ÉliseIl y a quelque chose dans ses silences qui me trouble plus que mille paroles.Samuel.Ce nom tourne dans ma tête comme un écho qu’on n’arrive pas à faire taire. Je le regarde, chaque matin, assis sur ce banc. Il ne parle pas beaucoup. Il lit. Il écoute. Il me répond parfois avec un sourire doux, presque maladroit. Comme s’il avait peur que je le devine.Et pourtant, je sens bien qu’il cache quelque chose.Personne ne choisit ce banc par hasard. Pas à cette heure, pas chaque matin. Personne ne s’attarde dans le parc d’un quartier aussi gris sans raison. Et surtout, personne ne me regarde comme lui le fait… avec cette espèce de mélancolie retenue, comme s’il s’excusait d’avance de ce qu’il allait me faire.Je suis fatiguée de fuir. Fatiguée de deviner.Alors demain, je lui poserai la vraie question.Celle qui ne se camoufle plus derrière la politesse.Celle qui dit : “Qui es-tu vraiment, Samuel ?”---SamuelElle est venue plus tôt ce matin.Son fils tenait sa main, comme toujours
Samuel Le téléphone vibra dans ma poche. Au début, je l'ignorai. C’était probablement une de ces publicités insupportables qui envahissent nos vies. Mais, avant de le mettre de nouveau en silence, une étrange sensation me poussa à le sortir. Mon regard se posa sur l'écran : "Hôpital Saint-Joseph". Un frisson glacé me parcourut.Je décrochai, une légère appréhension me nouant l’estomac. "Allô ?" ma voix tremblait, je ne savais pas pourquoi. Il n'y avait aucune raison d'avoir peur, n'est-ce pas ?"Bonjour, monsieur Lemoine, je suis le Dr. Moreau, de l’hôpital Saint-Joseph. Nous avons une nouvelle concernant votre frère, Alexandre."Mon cœur s’arrêta de battre, je n’entendais plus rien autour de moi. Le monde semblait s’arrêter. Alexandre. Mon frère. Celui avec qui j'avais passé toute mon enfance. Celui que je venais juste de retrouver après des années de séparation. Impossible. Ce n’était pas possible."Il… il est décédé." La voix du médecin semblait résonner dans un lointain irréel. L
Samuel La nuit était tombée quand je sortis de l’hôpital, mon esprit toujours en ébullition. Il n’y avait rien de plus tangible que la réalité froide et cruelle devant laquelle je me trouvais, mais elle me paraissait aussi floue et irréelle qu’un cauchemar. Chaque pas sur le pavé semblait plus lourd que le précédent, chaque respiration me semblait un effort. Je n'avais pas le temps de réfléchir à ce que je venais de vivre. Ce n’était pas la fin. C’était seulement le début.Je n'avais pas tout prévu. Je n’avais aucune idée de comment j’allais faire, mais une certitude grandissait en moi : je devais devenir Alexandre. Je devais occuper sa place, au moins pour un moment. Cela me paraissait l’unique moyen de trouver la vérité, de découvrir ce qui se cachait derrière sa mort. Je n'avais ni le temps ni l'énergie pour douter.Je pris un taxi en direction de son appartement, celui qu’il occupait depuis quelques mois déjà. La même sensation d’étrangeté m’envahit dès que je montai dans le véhi
Samuel Les jours se transformaient en un enchevêtrement confus, où la réalité semblait se disloquer à chaque respiration. Clara, elle, ne savait rien. Pas encore. Elle ne savait pas que son mari était mort. Dans son esprit, j’étais encore Alexandre. Son mari, celui qu’elle avait perdu, celui dont elle cherchait encore l’ombre à travers mes gestes et mes paroles. Elle ne voyait pas l'écart, elle ne sentait pas la différence. Pour elle, j’étais lui, et je jouais ce rôle avec une minutie désespérée, craignant le moment où la vérité éclaterait, où tout s’effondrerait.Chaque geste que je faisais me semblait un acte de survie, comme si je n'avais d'autre choix que de maintenir cette illusion, de garder cette façade intacte. Je vivais dans un monde où les murs semblaient se rapprocher un peu plus chaque jour. Clara me regardait, me souriait, et dans son regard, il y avait cette lueur de besoin. Elle avait besoin de croire que tout était encore comme avant, que son mari était là, à ses côté
Samuel La nuit était tombée comme une couverture épaisse, engourdie par les murmures du passé et les battements du présent. La lumière des étoiles s’épanouissait au-dessus de nos têtes, mais elle ne parvenait pas à percer la couche de tourments qui enveloppait nos cœurs. Clara était là, belle et fragile, prête à me rappeler une fois de plus la mémoire d’un homme que je n’étais pas. Pourtant, cette nuit-là, une tension électrique flottait dans l’air, une alchimie à l’œuvre que je ne pouvais ignorer ni amputer sans danger.Après avoir préparé le dîner, un repas agrémenté de rires forcés et de silences lourds, nous nous étions assis à la table. Les plats avaient été dressés avec soin, mais les saveurs se mélangeaient avec celles de l'anxiété. Le cliquetis des couverts résonnait comme une mélodie familière, mais sans harmonie. Les mots faisaient surface comme des bulles de savon, beaux mais éphémères, incapables de dévoiler la profondeur des sentiments qui nous habitaient. Clara, profond
Samuel Les jours se succédaient, dans une spirale qui m'échappait de plus en plus. Chaque matin, je me levais dans l’appartement d’Alexandre, me forçant à revêtir son masque, à marcher dans ses pas, à devenir celui que j'avais à peine connu. À la surface, je n'étais rien d'autre qu'un homme qui essayait de survivre à un monde de mensonges. Mais au fond de moi, un feu brûlait, une détermination sans faille. Je devais savoir. Je devais comprendre.Ce matin-là, je me trouvai face à un dilemme. Clara était partie en course, et Lucas, son fils, était à l'école. C'était l'occasion rêvée pour fouiller un peu plus dans les affaires de mon frère, peut-être y trouver des indices qui m'échapperaient dans la vie quotidienne. Mon esprit tourbillonnait encore autour de la question qui m’obsédait : Qui avait tué Alexandre ? Et pourquoi ?Je me dirigeai vers son bureau, un coin isolé de l’appartement où il passait des heures à travailler. Un bureau ordonné, presque clinique, mais je savais que dans
Je restai là, dans l’ombre, observant Damien Rousseau. Chaque mouvement qu'il faisait était une promesse de réponse, une promesse que, finalement, cette rencontre serait la clé qui ouvrirait la porte à la vérité. Ses yeux, sombres et perçants, balayaient la pièce avec une attention presque malade. Il était conscient de tout, mais il ne semblait pas me remarquer. Il était un homme qui vivait dans l’ombre, qui portait une lourde histoire sur ses épaules.Je pris une longue inspiration et me levai, en me glissant entre les tables. Ma main effleura la poche de mon manteau, où le carnet d'Alexandre reposait comme un poids supplémentaire, une relique que je n'osais plus regarder. J’étais là pour une autre raison, et il n'était pas question de me laisser distraire. Le rendez-vous était fixé. À 22h. Et je devais être là, face à lui, en temps et en heure.Damien ne remarqua pas mon approche tout de suite. Je m’assis à une table proche du comptoir, de façon à ne pas attirer l'attention, mais as
Le silence entre nous deux pesait lourdement, comme une tempête prête à éclater. Je pouvais sentir l'air se charger d'une tension palpable. Damien Rousseau m’observait avec un regard froid, presque amusé, comme s’il savait exactement ce que j’allais faire. Mais moi, je n’étais plus sûr de rien. Chaque mot qu’il prononçait semblait me tirer un peu plus loin de ce que je pensais être la réalité. Mais je n'avais pas le choix : il fallait que j'avance, même si cela me conduisait à l’inconnu.Damien se recula lentement, posant ses mains sur la table avec une lenteur calculée. Il prit une gorgée de son verre sans me quitter des yeux, savourant l'instant, comme si tout ceci n'était qu'un jeu. Mais pour moi, c’était bien plus. Il détenait des réponses. Il savait.— "Tu penses que la vérité est simple ?" Il laissa échapper un rire faible, presque ironique. "Si tu veux vraiment savoir ce qui est arrivé à ton frère, prépare-toi à plonger dans un monde que tu n'es pas prêt à comprendre."Je n'ava
ÉliseIl y a quelque chose dans ses silences qui me trouble plus que mille paroles.Samuel.Ce nom tourne dans ma tête comme un écho qu’on n’arrive pas à faire taire. Je le regarde, chaque matin, assis sur ce banc. Il ne parle pas beaucoup. Il lit. Il écoute. Il me répond parfois avec un sourire doux, presque maladroit. Comme s’il avait peur que je le devine.Et pourtant, je sens bien qu’il cache quelque chose.Personne ne choisit ce banc par hasard. Pas à cette heure, pas chaque matin. Personne ne s’attarde dans le parc d’un quartier aussi gris sans raison. Et surtout, personne ne me regarde comme lui le fait… avec cette espèce de mélancolie retenue, comme s’il s’excusait d’avance de ce qu’il allait me faire.Je suis fatiguée de fuir. Fatiguée de deviner.Alors demain, je lui poserai la vraie question.Celle qui ne se camoufle plus derrière la politesse.Celle qui dit : “Qui es-tu vraiment, Samuel ?”---SamuelElle est venue plus tôt ce matin.Son fils tenait sa main, comme toujours
Élise Mais s’il est comme moi…S’il est juste un autre cœur blessé sous une autre peau brisée…Alors peut-être qu’on pourra, ensemble,changer les règles.Ou au moinsarrêter de se mentir.Ralentir le temps.Laisser nos silences se parler.Parce qu’à force de survivre,j’ai oublié ce que c’étaitd’être simplement en vie.Et si lui aussi l’a oublié…Alors peut-êtrequ’on peut se rappeler ensemble.— SamuelIl y a quelque chose dans sa manière de se tenir.Raide mais fragile.Comme une tour qu’on aurait reconstruite trop vite après un séisme.Elle me regarde comme si j’étais un fantôme.Ou pire : comme si elle m’attendait depuis toujours sans en avoir conscience.Et moi, je reste là.Assis sur ce banc que je n’ai pas choisi par hasard.À prétendre lire un livre que je connais par cœur depuis des années.Elle pense que je suis tombé sur elle par hasard.Mais rien, avec elle, ne sera jamais dû au hasard.---Je m’appelle Samuel.Enfin, ici, c’est le nom que j’utilise.Il y en a eu d’autr
— ÉliseOn m’a appris à ne pas regarder les inconnus dans les yeux.À baisser la tête.À marcher droit.À toujours avoir un trousseau de clés à portée de main, le doigt prêt à appuyer sur la plus longue en cas d’urgence.On m’a appris à survivre.Mais personne ne m’a appris à vivre après la tempête.Et depuis qu’il est là — ce garçon, cet homme, ce Samuel —, le vent recommence à souffler dans ma poitrine.Pas fort. Juste assez pour déranger la poussière.Juste assez pour que je me demande si quelque chose pourrait repousser sous les cendres.---Je l’ai vu avant qu’il me voie.Je le crois, du moins.C’est difficile à dire avec certitude, quand on passe ses journées à surveiller sans avoir l’air d’y toucher.À observer chaque visage, chaque silhouette dans le reflet d’une vitrine ou d’une flaque.À analyser le rythme des pas derrière soi, le claquement d’une portière, la direction du vent.Il a ce regard trouble.Pas menaçant, pas tout de suite. Mais trop calme pour être vraiment innoc
— Samuel (Noah)Je m’appelle Samuel.C’est ce que disent mes papiers, ce que répète mon téléphone quand j’enregistre un message, ce que j’ai appris à dire sans trembler.Samuel , Vingt-deux ans. Études arrêtées. Ancien expatrié revenu au bercail après avoir fui un passé brumeux. Une fiction cousue main.Ils ont tout préparé : un faux CV, des souvenirs fabriqués, des photos retouchées. Même un ticket de cinéma oublié dans la poche de mon manteau.Tout est là pour donner du poids à mon ombre. Pour qu’on me croie.Et pourtant, chaque fois que ce prénom résonne dans l’air, il m’écorche les tympans.Parce qu’il n’est pas moi.Parce qu’il n’est qu’un rôle.Mais dans ce rôle, je deviens invisible.Et pour eux, c’est tout ce qui compte.---Je loge au quatrième étage d’un immeuble sans charme, dans une rue où tout semble s’être figé dans une époque qu’on préfère oublier.Des escaliers trop étroits. Des murs qui transpirent l’humidité. Le papier peint s’effrite comme une vieille mémoire, et le
— NoahJe ne dors pas.Ils m’ont laissé dans une pièce sans fenêtre, avec un lit étroit, un lavabo rouillé et une ampoule qui grésille. Les murs sont d’un blanc sale, couverts de marques grises qu’on ne distingue que lorsqu’on s’attarde trop longtemps. Des ombres de gestes, des traces d’anciens occupants.Je suis allongé, les yeux grands ouverts, fixant le plafond. Il n’y a rien d’autre à faire. Rien d’autre à penser. Pourtant, mon esprit tourne à cent à l’heure.Hugo.Ce nom me revient encore et encore, comme un marteau qui cogne à la porte de ma conscience.Je revois son regard. Sa voix cassée. Sa peur.Et moi… moi, accroupi devant lui, comme un juge silencieux, l’encourageant à livrer ce qu’il ne possédait même pas.J’ai fait ça.Je serre les dents.Je ne suis pas comme eux.Je me répète cette phrase en boucle, comme un mantra. Mais chaque fois, la voix du type au sourire revient me hanter.« Tu apprends vite. »Et ce goût amer revient dans ma gorge.Je me redresse brusquement, m’a
— NoahLe retour au hangar se fait dans un silence de plomb. Le moteur ronronne, la nuit semble s’épaissir autour de nous, comme si elle voulait me dévorer avec mes pensées. Le cuir du siège grince sous mes mouvements nerveux. J’ai beau serrer la mallette contre moi, je ne sens pas son poids physique… je sens celui de ce qu’elle représente.Je repense à ce que le vieux m’a dit. Des preuves. Des noms. Mon frère voulait que tout sorte.Il voulait que tout sorte…Alors pourquoi est-ce qu’il est mort ? Pourquoi est-ce qu’ils m’ont laissé entrer, moi, sans même m’interroger ?Pourquoi m’a-t-on fait confiance si vite ?Et surtout… pourquoi est-ce que je n’ai pas fui ?Le SUV freine brusquement. On est de retour. Le hangar, toujours aussi désert, avale la voiture dans ses entrailles métalliques. La lumière blafarde des néons perce le noir par intermittence, créant des ombres mouvantes sur les murs. J’ai l’impression d’entrer dans une gueule, une mâchoire d’acier prête à se refermer. Le chauf
Nathan Je n’ai pas le temps de douter. À peine ma décision prononcée, les silhouettes autour de la table se lèvent lentement, comme si un rituel venait d’être enclenché. Le regard de l’homme au sourire carnassier s’attarde sur moi une dernière fois avant qu’il ne tourne les talons.« Suis-le. »C’est tout ce qu’on me dit. Pas de nom, pas d’explication, pas de bienvenue. Rien. Je suis un pion sur leur échiquier, et je viens d’être placé sur la première case.Le hangar disparaît derrière moi alors que je suis l’un des hommes à travers un couloir sombre, puis une autre porte, puis des escaliers en métal qui résonnent sous nos pas. Nous sortons à l’arrière du bâtiment. L’air de la nuit est glacial, mais je n’ose pas frissonner. Un SUV noir nous attend, moteur allumé. L’homme monte côté passager, sans un mot. Je prends place à l’arrière.Le chauffeur, un type massif au crâne rasé, se contente de me lancer un regard dans le rétroviseur. Pas hostile, pas curieux non plus. Juste vide.On rou
Je le suivis dans l'obscurité, mes pas s'harmonisant avec les siens alors que nous nous enfoncions plus profondément dans le bâtiment. La lumière vacillante des néons brisés et des ampoules éteintes rendait l'atmosphère plus étrange encore, comme si le temps ici s’était arrêté. Chaque recoin semblait imprégné de secrets, chaque mur, chaque écho résonnait avec la présence d'un passé que je n'étais pas censé découvrir.L'homme ne se retournait jamais, marchant d'un pas mesuré, comme s'il connaissait ce lieu par cœur, tandis que moi, chaque mouvement me rapprochait d'une réalité que je commençais à peine à comprendre. Je savais que ce que je faisais était risqué, que je m'aventurais dans un monde qui pouvait m'engloutir à tout instant. Mais l'idée de rester dans l'ignorance était bien pire.Nous arrivâmes à une porte métallique, plus solide que les autres, et l'homme s'arrêta devant, l'ouvrant sans hésitation. Il me lança un regard en coin avant de pénétrer dans la pièce sombre qui se tr
La silhouette s'avança lentement, ses pas résonnant dans le silence oppressant du bâtiment abandonné. Je me figeai, mes sens en alerte, chaque fibre de mon corps tendue, prête à réagir. J'avais cru que j'étais seul, que cette quête me mènerait à des réponses tranquilles, mais j'étais loin de m'imaginer à quel point les choses allaient se compliquer. L'ombre de la personne se précisait, et je pouvais sentir la tension monter en moi.La silhouette, maintenant plus nette, s'arrêta à quelques mètres de moi. Un homme, sans doute dans la quarantaine, vêtu d'un long manteau sombre. Son visage était partiellement caché par la lumière faible qui filtrait à travers les fissures des fenêtres, mais ses yeux brillaient d'une lueur glaciale. Je pouvais deviner une certaine autorité dans son regard, une certitude qui trahissait son appartenance à un monde dont je n'étais qu'un intrus.Je me redressai, cherchant à masquer la nervosité qui commençait à m'envahir. « Qui êtes-vous ? » demandai-je d'une