Deborah traversa la rue, ses tennis crissant sur le gravier humide, l’air froid mordant ses joues. La maison de ses parents, avec ses murs de pierre et son toit couvert de neige fondue, semblait vide, presque étrangère. Elle poussa la porte, l’odeur de bois brûlé et de cire emplissant ses narines. La cheminée, dans le salon, rougeoyait faiblement, ses braises mourantes projetant une lueur vacillante. Elle ajouta une grosse bûche, le craquement du bois ravivant les flammes, un geste instinctif pour réchauffer cet espace qu’elle ne reconnaissait plus.Ses pas résonnèrent sur l’escalier alors qu’elle montait dans sa chambre, le cœur alourdi de souvenirs – des nuits passées à rêver de Paris, de Diego, d’une vie qu’elle n’avait pas osé saisir. Dans sa chambre, l’odeur de lavande et de vieux papier flottait, contraste saisissant avec le chaos de ses émotions. Elle attrapa son téléphone portable, écran fissuré, hors service, mais la carte SIM intacte. Dans le fond de son armoire, elle retrou
Deborah se tenait debout devant la vitrine de la bijouterie, les spots projetant des éclats éblouissants sur les alliances alignées dans leurs écrins de velours. L’odeur entêtante de parfum coûteux et de cuir neuf saturait l’air, lui donnant presque la nausée. Jonathan, juste derrière elle, si proche qu’elle sentait son souffle dans sa nuque, scrutait les bagues par-dessus son épaule. Sa présence, oppressante, la faisait bouillir intérieurement. Sans prévenir, il posa une main sur sa hanche, ses doigts s’enfonçant légèrement, un geste possessif qui la fit se raidir.— On prend des alliances, lança-t-il à la vendeuse, sa voix grave, autoritaire, sans un regard pour Deborah.— Toutes mes félicitations ! répondit la vendeuse, s’approchant avec un sourire crispé, déjà en route vers la vitrine.Jonathan se pencha, son parfum boisé l’enveloppant comme une cage, son souffle frôlant son oreille. Elle sentit un frisson involontaire, qu’elle réprima immédiatement.— Choisis une bague. Tout de s
– Deborah ! Ma beauté !La voix éclata dans la rue, claire et vibrante, portée par la brise matinale. Jonathan se retourna brusquement, son regard scrutant la foule affairée. Deborah fit de même, son cœur s’emballant légèrement. Devant elle, à l’entrée d’une boutique aux vitrines ornées de couleurs éclatantes, Diego se tenait là, un sourire radieux illuminant son visage. Lui, au moins, la trouvait à son goût.Diego nettoyait la devanture de sa boutique, un chiffon à la main, les manches de sa chemise retroussées révélant ses avant-bras hâlés. Il s’approcha avec une assurance désinvolte, ses mouvements fluides empreints d’une confiance naturelle. Deborah ne put s’empêcher de le trouver beau. Son jean épousait parfaitement sa silhouette élancée, et sa chemise blanche, légèrement déboutonnée, mettait en valeur son teint chaud. Ce mélange de simplicité et de charme brut était comme un rayon de soleil dans la grisaille de sa journée.– Tu es venue voir ma boutique ? Tu n’as pas perdu de te
Il leva les yeux vers sa pièce maîtresse, et Deborah sentit son cœur s’arrêter. Là, accroché au mur, un tableau grandeur nature la représentait, nue, dans une pose à la fois vulnérable et majestueuse. La peinture capturait chaque détail de son corps avec une précision saisissante, et son visage était parfaitement reconnaissable. Un souvenir fugace la traversa : la plage au crépuscule, le rire de Diego, le sel sur sa peau, ce moment où elle s’était sentie vivante, libre, comme si le monde entier lui appartenait. Elle manqua de s’évanouir, un rire nerveux s’échappant de ses lèvres.– Tu ne peux pas exposer ça ici ! s’exclama-t-elle, tentant de masquer son embarras. Je suis connue dans le coin, tout le monde va me reconnaître !Diego haussa les épaules, un sourire amusé aux lèvres, puis tourna son regard vers Jonathan avant de revenir à elle.– Tu te souviens, sur la plage ? On était juste toi et moi. Tu avais hésité à poser nue, mais tu as fini par dire oui.– Je ne pensais pas que tu l
Elle observa Diego, regrettant qu’il ait cédé si facilement. Une part d’elle aurait voulu qu’il tienne tête à Jonathan, qu’il garde le tableau comme un symbole de sa liberté passée.– Tu aurais dû ne pas lui donner, murmura-t-elle à Diego. Je suis sûr qu’il va le laisser traîner quelque part.Elle pensait que Jonathan était déjà sorti, mais il se tenait juste derrière elle, l’ayant entendue.– Non, je vais le mettre dans mon bureau, rétorqua-t-il, une pointe d’agacement dans la voix. C’est toi que je vais laisser traîner si tu continues !Diego les observa avec un mélange de curiosité et de malaise, tandis que Deborah se retenait de répliquer. Elle lança un dernier regard à son ami, puis suivit Jonathan à contrecœur.– Bon, je vous dis à tout à l’heure, lança Diego. Je descends le tableau, je le dépoussière un peu, et hop, il est à vous.– Merci, répondit Jonathan d’un ton neutre.Deborah et Jonathan quittèrent la boutique, laissant derrière eux une atmosphère lourde. Il lui prit la ma
.Elle marchait à pas lourds derrière Jonathan, ses bottes claquant sur le trottoir mouillé d’une ruelle étroite. Le vent froid s’engouffrait dans son manteau, mais elle ne frissonnait pas. Sa colère, brûlante et constante, suffisait à la réchauffer. Jonathan, devant elle, avançait avec une assurance qui l’exaspérait. Il l’avait conduite jusqu’à une petite boutique de robes de mariage, un endroit discret coincé entre deux immeubles délabrés, dont l’enseigne en bois, Éclats d’Amour, grinçait sous les bourrasques. Deborah leva les yeux vers ce nom, un rictus amer déformant ses lèvres. L’amour ? Une farce cruelle dans sa situation.À l’intérieur, l’air était étouffant, saturé d’une odeur de tissu neuf et d’un parfum de rose artificiel. Les murs, tapissés d’un papier peint défraîchi, étaient ornés de miroirs aux cadres dorés, reflétant une lumière tamisée qui donnait à la boutique une atmosphère oppressante. Deux employées, des femmes d’âge mûr aux sourires crispés, s’agitèrent dès leur ar
— Tu as fini ? demanda-t-il, la voix neutre.— Oui, répondit-elle sèchement. On peut partir.Il hocha la tête et se leva, réglant la robe sans discuter du prix. Deborah resta plantée là, les bras croisés, tandis que les vendeuses emballaient le vêtement dans une housse blanche pour la mettre de coté.Jonathan revint vers elle, un sac à la main, et lui tendit un petit manteau de fourrure qu’il avait choisi sans la consulter.— Mets ça avec, ça ira bien, dit-il.Elle le fusilla du regard mais prit le manteau, plus par lassitude que par envie de coopérer. Elle détestait céder, mais elle savait que résister à chaque détail ne ferait qu’épuiser ses forces. Et elle en avait besoin, de ces forces, pour ce qui l’attendait. Jonathan ne s’arrêta pas là. Alors qu’ils quittaient la boutique, il lui annonça qu’il avait pris rendez-vous chez le coiffeur pour samedi matin, à 8 heures. Deborah sentit une nouvelle vague de colère monter en elle. Il organisait tout, comme si elle n’était qu’une poupée
À peine la porte de la maison franchie, Jonathan se tourna vers Deborah, le visage fermé.— Ce soir, tu as intérêt à être gentille avec mes amis, dit-il, la voix tendue.Deborah explosa, incapable de contenir la rage qui bouillonnait en elle depuis des semaines.— Je m’en fous de tes amis ! Je m’en fous de toi et de ton connard de père !Jonathan se figea, ses yeux lançant des éclairs. Lentement, il s’approcha, sa voix basse et menaçante.— Répète, j’ai mal compris.— Tu as très bien entendu, cracha-t-elle. Ton connard de père et ses idées à la con ! Je vais te faire chier, tu ne peux pas savoir à quel point je vais te pourrir la vie.Il fit un pas de plus, retroussant ses manches. Deborah le défia du regard, certaine qu’il bluffait. Elle n’avait plus peur. Même une gifle, elle s’en moquait. Mais la tension montait, et elle sentait sa patience s’effilocher.— Retourne-toi et répète ce que tu as dit sur mon père, ordonna-t-il.— Je refuse de bouger.— Tu l’as dit ou pas ?— Non, je n’ai
Après ce moment tendu, ils se retrouvèrent dans un silence pesant. Flocon, sentant le malaise, s’assit entre eux, ses yeux ronds allant de l’un à l’autre, ses oreilles soyeuses légèrement inclinées comme s’il tentait de décrypter l’atmosphère. Sa queue, habituellement frétillante, reposait immobile sur le sol, trahissant son incertitude. Deborah fixait le sol, ses doigts crispés autour de la tasse vide, ses jointures blanchissant sous la pression. Chaque inspiration lui semblait lourde, comme si l’air de la cuisine s’était épaissi. Elle se mordilla la lèvre, un geste inconscient, tandis que son esprit s’emballait, oscillant entre la colère et une étrange vulnérabilité qu’elle refusait d’admettre. Le souvenir du baiser de Jonathan, ardent et insistant, lui brûlait encore les lèvres, et elle serra les dents pour chasser cette sensation.Jonathan, de son côté, s’appuya contre le comptoir, ses bras croisés sur son torse nu. Son visage, d’ordinaire si assuré, laissait entrevoir une ombre d
— Je suis juste en face de toi. Regarde-moi.Sa voix claqua doucement dans le silence, une injonction sans colère mais pleine d'attente. Deborah leva les yeux, lentement, comme si son regard pesait une tonne. Il était là, tout près, trop près. Elle sentit son souffle sur sa peau. Un frisson la traversa, aussi imperceptible qu’inattendu.Flocon, qui s’était roulé en boule non loin d’eux, redressa la tête, les oreilles frémissantes. Il s’approcha à pas feutrés, posant son museau contre le genou de Deborah, l'air inquiet.— Alors, tu n’es pas obligée de mentir. Si je ne te plais pas, dis-le.Elle cligna des yeux, la gorge sèche.— Je ne sais pas.— Tu hésites ?Elle secoua légèrement la tête, puis la redressa, le menton plus haut cette fois.— Non… Je me dis qu’au final, tu ressembles beaucoup à John. Ton père.Elle vit son expression changer. Subtilement. Juste un battement de cil un peu plus long, une tension au coin des lèvres. Elle savait que ça piquerait. Et pourtant, elle ne retira
De toute façon, il était plutôt sans filtres. Elle ne répondit pas et but son café d’un trait.— Je vais me doucher ! lui dit-elle en posant sa tasse dans l’évier.Flocon, sentant son départ, trottina derrière elle, mais elle lui fit signe de rester. Le chiot s’assit, la regardant partir avec un air plaintif. Elle prit soin de verrouiller les deux portes à clé.Elle se déshabilla, prit sa douche, se sécha et alla s’habiller dans la chambre. La maison semblait vide, et le silence n’était pas quelque chose qu’elle appréciait. Flocon, qui avait réussi à la suivre discrètement, s’assit au pied du lit, ses yeux suivant ses moindres gestes. Elle refit le lit ; la journée allait être très longue.Elle sortit de la maison et se rendit dans le jardin ; marcher un peu lui fit du bien. Flocon gambadait à ses côtés, reniflant l’herbe et poursuivant une feuille volante. Il ne faisait ni chaud ni froid. Le chiot, plein d’énergie, rapporta un petit bâton qu’il déposa fièrement à ses pieds, espérant
— On a quand même passé des jours ensemble quand tu étais jeune. Tu n’avais aucun avis sur moi ?— Aucun, je te l’ai dit. Tu n’existais pas pour moi !— Je pensais que tu m’évitais car je te plaisais !— Je ne t’évitais pas. Si tu m’avais plu, je ne t’aurais pas évité, crois-moi. Je n’ai jamais évité un homme qui me plaisait.— D’accord, je comprends. Dis-moi, est-ce que tu me trouves attirant physiquement ?— Je ne sais pas, je ne te juge pas vraiment sur ton apparence !— Toi, tu m’attires, Deborah Miller, mais ton caractère un peu moins. On travaillera là-dessus ensemble !Il lui caressa les fesses, et elle crut comprendre le message qu’il essayait de lui faire passer. Flocon, sentant un changement d’humeur, s’assit et les regarda tour à tour, comme s’il attendait une explication.— Tu m’as aussi fait mal, crois-moi, je ne pourrai pas dormir sur le dos ce soir ! Allez, je te laisse dormir.Il déposa un baiser sur sa joue avant de glisser ses lèvres dans son cou. Elle sentit des fri
Dans la nuit, Deborah sursauta. Une main la secouait doucement. Elle ouvrit les yeux, clignant un peu face à la pénombre, et reconnut le visage de Jonathan penché sur elle.À ses pieds, Flocon, petit chiot cocker aux oreilles soyeuses et au pelage crème, battait frénétiquement de la queue. Ses yeux ronds, pleins de lumière, brillaient dans l’obscurité. Il poussa un petit couinement, sautillant d’une patte à l’autre comme s’il sentait qu’il se passait quelque chose d’important.— Il t’est impossible de passer toutes tes nuits ici à dormir, viens ! souffla Jonathan, un demi-sourire aux lèvres.Déborah cligna encore, les yeux mi-clos, la bouche entrouverte, confuse. Elle se redressa lentement, comme tirée de la vase. Flocon trottina joyeusement derrière eux, ses petites pattes martelant le parquet dans un clic-clic discret mais régulier.Elle suivait Jonathan, les sourcils froncés, les bras croisés sous sa poitrine comme pour se protéger du froid... ou de lui. Le chiot la frôla, truffe f
— Taie-toi, Miller ! On a de la compagnie. Merci de ne pas me causer d’embarras.Il la plaqua contre le mur et murmura à son oreille :— Je pourrais recommencer ce qu’il y a eu tout à l’heure !Elle en eut le souffle coupé, un poids au cœur. Parfois, il lui faisait peur, mais cette fois, elle ne ressentait pas seulement de la peur.— Tu as compris ? demanda-t-il.Elle répondit timidement par un petit « oui ».— Je n’ai pas entendu, insista-t-il.— Oui, d’accord, je ne vais pas te mettre dans l’embarras.Il s’écarta d’elle et lui caressa le visage.— Merci, et tant qu’à faire, essaie d’avoir l’air amoureuse !— Ne m’en demande pas trop non plus !— Comment ?Il l’avait recollée contre le mur.— D’accord, mais recule, tu me fais mal ! lui dit-elle.Il recula et la regarda de la tête aux pieds, puis rit.— Ah oui, ton cul qui touche le mur, pardon !Elle eut envie de l’insulter, mais déjà il lui prenait la main pour l’entraîner vers la sortie pour retourner auprès de ses amis.Léa demand
Comme Jonathan lui avait dit, « On n’insulte pas les morts. »— Deborah, qu’est-ce qu’il y a ?Le visage plongé dans l’album photo, elle comprit soudain que les autres étaient revenus.Jonathans’accroupit à côté d’elle et tenta de récupérer l’album photo, mais elle refusait de le lâcher, d’autant plus qu’elle était restée à la page du baiser volé. Il tira plus fort qu’elle, regarda la photo et sembla surpris. Elle n’osa pas lever les yeux vers lui.Elle se releva brusquement, lui prit des mains.— Excuse-moi, dit-elle, j’ai eu un petit coup de blues. Revoir ton père m’a rappelé des souvenirs !Elle avait repris un ton neutre, rangeant l’album à sa place.— Ce n’est pas un problème, déclara Romuald. Il est normal de ressentir de la peine, tu étais proche de lui, c’était presque comme un second père, non ?— Certainement pas ! Pardonnez-moi, je vais juste me rafraîchir le visage un instant !Jonathanla regardait froidement, apparemment, il n’avait plus envie de jouer les copains.La phot
À peine partie, elle se leva et se dirigea vers la grande bibliothèque, cette fameuse bibliothèque qui l’avait toujours fascinée avec tous ses livres. Elle l’ouvrit. C’est sûr que son parrain, là, devait se retourner dans sa tombe, mais bon, c’était quand elle était petite.Elle vit un album photo et l’attrapa, l’ouvrit et tomba sur une photo de la mère de Dean, une femme d’une grande beauté, une brune aux yeux bleus. Elle n’avait pas trop compris leur histoire, mais sa femme l’avait quitté lorsque leur fils était petit ; elle n’avait en fait aucun souvenir de cette femme. Elle tourna la page : il y avait des photos de leur mariage. La mariée avait l’air renfrogné et soudain, elle se demanda si le mariage n’aurait pas été arrangé également. La femme avait l’air tellement triste sur les photos ! Elle continua à tourner les pages, toujours le mariage, toujours le même visage attristé. Ensuite, ce furent des photos de la naissance de leur fils. Elle ne souriait toujours pas. Elle avait à
Deborah était ailleurs, perdue dans un océan de pensées. Flocon, blotti sur ses genoux, ronflait doucement, son pelage chaud un refuge contre la tempête intérieure. Elle avait failli parler, dire ce qui la consumait : son art, ce besoin vital que son père balayait d’un revers de main, un « hobby » indigne de sa lignée. Mais à quoi bon ? Léa, Romuald, Jonathan – ils ne comprendraient pas. Ils voyaient une Deborah sage, celle qui suivait les règles, pas celle qui rêvait en couleurs.— Tu quoi ? demanda Léa, un sourire espiègle.— Rien, murmura Deborah, ravalant ses mots. Laisse tomber.Romuald, intarissable, enchaîna :— T’as entendu ? Diego est de retour ! Il a une boutique d’art en ville. J’y suis passé, il a demandé de tes nouvelles. Il hallucinait qu’on se voie plus !Diego. Le nom claqua comme un coup de fouet. Diego, son premier amour, celui qui lui parlait de Paris, de toiles infinies, de vie sans chaînes. Elle soupira, et Jonathan, sentant son trouble, glissa derrière elle, ses b