On continue de rouler sur plusieurs centaines de mètres. Le paysage est magnifique , le soleil brille haut dans le ciel. C’est une très belle journée qui continue. Et puis, beaucoup plus loin, le chemin se fait plus étroit. Ce qui nous force à ralentir. On pénètre finalement dans forêt , et les arbres se resserre immédiatement autour de nous. On grimpe un sentier escarpé, puis glisse entre des roches. C’est assez dangereux par endroit , mais je suis toujours aussi déterminée à rejoindre le nord qu’à mon départ. Sasha elle , ouvre la marche , et progresse sans le moindre mal. — On va devoir poser les vélos ici, Mira. — Impossible d’aller plus loin avec eux. On s’arrête. Elle me lance un petit sourire tout en retirant son casque. — D’accord. — Pas de souci. On descend des vélos. Il est temps d’aller plus loin. De s’enfoncer encore plus profondément dans la forêt. Mais aussi d’atteindre le territoire du loup noir. Sasha enclenche la marche. On av
Il couine. D’un petit bruit discret, et presque inaudible. Ses narines frémissent. Encore. Il continue de me renifler, lentement. Longtemps. Je ne bouge pas. Je n’ose même plus respirer. Et puis, d’un coup, il bouge. Mon corps se crispe. Un peu comme mon cœur aussi. Je ne le lâche pas des yeux. Il avance contre la clôture, la renifle encore et encore , puis lève l’une de ses pattes, et urine contre. Quelques gouttes. J’imagine que c’est pour marquer son territoire. Puis il se retourne à nouveau vers moi, et ses yeux montent jusqu’aux miens. Toujours aussi rouges. Toujours aussi intense. Et je jure… qu’il me regarde vraiment. Pas comme un animal regarde un humain. Pas comme un loup observe une menace. Non. Il me regarde juste. Comme moi, je le regarde. Avec cette même insistance. Cette même curiosité presque dérangeante. Je suis figée. Totalement immobile face à lui. Littéralement happée par ses yeux. Comme si j’étais suspendue
Et quand on atteint enfin le bas, haletantes, couvertes de poussière, il n’a toujours pas franchi le trou. Il reste là. En haut des rochers. Raide. Droit. Fière. Et il nous fixe. Non, non ! Il me fixe moi. Ses yeux sont noirs… Enfin son regard est noir , parce que ses yeux sont toujours de ce rouge vif qui me transperce. Durs. Presque haineux. Il est carrément figé sur le mien. Il ne bouge pas. Il attend. Il jauge peut être même la distance. Alors on enfourche nos vélos. Et on détale. Mais malgré moi , je jette un dernier regard en arrière. Je ne peux pas m’empêcher de le regarder une dernière fois. Peut-être que c’est pour être certaine que je ne rêve pas. Et que tout ceci est bien réel… Et ça l’est. Je ne rêve pas. C’est bel et bien en réalité que j’ai en face de moi. Alors , je pédale à fond. Le souffle court, les jambes tremblantes. Les arbres défilent à grande allure devant moi. Le gravier saute sous les pneus du v
Alors sans même pouvoir me retenir, je le crache: — Pourquoi ?— Pourquoi cette famille n’est pas fréquentable ?— Pourquoi est-elle à éviter ?Un malaise s’installe.Presque immédiatement.Ils se regardent brièvement.Comme pour chercher une réponse toute faite. Une excuse.Et comme pour le reste, mais aussi comme je m’en doute , ils restent vagues. Beaucoup trop vagues.— Disons… — Que le père n’aime pas trop qu’on traîne dans ses pattes.— Ni qu’on s’approche de trop près des limites de sa réserve.Mamie baisse les yeux.Avant que papi n’ajoute :— C’est lui qui fait la loi ici, tu sais.— Tout ce qui touche à la réserve appartient à cette famille.— Il vaut mieux éviter de les côtoyer.— Voilà tout. Pas suffisant.Trop flou.Aucune vraie raison pour cette éviction.Je secoue la tête, un peu sans le vouloir.Et je les fixe. Parce que c’est ce moment-là que je choisis pour lâcher une bombe.— J’ai vu le loup.— Le gros.— Le noir aux yeux rouges.Je les fixe.Je veux les forcer
Je tourne doucement la première page du carnet intime. Les premières lignes sont remplies de souvenirs d’une époque que je n’ai pas connue. Tout d’abord une partie de sa quatorzième année , puis une de ses quinze ans. Rien de fou. Rien de bizarre ou ni même d’étrange. Je tourne les pages. Passe mon regard brièvement sur certaines des phrases. Et enfin , cela devient un peu plus intéressant . Elle parle d’un garçon de la réserve, celui qu’elle a rencontré quand elle n’avait à peine que 17 ans. Un jeune homme sans famille elle écrit. Seul, mais pas étranger à l’île. Il l’intrigue. Il semble mystérieux à ses yeux. Elle le décrit peut-être même comme quelqu’un d’un peu sauvage. Mais elle le décrit aussi comme quelqu’un qu’elle a immédiatement apprécié. Je me demande tout de suite quel genre de lien ils ont pu avoir, mais je n’ai pas de réponse dans les lignes qui suivent. Alors, je tourne la page. Les mots se font plus sombres à cet endroit. Je
Quand je pénètre dans la pièce, mes grands-parents sont déjà installés à table. Ils attendent probablement que je prenne place pour commencer. Tout semble calme, mais je sens immédiatement la tension qui est déjà palpable dans l’air. C’est un peu comme si ils jouaient à faire semblant. À tenter de paraître le plus normal possible. Je le remarque tout de suite. Une peu comme le nez en plein milieu de la figure. Je m’assois sans rien dire. Je préfère garder le silence pour le moment, mais… Leur regard est déjà fixé sur moi. Mamie serre les assiettes. Et très rapidement le repas commence dans un calme froid. Chacun attend que l’autre parle, mais personne n’ose visiblement le faire en premier. Ils essaient de rester détendus, de sourire. Mais je vois bien que leurs esprits sont ailleurs. Suspendus à mes lèvres, mais aussi aux prochaines questions que je pourrais éventuellement poser. Ils savent très bien que ce silence ne va pas durer. Je mange lent
Très rapidement , je me perd dans mes pensées , et je raisonne. J’analyse la situation. Ce qu’il vient de dire ne colle pas. Il y a trop d’incohérences. Il affirme que chaque personne ayant croisé ce loup disparaît peu de temps après. Mais… Sasha ? Son père ? Mais aussi les autres gardes forestiers ? Ils s’occupent tous de la réserve, des enclos, et ils sont tous là, eux. Bien vivants. Et puis, il a aussi dit qu’il ne vient que lorsque la lune est rouge. Sauf que moi, je l’ai vu bien avant. Et Sasha m’a dit qu’elle le voyait toute l’année. Et puis nous avons aussi trouvé un petit cimetière d’ossement. Preuve qu’il sort beaucoup plus souvent qu’ils ne le pensaient. Je le fixe. Ça ne colle pas. Il y a un problème. Mon cœur tape fort dans ma poitrine , mais ma voix reste tout de même calme quand je lui dis. — Mais papi ? — Les gardes forestiers… et Sasha aussi… eux, ils le voient tout le temps, ce loup. — Il vit sur la réserve à l’année.
Les minutes s’étirent. Une bonne demie heure s’écoule devant nous. La tension retombe lentement , et elle finit même par disparaître totalement. C’est ce moment que je choisis pour demander à mes grands-parents s’ils veulent partager une ballade avec moi autour de l’île. — Papi, mamie , ça vous dit de me faire visiter l’île ? Mon grand-père relève la tête vers moi et rigole. — Oulah, ma chérie… — Tu sais ici, à cette heure-là, c’est le moment de la sieste. Il sourit , hoche la tête et ajoute. — Mais si tu patientes jusqu’à 16 heures, nous irons faire le tour de l’île ensemble, promis Je me dis tout de suite qu’ils ont du se lever très tôt, et qu’ils doivent être fatigués. Alors, j’accepte tout de suite en hochant la tête. — Pas de souci, papi. — Reposez-vous bien. — Ne t’inquiète pas , j’attendrai patiemment jusqu’à 16 heures. Il me sourit, visiblement satisfait par ma réponse , et sans un mot de plus il rejoint assez rapidement l’étage. De mon côté, je m’install
Il me regarde toujours. Avec ce même sourire en coin. Presque nostalgique. Et moi ? Je reste figée. Je cherche. Je fouille dans ma mémoire. Mais rien. Le vide. Le néant. — Désolée… Je lui crache ça un peu honteuse. — Je n’en ai aucun souvenir. Il hausse les épaules. — C’est pas grave. — Tu sais quoi ? — J’en ai assez pour deux, t’inquiète pas. Je souris, un peu gênée. Mais je souris quand même. Il est à l’aise. Sûr de lui. Sa grand-mère rigole juste derrière nous. — Vous faisiez tout un tas de bêtises ensemble à l’époque.— Les quatre cent coups. — Toujours collés l’un à l’autre. Je baisse les yeux. Toujours pas d’image. Toujours pas de souvenir. Je me demande tout de suite comment j’ai pu oublier tout ça. Car même si je n’avais que quatre, cinq, ou six ans, il devrait me rester quelques souvenirs de lui, et de sa grand-mère… Une drôle de sensation m’envahit. Presque instinctivement. Un espèce de malaise même. Un truc qu
Je m’approche de mon grand-père, et je me pose à côté de lui. Il me sourit, et me lance: — Alors je te propose de prendre le cap de l’ouest ! — Tu vas voir, c’est presque un autre monde par là-bas. Il me dit ça en me faisant un clin d’œil. Je souris en coin. Et je l’attrape par le bras. — Super, bonne idée Papi… — Je n’ai pas encore exploré la partie ouest de l’île. On quitte la maison tous les trois. Ma grand-mère referme la porte derrière nous. Le soleil est haut. Le ciel est clair. Il n’y a pas un seul nuage. Les premiers pas se font sur un petit sentier de terre. Et très rapidement, il se rétrécit, les buissons nous frôlent, et nous fouettent à certains endroits. Nous progressons assez facilement, en silence, mais pas d’un silence pesant… Et très rapidement , les arbres s’écartent. Je m’arrête un instant. Devant moi, un champ de fleurs. Mais pas un champ comme les autres. Pas un champ ordinaire.. Les couleurs y sont plus vives. Bleu
Ça ne peut pas être la réalité. Je secoue la tête, tout en cherchant désespérément une raison plus rationnelle que celle qui trotte, maintenant, dans mon esprit. Il faut que j’en trouve une autre. Ça en devient vital. Il a peut-être les dents un peu plus pointues que la normale. Peut-être aussi qu’il m’a mordue plus fort que ce que je croyais. Peut-être qu’il a dû ouvrir entièrement la bouche en me mordant, je ne sais pas… Ou sinon… Il doit être sadique ? Ou pervers peut être même. Vous savez, ces personnes qui prennent du plaisir à infliger de la douleur aux autres… Peut-être que c’est un fétichiste ? Un homme qui aime mordre et qui ne fait que ça ? Violemment. Profondément. Et jusqu’au sang. Ça doit être pour ça qu’il m’a demandé de le stopper juste avant ? Pour que ça ne se produise pas. Je me fixe dans le miroir. Puis je secoue la tête, encore. Encore. Et encore. Ça ne va pas ! Je me mens à moi-même. Je le sais. Je cherche une
Je passe une main sur mon cou, là où il m’a mordue. Peut être pour m’assurer que tout cela vient bien de se produire. Ma peau est chaude. Sensible. Douloureuse. Je sens même mon propre pouls battre contre mes doigts. Awwwh ! J’ai mal. Mais ce n’est pas ce qui me perturbe le plus. C’est lui. Son geste. Sa réaction. Ce qu’il a laissé transparaître, et ce qu’il a tenté de cacher juste après. Je le fixe toujours. Et lui, il continue juste de secouer la tête. Il s’est reculé mais il ne part pas. Il ne sort pas non plus de l’eau. Il reste là, mais à bonne distance. Un peu comme si il se battait contre lui même. Je fronce les sourcils malgré moi. Je ne parle pas. Je réfléchis. Pourquoi il a fait ça ? Pourquoi aussi fort ? Pourquoi s’arrêter juste après ? Et aussi pourquoi ce regard ? Ce n’était pas un jeu. Pas un simple délire de domination. Il y avait autre chose derrière ce geste. C’était incontrôlé. Impulsif. Sanguin.
Il secoue la tête. Encore et encore. — Tu aurais dû fuir, Mira. — Je ne suis pas celui que tu crois. Et sans me laisser le temps de réagir, il se penche sur moi. Et m’embrasse. Pas doucement. Pas tendrement non plus. Mais plutôt avec cette intensité brute et affamée qu’il contient. Comme s’il attendait ce moment depuis une éternité. Comme si, retenir ce désir l’avait torturé. Il grogne de nouveau contre mes lèvres. Ses doigts s’enfoncent un peu plus fermement dans ma nuque. Son autre main descend, glisse sur mon corps , et attrape l’une de mes hanches avec force. — Hhhm Il me plaque contre lui. Je gémis. Je n’ai plus d’air. Plus d’équilibre. Plus rien d’autre que lui. Ses lèvres quittent les miennes un court instant pour plonger dans mon cou. Il respire profondément mon odeur. Puis imprègne ses narines de mon si délicieux parfum. — Ton odeur, Mira. — Je la reconnaîtrais entre mille. Il me mord. Pas trop fort. D’un simple mordi
Et puis, sans jamais me lâcher du regard, il fait le dernier pas qui nous sépare. Il me fixe. D’un regard plus sombre. Plus dure. Et fronce les sourcils tout en sentant brièvement l’odeur du dessus de mes cheveux. Mon corps se tend. Un peu comme mon cœur, je suppose. Et la, il descend lentement sa main dans l’eau. Délibérément même je dirais. Pas en cachette. Pas en douceur non plus. Juste lentement. Il retient un sourire. Et sa main disparaît. Sous la surface claire de l’eau. — Ne bouge pas. J’aspire une petite bouffée d’air, et coupe mon souffle. C’est pas une demande. C’est un ordre. Sec, calme, grave. Un ordre que j’exécute instantanément. Sans protester. Sans rien dire. Et puis… Je retiens ma respiration. Je sens ses doigts glisser sur ma cuisse. D’abord lentement. Puis plus rapidement. Puis plus haut. Ils remontent, caressent du bout de ses doigts , et s’attardent. Puis frôle. Effleure. Explore.Je me perd. Je f
Et clairement , il faut que j’en sache plus sur lui, alors je lui lance. — Tu t’appelles comment, en fait ? — Tu ne m’as même pas encore dit ton prénom. Il sourit en coin , et me répond immédiatement : — Kalyus. Je reste surprise. — Kalyus ?? Il hoche la tête. — C’est ça . Je le regarde avec un peu plus d’insistance. — Et ? — C’est ton vrai prénom ? Il incline la tête et relève aussi un sourcil. — Oui. Sa réponse est brève. Sèche peut être même aussi. En réalité , je trouve qu’il a un prénom original et pas commun. Je ne l’ai jamais entendu nulle part avant aujourd’hui. Je hoche la tête. Et j’enchaîne. — Et tu as quel âge , Kalyus ? — Trente ans , Mira. Il répond sans me lâcher du regard. Et moi, je ne baisse pas les yeux non plus. Puis il me sourit, à peine. D’un petit sourire en coin. Je hoche la tête à nouveau. Je ne m’étais pas trompé , je me doutais qu’il avait une trentaine d’année. — J’imagine que tu vis sur l’île ?
Il enclenche le pas, resserre fermement ses doigts autour des miens et me tire derrière lui. Il marche assez vite. Peut-être sans même s’en rendre compte. Et moi, je ne dis rien. Je le suis simplement. Je me laisse traîner derrière lui. Je suis quand même assez surprise de mon comportement. De cette facilité que j’ai eu à accepter son offre. Mais je sais , que si j’aurais refusé, j’aurais forcément loupé quelque chose. Je passe mes yeux un peu partout. Tout en tentant de mémoriser chaque endroit où nous passons. D’abord un sentier bordé de plantes sauvages. Puis la forêt. Il s’enfonce dedans. Mais moi aussi par la même occasion. À mesure qu’on avance droit devant nous, la lumière passe de moins en moins dans les feuillages des immenses arbres. La forêt s’assombrit. Le soleil filtre à peine. Et puis très rapidement… Le chemin devient rocailleux, et quelques mètres plus loin, beaucoup plus humide et boueux. La végétation devient plus dense aussi
Il me tend à nouveau sa main. — Viens. — Je vais te ramener chez toi. Je le regarde, le souffle court. Chez moi ? Après tout ça ? Après lui ? Après son regard ? Après ce qu’il vient de dire et ce qu’il n’a pas dit ? — Non. je le crache. Simplement. Fermement. Il fronce un sourcil et relève l’autre. Un vrai froncement, cette fois. Moins surpris, plus… intéressé . — Non ? Je hoche la tête et ne lâche pas son regard. — Non. — Je ne veux pas rentrer. — Pas tout de suite, en tout cas. Il me dévisage un instant. Le silence s’étale. Puis ses lèvres s’étirent lentement dans un sourire étrange, presque satisfait. — Tu refuses l’aide de l’homme qui vient de te sauver la vie ? — Tu es bien inconsciente… Je lève les yeux au ciel et secoue la tête. — Je suis extrêmement reconnaissante de ce que tu as fait pour moi. — Mais je refuse qu’on décide à ma place. — Ou qu’on me force à faire quoi que ce soit. Il rit. Un peu. Puis be