Mercredi était venu et évidemment, Victor était à l’heure au rendez-vous. Victor était toujours ponctuel.Il attendait patiemment au beau milieu de la place Plume, où le dénommé Brinnus avait fixé la rencontre. Ce dernier lui avait ordonné de ne pas être en retard, mais manifestement, avait oublié de s’appliquer la consigne. Victor étudia sa montre une fois de plus, sortit son paquet de cigarettes, puis se ravisa.Ce ne fut que vingt longues minutes plus tard qu’il aperçut une voiture étonnamment modeste pour la Haute-Ville se garer à cinq mètres de lui. La vitre arrière se baissa et un homme caché derrière des lunettes noires superflues lui fit signe de s’approcher. Victor s’exécuta.—Montez de l’autre côté, lui ordonna l’homme qui, d’après son timbre si caractéristique, devait être Brinnus.Encore une fois, Victor obéit sans broncher. Il s’installa à l’arrière de la voiture. À ses côtés se trouvait donc l’homme avec lequel il avait rendez-vous. Sa vo
Pendant de longues années, Maria s’était imaginé la vie d’un Putra. Son fonctionnement, ses croyances, son quotidien. Et au beau milieu de toutes ces extravagances, une partie d’elle-même se disait qu’elle serait forcément déçue. Qu’un Putra n’était rien d’autre qu’un gros paumé comme les autres, tombé sur un temple avant un Martyr, que ses croyances sont très proches des balivernes monothéistes, qu’il passe sa journée à prier, lire les écritures pseudo saintes et effectuer des tâches courantes.Évidemment, la vérité penchait de ce côté. La reporter qu’elle était toujours vivait depuis de longues, de très longues journées parmi les Putras. Et son émerveillement initial face à la découverte de l’inconnu avait laissé place à un ennui profond.Pourtant, son accueil avait été extrêmement encourageant. Un représentant du responsable du temple, un dénommé Mhiakij, avait supervisé la procédure d’usage. Il lui avait été demandé de renoncer à tous les biens matériels qu’elle possé
Dans son rêve, il y avait de l’espace. Beaucoup d’espace, assez pour pouvoir respirer. La Haute-Ville n’existait pas, mais, sans pouvoir expliquer pourquoi, c’était bien à Menel Ara et non à Simake qu’il se trouvait. Les gens souriaient, les enfants jouaient, la vie semblait paisible.Dans son rêve, il y avait également une petite fille. La sienne. Il l’aurait appelée Kimiko. Il lui aurait appris les mathématiques, le latin, la rhétorique… Il l’aurait aimée comme personne n’a jamais aimé, et protégée des horreurs de ce monde.Dans son rêve, il y avait, bien sûr, une femme. Là aussi, la sienne. Une merveilleuse épouse, tendre et aimante, dévouée et belle. Tous les trois, ils formeraient une famille, heureuse et unie, loin du chaos général du Menel Ara réel. Ils se promèneraient dans les immenses étendues naturelles, montagnes, forêts et parcs, feraient la sieste sur l’herbe fraîche, vivraient leur vie sans appréhension.Dans son rêve, il était bien plus heureux qu’i
Allongé sur le sable, Gaël voyait s’écouler quelques gouttes de sang. En palpant son visage, il découvrit que son arcade était ouverte. Loin de l’affaiblir, cette blessure lui donna une rage supplémentaire. Il se releva, courut comme un dératé sur David et lui rentra dedans, tête la première. Assis sur lui, il le roua de coups jusqu’à ce que son adversaire abandonne. Pour la quatrième fois en quatre jours, Gaël et David s’étaient battus dans l’arène prévue à cet effet. Et pour la première fois, le premier sortait vainqueur.La foule, un peu plus grande à chaque combat, rugissait de plaisir à voir deux amis se combattre jour après jour. Parieur gagnant ou perdant, chacun trouvait son bonheur dans ce bain de sang quotidien. Seul Anton, bookmaker quasi officiel de l’arène de combat, déplorait sa lourde perte. Évidemment, après trois victoires de suite, il avait misé sur David. Mais Anton jouait toujours trop gros, et était trop stupide pour remarquer les progrès impressionnants que
Jusqu’ici, Maria devait bien se rendre à l’évidence: la secte du triangle vert était une joyeuse bande d’allumés totalement inoffensive et plutôt tournée vers l’aide à son prochain. Quelque chose de fondamentalement bon, en somme. Mais ce constat la décevait. Elle savait, au plus profond d’elle-même, qu’il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond. Pourquoi autant de mystère? Pourquoi autant de zones interdites? Pourquoi avait-elle tant de mal à entamer la conversation avec ses semblables?Elle avait organisé ses journées de manière schématique. D’abord, elle passait la matinée à étudier à la bibliothèque, en lisant des livres ou en discutant avec Gyan. Puis, l’après-midi, elle tentait de soutirer des informations à ses camarades Putras, en allant à leur rencontre. Évidemment, elle obtenait des résultats plus convaincants le matin. Chaque Putra qu’elle croisait semblait renfermé, presque apeuré. Peut-être était-ce le poids du rôle qui était le leur.
Une fois de plus, la journée était magnifique. Le ciel était d’un bleu azur et pas un nuage ne menaçait à l’horizon. La température était très légèrement positive. Rien à dire, cette journée s’annonçait historique.Les radios et télévisions ne parlaient que de cela, les affiches ornaient la cité de toute part, les invitations avaient été envoyées plusieurs jours auparavant. Tout Menel Ara ne parlait que de l’événement qui aurait lieu sur les douze coups de midi: la première exécution publique depuis cinq ans.Cette fois-ci, ce n’était pas un Martyr, mais un Putra, qui était condamné. Étrangement, l’opinion publique n’était pas spécialement désireuse de voir la secte punie. Alpha était considéré comme le seul et unique coupable de ce qui s’était passé, et les Putras avaient réussi à sauver la face dans cette histoire. Mais il leur faudrait sans doute faire profil bas pendant un certain temps s’ils souhaitaient conserver cette image neutre.Depuis l’annonce de
Après la tempête vient le beau temps.Assis à la poupe de son bateau, Moussa essayait de relativiser la situation actuelle. Les médias ne parlaient que du désordre incroyable dans lequel s’étaient déroulées les exécutions dans la Haute-Ville. Certains allaient même jusqu’à évoquer un problème de sécurité. Un comble, pensa Moussa, tout en laissant de côté cette idée. La politique ne l’intéressait pas. Pas outre mesure en tous cas. Il s’inquiétait plus volontiers pour ses amis.Gaël avait disparu depuis près d’un mois. Moussa ne voyait que quatre possibilités. Il aurait pu entrer chez les Putras. Mais il connaissait bien son ami et cela lui paraissait peu plausible. Il aimait trop sa liberté de pensée, malgré le mal-être qui était le sien depuis la mort de son père. Il s’était peut-être réfugié chez les Martyrs. C’était un peu plus crédible, mais là encore, il avait du mal à imaginer Gaël une arme à la main, prêt à faire sauter la ville. Il aurait fallu q
Né dans les années 80, Vincent Dionisio s’adonne dès la jeunesse à l’écriture de nouvelles. L’âge avançant, il se diversifie avec des scénarios, des pièces de théâtre et, inévitablement, des romans, jonglant avec les supports suivant l’inspiration du moment. Passionné de cinéma de longue date, de chefs d’œuvres prétentieux comme de navets à 150 millions, il ambitionne, un jour, d’écrire, de réaliser et de jouer dans une saga d’anticipation définitive. Une fois rattrapé par la réalité, il se remet au boulot et se contente de raconter des histoires. Parce que c’est ce qu’il préfère, finalement.
Après la tempête vient le beau temps.Assis à la poupe de son bateau, Moussa essayait de relativiser la situation actuelle. Les médias ne parlaient que du désordre incroyable dans lequel s’étaient déroulées les exécutions dans la Haute-Ville. Certains allaient même jusqu’à évoquer un problème de sécurité. Un comble, pensa Moussa, tout en laissant de côté cette idée. La politique ne l’intéressait pas. Pas outre mesure en tous cas. Il s’inquiétait plus volontiers pour ses amis.Gaël avait disparu depuis près d’un mois. Moussa ne voyait que quatre possibilités. Il aurait pu entrer chez les Putras. Mais il connaissait bien son ami et cela lui paraissait peu plausible. Il aimait trop sa liberté de pensée, malgré le mal-être qui était le sien depuis la mort de son père. Il s’était peut-être réfugié chez les Martyrs. C’était un peu plus crédible, mais là encore, il avait du mal à imaginer Gaël une arme à la main, prêt à faire sauter la ville. Il aurait fallu q
Une fois de plus, la journée était magnifique. Le ciel était d’un bleu azur et pas un nuage ne menaçait à l’horizon. La température était très légèrement positive. Rien à dire, cette journée s’annonçait historique.Les radios et télévisions ne parlaient que de cela, les affiches ornaient la cité de toute part, les invitations avaient été envoyées plusieurs jours auparavant. Tout Menel Ara ne parlait que de l’événement qui aurait lieu sur les douze coups de midi: la première exécution publique depuis cinq ans.Cette fois-ci, ce n’était pas un Martyr, mais un Putra, qui était condamné. Étrangement, l’opinion publique n’était pas spécialement désireuse de voir la secte punie. Alpha était considéré comme le seul et unique coupable de ce qui s’était passé, et les Putras avaient réussi à sauver la face dans cette histoire. Mais il leur faudrait sans doute faire profil bas pendant un certain temps s’ils souhaitaient conserver cette image neutre.Depuis l’annonce de
Jusqu’ici, Maria devait bien se rendre à l’évidence: la secte du triangle vert était une joyeuse bande d’allumés totalement inoffensive et plutôt tournée vers l’aide à son prochain. Quelque chose de fondamentalement bon, en somme. Mais ce constat la décevait. Elle savait, au plus profond d’elle-même, qu’il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond. Pourquoi autant de mystère? Pourquoi autant de zones interdites? Pourquoi avait-elle tant de mal à entamer la conversation avec ses semblables?Elle avait organisé ses journées de manière schématique. D’abord, elle passait la matinée à étudier à la bibliothèque, en lisant des livres ou en discutant avec Gyan. Puis, l’après-midi, elle tentait de soutirer des informations à ses camarades Putras, en allant à leur rencontre. Évidemment, elle obtenait des résultats plus convaincants le matin. Chaque Putra qu’elle croisait semblait renfermé, presque apeuré. Peut-être était-ce le poids du rôle qui était le leur.
Allongé sur le sable, Gaël voyait s’écouler quelques gouttes de sang. En palpant son visage, il découvrit que son arcade était ouverte. Loin de l’affaiblir, cette blessure lui donna une rage supplémentaire. Il se releva, courut comme un dératé sur David et lui rentra dedans, tête la première. Assis sur lui, il le roua de coups jusqu’à ce que son adversaire abandonne. Pour la quatrième fois en quatre jours, Gaël et David s’étaient battus dans l’arène prévue à cet effet. Et pour la première fois, le premier sortait vainqueur.La foule, un peu plus grande à chaque combat, rugissait de plaisir à voir deux amis se combattre jour après jour. Parieur gagnant ou perdant, chacun trouvait son bonheur dans ce bain de sang quotidien. Seul Anton, bookmaker quasi officiel de l’arène de combat, déplorait sa lourde perte. Évidemment, après trois victoires de suite, il avait misé sur David. Mais Anton jouait toujours trop gros, et était trop stupide pour remarquer les progrès impressionnants que
Dans son rêve, il y avait de l’espace. Beaucoup d’espace, assez pour pouvoir respirer. La Haute-Ville n’existait pas, mais, sans pouvoir expliquer pourquoi, c’était bien à Menel Ara et non à Simake qu’il se trouvait. Les gens souriaient, les enfants jouaient, la vie semblait paisible.Dans son rêve, il y avait également une petite fille. La sienne. Il l’aurait appelée Kimiko. Il lui aurait appris les mathématiques, le latin, la rhétorique… Il l’aurait aimée comme personne n’a jamais aimé, et protégée des horreurs de ce monde.Dans son rêve, il y avait, bien sûr, une femme. Là aussi, la sienne. Une merveilleuse épouse, tendre et aimante, dévouée et belle. Tous les trois, ils formeraient une famille, heureuse et unie, loin du chaos général du Menel Ara réel. Ils se promèneraient dans les immenses étendues naturelles, montagnes, forêts et parcs, feraient la sieste sur l’herbe fraîche, vivraient leur vie sans appréhension.Dans son rêve, il était bien plus heureux qu’i
Pendant de longues années, Maria s’était imaginé la vie d’un Putra. Son fonctionnement, ses croyances, son quotidien. Et au beau milieu de toutes ces extravagances, une partie d’elle-même se disait qu’elle serait forcément déçue. Qu’un Putra n’était rien d’autre qu’un gros paumé comme les autres, tombé sur un temple avant un Martyr, que ses croyances sont très proches des balivernes monothéistes, qu’il passe sa journée à prier, lire les écritures pseudo saintes et effectuer des tâches courantes.Évidemment, la vérité penchait de ce côté. La reporter qu’elle était toujours vivait depuis de longues, de très longues journées parmi les Putras. Et son émerveillement initial face à la découverte de l’inconnu avait laissé place à un ennui profond.Pourtant, son accueil avait été extrêmement encourageant. Un représentant du responsable du temple, un dénommé Mhiakij, avait supervisé la procédure d’usage. Il lui avait été demandé de renoncer à tous les biens matériels qu’elle possé
Mercredi était venu et évidemment, Victor était à l’heure au rendez-vous. Victor était toujours ponctuel.Il attendait patiemment au beau milieu de la place Plume, où le dénommé Brinnus avait fixé la rencontre. Ce dernier lui avait ordonné de ne pas être en retard, mais manifestement, avait oublié de s’appliquer la consigne. Victor étudia sa montre une fois de plus, sortit son paquet de cigarettes, puis se ravisa.Ce ne fut que vingt longues minutes plus tard qu’il aperçut une voiture étonnamment modeste pour la Haute-Ville se garer à cinq mètres de lui. La vitre arrière se baissa et un homme caché derrière des lunettes noires superflues lui fit signe de s’approcher. Victor s’exécuta.—Montez de l’autre côté, lui ordonna l’homme qui, d’après son timbre si caractéristique, devait être Brinnus.Encore une fois, Victor obéit sans broncher. Il s’installa à l’arrière de la voiture. À ses côtés se trouvait donc l’homme avec lequel il avait rendez-vous. Sa vo
—Putain, ce n’est pas possible, Karim. Je change de coin à chaque fois, et tu finis toujours par me retrouver. Je suis sûr que même dans la Haute-Ville, tu viendrais me casser les noix…Le jeune homme se frotta l’arrière de la tête et ne sut réellement pas quoi répondre à cela. Il avait l’habitude des accueils grognons de Sacha, mais l’agressivité qu’il venait d’y mettre n’était pas coutumière.—Je ne suis pas venu seul.Derrière lui, emmitouflé dans un épais manteau, Gaël fit son apparition.—C’est moi qui lui ai demandé de m’amener ici. Il m’a prévenu que tu n’aimais pas être dérangé, mais j’ai insisté.Sacha regarda ses deux visiteurs et soupira. Il posa son bâton et rangea son couteau.—OK, excuse-moi Karim. Mais il faudra quand même que tu m’expliques comment tu fais pour me retrouver à chaque coup. Allez, file, laisse-nous seuls.Le gamin s’exécuta, un sourire aux lèvres. Il quitta la pièce en courant, comme
Comment ne pas s’émouvoir d’une vision pareille? La Haute-Ville de Menel Ara était magnifiée par le léger manteau neigeux qui la recouvrait. Les barrières qui protégeaient les abords de l’immense soucoupe étaient légèrement blanchies et le Parc Bankala ressemblait à un lac immaculé, horizon lointain où l’Homme posait le pied pour la première fois.Les palais des Sept Familles et les grandioses demeures de la Haute-Ville trouvaient là un cadre à leur hauteur. De fait, tous les dignitaires profitaient de l’hiver naissant pour procéder à leurs invitations annuelles. Tradition purement menelarite, tordant le cou à tous les clichés sur le tourisme estival.En effet, comment ne pas être ému par une telle beauté? Il l’ignorait et surtout, Youri Komniev s’en moquait éperdument. Sans douce était-ce le trop grand nombre d’hivers passés ici, ou sa discussion étonnante avec Artémus Bankala. Toujours était-il que la vue qu’il avait de la Haute-Ville à cet instant ne lui in