Il dévisagea le commandant de son regard noir. Le flic, lui, tentait de garder un semblant de contenance. Encore une fois, son corps le trahissait: sa transpiration aigre exhalait dans l’habitacle. Ce qui marquait chez le vieil infirme, au premier abord, c’était ses yeux. Ils étaient beaucoup trop enfoncés dans leurs orbites, au fond de cratères parcheminés. Jarier se souvint avoir pensé, lors de leur première rencontre, que Georges Lucas avait dû le croiser avant de créer son personnage d’empereur dans Star Wars.
BesançonAnka revint de la cuisine, se rassit et continua son récit. Elle raconta son père brisé, rentrant à la maison drapé de dignité. Une fois la porte fermée, elle lui lui décrivit le hurlement qu’il avait poussé. Le bouleversant cri de douleur, un cri animal de bête blessée qu’elle entendait encore dans ses cauchemars quasi quotidiens ! Son père, son papotchka, avait cessé de vivre ce matin-là, et Anka avait cessé d’aimer son Ira chérie. Oui, l’amour d’Anka pour sa sœur se transforma en dégoût tant ce cri l’avait retournée, tant elle avait communié avec l’infinie, l’incurable blessure de son père.Ira n’emmenait que la désolation, la douleur, la tristesse dans la famille… depuis sa naissance. Une semaine plus tard, papa fêtait ses soixante-trois ans, il en paraissait soixante-dix. J’imagine que ses pensées étaient toutes pour moi. J’imagine qu’il nous revit seize ans plus tôt par ce matin froid de novembre, moi dans ses bras, lui posant la terrible question…«
CHAPITRE 30Sandrine attaquait son troisième grand crème, quand Damien entra dans le café. Sandrine et Yannis riaient aux larmes, apparemment pour un « truc idiot qui fait rire » mêlant Dark Vador et une boulangère... une blague racontée par Frédo quelques instants plus tôt. Dam se la fit répéter, et bien sûr, il ne comprit pas la subtilité de la chose. Comme Sandrine avait repris sa respiration normale, il lui demanda:–En parlant de Frédo, où est-il ?–Il est parti juste avant que t’arrives, il n’y a même pas cinq minutes. Il est peut-être aux toilettes d’ailleurs ?–Merde, faut qu’on se grouille, on a rendez-vous avec Jarier dans 10 minutes. C’est à deux pas, mais je ne veux pas qu’on arrive en retard. En attendant, vous avez retrouvé la trace de Kevin et de Jules ?Sandrine réagit la première.–Oui, on a l’adresse de Kevin, celui dont Clara Zhilliet disait qu’il était assez vilain.–OK, vous y allez le plus tôt possible.–On l’a pré
BesançonLe café où Jarier leur avait donné rendez-vous était un bistrot à l’ancienne, avec ses cuivres ostentatoires et ses boiseries rehaussées de filets de peinture couleur or. Bien sûr, la modernité était passée par là, mais le principal avait été conservé: l’ambiance feutrée de ces vieux débits de boisson. Les tables, par obligation comptable, étaient très proches, mais les demi-cloisons séparatrices donnaient quand même un semblant d’intimité. Au-dessus du zinc en cuivre se trouvait un téléviseur géant, pour suivre sans doute les matches de foot ou autres. À l’écran passait une retransmission de ce sport absolument improbable, au nom de biscuit d’apéro. Un gars arborant une chasuble bleue, venait de pousser une pierre en granit. Deux de ses compagnons balayaient maintenant la piste comme des furieux !Frédo était venu seul. Jarier, qui guettait leur arrivée depuis dix minutes lui fit un signe. Il suait déjà. L’arrivant, qui était calme jusqu’alors, reprit, san
Le retour à l’hôtel avait été morose, Frédo ne répondait ni au téléphone, ni aux textos.Cependant, Yannis avait fait une découverte intéressante sur Jarier. Il l’expliqua à Damien.–Jarier a un fils, il a 12ans maintenant. Je suis entré dans son dossier médical, il souffre d’un TSA de haut niveau.–En clair ?–Trouble du Spectre Autistique. En deux mots il est enfermé dans son monde, il est autiste. Il a en plus un déficit mental, semble-t-il, assez important.–Ah, ça ne nous mène pas trop loin…–En fait si. Le petit est placé dans une clinique spécialisée près de Lausanne en Suisse. D’après leur plaquette, ils ont des résultats super avec les autistes, et bla-bla-bla et bla-bla. Par contre, quand on regarde le fric, les tarifs pratiqués sont indécents.–Indécents à quel niveau ?–Je ne sais pas exactement, mais l’ordre d’idée c’est que mon salaire n’y suffit pas ! C’est plus de 450
BesançonCela faisait quelques minutes qu’ils visionnaient les caméras du café quand une petite musique répétitive au piano venant du smartphone se fit entendre. Nouvel appel, sonnerie personnalisée. Une habitude du capitaine.Pour son ex-femme, Bea, les violons grinçants de «Psychose». Pour Sandrine, « La famille Adams». Pour Frédo, les tambours de Queen avec «We will rock you», et bien sûr, pour Yannis, l’air des Pokémons... La musique qui se faisait entendre à cet instant était reconnaissable dès la première portée, une intro que tout le monde connaît… Une mélodie de film d’horreur. Comme émergeant de sa torpeur, Damien réalisa à qui elle était affectée. Il se redressa en prenant le téléphone, un doigt sur les lèvres :–L’exorciste! Silence, c’est Pichery !Yannis n’avait visiblement pas vu le film, mais l’association d’idées exorciste et Pichery lui suffit. Il se pinça les lèvres. Sandrine, par contre
Besançon–Où est ta voiture ?–Euh, par là... Frédéric, vous faites une lourde erreur, vous ne devriez pas faire ça.–Écoute mon gars, ça fait sixans que tu me balades, six ans que j’y crois et que tu te fous de ma gueule. C’est fini, tu vas me dire tout ce que tu sais sur la disparition de ma femme. Tu habites toujours seul ?Ils venaient de monter dans la voiture du commandant.–Euh, oui pourquoi ?–Roule, on va chez toi. On sera tranquille.Frédo connaissait la maison de Jarier pour y être déjà venu quelques années auparavant, pour une raison quelconque dont il n’avait gardé aucun souvenir. Une bicoque dans un coin calme, isolée, en retrait de tout: Un endroit idéal pour discuter.La circulation dense de Besançon avait commencé à se fluidifier dans la banlieue, puis de fluide était devenue inexistante. Ils roulaient maintenant seuls depuis quelques minutes. Enfin, ils arrivèrent. La mai