Gabriel de Montreuil– La liberté n’a pas de prix.– Mais elle a un coût.– Et ce coût, Saint-Domingue allait bientôt le payer.Le Conseil des Libres– La nuit était tombée sur la ville, mais la lueur des torches illuminait encore la grande salle du fort reconquis.– Autour de moi, les visages étaient graves.– Aïda, les bras croisés, écoutait en silence.– M’bala, les poings serrés, fixait la carte de l’île étalée devant nous.– Edward Rackham était appuyé contre un pilier, un sourire en coin, mais ses yeux trahissaient son inquiétude.– Isabella Velasquez jouait avec le manche de son poignard, prête à frapper à la moindre trahison.– Nous étions libres.– Mais combien de temps avant que la France ne revienne pour nous écraser ?– J’ai posé mes mains sur la table.– Nous avons gagné une bataille. Mais la guerre ne fait que commencer.– Drake a hoché la tête.– Les Espagnols et les Anglais ne tarderont pas à réagir. Nous venons de déclarer une guerre à trois empires.– Un silence pesa
Gabriel de Montreuil– J’ai serré les poings.– Alors nous ne le ferons pas.– Un silence s’est installé.– Puis Aïda a compris avant les autres.– Tu veux les attirer dans un piège.– J’ai posé un poignard sur la carte.– Nous ferons semblant de nous replier. Nous les attirerons dans les marais de l’Artibonite.– Rackham a sifflé d’admiration.– Un bain de sang assuré.– Isabella a souri.– J’aime ce plan.– M’bala, lui, est resté silencieux un instant, avant d’acquiescer.– Alors préparons-nous.Le Premier Assaut– À l’aube, les canons français ont commencé à tonner.– Le fort tremblait sous les impacts.– Sur les remparts, nos artilleurs ripostaient, envoyant des boulets de feu sur les navires ennemis.– Mais ils étaient trop nombreux.– L’ennemi avançait.– Sur le rivage, des centaines de soldats débarquaient, formant des lignes serrées.– J’ai levé mon sabre.– Feu !– Nos fusils ont craché la mort.– Les premières vagues ennemies ont chuté, frappées par nos balles.– Mais ils co
Gabriel de Montreuil– L’océan s’étendait devant nous, noir sous le ciel sans lune.– Le vent portait encore l’odeur des cendres.– Nous avions fui Port-au-Prince au crépuscule, laissant derrière nous les ruines d’une ville martyrisée.– La Roche était mort.– Mais son ombre planait encore sur nous.L’Exode des Révoltés– Nous avons navigué toute la nuit.– Une vingtaine d’entre nous, tassés dans une goélette volée.– Blessés, épuisés, affamés.– M’bala s’occupait de Diego, dont la plaie s’infectait.– Aïda, elle, fixait l’horizon, silencieuse.– Où allons-nous ? a demandé Isabella.– J’ai hésité.– Cuba.– Nous n’avions pas le choix.– Les Français allaient envoyer des renforts.– Il nous fallait un refuge.– Une base.– Et après ? a insisté Samuel.– Après, on revient.– Le silence a suivi mes paroles.– Personne ne doutait de mon intention.– Mais tous savaient ce que cela signifiait .Les Fantômes de La Havane– Nous avons accosté près d’une crique isolée, évitant les patrouilles
Gabriel de Montreuil– La mer avait été clémente.– Pendant des semaines, nous avons navigué sous un ciel changeant, tantôt écrasé par le soleil, tantôt battu par la tempête.– Chaque vague nous rapprochait de Paris.– Chaque nuit, le doute me rongeait un peu plus.– Avais-je fait le bon choix ?– Ou allais-je livrer mon cou à l’Empire ?L’arrivée– Le port du Havre nous a accueillis sous une pluie fine.– Leclerc nous attendait sur le quai, entouré de soldats en livrée royale.– Bienvenue en France, messieurs.– Ses yeux se sont posés sur Aïda.– Et mademoiselle.– Elle n’a pas répondu, se contentant de serrer les poings.– Nous avons monté en diligence, direction Paris.– La route était longue, bordée de champs et de villages silencieux.– Puis, enfin, la capitale est apparue.– Une marée de toits, de ruelles grouillantes, de clochers et de palais.– Un autre monde.La Cour du Roi– Sois prudent, a murmuré Aïda en descendant du carrosse.– J’ai hoché la tête.– Un valet nous a escor
Gabriel de MontreuilLe Retour du Passé– Le voyage est long et silencieux.– À chaque vague, je repense aux visages que j’ai laissés derrière moi.– M’Bala. Samuel. Tous ceux qui ont combattu à mes côtés.– Comment vont-ils me voir maintenant ?– Comme un allié ?– Ou comme un traître ?– Je sens la main d’Aïda sur mon épaule.– Peu importe ce que tu comptes faire, Gabriel… Sois sûr d’une chose.– Ce combat n’appartient pas aux rois et aux ministres. Il appartient au peuple.– N’oublie jamais pour qui nous nous battons.– Son regard est dur.– Je hoche la tête.– Jamais.L’Île en Flammes– Lorsque nous arrivons en Guadeloupe, la réalité nous frappe de plein fouet.– Les révoltes se multiplient.– Les troupes françaises sont dépassées.– Et un nom revient sur toutes les lèvres.– Samuel.– Mon ami.– Mon frère d’armes.– Il mène désormais la rébellion.– Et il ne fait aucun cadeau.Frères ou Ennemis ?– Nous traversons la jungle brûlante sous le regard des sentinelles cachées.– Puis,
Gabriel de MontreuilL’Heure des Choix– La mer est calme, trompeuse.– Dans quelques heures, les rebelles lanceront leur attaque.– Et nous serons là pour les arrêter.– Mais à quel prix ?– Aïda murmure, son regard perdu dans l’horizon.– Tu te rends compte qu’à la fin de cette nuit, nous pourrions tous être morts ?– Je prends une profonde inspiration.– Oui.– Et tu es prêt à ça ?– Je ferme les yeux un instant.– Puis je les rouvre, la détermination brûlant dans mon regard.– Oui.L’Aube du Dernier Combat– Le soleil perce l’horizon, teintant le ciel de rouge.– Les premiers coups de feu éclatent dans la vallée.– La guerre commence.– Et nous sommes en plein milieu.– Le silence qui précède la tempête est souvent plus effrayant que la tempête elle-même.– Nous sommes cachés dans la forêt, nos visages camouflés par la terre, nos armes prêtes.– Devant nous, les rebelles de Samuel se rassemblent sur les hauteurs, des torches en main, leurs silhouettes projetées en ombres sur les m
Gabriel de Montreuil– La mer.– Elle s’étale devant nous, sombre et infinie, agitée par des vents capricieux qui hurlent dans la nuit.– Nous avons atteint la côte après deux jours de fuite à travers les marais, échappant aux patrouilles, aux chiens lancés sur nos traces, aux pièges mortels que la nature elle-même nous tendait.– Samuel s’accroche à moi, fiévreux, son corps amaigri tremblant sous l’effort.– Aïda, à bout de souffle, serre un mousquet contre sa poitrine, les yeux brillants de fatigue.– Diego scrute l’horizon.– Le navire est là.– S’il n’est pas une illusion.– Nous sommes censés embarquer à l’aube, un capitaine mercenaire ayant accepté de nous mener vers les îles où l’esclavage est déjà en train de s’effondrer.– Mais l’aube semble bien loin, et la nuit nous traque encore.– Un bruissement dans les buissons nous fige sur place.– Aïda se retourne, sa main sur la gâchette.– Ils arrivent.Le Dernier Barrage– Des torches dansent entre les arbres, des ombres s’étenden
Gabriel de Montreuil– Des lettres officielles du gouverneur. Des noms. Des preuves. Des secrets qui valent bien plus que l’or.– Le capitaine plisse les yeux.– Qu’est-ce que ça m’apporte ?– Une longueur d’avance sur tes ennemis.– Un instant de silence.– Puis il sourit et range son arme.– Marché conclu.Un Nouveau Foyer ?– Nous accostons.– Le sable chaud sous nos pieds est une délivrance.– Mais notre soulagement est de courte durée.– Nous ne sommes pas seuls.– Sur la colline surplombant la baie, des silhouettes nous observent.– Des hommes armés.– Des réfugiés comme nous ? Ou des ennemis ?– Diego pose la main sur son sabre.– Aïda se redresse, défiant du regard l’inconnu qui s’approche.– Bienvenue sur notre île, étrangers, lance-t-il d’un ton neutre.– Qui êtes-vous ? demandé-je.– L’homme esquisse un sourire.– Cela dépend… Qui êtes-vous ?– Le silence s’étire.– L’homme qui nous fait face est grand, le teint basané par le soleil, les yeux sombres et perçants.– Vous déb
Gabriel de MontreuilLe pont du San Telmo grince sous mes pas.Le bois est ancien, pourtant il semble respirer. Les voiles noires frémissent comme la peau d’une créature vivante. Un murmure serpente à travers l’air, une prière oubliée, un avertissement peut-être. Mais il est trop tard pour reculer.Je sens la présence de mes compagnons derrière moi. Diego inspecte le gréement, les traits tendus. M’Bala, silencieux, recharge son fusil, prêt à affronter l’inconnu. Aïda garde le médaillon serré dans sa main, son regard brillant d’une inquiétude qu’elle ne dissimule plus.Puis la Gardienne parle.— Le navire t’appartient, Gabriel de Montreuil. Il est le dernier témoin de ton sang, l’ultime vestige de ce qui fut et de ce qui doit être.Je tourne les yeux vers elle. Son voile d’or scintille sous la lueur irréelle qui baigne le vaisseau.— Où nous mènera-t-il ?Elle incline légèrement la tête.— Là où le pacte l’exige.Un frisson court le long de mon échine. Ce pacte… Je l’ai scellé sans en
Gabriel de MontreuilM’BalaJe plante mon coutelas dans la poitrine d’un des spectres.Il ne bronche pas.Ses mains se referment sur mon cou.Je suffoque.Puis, soudain, une lumière jaillit derrière moi.Je tombe à genoux, haletant.Le médaillon.Aïda s’est levée.Son regard est brûlant.Et le médaillon brille d’une lueur qui n’a rien de naturel.Les morts s’arrêtent.L’ombre, elle, avance.Gabriel de MontreuilLa jungle se déchire dans un rugissement de vent et de cendres.La silhouette cachée dans l’ombre révèle enfin son visage.Un visage que je connais.Mon père.Ou du moins, ce qu’il est devenu.Son regard est froid, inhumain.— Tu aurais dû rester en mer, Gabriel.Sa voix est un murmure de tempête, un écho de mille âmes perdues.Je serre les poings.— Pourquoi es-tu encore là ?Un sourire tordu se dessine sur son visage.— Parce que j’ai échoué.Un silence s’abat sur nous.Puis il lève la main.Et la terre tremble sous nos pieds.DiegoLe sol s’ouvre en un fracas assourdissant.
Gabriel de MontreuilMon père me regarde, ou du moins… ce qui reste de lui.Son visage n’est qu’une ombre du souvenir que j’en avais, ses traits mangés par le temps et la mort. Pourtant, dans ses yeux vides, quelque chose brûle encore. Une lueur. Un avertissement.Le médaillon que j’ai ramassé pulse dans ma main, sa surface froide vibrant contre ma peau.Et derrière lui, la jungle change.Les arbres semblent se courber, leurs racines noires s’étirent comme des griffes prêtes à m’engloutir. Le sol lui-même palpite sous mes pieds. Quelque chose… non, quelqu’un m’observe.— Gabriel…La voix de mon père est un murmure brisé, un souffle venu d’un autre monde.Je serre les dents.— Tu es mort.Il incline lentement la tête, et un rictus tord ses lèvres décomposées.— Oui.Un frisson glacé parcourt mon échine.Puis il lève un doigt décharné et pointe mon cœur.— Mais toi… tu es en train de suivre mon chemin.Le médaillon pulse plus fort.Autour de moi, la jungle se resserre.Et soudain, une v
Gabriel de MontreuilLa mer s’est tue.Les derniers vestiges des galions espagnols dérivent entre les vagues, des planches brisées, des voiles déchirées, et des cadavres flottants que la mer n’a pas encore engloutis. L’odeur du sel et du sang se mélange dans l’air. Le Pavillon Noir est toujours debout, mais il tangue, meurtri par la bataille et les fureurs des eaux maudites.Je serre la barre à m’en blanchir les jointures, le regard fixé sur l’horizon voilé d’une brume épaisse.Derrière moi, Diego s’appuie contre le bastingage, la main sur ses côtes blessées. M’Bala surveille le pont d’un œil attentif, prêt à bondir à la moindre menace.Et Aïda…Aïda respire encore.À chaque inspiration laborieuse qui s’échappe de ses lèvres, je sens une étincelle de rage et d’espoir s’allumer en moi.— Terre en vue !Le cri vient du nid de pie.Je lève les yeux.Devant nous, une masse sombre se découpe lentement dans la brume.Une île.Notre seule chance de survie.Mais aussi notre plus grande menace
Gabriel de MontreuilAïda s’accroche à la vie.Elle respire difficilement, allongée sur le pont du Pavillon Noir, son sang s’infiltrant entre les planches de bois comme une promesse maudite. Ses yeux sont mi-clos, sa peau, plus pâle que je ne l’ai jamais vue.Je presse ma main contre la plaie, ignorant le chaos qui nous entoure.— Tiens bon, Aïda. Tu m’entends ?Sa main tremble, se referme sur mon bras.— Gabriel…Sa voix est un souffle. Faible. Trop faible.M’Bala s’agenouille à côté de moi, son visage d’ordinaire impassible déformé par l’angoisse.— Il faut la descendre à la cabine. Vite.J’acquiesce, incapable de parler.Je la soulève avec précaution. Son corps est léger contre le mien, mais je sens la chaleur de son sang qui s’imprègne dans ma chemise. Je descends d’un pas rapide l’escalier menant à ma cabine, Diego à mes trousses, son bras toujours serré contre ses côtes blessées.À peine la pose-t-on sur la couchette qu’un cri résonne sur le pont.— L’ennemi revient !Je me fige
Gabriel de MontreuilJe serre la sphère dans ma main. Elle pulse, chaude contre ma paume, comme un cœur qui bat au rythme de la tempête à venir.— Au bateau ! crié-je.Aïda passe devant, Diego s’appuie sur M’Bala, les mâchoires crispées sous la douleur, mais il ne ralentit pas. Il sait que s’arrêter, c’est mourir.Nous dévalons la pente rocailleuse qui mène à la crique où nous avons laissé nos canots. Derrière nous, les premiers coups de semonce retentissent.— Ils tirent du large ! hurle Aïda.Je lève les yeux .Une lueur s’élève dans le ciel nocturne.Un boulet enflammé.Il fend l’air avec un sifflement sinistre avant de s’écraser sur la plage, soulevant une gerbe de sable et de roche.Trop près. Beaucoup trop près.— Plus vite !Nos canots sont là, amarrés sous les hautes falaises, bercés par une mer agitée. Nos hommes nous attendent, armes en main. Lorsque nous bondissons à bord, les rames plongent immédiatement dans l’eau noire, propulsant nos frêles esquifs vers la haute mer.Et
Gabriel de MontreuilLe coup de feu éclate.Le commandant espagnol, toujours posté à l’entrée de la crypte, nous observe avec un sourire cruel. Autour de lui, ses hommes s’engouffrent dans la salle, fusils braqués.— Fin de la route, capitaine Montreuil.Il recharge calmement son pistolet, sûr de lui, sûr de sa victoire.Mais il ignore une chose.Nous avons la sphère.Et ce temple est vivant.Je serre l’orbe dans ma main, et dès que mes doigts effleurent les symboles gravés sur sa surface, une onde étrange pulse à travers mes veines.Les murs vibrent.Les fresques illuminées par la lueur des torches s’animent, comme si les figures sculptées s’éveillaient d’un long sommeil.Puis, dans un grondement sourd, la pierre sous nos pieds commence à se fissurer.L’instant d’après, une explosion d’énergie jaillit du cœur de la sphère.Un vent violent balaye la crypte, projetant poussière et éclats de pierre dans toutes les directions.Le commandant espagnol recule d’un pas, pris de court.— Que
Gabriel de MontreuilIls sont là.Aïda, Diego et M’Bala se placent à mes côtés, leurs armes prêtes. Nous échangeons un regard. Il n’y a pas besoin de mots. Nous savons tous ce qui nous attend.Puis la première silhouette émerge de l’obscurité.Un soldat espagnol, fusil en main, la cuirasse poussiéreuse mais l’œil alerte.Derrière lui, d’autres apparaissent, une colonne disciplinée, armée jusqu’aux dents.Et au milieu d’eux, une silhouette plus imposante, drapée dans un manteau noir.Le commandant en charge.Il fait un pas en avant, nous observant comme un prédateur jaugeant ses proies.Puis il sourit.— Gabriel de Montreuil…Sa voix est calme, posée, et pourtant, elle me glace le sang.— L’Empire sait qui tu es. Nous suivons tes traces depuis longtemps. Et aujourd’hui, nous mettons enfin la main sur ce que tu cherchais.Je serre les dents, mon sabre fermement tenu dans ma main.— Si vous êtes venus chercher un trésor, vous vous êtes trompés d’endroit, lancé-je d’une voix glaciale.L’h
Gabriel de MontreuilJe m’approche à mon tour. Les motifs aztèques s’entrelacent avec des inscriptions en espagnol, comme si deux mondes s’étaient affrontés ici. Je lis à voix basse :"Là où dorment les rois, seule la clé ouvrira le passage."Je serre le médaillon dans ma main. Mon père a suivi ces mêmes indices. Il a tenu ce même médaillon. Mais lui… n’est jamais revenu.— On continue, dis-je en avançant.Le couloir s’enfonce dans les entrailles du temple, serpentant entre des colonnes massives et des alcôves remplies de statues de guerriers figés dans la pierre.Puis nous arrivons devant une immense porte de pierre, barrée par une barre de métal rongée par le temps.Je m’approche et examine le centre de la porte.Là, gravé en relief, se trouve le même œil que sur mon médaillon.Je prends une profonde inspiration et pose le bijou contre l’empreinte.Un grondement sourd résonne dans le temple.La pierre tremble.Puis la porte s’ouvre lentement, révélant une salle gigantesque.---Aïda