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Leave you again
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Author: Steff S.

1- Chapitre 1 - Anaëlle

Author: Steff S.
last update Last Updated: 2021-07-18 03:01:54

« Ça sentait le sable brûlant, un goût de terre de dieu, de celle qui vous ensorcelle malgré vous sans vous donner le choix. L’obédience ou rien. Le jaune enflammait votre pupille, vous délivrant toutes les nuances chaudes de cette teinte, de la plus terne à la plus foncée, vous n’aviez qu’un seul désir : les attraper, les scotcher au fond de votre rétine pour, un jour, les restituer. Où, quand et comment, quelle importance ! La primeur du spectacle vous appartenait, vous sentiez le frisson vous prendre, là, au ventre, vous tordre les entrailles de peur, mais vous aimiez ça. L’extase de l’interdit se diffusait dans vos veines, par-dessus tout, vous vous sentiez grandir au moment...»

~ ~ ~

— Non ! m’écrié-je devant le livre ouvert refusant de lire la suite.

Le marque-page en soie flotte librement sur les feuilles au gré des courants d’air. Je referme puis rouvre rageusement le manuscrit poussiéreux dont j’ai hérité. Ou plutôt dont je vais hériter. La balance penche inexorablement du mauvais côté si l’on se place en tant que financier, en tant que femme, le dilemme ne fait que grandir.

Par inadvertance, je pousse le carnet plus loin, et tombe sur une autre page. Les mots me percutent, me scandalisent, puis m’émeuvent. Comment peut-on écrire d’aussi belles choses sur un thème aussi macabre ? Ce fichu calepin me lorgne comme s’il avait une âme… La mienne, survivra-t-elle en pactisant avec les miettes d’un fou ?

Toujours assise devant le bureau, je rajuste mon chignon noué avec un simple élastique. Ce rituel idiot m’aide à remettre de l’ordre dans mes idées.

Mes cheveux blonds indisciplinés me causent des désagréments perpétuels. Soit ils tombent en bâtons rigides sur mes épaules de sorte que mon visage se transforme en matrone, soit ils ont la fâcheuse tendance à s’éparpiller, alors je préfère le style maîtresse d’école. Cela dégage mon front haut et laisse place au bleu intense de mes yeux. Au premier abord, je parais stricte, rigide, inabordable avec une telle coupe, mais vite, l’on s’aperçoit de la vivacité de mon esprit au travers de mes iris pétillants.

Tante Agathe vient me rejoindre dans la bibliothèque, mettant en suspens mon introspection physique. Elle jette un coup d’œil sur le bureau où le bruissement des feuilles offre une musique aiguë à la limite du supportable pour la vieille femme qui me réprimande.

— On va attraper la mort avec tes courants d’air, Anaëlle. Et ce bruit, brrr, j’en ai mal aux dents.

— Bien, tante Agathe, je vais fermer la fenêtre malgré le beau soleil, la chaleur qui nous étouffe et toute la poussière que renferme cette pièce !

— Libre à toi de t’en aller, ma nièce. La porte est grande ouverte, regarde ! Elle te tend les bras. Sache que si je t’accueille...

—... C’est en mémoire de ta mère, finis-je. Je vais faire un tour.

Ma silhouette disparaît aussitôt après. J’imagine aisément Agathe trembler face à la révolte de sa nièce, car au fond, ma présence lui confère des avantages. Elle ne peut nier que posséder une voiture et un chauffeur à disposition la déleste de toutes les tâches dont elle n’arrive plus à s’acquitter. Un autre paramètre entre en compte, l’aspect financier de la chose. Le loyer qu’elle perçoit chaque mois en plus des commodités payées en nature l’arrange sérieusement. Sa retraite suffit à peine à entretenir la maison. Les maigres économies de feu son mari dorment au chaud sur un compte. Depuis le temps, elle ne sait pas à combien s’élève ce pécule. Toutefois, elle n’y touchera qu’en dernier recours.

Pendant que mon énervement croit, je me cache derrière la porte. Quelques palpitations d’excitation accélèrent mon rythme cardiaque, l’impression de me transformer en petite mouche indiscrète m’amuse. Et le plaisir va crescendo en l’espionnant à travers le miroir. Sa silhouette famélique tremblote comme si elle était une feuille volant au vent qu’un souffle pourrait emporter. Ma tante s’installe devant le secrétaire, tandis qu’elle me pense loin, je l’observe toujours en train de marmonner des insultes à mon encontre. J’encaisse. Soudain, son attention se reporte sur un livre, un vieux manuscrit usé qui croupit sur les étagères depuis des lustres. Elle tourne machinalement les pages, et l’on ressent enfin un brin de compassion chez cette mégère. Le livre lui rappelle certainement les émotions qui l’ont touchée jadis. Elle a certainement été jeune et belle, pleine d’idées de son âge. À l’heure actuelle, la lecture est un exercice impossible pour elle, ses yeux ne voient quasiment plus, et son cœur s’est asséché. Pourtant, une étincelle de plaisir la traverse en caressant le cuir, comme si elle s’imprégnait des grains de

poussière qui se déposent sur ses doigts usés. Je suis émue. Émue de savoir qu’elle peut ressentir quelque chose de différent que la colère. Ainsi, elle me semble moins agressive, presque fragile. Mais l’instant de grâce se suspend.

Au milieu de ce témoignage de souvenirs muets, quelques ruminements viennent ponctuer ses pensées. Dès lors qu’elle oralise ses réflexions, elle redevient la vielle femme amère qu’elle est. Je l’entends ressasser, se plaindre de ses enfants qui ne viennent jamais la voir. À combien de reprises m’a-t-elle serinée avec son refrain préféré qu’elle répète tel un chant appris par cœur ? Son laïus résonne dans le bureau m’arrachant un rire nerveux que j’étouffe aussitôt.

— Tout était si léger à l’époque, rien ne compliquait la vie des femmes. Celles dont le mari était revenu de la guerre enchaînaient les grossesses. On ne voyait pas filer les jours avec une flopée de gamins. Toi, tu en as quatre, et qui vient te voir ? Personne !

J’en ai assez entendu, trop de fois sa litanie m’a saoulée. Un peu d’air me fera le plus grand bien, cette atmosphère m’étouffe de plus en plus. Même les gardénias du jardin ne m’apaisent plus. En quelques enjambées, j’atteins la limite de la propriété, et à l’horizon, il n’y a rien. Que du vide. Les maisons disséminées alentour ont un air vieillot, en totale contradiction avec ma petite trentaine.

Une heure plus tard, je retourne à la maison, espérant bêtement que les choses changent en un claquement de doigts… comme si c’était possible ! À pas de velours, je reprends ma place d’espionne. Agathe se tient dans la même position, baragouinant des phrases fielleuses. Elle a dû rester longtemps attablée devant le bureau sans bouger, car je passe vers elle en arrachant le livre au secrétaire. Je ne sais pas trop ce qu’il me prend d’agir ainsi. Peut-être la colère emmagasinée remonte-t-elle en moi m’intimant ce comportement puéril ? Contre toute attente, elle ne dit rien et se lève. Au lieu de me sermonner, elle se dirige vers la sortie à tâtons. La luminosité décline dans cette partie de la maison, le jour tombant donne au bureau une apparence de décor de film d’horreur. On s’attend presque à voir sortir des fantômes de la bibliothèque en chêne. En allumant, Agathe y verrait mieux, mais elle ne gaspillera pas un sou, même si sa sécurité en dépend. Sa radinerie la tuera. En bonne petite ingrate, terme dont elle me qualifie à longueur de journée, j’allume le plafonnier.

Aujourd’hui est jour de révolte !

Mon intention étant de la faire pester, de la faire enrager, je tourne le commutateur du couloir aussi. Mon tortionnaire va crever d’une crise d’avarice. Non seulement Agathe cligne des yeux parce que la lumière crue de l’ampoule lui donne des douleurs oculaires, mais aussi des douleurs… pécuniaires.

— Éteins-moi ce lustre ! Il fait encore jour.

— Comme tu voudras, si tu tiens à te casser la figure, à ta guise !

— Je ne te permets pas de me parler de la sorte, tu me

dois...

— Je ne te dois rien, tante Agathe. Rien qu’un loyer

que je te paie rubis sur l’ongle chaque 1er du mois comme convenu. Je ne te dois rien pour la bonne raison que c’est toi qui m’es redevable.

Mon accès de colère dépasse de loin ce que je contiens depuis de longs mois.

— Les rendez-vous chez le médecin, les courses au supermarché que tu te dispenses de régler sous prétexte que tu as oublié ton porte-monnaie et toutes les autres corvées que tu m’infliges te coûteraient bien plus cher si je n’étais pas là !

Ma tante se fige, me dévisage d’un air mauvais. Jamais elle ne se pliera à d’autres exigences que les siennes ! Et nos querelles quasi quotidiennes depuis un mois ne lui feront pas courber le dos. Elle me pense redevable. Elle pense que celle qu’elle appelle gamine, juste pour marquer sa supériorité, se doit de payer le loyer en plus des corvées. De toute manière, le pacte a été scellé à mon arrivée. Dès que j’ai posé mes valises, il s’est instauré ce rapport de dominée/dominante. Mais malgré son acariâtreté, je ressens un devoir envers elle.

Certes, mes cousins ont nombre d’excuses pour se décharger de leur fardeau maternel, mais une part de cette vieille rombière cache un cœur. Quand l’a-t-elle perdu ce soupçon de bienveillance propre à n’importe quelle mère ? Ou a-t-elle enfanté seulement parce que la pilule n’existait pas ?

— On avance ou on recule ?

Son sarcasme me ramène sur Terre. Fouettée par la dureté des paroles, je longe le couloir jusqu’à la cuisine en traînant mon boulet.

Sur la table, les bols nous attendent. Comme chaque soir, la soupe mijote sur une ancestrale cuisinière.

— Bon appétit, marmonne la vieille.

— Je n’ai pas faim. Je monte.

— Anaëlle, s’égosille-t-elle. Tu fais bien, tu maigriras.

Quatre à quatre, je grimpe les escaliers en direction de ma chambre. Les volets clos me procurent une envie de suicide. Je pousse les battants, de sorte que toute la pièce soit inondée de la brise nocturne des Landes. Allongée sur mon lit, je tire une lettre de sous le matelas. Le destinataire, noté en caractère d’imprimerie dit :

Anaëlle BLATTE chez Madame Agathe LANGLOIS 32, chemin des pins.

40 002 Le hameau de l’eau vive.

La chance a été de mon côté ce jour-là, d’habitude la vieille rombière tient à prendre le courrier. Ses doigts crochus n’hésitent pas à ouvrir ce qui ne lui est pas adressé.

J’ai ouvert le pli avec angoisse, l’expéditeur, un certain Maître Vianne m’a appris que mon oncle François, frère de mon père, m’a légué sa fortune à certaines conditions. Lesquelles ? me suis-je demandé. Il m’a fallu quelques jours de réflexion avant de décrocher mon téléphone dans un bar du centre-ville, à l’écart des oreilles indiscrètes de ma tante.

Le notaire m’a donné rendez-vous le surlendemain à Mont-de-Marsan.

Je m’y suis rendue fébrilement, attendant le Graal. J’ai vite déchanté en constatant que mon oncle n’a pas changé sur la fin de sa vie. Il a été matador, adulé, porté aux nues par ses aînés, ses parents. Ayant d’autres opinions, mon père et lui ne se sont plus adressé la parole durant des décennies.

Conclusion, de toute ma famille, du côté paternel, ne survit qu’une vieille dame âgée de 90 ans et moi. Celle-ci n’a plus toute sa tête, sans enfant, son notaire a opté pour décliner le testament.

À présent, me voilà, Anaëlle Blatte, 28 ans, l’héritière principale d’un homme moitié-fou. La condition sine qua non pour bénéficier de centaines de milliers d’euros ou plus ainsi que d'une maison s’avère une aberration. Quel dilemme ! Même prononcer cette ignominie me pèse.

Pourtant, ce soir, j’abandonne mes convictions et décide de me rendre chez Maître Vianne dès que possible. Ses coordonnées personnelles sont notées sur sa carte de visite. Lui-même m’a dit « Téléphonez-moi dès que vous serez fixée, à n’importe quelle heure. ». Le simple fait de composer le numéro me stresse un maximum. Sur ce simple coup de fil, ma vie va changer.

En ai-je envie ? Oui ! Plus que tout.

En suis-je capable ? Cela reste à voir.

Veux-je vraiment continuer à m’éteindre dans la maison d’Agathe ? Non, non et non !

J’appelle donc, déterminée à en finir avec ma vie à Mont-de-Marsan. Lorsque la sonnerie s’interrompt, la peur me scie les jambes. Heureusement, je suis assise sur le bord du lit.

— Très bien, à demain, Madame Blatte.

— Au revoir, Maître.

Ça y est, c’est fait ! Je n’en reviens pas moi-même.

La nuit a été courte, très agitée, mais le sentiment de me défaire d’une partie nécrosée de mon existence me donne du baume au cœur. Sans bruit, j’enfile les vêtements que j’ai préparés la veille, puis exécute mon plan à la lettre.

Le jour se lève sur le hameau de l’eau vive, le chant d’un oiseau au loin ramène toutes les sonorités du Sud, et le vent marin chante dans les feuilles des arbres célébrant l’été. Malgré la beauté de ce cadre charmant, ma position reste et demeure. Je dois partir pour m’assurer un avenir à distance d’Agathe, de…, je n’arrive pas à prononcer son nom, et de toutes les choses qui m’ont bouffée, qui ont fait de moi une femme amoindrie. Ma décision est irrévocable, j’irai jusqu’au bout quoi que cela me coûte et je ne reviendrai pas ici. Trop de souffrances me lient à cet endroit. Une dernière inspection dans le miroir, et j’attrape mes chaussures dans une main, serre mon sac contre moi afin de me raccrocher à quelque chose de concret. Le temps s’use, usant par la même occasion l’écran de mon téléphone tellement mes yeux le fixent.

Au bout de cette interminable attente, cinq heures et demie sonnent.

Il est temps de descendre. Agathe fait sa toilette à cette heure-ci, son rituel ne déroge à aucune exception. Elle se lève à cinq heures, déjeune jusqu’à la demie, remonte dans la salle de bains où elle remplit une bassine d’eau presque froide et lave minutieusement ses membres flétris. Ensuite, elle se rend dans sa chambre, aère, puis fait son lit avant de rejoindre la salle de séjour. Le timing semble parfait, 5 h 32, moi, la nièce ingrate aux yeux de la tante pingre, m’empare de ma valise, et sur la pointe des pieds, jette à la hâte une lettre sur laquelle je fais mes adieux. La veille, j’ai déplacé la voiture, à la limite de la propriété afin que le vrombissement du moteur n’éveille pas ses soupçons avant que je sois loin de cet enfer.

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    Je suis attaché à la chaise, n’ayant qu’une faible marge de manœuvre pour me détacher, mes tentatives deviennent hésitantes.Trop occupé à me narrer son projet du début à la fin, Plissard n’a pas jugé bon de me ligoter les jambes. Son plan est aussi aberrant qu’absurde. Il regarde trop de films !Voici un condensé de notre conversation avant qu’il n’aille s’envoyer en l’air.— Comment parviendrez-vous à récupérer légalement la somme que François m’a léguée ?— Facile, tu vois la caméra ? Nous allons jouer une partie de poker, toi, moi, Sophie et un quatrième qui nous rejoindra. Tu perdras tout, et me feras une reconnaissance de dette. C’est astucieux, n’est-ce pas ?Complètement débile me semble plus juste. Je ne connais pas la loi sur le bout des doigts, mais à moins de me tuer puis de faire disparaître mon corps, son idée semble sortie d’une tête de gosse attardé. Là où ma colère m’a rongé, c’est le moment où il m’a avoué qu’Anaëlle sera destituée de ses biens puisq

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    Trente-six heures de vol, douloureux, angoissants et blessants. Baptiste a été le plus compréhensif des hommes, me consolant comme si nous nous étions connus depuis des lustres. Mieux, il m’a considérée comme sa fille, et c’est sur son épaule qu’exténuée, je me suis endormie durant la fin du voyage nous ramenant sur le sol français. À mon grand étonnement, nous avons atterri à Aulnat, l’aéroport proche de Beaumont. J’ai découvert un paysage citadin, entouré de montagnes verdoyantes malgré la chaleur. Les températures sont élevées, mais l’air y est moins suffocant qu’au Texas. L’heure tardive apporte un léger vent frais, assez pour respirer normalement et reprendre contact avec la vraie vie. Car le long courrier Beaumont-Aulnat m’a paru s’éterniser. Je ne sais plus quel jour nous sommes ni même quelle année tellement le jet-lag me déconnecte.— Nos chemins s’arrêtent ici, ma chère Anaëlle.Baptiste me regarde me décomposer, ma tête renvoie toutes mes inquiétudes. Où vais-je all

  • Leave you again   29 - Chapitre 29 - Scott

    Le parking dépassé, nous traversons un grand hall à l’allure d’un repaire pour millionnaire. Beaumont possède donc ce genre de bâtiment ! Les boîtes aux lettres alignées sur un pan de mur révèlent des noms en surbrillance qui me sont impossibles à déchiffrer d’où nous sommes. Je présume que les propriétaires entrent dans le lot des businessmans dont le pied-à-terre texan sert à la fois aux affaires et à la villégiature. Les New-Yorkais aiment se ressourcer sur nos terres, puis se vanter de leur périple auprès de leurs amis en se congratulant d’avoir vécu dans un pays hostile. Je suis mort de rire intérieurement.Lorsque mon sérieux revient, la réalité l’accompagne. Ce petit break mental m’a permis de relativiser. Plissard va en avoir pour son argent, dès que nous serons à l’abri des regards, mes poings joueront des castagnettes sur son minois de bourgeois. Je les suis sans broncher. Nous prenons l’ascenseur en compagnie d’une vieille dame. Son petit yorkshire dans les bra

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