Trente-six heures de vol, douloureux, angoissants et blessants. Baptiste a été le plus compréhensif des hommes, me consolant comme si nous nous étions connus depuis des lustres. Mieux, il m’a considérée comme sa fille, et c’est sur son épaule qu’exténuée, je me suis endormie durant la fin du voyage nous ramenant sur le sol français. À mon grand étonnement, nous avons atterri à Aulnat, l’aéroport proche de Beaumont. J’ai découvert un paysage citadin, entouré de montagnes verdoyantes malgré la chaleur. Les températures sont élevées, mais l’air y est moins suffocant qu’au Texas. L’heure tardive apporte un léger vent frais, assez pour respirer normalement et reprendre contact avec la vraie vie. Car le long courrier Beaumont-Aulnat m’a paru s’éterniser. Je ne sais plus quel jour nous sommes ni même quelle année tellement le jet-lag me déconnecte.
— Nos chemins s’arrêtent ici, ma chère Anaëlle.Baptiste me regarde me décomposer, ma tête renvoie toutes mes inquiétudes. Où vais-je allJe suis attaché à la chaise, n’ayant qu’une faible marge de manœuvre pour me détacher, mes tentatives deviennent hésitantes.Trop occupé à me narrer son projet du début à la fin, Plissard n’a pas jugé bon de me ligoter les jambes. Son plan est aussi aberrant qu’absurde. Il regarde trop de films !Voici un condensé de notre conversation avant qu’il n’aille s’envoyer en l’air.— Comment parviendrez-vous à récupérer légalement la somme que François m’a léguée ?— Facile, tu vois la caméra ? Nous allons jouer une partie de poker, toi, moi, Sophie et un quatrième qui nous rejoindra. Tu perdras tout, et me feras une reconnaissance de dette. C’est astucieux, n’est-ce pas ?Complètement débile me semble plus juste. Je ne connais pas la loi sur le bout des doigts, mais à moins de me tuer puis de faire disparaître mon corps, son idée semble sortie d’une tête de gosse attardé. Là où ma colère m’a rongé, c’est le moment où il m’a avoué qu’Anaëlle sera destituée de ses biens puisq
La petite boutique de Maryse, la femme d’Albert, se situe au centre de la ville de Beaumont. J’en ris encore, comme Baptiste. Ce rire n’enlève rien à mon chagrin, cependant, j’admets que le coup de pouce du destin m’a bien arrangée. Je travaille depuis deux semaines Aux mains d’argent, et réside au-dessus du magasin, dans un studio simple et fonctionnel. Malgré les efforts déployés par mes employeurs, l’étroitesse du lieu me rend claustrophobe, les grands espaces me manquent, le Texas me manque, Scott me manque plus que tout. Je passe mes soirées sur un divan convertible à regarder les photos de notre mariage en retombant amoureuse de lui sans cesse. Pourtant, la face de Sophie me revient comme si c’était tout de suite, je les revois à l’aéroport, son bras sous celui de mon mari, sa bouche collée à la sienne. Avec toutes les preuves du monde sous les yeux, il y a une chose que mon cœur n’accepte pas : le détester. Je l’aime quand même, mon être entier a envie de lui, de ses
— Fais attention à toi, Scott !— Promis, je t’envoie un message en route. Tu crois que... — J’en suis sûr. Hé, mec ! T’es un Texan, un dur à cuire ! Tu t’en es tiré, alors, ce morceau-là, c’est du pipi de chat.— Merci, Frank, merci pour tout.Je prends mon ami dans les bras en le serrant brutalement, à l’image des cow-boys. Il en est différemment de l’intérieur, si à l’extérieur, Scott, le dur à cuire montre au monde entier qu’il tient les rênes, la vérité est toute autre. Mon cœur tambourine en passant les portiques de sécurité, mes jambes flageolent en montant l’escalier de l’avion. Je tends mon billet à l’hôtesse de l’air. Assis sur le siège, la ceinture bouclée, le long courrier perce l’air, les réacteurs tonnent, puis l’allure de croisière me berce un moment. Ce temps de repos, trop court, cesse quand Anaëlle m’apparaît dans un rêve. Elle me déteste, me somme de repartir en me dispensant la plus grosse gifle de ma vie. L
Le soleil cogne contre la paroi vitrée, dispersant les ombres sur le trottoir. Je me colle plus près de la porte vitrée afin de confirmer ma vision. Scott.Il se tient au lampadaire, les yeux rivés sur la boutique.Il attend. Il m’attend.Eh bien, il ne va pas être déçu ! Les souvenirs s’entrechoquent, les bons, les mauvais, les situations, les douleurs, mais aussi les joies, l’amour, la haine. Un tourbillon de sentiments me parcourt. Lequel choisir parmi eux ? La colère ! Je suis en colère contre lui, contre François, contre Sophie, contre… moi ! J’y ai cru. Et ça, ça me mine plus que l’énervement. Le pire, je le tasse bien profondément au fond, car je ne serai pas à la hauteur du combat. Mon amour pour lui évincera ma perception des choses. J’oublie le magasin, mes responsabilités, et me dirige à grands pas sur le trottoir de l’autre côté de la rue.Scott. Scott. Scott.Je répète son prénom jusqu’à ce qu’il soit une série delettres sans aucun sens.Et
Anaëlle dort profondément, enroulée contre moi. Nous avons déplié le canapé à notre troisième round. Les ressorts n’ont pas apprécié notre dynamisme. Nous avons été si heureux que les voisins ont crié à travers les murs de nous taire. Ma femme possède un organe vocal hors du commun quand elle jouit. Je me délecte du tableau. Elle est belle, très belle, plus belle que dans mes souvenirs. Je vous le concède « souvenirs » est un peu exagéré si l’on compte que nous nous sommes quittés seulement deux semaines auparavant. Mais pour moi, une éternité s’est écoulée. Ma maison ne ressemble plus à rien après la destruction de Miss Grognasse. La vision du terrarium vide est insoutenable, et sans Anaëlle, c’est pire. Sa douceur m’a manqué terriblement, son sale caractère aussi. Alors, j’ai déménagé chez François. Chez lui, il y a l’odeur de mon épouse, quelques affaires oubliées dans la chambre. J’ai dormi avec sa nuisette mauve tous les soirs. Je l’ai respirée en m’imprégnant de chaque
Deux jours après nos retrouvailles, je donne mon congé à Maryse les larmes aux yeux. Mon histoire l’a touchée. Sur le pas de la porte, une dernière embrassade, je la quitte définitivement. Nous avons convenu avec Scott de retourner à Mont-de-Marsan avant de nous envoler pour les États- Unis. Désormais, le Texas deviendra mon pays. Maître Vianne nous attend. Je suis heureuse d’avoir eu un allié dans cette aventure ubuesque. Grâce à lui mon mari est vivant, et nous allons vivre dans la demeure de François. Scott ne souhaite pas vivre où son animal a été sauvagement massacré. Cela se comprend aisément. Gégé était un être à sang froid très attachant. Aussitôt que nous en avons parlé, il s’est mis à pleurer. Ses trois amis sont morts dans un court laps de temps, et il n’a pas eu le temps de faire leur deuil. Je l’ai épaulé en lui disant que pleurer n’a rien d’efféminé, au contraire, ce sont ses larmes qui m’ont attendrie lorsque je me cachais dans son 4X4. — Tout est bien qui fin
Les obsèques d’Agathe se déroulent dans une petite chapelle proche de sa maison. Sa famille est réunie, ses enfants, ses petits-enfants. Tous se recueillent en silence. Le prêtre invite l’assemblée à se diriger vers le cimetière.Je tiens la main d’Anaëlle. Ma femme a su combattre ses démons à l’hôpital. Elle a été exemplaire, néanmoins, elle n’a pas cédé. Dès que les médecins ont autorisé les visites à sa tante, elle lui a parlé, de femme à femme, et non de nièce meurtrie à tante aigrie. Sur la fin de sa vie, la vieille a témoigné d’un regain de générosité. Son dernier souffle a servi à apaiser les consciences. Tante Agathe a été au courant de l’héritage avant sa nièce. Une lettre est parvenue à ma femme bien avant celle qui a contribué à nous réunir. Sa tante a orchestré une rencontre entre Plissard et Sophie lors d’un dîner chez une cousine à elle. Sûre de son coup quant à l’attirance qui allait se créer entre sa nièce de cœur et le notaire ; elle a ensuite exigé une c
« Ça sentait le sable brûlant, un goût de terre de dieu, de celle qui vous ensorcelle malgré vous sans vous donner le choix. L’obédience ou rien. Le jaune enflammait votre pupille, vous délivrant toutes les nuances chaudes de cette teinte, de la plus terne à la plus foncée, vous n’aviez qu’un seul désir : les attraper, les scotcher au fond de votre rétine pour, un jour, les restituer. Où, quand et comment, quelle importance ! La primeur du spectacle vous appartenait, vous sentiez le frisson vous prendre, là, au ventre, vous tordre les entrailles de peur, mais vous aimiez ça. L’extase de l’interdit se diffusait dans vos veines, par-dessus tout, vous vous sentiez grandir au moment...» ~ ~ ~ — Non ! m’écrié-je devant le livre ouvert refusant de lire la suite.Le marque-page en soie flotte librement sur les feuilles au gré des courants d’air. Je referme puis rouvre rageusement le manuscrit poussiéreux dont j’ai hérité. Ou plutôt dont je vais hériter. La balance penche
Les obsèques d’Agathe se déroulent dans une petite chapelle proche de sa maison. Sa famille est réunie, ses enfants, ses petits-enfants. Tous se recueillent en silence. Le prêtre invite l’assemblée à se diriger vers le cimetière.Je tiens la main d’Anaëlle. Ma femme a su combattre ses démons à l’hôpital. Elle a été exemplaire, néanmoins, elle n’a pas cédé. Dès que les médecins ont autorisé les visites à sa tante, elle lui a parlé, de femme à femme, et non de nièce meurtrie à tante aigrie. Sur la fin de sa vie, la vieille a témoigné d’un regain de générosité. Son dernier souffle a servi à apaiser les consciences. Tante Agathe a été au courant de l’héritage avant sa nièce. Une lettre est parvenue à ma femme bien avant celle qui a contribué à nous réunir. Sa tante a orchestré une rencontre entre Plissard et Sophie lors d’un dîner chez une cousine à elle. Sûre de son coup quant à l’attirance qui allait se créer entre sa nièce de cœur et le notaire ; elle a ensuite exigé une c
Deux jours après nos retrouvailles, je donne mon congé à Maryse les larmes aux yeux. Mon histoire l’a touchée. Sur le pas de la porte, une dernière embrassade, je la quitte définitivement. Nous avons convenu avec Scott de retourner à Mont-de-Marsan avant de nous envoler pour les États- Unis. Désormais, le Texas deviendra mon pays. Maître Vianne nous attend. Je suis heureuse d’avoir eu un allié dans cette aventure ubuesque. Grâce à lui mon mari est vivant, et nous allons vivre dans la demeure de François. Scott ne souhaite pas vivre où son animal a été sauvagement massacré. Cela se comprend aisément. Gégé était un être à sang froid très attachant. Aussitôt que nous en avons parlé, il s’est mis à pleurer. Ses trois amis sont morts dans un court laps de temps, et il n’a pas eu le temps de faire leur deuil. Je l’ai épaulé en lui disant que pleurer n’a rien d’efféminé, au contraire, ce sont ses larmes qui m’ont attendrie lorsque je me cachais dans son 4X4. — Tout est bien qui fin
Anaëlle dort profondément, enroulée contre moi. Nous avons déplié le canapé à notre troisième round. Les ressorts n’ont pas apprécié notre dynamisme. Nous avons été si heureux que les voisins ont crié à travers les murs de nous taire. Ma femme possède un organe vocal hors du commun quand elle jouit. Je me délecte du tableau. Elle est belle, très belle, plus belle que dans mes souvenirs. Je vous le concède « souvenirs » est un peu exagéré si l’on compte que nous nous sommes quittés seulement deux semaines auparavant. Mais pour moi, une éternité s’est écoulée. Ma maison ne ressemble plus à rien après la destruction de Miss Grognasse. La vision du terrarium vide est insoutenable, et sans Anaëlle, c’est pire. Sa douceur m’a manqué terriblement, son sale caractère aussi. Alors, j’ai déménagé chez François. Chez lui, il y a l’odeur de mon épouse, quelques affaires oubliées dans la chambre. J’ai dormi avec sa nuisette mauve tous les soirs. Je l’ai respirée en m’imprégnant de chaque
Le soleil cogne contre la paroi vitrée, dispersant les ombres sur le trottoir. Je me colle plus près de la porte vitrée afin de confirmer ma vision. Scott.Il se tient au lampadaire, les yeux rivés sur la boutique.Il attend. Il m’attend.Eh bien, il ne va pas être déçu ! Les souvenirs s’entrechoquent, les bons, les mauvais, les situations, les douleurs, mais aussi les joies, l’amour, la haine. Un tourbillon de sentiments me parcourt. Lequel choisir parmi eux ? La colère ! Je suis en colère contre lui, contre François, contre Sophie, contre… moi ! J’y ai cru. Et ça, ça me mine plus que l’énervement. Le pire, je le tasse bien profondément au fond, car je ne serai pas à la hauteur du combat. Mon amour pour lui évincera ma perception des choses. J’oublie le magasin, mes responsabilités, et me dirige à grands pas sur le trottoir de l’autre côté de la rue.Scott. Scott. Scott.Je répète son prénom jusqu’à ce qu’il soit une série delettres sans aucun sens.Et
— Fais attention à toi, Scott !— Promis, je t’envoie un message en route. Tu crois que... — J’en suis sûr. Hé, mec ! T’es un Texan, un dur à cuire ! Tu t’en es tiré, alors, ce morceau-là, c’est du pipi de chat.— Merci, Frank, merci pour tout.Je prends mon ami dans les bras en le serrant brutalement, à l’image des cow-boys. Il en est différemment de l’intérieur, si à l’extérieur, Scott, le dur à cuire montre au monde entier qu’il tient les rênes, la vérité est toute autre. Mon cœur tambourine en passant les portiques de sécurité, mes jambes flageolent en montant l’escalier de l’avion. Je tends mon billet à l’hôtesse de l’air. Assis sur le siège, la ceinture bouclée, le long courrier perce l’air, les réacteurs tonnent, puis l’allure de croisière me berce un moment. Ce temps de repos, trop court, cesse quand Anaëlle m’apparaît dans un rêve. Elle me déteste, me somme de repartir en me dispensant la plus grosse gifle de ma vie. L
La petite boutique de Maryse, la femme d’Albert, se situe au centre de la ville de Beaumont. J’en ris encore, comme Baptiste. Ce rire n’enlève rien à mon chagrin, cependant, j’admets que le coup de pouce du destin m’a bien arrangée. Je travaille depuis deux semaines Aux mains d’argent, et réside au-dessus du magasin, dans un studio simple et fonctionnel. Malgré les efforts déployés par mes employeurs, l’étroitesse du lieu me rend claustrophobe, les grands espaces me manquent, le Texas me manque, Scott me manque plus que tout. Je passe mes soirées sur un divan convertible à regarder les photos de notre mariage en retombant amoureuse de lui sans cesse. Pourtant, la face de Sophie me revient comme si c’était tout de suite, je les revois à l’aéroport, son bras sous celui de mon mari, sa bouche collée à la sienne. Avec toutes les preuves du monde sous les yeux, il y a une chose que mon cœur n’accepte pas : le détester. Je l’aime quand même, mon être entier a envie de lui, de ses
Je suis attaché à la chaise, n’ayant qu’une faible marge de manœuvre pour me détacher, mes tentatives deviennent hésitantes.Trop occupé à me narrer son projet du début à la fin, Plissard n’a pas jugé bon de me ligoter les jambes. Son plan est aussi aberrant qu’absurde. Il regarde trop de films !Voici un condensé de notre conversation avant qu’il n’aille s’envoyer en l’air.— Comment parviendrez-vous à récupérer légalement la somme que François m’a léguée ?— Facile, tu vois la caméra ? Nous allons jouer une partie de poker, toi, moi, Sophie et un quatrième qui nous rejoindra. Tu perdras tout, et me feras une reconnaissance de dette. C’est astucieux, n’est-ce pas ?Complètement débile me semble plus juste. Je ne connais pas la loi sur le bout des doigts, mais à moins de me tuer puis de faire disparaître mon corps, son idée semble sortie d’une tête de gosse attardé. Là où ma colère m’a rongé, c’est le moment où il m’a avoué qu’Anaëlle sera destituée de ses biens puisq
Trente-six heures de vol, douloureux, angoissants et blessants. Baptiste a été le plus compréhensif des hommes, me consolant comme si nous nous étions connus depuis des lustres. Mieux, il m’a considérée comme sa fille, et c’est sur son épaule qu’exténuée, je me suis endormie durant la fin du voyage nous ramenant sur le sol français. À mon grand étonnement, nous avons atterri à Aulnat, l’aéroport proche de Beaumont. J’ai découvert un paysage citadin, entouré de montagnes verdoyantes malgré la chaleur. Les températures sont élevées, mais l’air y est moins suffocant qu’au Texas. L’heure tardive apporte un léger vent frais, assez pour respirer normalement et reprendre contact avec la vraie vie. Car le long courrier Beaumont-Aulnat m’a paru s’éterniser. Je ne sais plus quel jour nous sommes ni même quelle année tellement le jet-lag me déconnecte.— Nos chemins s’arrêtent ici, ma chère Anaëlle.Baptiste me regarde me décomposer, ma tête renvoie toutes mes inquiétudes. Où vais-je all
Le parking dépassé, nous traversons un grand hall à l’allure d’un repaire pour millionnaire. Beaumont possède donc ce genre de bâtiment ! Les boîtes aux lettres alignées sur un pan de mur révèlent des noms en surbrillance qui me sont impossibles à déchiffrer d’où nous sommes. Je présume que les propriétaires entrent dans le lot des businessmans dont le pied-à-terre texan sert à la fois aux affaires et à la villégiature. Les New-Yorkais aiment se ressourcer sur nos terres, puis se vanter de leur périple auprès de leurs amis en se congratulant d’avoir vécu dans un pays hostile. Je suis mort de rire intérieurement.Lorsque mon sérieux revient, la réalité l’accompagne. Ce petit break mental m’a permis de relativiser. Plissard va en avoir pour son argent, dès que nous serons à l’abri des regards, mes poings joueront des castagnettes sur son minois de bourgeois. Je les suis sans broncher. Nous prenons l’ascenseur en compagnie d’une vieille dame. Son petit yorkshire dans les bra