Chapitre 4

Je pointais en sortant du boulot, contente d’avoir gagné pas mal avec les pourboires. Ça allait clairement m’aider à remplacer l’argent dépensé pour les vêtements et autres trucs essentiels.

Même si j’étais contente d’avoir fini, rentrer à la maison, c’était une autre histoire.

Quand Tori m’a déposé, Melissa était encore au travail pour une heure de plus. Ce qui me laissait seule avec Frank.

Je savais qu’il était complètement défoncé dès que je suis passée la porte d’entrée.

Il était affalé sur le fauteuil, regardant un match de foot qui grésillait à la télé, son visage tordu de colère. Je soupirais.

« T’étais où, putain ? » il a craché, peinant à se lever du fauteuil.

Je tentais de ne pas lever les yeux au ciel, sachant que ça allait encore plus l’énerver.

« J’étais au boulot, Frank. » J’ai répété pour la centième fois.

Je me suis tournée pour monter les escaliers, prête à fuir son flot de paroles saoulées, mais quelque chose dans ce qu'il disait m’a fait faire demi-tour.

« Au boulot ? » il a ricané en vacillant. « T’étais en train de traîner comme ta mère, sale pute. »

Cette fois, je levais les yeux au ciel. Si seulement il n'était pas toujours ivre, il se souviendrait que Melissa me faisait tout payer toute seule. Je n’avais pas le temps de « traîner » quand je passais mes journées à bosser et aller au lycée.

« Melissa, ce n’est pas ma mère. » J’ai répondu sèchement en me retournant pour monter.

Sa main s’est refermée sur mon poignet et il m’a tirée en arrière.

Même si je ne tombais pas, j’ai failli trébucher.

« Lâche-moi, Frank. » J’ai murmuré, mon corps se tendant de peur.

Les quelques fois où il avait réussi à s’approcher de moi comme ça, ça s’était mal passé. Quand il buvait, Frank devenait toujours tactile, que ce soit de manière violente ou… pire.

« Pute. » Il a craché, son haleine saturée d’alcool m’attaquant les narines. Il m’a tirée encore plus près, et je devais retenir un haut-le-cœur face à son t-shirt imbibé de sueur.

Mon corps tout entier se glaçait de terreur. Il était beaucoup trop près.

Je grimaçais devant l’odeur écœurante de bière et de sueur rance.

Sa prise sur mon poignet se resserrait, et je serais les dents contre la douleur.

« J’ai dit, lâche-moi ! » J’ai crié, en lui lançant mon genou entre les jambes.

Il a laissé échapper un grognement de douleur et lâché mon poignet. J’ai entendu ses cris alcoolisés pendant que je courais jusqu’à ma chambre et claquais la porte derrière moi.

Je cherchais fébrilement la serrure, mes yeux remplis de larmes.

Une fois la porte verrouillée, je me suis écroulée sur mon lit et laissais quelques larmes couler sur mes joues.

Certains jours étaient plus difficiles que d’autres, mais tout ça en vaudrait la peine quand je quitterais cet endroit.

Au fil des ans, j’avais vite perdu tout espoir que Melissa me traiterait comme sa fille, et je me raccrochais à l’idée de m’échapper dès mes 18 ans.

Je restais sur mon lit pendant des heures, n’osant pas bouger jusqu’à ce que j’aie entendu la porte d’entrée s’ouvrir et Melissa est rentrée.

C’est à ce moment-là que je me suis relevée et traîné sous la douche. L’eau brûlante camouflait les larmes qui coulaient librement.

Je restais toujours hyper attentive aux mouvements de Frank dans la maison, toujours sur mes gardes. Rien que ça, c’était épuisant et me maintenait dans un état permanent de paranoïa.

Je suis sortie de la douche complètement vidée et me suis endormie immédiatement.

Le matin est arrivé beaucoup trop vite. Après quelques heures de sommeil agité, je me suis levée et me suis habillée pour l’école.

J’ai mis l’un des vêtements que j’avais achetés récemment, un jean slim et un pull à épaules dénudées.

J’ai grimacé en voyant la marque de sa main sur ma peau pâle, et tiré ma manche par-dessus.

Comme d’habitude, mes deux premières heures de cours étaient avec Tori. On s’installait pour discuter tout en travaillant. Mais le cours qui me faisait le plus peur approchait.

Le commentaire de Kade sur le parfum au resto m’avait perturbée, mais je l’avais rapidement effacé de mon esprit. Apparemment, eux pas.

Kade et Alec étaient toujours aussi irrésistibles. Leurs cheveux étaient décoiffés avec ce style négligé que tous les autres gars essaient d’avoir sans succès. Kade portait une chemise bleu foncé, Alec un simple t-shirt noir.

Les jumeaux étaient déjà installés à notre table habituelle, sauf qu’aujourd’hui Alec était assis en face de Kade. J’ai grincé intérieurement, réalisant qu’il me fallait m'asseoir à côté de l’un des deux.

Kade avait l’air plus sérieux, parfois plus intimidant, alors je me suis installée à côté d’Alec.

Alec a lancé un sourire moqueur à Kade, comme s’il avait gagné un pari. J’évitais leurs regards, tentant de me concentrer sur ce que le prof racontait.

« Alors, la petite poupée a fini notre projet de groupe ? » Alec a murmuré, son souffle chaud effleurant mon oreille.

Un frisson parcourait mon corps, et Alec a éclaté de rire. Je serais les lèvres et l'ignorais. Bien sûr que j'avais terminé le projet. Pas question que ces jumeaux perturbateurs ruinent mes notes.

Quand je n’ai pas répondu, ses doigts effleuraient mon épaule et chatouillaient ma clavicule. Je respirais brusquement sous les picotements qui s’enroulaient autour de ma peau.

« Arrête. » J’ai sifflé, les yeux rivés sur le prof.

Je pouvais entendre un étrange grondement émanant d’Alec, et l’envie de le regarder me devenais insupportable.

Mes yeux se tournaient vers lui, et j’ai vu une étrange lueur briller dans ses pupilles sombres.

Je ne comprenais rien à ces jumeaux, aussi magnifiques que déroutants. D’abord, ils m’avaient prise pour cible. Ensuite, ils cherchaient une réaction de ma part. Et quand ils l'obtenaient enfin, ils semblaient en colère.

« Pourquoi tu ne me fais pas arrêter, poupée ? » Il m’a souri d’un air provocant, ses doigts musclés glissant le long de ma clavicule découverte.

À ce moment-là, le professeur a commencé à récupérer les projets de groupe.

La main baladeuse d’Alec s’est retirée, et je fouillais dans mon classeur pour chercher notre projet.

Après l’avoir remis au prof, j’ai failli bondir de ma chaise quand une main large saisissait ma cuisse.

Alec souriait en me regardant, et je me figeais.

« Où est passée ta petite attitude rebelle, poupée ? » Sa voix grave était basse, beaucoup trop près de mon oreille.

J’ai mordu l’intérieur de ma joue, bien décidée à ne pas entrer dans leur jeu. J’ignorais s’ils prenaient du plaisir à agir comme ça, mais je n’allais pas les encourager.

Et c’est comme ça que je passais le reste du cours.

Je laissais échapper des souffles coupés quand la main d’Alec s'aventurait là où elle n'aurait pas dû. À un moment, il a attrapé même une mèche de mes cheveux et tiré doucement.

Je devais tourner la tête pour cacher le rougissement qui enflammait mes joues.

Je remarquais rapidement que Kade était le plus silencieux des deux. Ses yeux restaient fixés sur moi tout le long du cours.

Quand il ne me regardait pas, son regard glissait vers son frère. Je pouvais jurer que je voyais de la jalousie brûler dans ses yeux.

C’était clair, ils voulaient se relayer pour me tourmenter.