Chapitre 6

Le trajet en voiture se faisait dans un silence gênant, avec Tori qui me lançait des regards soupçonneux.

« T’étais toute rouge quand je t’ai trouvée dans le couloir », Tori a lancé en haussant un sourcil.

J'avais envie de lui dire la vérité, mais je savais que ça ne servirait à rien. Si ces jumeaux étaient vraiment aussi « intouchables » que tout le monde le prétendait, à quoi bon en parler ?

J'étais encore complètement partagée sur ce qui s'était réellement passé. Ils m'avaient touchée contre ma volonté, embrassée contre ma volonté. Si tout s'était fait contre ma volonté, pourquoi est-ce que j’avais autant apprécié ? Pourquoi une partie de moi espérait-elle que cela se reproduise ?

J’ai mis ça sur le compte d’une petite folie passagère, sûrement parce que ces jumeaux étaient irrésistiblement beaux.

Après m'avoir interrogée des dizaines de fois, Tori finit par abandonner.

De retour chez moi, j’ai traversé la maison sur la pointe des pieds, sautant presque de joie en voyant Frank ronfler dans son fauteuil.

Je me suis laissée tomber sur mon lit après avoir terminé mes devoirs, touchant ma tête avec agacement.

Elle ne me faisait même plus mal.

Un bruit étouffé me tirait de mon lit et j’ai cherché le vieux téléphone que Melissa m’avait donné.

Notre assistante sociale avait pratiquement exigé que Melissa me fournisse un téléphone. Donc, fidèle à elle-même, Melissa m’avait offert le téléphone le plus basique possible. Je ne pensais même pas que ces vieux téléphones à clapet existaient encore. La seule chose pour laquelle il était utile, c’était pour passer des appels.

« Allô ? » j’ai soupiré, sachant déjà qui se trouvait à l’autre bout du fil.

La seule personne qui appelait ce téléphone, c’était l’assistante sociale.

« Salut, Aurore », Jenny a dit, mon assistante sociale depuis quelques années, avec un petit rire. « Juste un petit coup de fil pour voir comment ça va. »

« Rien n’a changé », j’ai répondu en haussant les épaules. « Pas pire, juste pareil. »

« Je suis désolée de l'entendre, Aurore », Jenny a dit en soupirant. Ce n'était un secret pour personne que Melissa n'avait jamais voulu de moi. « On a justement appris que ton père envoie des chèques à ton nom, et je voulais savoir comment ça t’aide. »

J’ai pouffé de rire. « Il vous a fallu des années pour découvrir ça ? »

« Ton père a l'air d'être quelqu'un de très discret », elle a dit en riant à son tour. « En tout cas, ça devrait remplir ton compte pour l'université assez vite. »

« Ouais, si j'en avais reçu un seul », j’ai répliqué en levant les yeux au ciel.

Melissa attendait le prochain chèque d'un jour à l'autre. Elle ne manquerait sûrement pas de faire un commentaire désobligeant en le recevant.

Un silence pesant s'installait de l’autre côté de la ligne. « Tu n’as jamais reçu ces chèques ? »

« Oh, Melissa les reçoit très bien », j’ai répondu en haussant les épaules. J'avais depuis longtemps abandonné l'idée de recevoir ces chèques, et de toute façon, je n'avais jamais vraiment voulu d’argent de la part d’un père absent.

Un autre silence, plus long cette fois.

« Je vois », Jenny a dit, visiblement agacée. « Merci de m'avoir informée, Aurore. Je vais voir ce que je peux faire pour arranger ça. »

« Ça ne vaut pas la peine », j’ai répondu en secouant la tête. « Je ne les ai jamais eus depuis que mamie est morte, et franchement, je n'ai pas envie d'entendre Melissa hurler. »

« Si tu le dis », Jenny a dit, peu convaincue.

J’ai mis un temps fou à m'endormir cette nuit-là. Les jumeaux hantaient mes rêves, comme si me tourmenter en vrai ne suffisait pas.

Je me réveillais en sursaut, haletante. Dans mon cauchemar, les jumeaux me lançaient des insultes cruelles à l’école, avant de m'entraîner dans un placard et de reprendre là où ils s’étaient arrêtés dans la réalité, me laissant encore plus confuse.

Un éclair a éclaté soudain, me tirant de mon lit. La pluie martelait la maison, et ce que je trouvais habituellement apaisant me semblait maintenant sinistre.

J’ai allumé ma lampe et me levée. Le froid de la pièce ne parvenait pas à apaiser la chaleur qui envahissait ma peau. Je pouvais presque sentir les frissons provoqués par les touches rugueuses des jumeaux, comme si mon rêve avait été réel.

J’ai posé ma tête contre la vitre fraîche de ma fenêtre et observai la pluie. On vivait dans une région de la Californie où la sécheresse régnait presque toute l’année. Ici, en Géorgie, tout était vert et humide, et je ne savais pas encore si je trouvais ça dérangeant ou réconfortant.

Un autre éclair fendait le ciel, illuminant la forêt à côté de la maison. Tout était plongé dans l'obscurité sous la lumière pâle de la lune, mais l'éclair a révélé tout pendant quelques secondes avant que la forêt ne sombre à nouveau dans les ténèbres.

Je restais là, le front contre la vitre froide, regardant les éclairs illuminer la nuit. De temps à autre, le bruit assourdissant du tonnerre me faisait sursauter légèrement.

Je plissais les yeux en direction de la forêt. Était-ce le vent, ou autre chose qui faisait bouger les branches ? Les éclairs ne me laissaient qu’un instant de clarté avant que l’obscurité ne reprenne ses droits.

J’ai bondi en arrière, choquée. L'éclair avait illuminé la forêt, et je n’étais plus sûre de ce que j’avais vu.

Deux grandes têtes poilues émergeaient des arbres. Leurs yeux intelligents étaient entourés d’une fourrure sombre comme la nuit. J'avais seulement entrevu leurs museaux allongés, mais si je devais deviner, j’aurais dit qu’il s’agissait de loups, ou peut-être d’un ours noir. Est-ce que les loups et les ours vivent même en France ?

Ce qui me troublait le plus, c'était la manière dont ces deux créatures semblaient fixer directement la fenêtre de ma chambre.

Le lendemain, je restais chez moi, feignant d’être malade. Honnêtement, je n'étais pas prête mentalement à retourner au lycée. Les rêves incessants m'avaient réveillée et la vision de ces animaux étranges m'avait empêchée de me rendormir pour le reste de la nuit.

Je savais que Melissa ne remarquerait même pas mon absence à l’école. Comme d’habitude, c’était Frank qu'il fallait éviter. J'étais déterminée à passer toute la journée enfermée dans ma chambre, ne sortant que pour quelques pauses aux toilettes.

J’ai verrouillé ma porte et me suis recouchée. Je ne savais pas combien de temps j'avais dormi, mais j'étais incroyablement soulagée d’avoir enfin fait une sieste paisible. Cette fois, mes rêves ne furent pas hantés par Kade et Alec.

La journée a passé rapidement et sans effort. Une fois 14h passées, je me suis préparée pour le boulot. Heureusement, ma journée de travail n'était pas très longue.

Je n’étais pas tout à fait sûre que Tori viendrait me chercher pour m'emmener au travail, surtout après avoir manqué l’école. À ma surprise, sa voiture s’est garée dans l’allée et je suis descendue les escaliers sur la pointe des pieds.

Frank, absorbé par un vieux match de foot, ne remarquait rien, et je filais hors de la maison.

« Où t’étais passée aujourd’hui ? » me lançait Tori en fronçant les sourcils. « Je ne savais pas si je devais venir te chercher. »

J’ai haussé les épaules. « Désolée, mauvaise nuit. »

« La tempête t'a dérangée ? » Tori a demandé, en enroulant une mèche de ses cheveux flamboyants autour de son doigt.

« Ouais, ça m’a réveillée. J'ai eu du mal à me rendormir. J'avais juste besoin de souffler un peu. »

« La prochaine fois, préviens-moi ! » Tori a dit en levant les yeux au ciel.

« Je n’ai pas vraiment de téléphone », j’ai répondu en pinçant les lèvres. Je n’allais pas sortir mon vieux téléphone à clapet, non merci. Mieux vaut pas de téléphone que celui-là.

Tori fronçait les sourcils. « T’as pas de téléphone ? Tu ne peux pas prendre un forfait à toi ? »

« Je n’ai pas encore 18 ans », j’ai soupiré. « En plus, j'ai besoin de refaire mes économies. »

Tori semblait perplexe, et je réalisais qu’elle devait faire partie de ces familles plus aisées.

« Pourquoi tu dois refaire tes économies ? » elle a demandé, visiblement confuse.

Je ricanais devant son incompréhension. « J’ai déjà dépensé pas mal pour la bouffe, les fournitures scolaires et les vêtements. »

« Euh, ce n’est pas à tes parents de t’aider pour ça ? » elle a fait en grimaçant, confirmant ainsi mon hypothèse.

« C’est une longue histoire, mais je m’occupe de moi-même », j’ai répondu en soupirant.

« Ça n’a pas l’air super », Tori a lâché en secouant la tête.

« Pas tout le monde est sympa », j’ai dit en haussant les épaules, sautant de la voiture.

Heureusement, Tori a laissé tomber la conversation et enchaîné sur un autre sujet. Se plaindre de Kyle était son passe-temps préféré. À un moment, j'avais même cru qu'elle avait un faible pour lui. Tori a fini par avouer qu'elle était sortie avec Kyle deux ans auparavant, mais que ça avait mal tourné quand il l’avait quittée pour une autre fille.

La première moitié de mon service se déroulait sans accroc. Mais après environ quatre heures, je me prenais dans une serveuse et renversai de la sauce Alfredo sur mon tee-shirt noir. Le manager me donnait un autre haut à enfiler, mais malheureusement, il était à manches courtes. Le bleu que j'avais reçu il y a quelques jours était déjà en train de guérir, mais il était maintenant d’un jaune peu flatteur.

Je passais la chemise noire à manches courtes dans la salle de bain, nouant mon tablier autour de la taille.

En sortant, je me suis cogné contre quelque chose de dur. Une odeur familière et enivrante émanait de ce « quelque chose », et j’ai trébuché en tentant de garder mon équilibre.

Deux mains chaudes et rugueuses se sont posées sur mes épaules, me stabilisant.

Le visage sévère d’Alec s’est penché vers moi, son sourcil épais s’est levé légèrement. C'était la deuxième fois que je lui rentrais dedans.

« Eh bien, si ce n’est pas notre petite poupée », Alec a ricané, ses mains retombant le long de son corps. Ses cheveux désordonnés tombaient sur son front, juste assez longs pour atteindre ses yeux. Il ressemblait au mauvais garçon typique qu'on voit dans les films, un genre de garçon qui ne m’avait jamais attirée. Jusqu’à maintenant.

« Désolée », j’ai murmuré en essayant de garder un ton neutre.

Alec et Kade détenaient un pouvoir invisible qui me rendait complètement idiote chaque fois que j’étais près d’eux.

« T’étais pas à l’école aujourd’hui. » Alec a fait remarquer, un air sérieux sur son beau visage.

Une vague de colère et d’irritation montais en moi. Alec et son frère me harcelaient constamment, et maintenant il voulait jouer les inquiets ? Il était clair que mes efforts pour les ignorer n’avaient aucun effet sur leur comportement. Ils cherchaient une réaction ? Très bien. Peut-être que ça les lasserait enfin et qu'ils arrêteraient de s’acharner sur moi.

« Je ne vois pas en quoi ça te regarde, » j’ai grogné, le regard planté dans ses yeux sombres.

J’étais certaine de ressembler à un chaton sur la défensive face à Alec et sa carrure imposante, mais peu importe. Tout commençait à peser sur moi, et je me demandais combien de temps il me restait avant de craquer complètement.

Je suis passée à côté d'Alec et me suis dirigé rapidement vers les cuisines, évitant de croiser le regard perçant de Kade.

J’étais à peine en cuisine depuis six minutes quand la serveuse à qui j'avais foncé dessus plus tôt s’est avancé vers moi d’un pas énervé.

« Qu'est-ce que t'as de si spécial, toi ? » elle a lancé sèchement.

Je la regardais, stupéfaite. Oui, je lui étais rentrée dedans par accident, mais je m’étais excusée.

Elle me détaillait de haut en bas avec une moue dédaigneuse, ses yeux noisette me jugeant sans pitié.

« Quoi ? » j’ai lâché-, réagissant beaucoup trop lentement pour elle.

La serveuse croisait les bras sur sa poitrine, « Tu te crois vraiment meilleure que les autres, hein ? »

« Je n’ai absolument aucune idée de quoi tu parles, » j’ai répondu sèchement, reconnaissante de voir Tori arriver en courant vers nous.

« Hé, c’est quoi ton problème, Cameron ? » Tori a aboyé en direction de la serveuse aux cheveux caramel. « Qu’est-ce qui se passe ? »

« Aucune idée, » j’ai haussé les épaules, tentant de ne pas rétrécir sous le regard furieux de Cameron.

« C’est la deuxième fois que les jumeaux viennent ici en demandant spécifiquement après elle, » Cameron a craché. « Comme si elle était spéciale ou un truc du genre. »

Mon estomac se nouait et mon cœur s’emballait à ses mots.

« Eh bien, sois leur serveuse, je t’en prie, » j’ai dit avec froideur, tentant de garder mon calme.

Un mélange de surprise et de suspicion passait sur le visage de Cameron. « J’ai déjà essayé. Ils veulent toi. »

Pendant un bref instant, j'envisageais de quitter mon boulot sur-le-champ, mais ça n’aurait rien résolu. Je n’allais quand même pas laisser deux types me pousser à abandonner mon travail, ni mes études d’ailleurs. Pas question.

J’ai quitté la cuisine en grommelant, mon estomac se retournant et mon cœur battant la chamade. J’ai pris une seconde pour me calmer.

« Salut, chérie, » Kade a souri en me voyant approcher leur table. Alec, assis en face, affichait le même sourire narquois.

J’ai serré les dents, « Qu’est-ce que je vous sers ? »

Ils ont commandé des sodas, et j’ai tourné les talons avant qu’ils ne puissent en dire plus.

Ça m’a pris à peine une minute, vu qu’on n’était pas très occupés aujourd'hui.

C’était toujours plus facile de servir des tables de deux ou trois personnes. Je détestais utiliser les grands plateaux pour transporter les boissons. Un faux pas et tout partait en vrille. C’était beaucoup plus simple de gérer les plats. Mes accidents impliquaient toujours des boissons.

J’ai posé leurs verres devant eux quand la main rugueuse de Kade a attrapé mon bras d’un coup sec.

« C’est quoi ce bordel ? »