Il couine. D’un petit bruit discret, et presque inaudible. Ses narines frémissent. Encore. Il continue de me renifler, lentement. Longtemps. Je ne bouge pas. Je n’ose même plus respirer. Et puis, d’un coup, il bouge. Mon corps se crispe. Un peu comme mon cœur aussi. Je ne le lâche pas des yeux. Il avance contre la clôture, la renifle encore et encore , puis lève l’une de ses pattes, et urine contre. Quelques gouttes. J’imagine que c’est pour marquer son territoire. Puis il se retourne à nouveau vers moi, et ses yeux montent jusqu’aux miens. Toujours aussi rouges. Toujours aussi intense. Et je jure… qu’il me regarde vraiment. Pas comme un animal regarde un humain. Pas comme un loup observe une menace. Non. Il me regarde juste. Comme moi, je le regarde. Avec cette même insistance. Cette même curiosité presque dérangeante. Je suis figée. Totalement immobile face à lui. Littéralement happée par ses yeux. Comme si j’étais suspendue
Et quand on atteint enfin le bas, haletantes, couvertes de poussière, il n’a toujours pas franchi le trou. Il reste là. En haut des rochers. Raide. Droit. Fière. Et il nous fixe. Non, non ! Il me fixe moi. Ses yeux sont noirs… Enfin son regard est noir , parce que ses yeux sont toujours de ce rouge vif qui me transperce. Durs. Presque haineux. Il est carrément figé sur le mien. Il ne bouge pas. Il attend. Il jauge peut être même la distance. Alors on enfourche nos vélos. Et on détale. Mais malgré moi , je jette un dernier regard en arrière. Je ne peux pas m’empêcher de le regarder une dernière fois. Peut-être que c’est pour être certaine que je ne rêve pas. Et que tout ceci est bien réel… Et ça l’est. Je ne rêve pas. C’est bel et bien en réalité que j’ai en face de moi. Alors , je pédale à fond. Le souffle court, les jambes tremblantes. Les arbres défilent à grande allure devant moi. Le gravier saute sous les pneus du v
Alors sans même pouvoir me retenir, je le crache: — Pourquoi ?— Pourquoi cette famille n’est pas fréquentable ?— Pourquoi est-elle à éviter ?Un malaise s’installe.Presque immédiatement.Ils se regardent brièvement.Comme pour chercher une réponse toute faite. Une excuse.Et comme pour le reste, mais aussi comme je m’en doute , ils restent vagues. Beaucoup trop vagues.— Disons… — Que le père n’aime pas trop qu’on traîne dans ses pattes.— Ni qu’on s’approche de trop près des limites de sa réserve.Mamie baisse les yeux.Avant que papi n’ajoute :— C’est lui qui fait la loi ici, tu sais.— Tout ce qui touche à la réserve appartient à cette famille.— Il vaut mieux éviter de les côtoyer.— Voilà tout. Pas suffisant.Trop flou.Aucune vraie raison pour cette éviction.Je secoue la tête, un peu sans le vouloir.Et je les fixe. Parce que c’est ce moment-là que je choisis pour lâcher une bombe.— J’ai vu le loup.— Le gros.— Le noir aux yeux rouges.Je les fixe.Je veux les forcer
Je tourne doucement la première page du carnet intime. Les premières lignes sont remplies de souvenirs d’une époque que je n’ai pas connue. Tout d’abord une partie de sa quatorzième année , puis une de ses quinze ans. Rien de fou. Rien de bizarre ou ni même d’étrange. Je tourne les pages. Passe mon regard brièvement sur certaines des phrases. Et enfin , cela devient un peu plus intéressant . Elle parle d’un garçon de la réserve, celui qu’elle a rencontré quand elle n’avait à peine que 17 ans. Un jeune homme sans famille elle écrit. Seul, mais pas étranger à l’île. Il l’intrigue. Il semble mystérieux à ses yeux. Elle le décrit peut-être même comme quelqu’un d’un peu sauvage. Mais elle le décrit aussi comme quelqu’un qu’elle a immédiatement apprécié. Je me demande tout de suite quel genre de lien ils ont pu avoir, mais je n’ai pas de réponse dans les lignes qui suivent. Alors, je tourne la page. Les mots se font plus sombres à cet endroit. Je
Quand je pénètre dans la pièce, mes grands-parents sont déjà installés à table. Ils attendent probablement que je prenne place pour commencer. Tout semble calme, mais je sens immédiatement la tension qui est déjà palpable dans l’air. C’est un peu comme si ils jouaient à faire semblant. À tenter de paraître le plus normal possible. Je le remarque tout de suite. Une peu comme le nez en plein milieu de la figure. Je m’assois sans rien dire. Je préfère garder le silence pour le moment, mais… Leur regard est déjà fixé sur moi. Mamie serre les assiettes. Et très rapidement le repas commence dans un calme froid. Chacun attend que l’autre parle, mais personne n’ose visiblement le faire en premier. Ils essaient de rester détendus, de sourire. Mais je vois bien que leurs esprits sont ailleurs. Suspendus à mes lèvres, mais aussi aux prochaines questions que je pourrais éventuellement poser. Ils savent très bien que ce silence ne va pas durer. Je mange lent
Très rapidement , je me perd dans mes pensées , et je raisonne. J’analyse la situation. Ce qu’il vient de dire ne colle pas. Il y a trop d’incohérences. Il affirme que chaque personne ayant croisé ce loup disparaît peu de temps après. Mais… Sasha ? Son père ? Mais aussi les autres gardes forestiers ? Ils s’occupent tous de la réserve, des enclos, et ils sont tous là, eux. Bien vivants. Et puis, il a aussi dit qu’il ne vient que lorsque la lune est rouge. Sauf que moi, je l’ai vu bien avant. Et Sasha m’a dit qu’elle le voyait toute l’année. Et puis nous avons aussi trouvé un petit cimetière d’ossement. Preuve qu’il sort beaucoup plus souvent qu’ils ne le pensaient. Je le fixe. Ça ne colle pas. Il y a un problème. Mon cœur tape fort dans ma poitrine , mais ma voix reste tout de même calme quand je lui dis. — Mais papi ? — Les gardes forestiers… et Sasha aussi… eux, ils le voient tout le temps, ce loup. — Il vit sur la réserve à l’année.
Les minutes s’étirent. Une bonne demie heure s’écoule devant nous. La tension retombe lentement , et elle finit même par disparaître totalement. C’est ce moment que je choisis pour demander à mes grands-parents s’ils veulent partager une ballade avec moi autour de l’île. — Papi, mamie , ça vous dit de me faire visiter l’île ? Mon grand-père relève la tête vers moi et rigole. — Oulah, ma chérie… — Tu sais ici, à cette heure-là, c’est le moment de la sieste. Il sourit , hoche la tête et ajoute. — Mais si tu patientes jusqu’à 16 heures, nous irons faire le tour de l’île ensemble, promis Je me dis tout de suite qu’ils ont du se lever très tôt, et qu’ils doivent être fatigués. Alors, j’accepte tout de suite en hochant la tête. — Pas de souci, papi. — Reposez-vous bien. — Ne t’inquiète pas , j’attendrai patiemment jusqu’à 16 heures. Il me sourit, visiblement satisfait par ma réponse , et sans un mot de plus il rejoint assez rapidement l’étage. De mon côté, je m’install
Et dans un dernier regard suppliant vers la surface… Je crois voir quelque chose. Mes yeux s’ouvrent dans un dernier espoir de survie. Quelqu’un. Non. Pas quelqu’un. Quelque chose. Et puis… J’en suis sûre. Deux yeux s’arrêtent face à moi. Rouges. Immenses. Le loup. Ce loup. Mon loup. Il est là. Il a plongé pour me sauver. Mais, mes paupières sont trop lourdes. Tout se brouille. Tout va trop vite. Ou peut être un peu trop doucement. Je perds connaissance. Mes yeux se ferment. Le noir. Le néant de mon âme. Combien de temps ? Je sais pas ! Quand j’ouvre les yeux à nouveau, je suis allongée sur de la terre mouillée. J’aspire une grande bouffée d’air. Puis une autre. Je tousse violemment. De l’eau me remonte dans la gorge. J’ai envie de vomir à cause de toute l’eau salée que j’ai avalé. Je fixe droit devant moi. Choquée. Confuse. C’est la que mon regard se pose vraiment sur lui. Un homme est penché au-dessus d
Je passe une main sur mon cou, là où il m’a mordue. Peut être pour m’assurer que tout cela vient bien de se produire. Ma peau est chaude. Sensible. Douloureuse. Je sens même mon propre pouls battre contre mes doigts. Awwwh ! J’ai mal. Mais ce n’est pas ce qui me perturbe le plus. C’est lui. Son geste. Sa réaction. Ce qu’il a laissé transparaître, et ce qu’il a tenté de cacher juste après. Je le fixe toujours. Et lui, il continue juste de secouer la tête. Il s’est reculé mais il ne part pas. Il ne sort pas non plus de l’eau. Il reste là, mais à bonne distance. Un peu comme si il se battait contre lui même. Je fronce les sourcils malgré moi. Je ne parle pas. Je réfléchis. Pourquoi il a fait ça ? Pourquoi aussi fort ? Pourquoi s’arrêter juste après ? Et aussi pourquoi ce regard ? Ce n’était pas un jeu. Pas un simple délire de domination. Il y avait autre chose derrière ce geste. C’était incontrôlé. Impulsif. Sanguin.
Il secoue la tête. Encore et encore. — Tu aurais dû fuir, Mira. — Je ne suis pas celui que tu crois. Et sans me laisser le temps de réagir, il se penche sur moi. Et m’embrasse. Pas doucement. Pas tendrement non plus. Mais plutôt avec cette intensité brute et affamée qu’il contient. Comme s’il attendait ce moment depuis une éternité. Comme si, retenir ce désir l’avait torturé. Il grogne de nouveau contre mes lèvres. Ses doigts s’enfoncent un peu plus fermement dans ma nuque. Son autre main descend, glisse sur mon corps , et attrape l’une de mes hanches avec force. — Hhhm Il me plaque contre lui. Je gémis. Je n’ai plus d’air. Plus d’équilibre. Plus rien d’autre que lui. Ses lèvres quittent les miennes un court instant pour plonger dans mon cou. Il respire profondément mon odeur. Puis imprègne ses narines de mon si délicieux parfum. — Ton odeur, Mira. — Je la reconnaîtrais entre mille. Il me mord. Pas trop fort. D’un simple mordi
Et puis, sans jamais me lâcher du regard, il fait le dernier pas qui nous sépare. Il me fixe. D’un regard plus sombre. Plus dure. Et fronce les sourcils tout en sentant brièvement l’odeur du dessus de mes cheveux. Mon corps se tend. Un peu comme mon cœur, je suppose. Et la, il descend lentement sa main dans l’eau. Délibérément même je dirais. Pas en cachette. Pas en douceur non plus. Juste lentement. Il retient un sourire. Et sa main disparaît. Sous la surface claire de l’eau. — Ne bouge pas. J’aspire une petite bouffée d’air, et coupe mon souffle. C’est pas une demande. C’est un ordre. Sec, calme, grave. Un ordre que j’exécute instantanément. Sans protester. Sans rien dire. Et puis… Je retiens ma respiration. Je sens ses doigts glisser sur ma cuisse. D’abord lentement. Puis plus rapidement. Puis plus haut. Ils remontent, caressent du bout de ses doigts , et s’attardent. Puis frôle. Effleure. Explore.Je me perd. Je f
Et clairement , il faut que j’en sache plus sur lui, alors je lui lance. — Tu t’appelles comment, en fait ? — Tu ne m’as même pas encore dit ton prénom. Il sourit en coin , et me répond immédiatement : — Kalyus. Je reste surprise. — Kalyus ?? Il hoche la tête. — C’est ça . Je le regarde avec un peu plus d’insistance. — Et ? — C’est ton vrai prénom ? Il incline la tête et relève aussi un sourcil. — Oui. Sa réponse est brève. Sèche peut être même aussi. En réalité , je trouve qu’il a un prénom original et pas commun. Je ne l’ai jamais entendu nulle part avant aujourd’hui. Je hoche la tête. Et j’enchaîne. — Et tu as quel âge , Kalyus ? — Trente ans , Mira. Il répond sans me lâcher du regard. Et moi, je ne baisse pas les yeux non plus. Puis il me sourit, à peine. D’un petit sourire en coin. Je hoche la tête à nouveau. Je ne m’étais pas trompé , je me doutais qu’il avait une trentaine d’année. — J’imagine que tu vis sur l’île ?
Il enclenche le pas, resserre fermement ses doigts autour des miens et me tire derrière lui. Il marche assez vite. Peut-être sans même s’en rendre compte. Et moi, je ne dis rien. Je le suis simplement. Je me laisse traîner derrière lui. Je suis quand même assez surprise de mon comportement. De cette facilité que j’ai eu à accepter son offre. Mais je sais , que si j’aurais refusé, j’aurais forcément loupé quelque chose. Je passe mes yeux un peu partout. Tout en tentant de mémoriser chaque endroit où nous passons. D’abord un sentier bordé de plantes sauvages. Puis la forêt. Il s’enfonce dedans. Mais moi aussi par la même occasion. À mesure qu’on avance droit devant nous, la lumière passe de moins en moins dans les feuillages des immenses arbres. La forêt s’assombrit. Le soleil filtre à peine. Et puis très rapidement… Le chemin devient rocailleux, et quelques mètres plus loin, beaucoup plus humide et boueux. La végétation devient plus dense aussi
Il me tend à nouveau sa main. — Viens. — Je vais te ramener chez toi. Je le regarde, le souffle court. Chez moi ? Après tout ça ? Après lui ? Après son regard ? Après ce qu’il vient de dire et ce qu’il n’a pas dit ? — Non. je le crache. Simplement. Fermement. Il fronce un sourcil et relève l’autre. Un vrai froncement, cette fois. Moins surpris, plus… intéressé . — Non ? Je hoche la tête et ne lâche pas son regard. — Non. — Je ne veux pas rentrer. — Pas tout de suite, en tout cas. Il me dévisage un instant. Le silence s’étale. Puis ses lèvres s’étirent lentement dans un sourire étrange, presque satisfait. — Tu refuses l’aide de l’homme qui vient de te sauver la vie ? — Tu es bien inconsciente… Je lève les yeux au ciel et secoue la tête. — Je suis extrêmement reconnaissante de ce que tu as fait pour moi. — Mais je refuse qu’on décide à ma place. — Ou qu’on me force à faire quoi que ce soit. Il rit. Un peu. Puis be
Son regard ne me lâche pas. Il me transperce avec toujours cette même intensité. Et j’ai cette étrange sensation qu’il est tout aussi fasciné que moi. — Quel âge as-tu ? Sa voix est ferme encore une fois. Il garde la tête légèrement inclinée, les yeux plantés dans les miens. En plein dans le mille, même. Mais cette fois-ci encore… Je ne réponds pas. Pas parce que je ne trouve pas les mots. Non , non… Mais simplement parce que je n’en ai pas envie. Je détourne légèrement le regard. Son torse contre le mien, son souffle chaud qui ricoche sur ma joue, son odeur si particulière qui envahi mes narines… c’est trop. Trop pour moi. Trop pour mon esprit embrouillé. — Laisse-moi descendre, s’il te plaît. Je le crache, d’un simple souffle. — Non ! Il répond d’une voix sèche. Je lève les yeux vers lui. Il ne bouge pas. Il est sérieux. Sûr de lui. Autoritaire même. — Je t’ai dit… laisse-moi descendre. Il secoue la tête. — Tu ne tiens même pa
Et dans un dernier regard suppliant vers la surface… Je crois voir quelque chose. Mes yeux s’ouvrent dans un dernier espoir de survie. Quelqu’un. Non. Pas quelqu’un. Quelque chose. Et puis… J’en suis sûre. Deux yeux s’arrêtent face à moi. Rouges. Immenses. Le loup. Ce loup. Mon loup. Il est là. Il a plongé pour me sauver. Mais, mes paupières sont trop lourdes. Tout se brouille. Tout va trop vite. Ou peut être un peu trop doucement. Je perds connaissance. Mes yeux se ferment. Le noir. Le néant de mon âme. Combien de temps ? Je sais pas ! Quand j’ouvre les yeux à nouveau, je suis allongée sur de la terre mouillée. J’aspire une grande bouffée d’air. Puis une autre. Je tousse violemment. De l’eau me remonte dans la gorge. J’ai envie de vomir à cause de toute l’eau salée que j’ai avalé. Je fixe droit devant moi. Choquée. Confuse. C’est la que mon regard se pose vraiment sur lui. Un homme est penché au-dessus d
Les minutes s’étirent. Une bonne demie heure s’écoule devant nous. La tension retombe lentement , et elle finit même par disparaître totalement. C’est ce moment que je choisis pour demander à mes grands-parents s’ils veulent partager une ballade avec moi autour de l’île. — Papi, mamie , ça vous dit de me faire visiter l’île ? Mon grand-père relève la tête vers moi et rigole. — Oulah, ma chérie… — Tu sais ici, à cette heure-là, c’est le moment de la sieste. Il sourit , hoche la tête et ajoute. — Mais si tu patientes jusqu’à 16 heures, nous irons faire le tour de l’île ensemble, promis Je me dis tout de suite qu’ils ont du se lever très tôt, et qu’ils doivent être fatigués. Alors, j’accepte tout de suite en hochant la tête. — Pas de souci, papi. — Reposez-vous bien. — Ne t’inquiète pas , j’attendrai patiemment jusqu’à 16 heures. Il me sourit, visiblement satisfait par ma réponse , et sans un mot de plus il rejoint assez rapidement l’étage. De mon côté, je m’install