Deux jours après nos retrouvailles, je donne mon congé à Maryse les larmes aux yeux. Mon histoire l’a touchée. Sur le pas de la porte, une dernière embrassade, je la quitte définitivement. Nous avons convenu avec Scott de retourner à Mont-de-Marsan avant de nous envoler pour les États- Unis. Désormais, le Texas deviendra mon pays. Maître Vianne nous attend. Je suis heureuse d’avoir eu un allié dans cette aventure ubuesque. Grâce à lui mon mari est vivant, et nous allons vivre dans la demeure de François. Scott ne souhaite pas vivre où son animal a été sauvagement massacré. Cela se comprend aisément. Gégé était un être à sang froid très attachant. Aussitôt que nous en avons parlé, il s’est mis à pleurer. Ses trois amis sont morts dans un court laps de temps, et il n’a pas eu le temps de faire leur deuil. Je l’ai épaulé en lui disant que pleurer n’a rien d’efféminé, au contraire, ce sont ses larmes qui m’ont attendrie lorsque je me cachais dans son 4X4.
— Tout est bien qui fin
Les obsèques d’Agathe se déroulent dans une petite chapelle proche de sa maison. Sa famille est réunie, ses enfants, ses petits-enfants. Tous se recueillent en silence. Le prêtre invite l’assemblée à se diriger vers le cimetière.Je tiens la main d’Anaëlle. Ma femme a su combattre ses démons à l’hôpital. Elle a été exemplaire, néanmoins, elle n’a pas cédé. Dès que les médecins ont autorisé les visites à sa tante, elle lui a parlé, de femme à femme, et non de nièce meurtrie à tante aigrie. Sur la fin de sa vie, la vieille a témoigné d’un regain de générosité. Son dernier souffle a servi à apaiser les consciences. Tante Agathe a été au courant de l’héritage avant sa nièce. Une lettre est parvenue à ma femme bien avant celle qui a contribué à nous réunir. Sa tante a orchestré une rencontre entre Plissard et Sophie lors d’un dîner chez une cousine à elle. Sûre de son coup quant à l’attirance qui allait se créer entre sa nièce de cœur et le notaire ; elle a ensuite exigé une c
« Ça sentait le sable brûlant, un goût de terre de dieu, de celle qui vous ensorcelle malgré vous sans vous donner le choix. L’obédience ou rien. Le jaune enflammait votre pupille, vous délivrant toutes les nuances chaudes de cette teinte, de la plus terne à la plus foncée, vous n’aviez qu’un seul désir : les attraper, les scotcher au fond de votre rétine pour, un jour, les restituer. Où, quand et comment, quelle importance ! La primeur du spectacle vous appartenait, vous sentiez le frisson vous prendre, là, au ventre, vous tordre les entrailles de peur, mais vous aimiez ça. L’extase de l’interdit se diffusait dans vos veines, par-dessus tout, vous vous sentiez grandir au moment...» ~ ~ ~ — Non ! m’écrié-je devant le livre ouvert refusant de lire la suite.Le marque-page en soie flotte librement sur les feuilles au gré des courants d’air. Je referme puis rouvre rageusement le manuscrit poussiéreux dont j’ai hérité. Ou plutôt dont je vais hériter. La balance penche
En direction de Mont-de-Marsan, les rues du centre- ville dorment encore. Les maigres passants marchent de pieds fermes vers leur lieu de travail, la mine fermée. Les rideaux des commerces baissés donnent une impression de quiétude, mais une imperceptible clameur ressort des échoppes. À six heures pile, les bars s’organisent en vue de la journée qui s’annonce chargée juste avant les festivités. Le vendredi offre surtout aux commerçants l’occasion de remplir leurs caisses. Les hôtels croulent sous les réservations, les restaurants, pris d’assaut par les curieux ou les habitués, ne plient boutique qu’à des heures indues. Ma petite citadine déambule sur le pavé, maniée par sa conductrice en plein songe.Dois-je aller jusqu’au bout, signer le feuillet, apposer ma signature au bas ?Plus qu’une centaine de mètres à parcourir.Garée sur le parking de l’office notarial, je souffle un grand coup. Malgré mon rendez-vous déjà très matinal, j’ai encore une heure à tuer. C’est légère q
— Doucement, ma belle ! Allez Feu Follet, on rentre ! Gary a dit qu’il fallait te ménager, ma jolie. Ton petit et toi, vous avez besoin de repos. À l’écurie !Ma jument trottine joyeusement vers les stalles. Nous stoppons notre promenade un moment sur le haut de la colline. Ce paysage ne me blasera jamais. Il m’insuffle la force qui m’a manqué ma vie entière. Je profite encore du soleil naissant derrière les collines, m’émerveillant de ce spectacle de toute beauté.— François serait fier de toi, ma plus belle.Je flatte la croupe de ma jument et remonte vers son ventre rebondi. Son poulain gigote, il en fait déjà voir à sa maman, ça promet !Feu Follet et moi, c’est une histoire d’amour, une rencontre, une amitié. Elle est née chez un éleveur qui ne donnait pas cher de sa peau. Son exploitation allait fermer ses portes, les autres ranchers des environs se sont précipités sur les plus belles bêtes, de solides reproducteurs ou des pouliches fertiles. Feu Follet n’était qu’
Je vais redémarrer ma vie d’un bon pied, il faut que je voie ce défi ainsi. L’année de mariage avec Scott ne sera qu’une parenthèse, un point de suspension vers une existence mille fois meilleure. Résolue à puiser la force de parvenir à mes fins, j’inspire à fond. Mes poumons se gorgent de l’air piquant de la gare. Pendant que je regarde tout autour de moi se dérouler les adieux touchants qui ne m’atteignent plus, le quai se transforme en grand brouhaha cotonneux. Le chaland des voyageurs se déroule, et une seule pensée m’obsède, celle de ma destination finale, c’est-à-dire, mon retour dans treize mois. En allant signer mon affranchissement définitif chez Maître Vianne, je toucherai à la phase finale de mon plan. Un petit tour chez tante Agathe finalisera ma revanche, si tant est que la vieille chouette vive encore d’ici là. Entre-temps, le train me sort de mes prévisions.Le grincement des roues sur les rails me recadre totalement.Les portes béent à peine que les gen
Au comptoir d’enregistrement des bagages, la même voix qu’hier me cloue sur place. Sophie ! Quelle glu ! Je n’ai pas envie de lui taper la causette ni de débattre de la météo ou de l’entendre évoquer nos souvenirs communs. Si ma décision de convoler en justes noces avec un inconnu reste inchangée, c’est surtout parce que j’envisage de revenir un paquet d’argent plein les poches et d’habiter une petite maison tranquille vers la mer ou l’océan. Alors me coltiner mon ex-belle-sœur dérange mes plans. Néanmoins, je m’astreins à être polie. En même temps, j’essaie de rediriger la conversation vers les infos que j’ai zappées hier.— Comme je te disais hier, Martin et moi, nous sommes, enfin tu vois, fait-elle en joignant ses index. Enfin, je ne vais pas te faire un dessin, mais comme il est marié, on est prudents.— Donc, Maître Plissard t’a raconté pourquoi je pars aux États-Unis.— Non, il m’a dit « secret professionnel », raconte-t-elle en se barrant la bouche d’une croix.L
J’ai vécu assez longtemps dans cet hôtel cinq étoiles pour millionnaires de fous pour m’orienter correctement, pourtant, ce soir je suis déboussolé. Le comportement de cette fille me fait perdre mes moyens. Ma résolution de ne pas la côtoyer a fondu. Pour mon malheur, elle représente pour moi la perfection féminine.Comment vais-je supporter sa présence toute une année sans la toucher ?Elle ne semble pas mesurer le pouvoir de son charme ou l’ignore-t-elle vraiment ? Ses hanches me tournent la tête, ses seins bien fermes, assez volumineux pour avoir de la chair à tâter et ses formes aguicheuses, mignonnes à souhait… hum... ça me donne la chair de poule. J’adore les femmes pulpeuses, pas les maigriottes squelettiques qui enfilent du trente-deux. Cette Anaëlle me chamboule en même temps qu’elle m’énerve.Plus mes réflexions s’aiguisent, plus je me demande ce qui m’a pris d’habiter là. En fait, si, je sais exactement pourquoi. Quand Frank me l’a décrite en revenant au ranch, m
Il est parti en trombe, ne laissant que le sillon de son parfum dans l’entrée. Alors que la voiture s’éloigne, et que son ombre disparaît totalement par-delà les grilles, une solitude sans nom me mine immédiatement. Délaissée par cet homme, je ressens un grand vide en examinant l’immense maison. Sa présence m’importune, en même temps, je perçois un fil invisible se tisser dès qu’il me touche. Et je ne parle pas de sa bouche impétueuse qui s’est posée sur mes lèvres, du plaisir qui s’est logé dans mon ventre à son contact. Son charme, indéniable, lui vaut probablement les attentions des filles du coin. Un beau brun ténébreux comme ça, avec en prime des yeux gris-bleu à tomber, une carrure carrée et un accent ravissant… pour une Française, les femmes de Beaumont lui courent après, évidemment ! Notre mariage, c’est du bidon, un contrat avec le diable prénommé François. Je suppose que Scott tient autant ou même plus à ses biens que moi au million d’euros et à la maison.
Les obsèques d’Agathe se déroulent dans une petite chapelle proche de sa maison. Sa famille est réunie, ses enfants, ses petits-enfants. Tous se recueillent en silence. Le prêtre invite l’assemblée à se diriger vers le cimetière.Je tiens la main d’Anaëlle. Ma femme a su combattre ses démons à l’hôpital. Elle a été exemplaire, néanmoins, elle n’a pas cédé. Dès que les médecins ont autorisé les visites à sa tante, elle lui a parlé, de femme à femme, et non de nièce meurtrie à tante aigrie. Sur la fin de sa vie, la vieille a témoigné d’un regain de générosité. Son dernier souffle a servi à apaiser les consciences. Tante Agathe a été au courant de l’héritage avant sa nièce. Une lettre est parvenue à ma femme bien avant celle qui a contribué à nous réunir. Sa tante a orchestré une rencontre entre Plissard et Sophie lors d’un dîner chez une cousine à elle. Sûre de son coup quant à l’attirance qui allait se créer entre sa nièce de cœur et le notaire ; elle a ensuite exigé une c
Deux jours après nos retrouvailles, je donne mon congé à Maryse les larmes aux yeux. Mon histoire l’a touchée. Sur le pas de la porte, une dernière embrassade, je la quitte définitivement. Nous avons convenu avec Scott de retourner à Mont-de-Marsan avant de nous envoler pour les États- Unis. Désormais, le Texas deviendra mon pays. Maître Vianne nous attend. Je suis heureuse d’avoir eu un allié dans cette aventure ubuesque. Grâce à lui mon mari est vivant, et nous allons vivre dans la demeure de François. Scott ne souhaite pas vivre où son animal a été sauvagement massacré. Cela se comprend aisément. Gégé était un être à sang froid très attachant. Aussitôt que nous en avons parlé, il s’est mis à pleurer. Ses trois amis sont morts dans un court laps de temps, et il n’a pas eu le temps de faire leur deuil. Je l’ai épaulé en lui disant que pleurer n’a rien d’efféminé, au contraire, ce sont ses larmes qui m’ont attendrie lorsque je me cachais dans son 4X4. — Tout est bien qui fin
Anaëlle dort profondément, enroulée contre moi. Nous avons déplié le canapé à notre troisième round. Les ressorts n’ont pas apprécié notre dynamisme. Nous avons été si heureux que les voisins ont crié à travers les murs de nous taire. Ma femme possède un organe vocal hors du commun quand elle jouit. Je me délecte du tableau. Elle est belle, très belle, plus belle que dans mes souvenirs. Je vous le concède « souvenirs » est un peu exagéré si l’on compte que nous nous sommes quittés seulement deux semaines auparavant. Mais pour moi, une éternité s’est écoulée. Ma maison ne ressemble plus à rien après la destruction de Miss Grognasse. La vision du terrarium vide est insoutenable, et sans Anaëlle, c’est pire. Sa douceur m’a manqué terriblement, son sale caractère aussi. Alors, j’ai déménagé chez François. Chez lui, il y a l’odeur de mon épouse, quelques affaires oubliées dans la chambre. J’ai dormi avec sa nuisette mauve tous les soirs. Je l’ai respirée en m’imprégnant de chaque
Le soleil cogne contre la paroi vitrée, dispersant les ombres sur le trottoir. Je me colle plus près de la porte vitrée afin de confirmer ma vision. Scott.Il se tient au lampadaire, les yeux rivés sur la boutique.Il attend. Il m’attend.Eh bien, il ne va pas être déçu ! Les souvenirs s’entrechoquent, les bons, les mauvais, les situations, les douleurs, mais aussi les joies, l’amour, la haine. Un tourbillon de sentiments me parcourt. Lequel choisir parmi eux ? La colère ! Je suis en colère contre lui, contre François, contre Sophie, contre… moi ! J’y ai cru. Et ça, ça me mine plus que l’énervement. Le pire, je le tasse bien profondément au fond, car je ne serai pas à la hauteur du combat. Mon amour pour lui évincera ma perception des choses. J’oublie le magasin, mes responsabilités, et me dirige à grands pas sur le trottoir de l’autre côté de la rue.Scott. Scott. Scott.Je répète son prénom jusqu’à ce qu’il soit une série delettres sans aucun sens.Et
— Fais attention à toi, Scott !— Promis, je t’envoie un message en route. Tu crois que... — J’en suis sûr. Hé, mec ! T’es un Texan, un dur à cuire ! Tu t’en es tiré, alors, ce morceau-là, c’est du pipi de chat.— Merci, Frank, merci pour tout.Je prends mon ami dans les bras en le serrant brutalement, à l’image des cow-boys. Il en est différemment de l’intérieur, si à l’extérieur, Scott, le dur à cuire montre au monde entier qu’il tient les rênes, la vérité est toute autre. Mon cœur tambourine en passant les portiques de sécurité, mes jambes flageolent en montant l’escalier de l’avion. Je tends mon billet à l’hôtesse de l’air. Assis sur le siège, la ceinture bouclée, le long courrier perce l’air, les réacteurs tonnent, puis l’allure de croisière me berce un moment. Ce temps de repos, trop court, cesse quand Anaëlle m’apparaît dans un rêve. Elle me déteste, me somme de repartir en me dispensant la plus grosse gifle de ma vie. L
La petite boutique de Maryse, la femme d’Albert, se situe au centre de la ville de Beaumont. J’en ris encore, comme Baptiste. Ce rire n’enlève rien à mon chagrin, cependant, j’admets que le coup de pouce du destin m’a bien arrangée. Je travaille depuis deux semaines Aux mains d’argent, et réside au-dessus du magasin, dans un studio simple et fonctionnel. Malgré les efforts déployés par mes employeurs, l’étroitesse du lieu me rend claustrophobe, les grands espaces me manquent, le Texas me manque, Scott me manque plus que tout. Je passe mes soirées sur un divan convertible à regarder les photos de notre mariage en retombant amoureuse de lui sans cesse. Pourtant, la face de Sophie me revient comme si c’était tout de suite, je les revois à l’aéroport, son bras sous celui de mon mari, sa bouche collée à la sienne. Avec toutes les preuves du monde sous les yeux, il y a une chose que mon cœur n’accepte pas : le détester. Je l’aime quand même, mon être entier a envie de lui, de ses
Je suis attaché à la chaise, n’ayant qu’une faible marge de manœuvre pour me détacher, mes tentatives deviennent hésitantes.Trop occupé à me narrer son projet du début à la fin, Plissard n’a pas jugé bon de me ligoter les jambes. Son plan est aussi aberrant qu’absurde. Il regarde trop de films !Voici un condensé de notre conversation avant qu’il n’aille s’envoyer en l’air.— Comment parviendrez-vous à récupérer légalement la somme que François m’a léguée ?— Facile, tu vois la caméra ? Nous allons jouer une partie de poker, toi, moi, Sophie et un quatrième qui nous rejoindra. Tu perdras tout, et me feras une reconnaissance de dette. C’est astucieux, n’est-ce pas ?Complètement débile me semble plus juste. Je ne connais pas la loi sur le bout des doigts, mais à moins de me tuer puis de faire disparaître mon corps, son idée semble sortie d’une tête de gosse attardé. Là où ma colère m’a rongé, c’est le moment où il m’a avoué qu’Anaëlle sera destituée de ses biens puisq
Trente-six heures de vol, douloureux, angoissants et blessants. Baptiste a été le plus compréhensif des hommes, me consolant comme si nous nous étions connus depuis des lustres. Mieux, il m’a considérée comme sa fille, et c’est sur son épaule qu’exténuée, je me suis endormie durant la fin du voyage nous ramenant sur le sol français. À mon grand étonnement, nous avons atterri à Aulnat, l’aéroport proche de Beaumont. J’ai découvert un paysage citadin, entouré de montagnes verdoyantes malgré la chaleur. Les températures sont élevées, mais l’air y est moins suffocant qu’au Texas. L’heure tardive apporte un léger vent frais, assez pour respirer normalement et reprendre contact avec la vraie vie. Car le long courrier Beaumont-Aulnat m’a paru s’éterniser. Je ne sais plus quel jour nous sommes ni même quelle année tellement le jet-lag me déconnecte.— Nos chemins s’arrêtent ici, ma chère Anaëlle.Baptiste me regarde me décomposer, ma tête renvoie toutes mes inquiétudes. Où vais-je all
Le parking dépassé, nous traversons un grand hall à l’allure d’un repaire pour millionnaire. Beaumont possède donc ce genre de bâtiment ! Les boîtes aux lettres alignées sur un pan de mur révèlent des noms en surbrillance qui me sont impossibles à déchiffrer d’où nous sommes. Je présume que les propriétaires entrent dans le lot des businessmans dont le pied-à-terre texan sert à la fois aux affaires et à la villégiature. Les New-Yorkais aiment se ressourcer sur nos terres, puis se vanter de leur périple auprès de leurs amis en se congratulant d’avoir vécu dans un pays hostile. Je suis mort de rire intérieurement.Lorsque mon sérieux revient, la réalité l’accompagne. Ce petit break mental m’a permis de relativiser. Plissard va en avoir pour son argent, dès que nous serons à l’abri des regards, mes poings joueront des castagnettes sur son minois de bourgeois. Je les suis sans broncher. Nous prenons l’ascenseur en compagnie d’une vieille dame. Son petit yorkshire dans les bra