Je bats des paupières. Des barreaux me font face. Je suis allongée sur de la terre, mais pas de couleur marron. Celle-ci est grise, comme cendrée. Je tente de me relever, mais je suis vite arrêtée par les chaînes qui me retiennent par les chevilles. Je tire dessus en essayant de rassembler ma force de Gémone, mais rien ne se produit. Je me sens faible. Pourtant, je recommence. Je sais que j’en suis capable. Je l’ai déjà fait.
— Ev’, ça ne sert à rien.
J’arrête mes vains efforts et tourne la tête à gauche en écarquillant les yeux de surprise. Matt, Edden, Sean, Lacnas. Ils sont tous là. Avec moi.
— Qu’est-ce que vous faites ici ? les questionné-je. Je croyais que Mélodie ne voulait avoir affaire qu’à moi !
— Il faut croire que sa vue a quelque peu baissé, me répond Sean en haussant les épaules. Je lui offrirai des lunettes à son anniversaire !
— Attends, attends, je suis en train d’imaginer la Démone avec de grosses lunettes rondes, ricane Matt. Elle serait beaucoup moins flippante ! On se cotise ? Peut-être que si on lui offrait un cadeau, elle nous laisserait sortir !
Les garçons sont morts de rire. Moi, je suis perdue. Comment peuvent-ils réussir à faire de l’humour dans une telle situation ? Lacnas pousse un gros soupir. Edden se lève pour venir me rejoindre.
— Tu n’as pas de chaînes ? m’exclamé-je.
— À part toi, aucun de nous n’en a, dit-il en s’asseyant à mes côtés.
Je fronce les sourcils et observe les chevilles des garçons. Le Fidèle a raison. Je suis la seule à profiter de ce traitement de faveur.
— Pourquoi est-ce que je n’arrive pas à m’en défaire ?
— Ce lieu nous retire toute énergie. Matt et Lacnas ne peuvent pas se transformer et quant à toi, si tu ne parviens pas à t’en libérer, c’est sûrement parce que cette prison n’a pas qu’un impact sur les métamorphes. D’une manière ou d’une autre, il doit te pomper tes pouvoirs.
— Visiblement, Mélodie a tout de même pris ses précautions.
Je repose ma tête contre la roche juste derrière.
— C’est quoi, cet endroit ?
— Je n’en suis pas très sûr, murmure Edden.
Il me fait signe de regarder à l’extérieur. Des barreaux me font face. Tout ce que je perçois de l’environnement autour de nous, c’est une terre cendrée et un ciel rouge sang.
— On est sur une autre planète ?
Le Fidèle secoue la tête.
— Non. J’ai déjà entendu parler de ce ciel rouge, notamment par l’intermédiaire des histoires que me racontait ma mère avant d’aller dormir.
— Pourquoi ai-je l’impression que c’était plutôt le genre d’histoire à te donner des cauchemars ?
— Parce que ça l’était, confirme-t-il, son regard vert observant l’extérieur craintivement. C’est un lieu mythique à Réturis. Personne ne l’a jamais vu de ses propres yeux. On raconte que sans cet endroit, le royaume ne pourrait pas exister… mais ce ne sont que des histoires.
— On pensait pareil d’Ataraxia, et pourtant, la grotte était bien réelle. Comment s’appelle cet endroit ?
Edden réfléchit quelques secondes.
— Je ne sais plus vraiment, quelque chose en rapport avec le milieu de Réturis… son centre… son…
— Cœur ! s’exclame une voix féminine.
Les rires des garçons cessent aussitôt. Lacnas émet un grognement sourd. Je plonge mon regard dans celui, amusé, de Mélodie. C’est bien elle. Pas d’Isaac à l’horizon. Son visage nous fait face. Elle le positionne entre les barreaux, un grand sourire aux lèvres, les yeux pétillant de malice. Elle a sincèrement l’air de se réjouir de notre situation. Ses longs ongles rouges viennent cliqueter sur les barreaux d’acier.
— Vous êtes au Cœur de Réturis. Et en effet, sans lui, le royaume ne tiendrait pas debout. En revanche, laisse-moi te corriger sur une chose, Edden.
Ce dernier déglutit.
— Certains l’ont déjà vu de leurs propres yeux. Plusieurs, en réalité. Ils n’en sont simplement jamais ressortis vivants, ricane Mélodie.
— Et qu’est-ce qu’on vient faire ici ? lui demandé-je, exaspérée.
Elle lève les yeux au ciel.
— Vraiment, Evalina ? Après toutes les discussions que nous avons pu avoir, tu remets ça ? Les questions ? Dis-moi ce que tu n’as pas compris dans « chaque chose en son temps », épelle-t-elle distinctement.
Je serre les poings de colère. Elle me sourit de façon arrogante, puis recule son visage pour avoir un aperçu plus grand de cette cavité exiguë dans laquelle elle nous retient. Elle porte de petits diamants rouges aux oreilles. Ses ongles viennent en caresser la surface, tandis que son regard se pose sur Lacnas. Ce dernier grogne toujours. Ses yeux luisent d’une intense lueur verte dans la pénombre.
— Ouh, la panthère a envie de sortir chasser ? le provoque Mélodie. Si mon ancêtre n’a pas pu sortir vivante de cet endroit, tu penses qu’un métamorphe, aussi puissant soit-il, sera capable d’accomplir cet exploit ?
Lacnas lui montre les crocs en guise de réponse. Mélodie secoue ses cheveux bruns.
— Une prochaine fois, mon minou.
Lacnas se lève d’un bond. Il fend la cavité si vite que la Démone n’a pas le temps de reculer. Il empoigne son cou à travers les barreaux. Ses yeux luisent encore plus intensément. Ses griffes sont sorties, et du fin fond de sa gorge, il pousse un hurlement à en faire fuir la totalité des animaux de ce royaume. Mélodie ferme brusquement les yeux. Peut-être n’aurait-elle pas dû sous-estimer le métamorphe.
— D’après toi, est-ce que j’ai toujours l’air de ressembler à un minou ? lui crache-t-il au visage.
Une poigne ferme s’enroule autour du poignet de Lacnas. Elle est si puissante que le métamorphe se voit obligé de lâcher prise. Dans un râle de douleur, il recule et braque un regard incendiaire sur l’individu responsable. Isaac.
— Garde tes griffes pour toi, Lacnas.
Les pupilles de ce dernier se contractent de curiosité.
— Alors c’est toi, Isaac ? Le mec qu’on est supposés sauver ?
Mon cœur bat à mille à l’heure. Le simple fait de revoir Isaac me procure une vague de sentiments difficilement compréhensible. Mais après ce que j’ai appris à propos de Kierân, je crois que je suis tout à fait apte à faire face à n’importe quoi. Isaac hoche la tête en guise de réponse.
— Juste une question, t’es avec nous ou avec elle ? articule Lacnas, offrant un regard dédaigneux en direction de Mélodie.
Isaac ouvre la bouche, mais sa sœur jumelle le devance :
— Quelle importance puisqu’il n’y aura bientôt plus de camps...
Sean relève la tête.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
Mélodie sourit. Elle l’ignore superbement et tourne son visage vers le mien.
— Comment va ma meilleure amie ?
J’ai envie de lui faire bouffer ses mots, mais ça ne rimerait à rien. C’est justement ce qu’elle attend. Je ne vais pas lui donner ce plaisir.
— Pas très bien, n’est-ce pas ? insiste-t-elle. Je t’ai récupérée bien mal en point, tu sais. Tu étais tellement au fond du trou que tu n’as même pas cherché à te défendre ! Tes amis m’ont donné plus de fils à retordre que toi. Alors j’aimerais bien savoir, dit-elle en agrippant brusquement les barreaux, ce qui t’a mise dans un tel état.
J’échange un regard discret avec Matt.
— Le temps où tu t’inquiétais pour moi est révolu, Mélodie.
Elle claque ses talons contre la terre.
— Je n’ai plus le droit de me faire du souci pour toi ?
Je tire brutalement sur les chaînes. Puisque je ne peux pas passer ma colère sur la Démone, autant que je la passe sur ce qui me retient prisonnière.
— Arrête de jouer à ça. Tu m’as déjà prouvé, et bien plus d’une fois, que tu n’en as rien à faire de moi ! Que tu tiens même à tenir mon cadavre entre tes mains, alors cesse ton petit jeu ! Tu es toujours au courant de tout, pourquoi continuer à faire semblant ?
Mélodie hausse les sourcils en se raclant la gorge. Ses yeux marron font le tour de la petite cavité.
— Tu as raison, fini les faux-semblants.
Mais quelque chose ne tourne pas rond. Mélodie est mal à l’aise. Je la connais suffisamment pour pouvoir en être sûre.
— En fait, tu n’en as vraiment aucune idée… Voyez-vous ça, rigolé-je. Alors, Mélodie, ça fait quoi d’être ignorante ? Ça doit chambouler un peu tes habitudes, hein ?
Ses mains se resserrent sur les barreaux. Ses yeux virent au rouge, et je comprends soudainement comment nous allons nous sortir de là.
— Que tu ailles bien ou que tu ailles mal, ce n’est pas mon problème. Je posais simplement la question pour tuer le temps, rien de plus.
— Tuer le temps ? Tu n’as vraiment rien d’autre à faire de tes journées que de ramener quelques prisonniers et les torturer ?
Mélodie éclate de rire.
— Non, Evalina, effectivement, ce n’est pas la seule raison. Il y a quelque chose qui t’attend. Juste derrière. Mais ce n’est pas encore prêt, alors je me suis dit, pourquoi ne pas leur faire la conversation ?
— Qu’est-ce que tu vas lui faire ? articule Edden, les yeux plantés dans ceux de Mélodie.
Cette dernière l’observe silencieusement. Quelques secondes s’écoulent avant qu’elle ne se décide à déclarer :
— Je ne vais rien lui faire. Je veux juste lui montrer quelque chose.
D’un claquement de doigts, elle fait apparaître des chaînes autour des chevilles des garçons et me libère des miennes. Puis d’un mouvement du poignet, les barreaux s’effacent pour me permettre de sortir. Je me relève, chancelante, mais Edden me rattrape avant que je ne rejoigne la terre cendrée. Étrangement, il n’est pas prisonnier comme les autres. Je pose une main sur mon front. Je me suis rarement sentie aussi faible. Cette prison ne se contente pas de me retirer mes pouvoirs, elle me retire également toute énergie. Je m’empresse d’en sortir en compagnie d’Edden. Il me lâche dès que je pose un pied à l’extérieur. Mélodie ne l’a bizarrement pas enchaîné, malgré tout, il sait que tenter quelque chose lui coûterait très cher. Alors il reste là, dans cette grotte exiguë, ses yeux verts inquiets posés sur ma silhouette fatiguée.
— Avant de t’en aller, j’ai une petite question ! s’exclame soudainement Matt.
Mélodie hausse un sourcil. Sean flanque un coup de coude dans les côtes du caméléon, mais ce dernier a bien l’intention de terminer sur sa lancée.
— T’es plutôt lunettes ou lentilles de contact ?
Je manque me frapper le front contre les parois de la grotte.
— Vous êtes tous aussi stupides les uns que les autres, soupire Mélodie.
Elle pointe l’index en direction du Fidèle, ouvre la main, et la ramène brusquement vers elle. Edden est projeté en avant.
— Voyons, Edden, je ne t’ai pas laissé en parfaite maîtrise de tes mouvements pour que tu te contentes de rester dans cette prison… Tu viens avec nous, annonce-t-elle, tout sourire.
Le Fidèle la regarde, les yeux écarquillés et la bouche entrouverte. Mélodie se rapproche de lui. Je tente de l’en empêcher, mais d’un simple regard, elle me fige sur place. Je suis littéralement incapable d’effectuer le moindre mouvement. Elle poursuit son chemin vers Edden, sa robe rouge laissant une longue traînée dans la cendre. Il n’ose pas bouger. Doucement, Mélodie approche sa main de son visage. Ses ongles viennent érafler sa joue, arrachant un rictus à ce dernier. Mélodie dégage tant de force et de fascination qu’il ne parvient pas à la regarder dans les yeux. Si elle cherche à le terroriser, c’est réussi. Le pauvre ne trouve même plus la force nécessaire pour reculer. Mélodie ne cesse de sourire. Ses doigts descendent le long du visage d’Edden. Caresse son menton. Agrippe brutalement sa mâchoire. Le Fidèle est pétrifié sur place. Le rapport de taille a beau être en faveur d’Edden, le rapport de force est clairement du côté de Mélodie. Cette dernière le contemple d’une manière qui ne me dit rien qui vaille.
— Désolée, articule-t-elle avant de le relâcher et de lui tourner le dos, un sourire perfide accroché au visage.
Edden est complètement perdu. Mon ventre se tord de douleur. Mélodie ne s’excuse jamais. À moins que ça ne fasse partie de son petit jeu… Elle prévoit quelque chose. Quelque chose qui concerne Edden, et mon instinct sait que ce n’est pas bon. Je peux presque sentir la peur du Fidèle suinter de tout son corps. Peut-être que la Démone veut tout simplement jouer, rien de plus. Et la seule chose qui me traverse l’esprit, là, maintenant, c’est d’aller le rassurer. Malheureusement, je suis incapable de faire le moindre mouvement.
Du moins, je l’étais avant qu’une main se glisse dans la mienne. Mon corps est brusquement libéré. Par ce simple petit contact. Sa simple présence. Il est derrière moi. Je peux sentir sa chaleur envelopper la mienne. La force qu’il dégage est nettement plus développée que celle qu’il avait l’habitude de montrer. C’est comme s’il ne voulait plus se cacher. Qu’il avait enfin décidé de s’affirmer, tel qu’il est vraiment. Quelque chose a changé et je n’ai même pas besoin de me retourner pour le constater. Je le sens. Mais ce n’est pas mauvais. Bien au contraire. Sa main se détache de la mienne et remonte, lentement, le long de mon bras. J’entrouvre les lèvres. Sûrement pour prononcer un mot, une phrase, mais rien ne me vient à l’esprit.
— Si j’y étais autorisé, je te dirais que tu m’as manqué, murmure-t-il.
Sa voix. Grave, profonde, elle me revigore. Elle me redonne l’énergie que je désespérais tant de retrouver. Elle gonfle mon cœur d’un espoir que je pensais avoir égaré dans ce royaume de fou.
— Mais je n’ai pas le droit de désirer ces mêmes mots de ta part. Pas après ce que j’ai fait.
Le poids de sa culpabilité et de ses remords est bien trop important pour être ignoré. Je me retourne et attrape son poignet avant qu’il n’ait le temps de s’éloigner de moi. Je lève mon regard sur son visage, endurci par ces mois passés à la dure. Ses traits sont différents. Plus marqués qu’auparavant. Une légère barbe vient y rajouter de la sévérité. Sa douceur. C’est sa douceur qui s’est envolée. Il paraît plus sûr de lui. Plus confiant, plus mature, mais pourtant meurtri jusqu’à l’os. Ses yeux chocolat sont la seule source de douceur qu’il a conservée. Ce sont toujours les mêmes. Ou presque. J’y décèle une pointe de douleur. Une souffrance à laquelle je n’ai pas accès et pour laquelle je ne peux rien faire. Isaac a vécu des mois qui me sont totalement étrangers. Et que je ne pourrai jamais rattraper.
— Tu es différent.
Il esquisse un douloureux sourire.
— C’est toujours moi, Evalina.
Je touche son visage du bout des doigts, et je suis fascinée par la façon dont ses traits s’adoucissent automatiquement.
— Je sais. Mais tu n’as jamais montré cette partie-là de toi. Tu as préféré la cacher parce que tu pensais que ça te permettrait de repousser ce que tu es et peut-être paraître plus inoffensif que tu ne l’es en réalité. Mais elle te va bien, Isaac.
Ce dernier écarquille les yeux.
— Tu n’as pas besoin de la cacher, ajouté-je.
— Mais la révéler revient à assumer ce que je suis.
— Tu es un Démon, et alors ? Qu’est-ce que ça peut faire ? Tu es toujours le même Isaac à mes yeux.
Il m’observe d’une tendresse qui n’appartient qu’à lui. Peu importe qu’il soit un Démon, ce n’est pas la fin du monde. En réalité, nous sommes à peu près pareils. Il n’existe qu’une mince frontière séparant les Gémones des Démones. Son côté dangereux est simplement plus élevé que le mien, mais il l’a maintenu terré durant des années. Il a appris à le contrôler. Bien plus que Mélodie n’en sera jamais capable. Alors je n’ai pas peur de lui.
— On… je… je ferais mieux de te ramener vers Mélodie, déglutit-il.
Cette bulle qui s’était installée autour de nous éclate en mille morceaux. Le paysage m’apparaît tel qu’il est. Une terre cendrée, un ciel rouge sang, un épais brouillard blanc au-dessus de nos têtes, des rochers tranchants un peu plus loin et des carcasses jonchant la terre à plusieurs endroits. Aucune trace de Mélodie ou bien d’Edden. Mon cœur s’emballe de panique. Isaac pose une main sur mon épaule.
— Elle ne lui fera rien.
Sa capacité à interpréter mes émotions est toujours aussi déroutante qu’au début. Je fronce les sourcils.
— C’est de Mélodie dont on parle.
— C’est ma sœur. Et elle n’est pas aussi monstrueuse qu’elle le prétend.
Je suis surprise par la façon dont il s’est exprimé. C’est la première fois que je l’entends déclarer aussi solidement que Mélodie est sa sœur. Il n’a plus peur de ces mots. Il les assume. Et cela me pousse à m’interroger sur sa relation avec elle. La considère-t-il désormais pleinement comme sa sœur jumelle ? Je n’aime pas cette impression qui me ronge la peau. Celle d’avoir manqué des choses. Beaucoup de choses. Je veux rattraper ce temps perdu, mais il continue à courir, à fuir, loin, très loin, et je suis trop lente pour l’atteindre. Parce qu’il est déjà trop tard.
— Je dois t’emmener auprès d’elle, insiste Isaac.
Sa pression sur mon épaule se fait plus pesante.
— Sinon quoi ?
— Elle risque d’invoquer la fusion, dit-il en retirant sa main. Je ne peux rien faire pour lutter contre. On te forcera à rejoindre ce qu’elle désire, et crois-moi, c’est une éventualité que je ne veux pas affronter. Mais je n’aurai pas le choix.
— Je suis donc obligée de lui obéir. Quelle merveilleuse sœur elle fait ! ricané-je.
D’un petit mouvement de tête, Isaac me fait signe de le suivre. De la cendre s’élève à chaque pas que nous faisons. J’ignore si ce sont là de vraies cendres ou simplement de la terre grise. Très franchement, je ne tiens pas à le savoir. Cet endroit est un vrai paysage d’horreur. Il devrait me faire froid dans le dos, pourtant je n’éprouve rien d’autre que de l’intérêt à son égard. Il éveille ma curiosité et me procure un étrange sentiment de bien-être.
— Isaac ?
Ce dernier continue d’avancer, mais tourne la tête pour me faire savoir que j’ai toute son attention.
— Si nous trouvons un moyen de te sortir de cette situation, est-ce que tu l’accepterais ?
J’accélère un peu l’allure pour me caler à ses côtés, au même pas que le sien. Je me sens quelque peu mal de lui avoir posé cette question, mais je dois savoir. Je dois savoir si Angie a raison. Il prétend qu’Isaac a rejoint Mélodie. Qu’il n’y a plus d’espoir pour lui, qu’il a changé, qu’il ne veut pas être sauvé… et ça me ronge de l’intérieur. Lacnas s’est essayé à cette question un peu plus tôt, utilisant des mots plus crus, et n’a pas obtenu de réponse. C’est ce qui m’inquiète.
— Tu me demandes si je suis capable d’arrêter ma sœur et de participer à l’élaboration de son meurtre ?
Je déglutis. Ce n’était pas vraiment ma question, mais en réalité, sa reformulation est bien plus proche de la réponse tant espérée.
— Je veux l’arrêter, Evalina. J’ai conscience qu’elle ne peut pas continuer à faire ce qu’elle fait. Mais je ne veux pas la voir mourir, avoue-t-il d’une voix étrangement brisée.
— Tu ne penses pas qu’elle le mérite ?
Isaac s’arrête brusquement.
— Ce n’est pas à nous de décider de ça, Evalina.
Même si ma tête me chuchote qu’il a raison, mon cœur me crie qu’il a tort. Que Mélodie mérite de mourir. Que la seule façon de s’assurer que plus personne ne souffrira par sa faute, c’est de la tuer. Que sa mort nous délivrera tous. Et je suis presque choquée par mes pensées. Avant Zéphyr, je pouvais entrevoir cet espoir auquel s’accroche Isaac. Mais après la mort de mon ami, tout s’est écroulé. Je n’ai plus qu’un seul désir depuis ce jour. Celui de la voir mourir.
— Alors quoi ? Tu comptes l’enfermer quelque part en espérant qu’elle soit brusquement frappée par un éclair de bon sens ?
— L’enfermer !? s’écrie-t-il en pivotant vers moi. Tu penses qu’elle ne l’a pas été assez ?
— Mis à part à la Chronosée, je ne me souviens pas que Mélodie ait été emprisonnée quelque part. Et ce n’est pas comme si elle y était restée longtemps.
— L’enfermement n’est pas forcément physique, me contredit-il. Il peut aussi être mental.
— Mental ?
— Laisse tomber, Evalina ! Isaac peut parfois se montrer très incompréhensible dans ses propos, ricane Mélodie. Ignore-le.
Je plisse les yeux pour tenter d’y voir plus clair à travers ce brouillard blanc. J’aperçois une main se lever. Quelques secondes plus tard, elle dissipe le brouillard autour de nous, et je découvre Mélodie, assise sur un amas de rochers. Derrière elle, un gouffre. Un énorme gouffre. Je suis attirée par ce dernier. Terriblement attirée. Mon corps avance de lui-même. Mon cerveau n’envoie aucun signal, strictement aucune indication, et pourtant j’avance, un pied devant l’autre vers cet immense fosse qui se présente face à moi. Je m’arrête au bord et mes yeux s’écarquillent d’épouvante. La profondeur de cet énorme trou me donnerait presque le vertige alors que je n’y suis pourtant pas sujette. Mais ce qu’il y a en contrebas… C’est de la lave en ébullition. J’avance d’un pas supplémentaire et une poigne ferme s’enroule autour de mon bras.
— Recule, Evalina. Cet endroit est beaucoup trop dangereux.
Je déglutis. Edden a raison. Je suis d’ailleurs contente qu’il n’ait rien. Isaac n’a donc pas menti. Je recule, non sans un étrange petit pincement au cœur. Je ne me comprends pas. Je brûle d’un désir nouveau. Je suis complètement absorbée par ce gouffre. J’ai envie de toucher ces flammes que je vois crépiter au fond.
— Tu le ressens aussi, n’est-ce pas ?
Je tourne la tête vers Mélodie.
— Cet appel. Pour toi comme pour moi, il est tout aussi puissant. Tu sais pourquoi ?
— C’est ici qu’elles sont nées, deviné-je.
— Tu as révisé tes leçons ? Étonnant, rigole-t-elle.
Elle fait un mouvement sec du poignet. Edden se retrouve complètement à sa merci. Elle le tient par la gorge, tandis que le reste de son corps est nonchalamment assis sur ce rocher recouvert de terre cendrée. Je fais un pas en avant, mais elle rapproche Edden du bord du gouffre. Ce dernier écarquille les yeux de panique et s’agrippe brusquement aux bras de la Démone.
— Evalina, la première Gémone, est née de cette lave. C’est ici même qu’elle est retournée pour confectionner Eléana, sa sœur jumelle. Tu ne trouves pas ça incroyable ? murmure-t-elle, les yeux luisant d’un rouge imprévisible. Nous sommes précisément là où tout a commencé. Toute cette folie. Cette quête insensée de pouvoir et de destruction. Tout a débuté ici même.
— Je ne suis pas contre des explications sur le commencement de Réturis, Mélodie, mais d’abord, éloigne Edden de ce gouffre !
Son index manucuré de rouge tapote ses lèvres en guise de réflexion. Elle me sourit et lève le bras. Edden est soulevé de terre par la gorge. Il s’accroche désespérément à Mélodie, qui éclate d’un rire démoniaque.
— Désolée, ce n’est pas dans mes cordes.
Elle se relève, s’approche du gouffre et y pousse le Fidèle. Je laisse échapper un cri d’épouvante. Mélodie ricane et le remonte par la seule force de ses doigts. Elle promène Edden au-dessus de la cavité, au-dessus de cette lave en fusion, souriant au simple fait de détenir sa vie entre ses doigts. Elle baisse la main, et Edden commence à plonger dans le gouffre. Puis elle le remonte de nouveau.
— À quoi tu joues, Mélodie ? Repose-le à terre !
— Seulement si tu acceptes de m’écouter.
Elle recommence alors sa torture, faisant crier de nouveau Edden.
— Mais je t’écoute ! Je suis tout ouïe, dis-moi juste ce que tu veux !
— Ce que je veux ? Ton entière et complète attention.
— Tu l’as ! m’écrié-je, le cœur affolé.
Mais elle continue à balader Edden au-dessus du gouffre.
— J’ai dit que je t’écoutais ! hurlé-je.
Elle lâche alors la poigne qu’elle exerçait sur le Fidèle, qui disparaît brusquement de mon champ de vision. Je me précipite vers Mélodie.
— Non, non, non, mais t’es folle ! Qu’est-ce que tu fais ? Je t’ai dit que tu avais toute mon attention ! Remonte-le ! Remonte-le, Mélodie, s’il te plaît !
— Je ne suis pas folle, Evalina. Ma réalité est simplement différente de la tienne.
Mon cœur est sur le point d’exploser de rage. C’est tout ce qu’elle trouve à dire dans un moment pareil ?
— Ce n’est pas un jeu Mélodie, remonte-le !
— Promets-moi d’abord que tu accepteras la contrepartie.
— D’accord, très bien ! Peu importe ce que tu attends de moi, j’accepte ! Mais s’il te plaît, fais-le juste remonter ! Edden n’a rien à voir avec tout ça !
Mélodie sourit et d’un claquement de doigts, Edden réapparaît sur la terre ferme. Je m’agenouille à ses côtés et attrape son visage, terrorisée. Il pose ses mains sur les miennes. Ses yeux verts me regardent avec une tendresse que je ne lui connaissais pas.
— Je vais bien, Evalina. Mélodie ne fait que jouer avec toi. Ne tombe pas dans le piège. Peu importe ce qu’elle te demande, si je dois y passer pour que tu lui survives, alors laisse les choses se faire. Ce n’est pas moi qui suis important, ici.
— Edden, mais qu’est-ce que tu racontes ? Tu es tout aussi important que le reste d’entre nous ! Je ne la laisserai pas faire de toi ce qu’elle veut !
— Les Surnaturels ont été créés pour protéger la Gémone. C’est mon rôle de te défendre contre le mal. Nous sommes tous prêts à mourir pour toi, ce n’est pas quelque chose contre lequel tu peux lutter. Je suis fidèle à cette tâche qui m’a été confiée et je le resterai jusqu’au bout.
Il est affreusement sincère. Sa dévotion me coupe la respiration. Les Surnaturels ont été créés pour défendre la Gémone, certes, mais c’était la première. C’est elle qui a mis en place ce système. Rien ne force sa descendance à suivre ses pas. Et ce dont je suis sûre, c’est que je refuse de voir Edden – ou qui que ce soit d’autre – mourir pour me protéger. Rompant le contact avec lui, je fais face à Mélodie et articule :
— Qu’est-ce que tu veux ?
Son regard reprend sa couleur habituelle. Son sourire perfide se dessine sur ses lèvres rouge sang. Je jette un coup d’œil discret en direction d’Isaac, non loin derrière elle. Toute sa souffrance me submerge d’une façon si violente que je suis obligée de détourner le regard pour en ressortir indemne. Il crève d’envie de nous aider, mais ce n’est pas l’intention de sa sœur jumelle. Il reste bloqué, incapable de nous venir en aide. Il faut que je brise ce lien.
— Je veux que tu me rejoignes, déclare Mélodie.
— C’est une blague ? Encore ça ?
Mélodie fait apparaître son instrument de prédilection entre ses mains.
— Ce n’est pas une blague, Evalina. Je suis sérieuse. Je n’ai pas envie de te tuer, tu es bien trop importante.
Elle remonte les mains le long de sa fourche électrisée.
— Enfin, j’ai déjà voulu te tuer, je le reconnais ! rigole-t-elle. Mais c’était avant ! Maintenant, je réalise à quel point tu es importante, et surtout, à quel point tu t’es améliorée ! Il n’y a qu’à te regarder pour comprendre que tes entraînements ont porté leurs fruits. Tes pouvoirs sont puissants, te tuer serait du gâchis.
Elle baisse les yeux sur Edden, toujours agenouillé sur la terre cendrée.
— Si tu refuses, je peux définitivement le laisser tomber. Ce ne sera pas une très grande perte, ce n’est pas comme s’il était important.
Je serre les poings de colère.
— Edden n’est pas un jouet avec lequel tu peux t’amuser comme bon te semble ! C’est une véritable personne, au cas où tu ne l’aurais pas remarqué ! Une personne avec un cœur qui bat, des amis et une famille qui tiennent à lui. Tout ça ne signifie rien, pour toi ?
Mélodie m’adresse une grimace haineuse et reprend Edden entre sa main droite. Le pauvre n’a d’autres choix que de s’agripper de nouveau à son bras. Si seulement la prison ne m’avait pas vidée de mes pouvoirs. Je suis à la merci de Mélodie. Je refuse de regarder le Fidèle tomber pour mourir dans ce gouffre. Tout ce que je peux faire pour éviter ça, c’est d’accepter la requête de la Démone. Angie nous retrouvera. Il nous retrouvera avant que ce ne soit trop tard. Je dois lui faire confiance, à lui, et aussi aux Surnaturels.
— Tu sais, reprend Mélodie, je peux parfaitement mettre fin à ce suspense et en piocher un autre dans la prison.
— Ne… l’écoute pas, articule tant bien que mal le Fidèle.
— Si je n’accepte pas, elle te jettera dans les flammes sans aucune hésitation ! Et ensuite, ce sera au tour de Sean ! De Matt ! Et de Lacnas ! Je ne peux pas laisser faire ça !
— Mais elle a raison, je ne suis pas important ! Toi, tu l’es ! Le royaume entier compte sur toi !
Je secoue la tête.
— Tout ce que tu as à faire, c’est de la toucher…, murmure Mélodie, me présentant sa fourche d’un geste étonnamment hésitant.
Comme si me la laisser lui crevait littéralement le cœur. Je fixe cet instrument de torture, la main en suspension, consciente de tout le mal que cette fourche a déjà causé. C’est elle qui a lié Isaac à Mélodie. Physiquement, et maintenant mentalement. C’est sûrement elle qui leur permet de fusionner. C’est elle qui contient les pouvoirs des Surnaturels et c’est par elle que Zéphyr a rendu son dernier soupir. C’est la clé. Quelqu’un doit détruire la fourche. Mais je doute que cela ne se fasse sans un quelconque pouvoir. Jamais Mélodie ne me la tendrait si elle n’était pas sûre que je sois inoffensive.
— En effet, je ne suis pas aussi stupide que toi ! ricane-t-elle.
J’écarquille les yeux. Le pouvoir d’Angie. Elle vient de lire dans mes pensées et ça me rend malade. Qui aurait cru qu’un jour je regretterais que ce pouvoir n’appartienne plus au Leader ? C’est sa propriété. Son essence. Une partie de lui que la Démone n’a pas hésité à lui arracher. La rage me brûle le ventre.
— C’est une bonne chose, me sourit-elle. La colère et la fourche sont deux éléments qui vont de pair.
Edden tente de me dissuader à nouveau de cette folie, mais Mélodie ne lui en laisse pas le temps. Elle resserre sa poigne autour de son cou sans me quitter un seul instant du regard.
— Qu’est-ce qui va m’arriver ?
— Pas grand-chose pour le moment, avoue-t-elle. Mais la fourche déclenchera quelque chose en toi. Tu ne le sentiras pas immédiatement, c’est au fil des jours qu’elle fera son œuvre.
Je déglutis. Ce n’est pas rassurant, mais je ne m’attendais pas à ce que ce soit une partie de plaisir. Même si cet instrument de torture m’intrigue. Je n’ai pas spécialement peur de le toucher. En réalité, j’ai presque hâte. Je veux des réponses, et aussi bizarre que cela puisse être, j’ai l’impression que la fourche m’en apportera.
— Elle n’est pas obligée de subir ça, intervient soudainement Isaac, toujours en retrait.
— Non, mais ça lui donnera le coup de pouce nécessaire.
Mélodie soulève Edden de terre. Ni une ni deux, je me précipite sur la fourche et l’agrippe fermement de mes mains. Une lumière rouge aveuglante s’en échappe et s’empare brutalement de mon corps. Mon esprit me hurle alors de lâcher cet instrument de torture. Mais c’est trop tard. J’aspire la lumière sans comprendre comment. Je la sens voyager à travers mes muscles, parcourir mes veines à une vitesse fulgurante, s’enrouler autour de chacun de mes organes, fortifier mes os, fracasser ma cage thoracique et atteindre férocement mon cœur. Je lâche la fourche et m’écroule, genoux à terre. C’est une sensation que je n’avais encore jamais éprouvée jusqu’à maintenant. La lumière fait ressortir cette rage que je m’efforce de garder enfermée à l’intérieur de mon corps. Elle me montre l’étendue de sa puissance. Les explosions que je suis parvenue à provoquer dernièrement ne sont en réalité que poussière face au véritable pouvoir qui m’habite en ce moment même.
Détruire toute une armée de trénones à l’Imposant, contrôler le corps d’une personne et la faire saigner contre son bon vouloir, exploser des portes, détruire des miroirs. Tout ça me paraît ridicule. Totalement ridicule. Ce n’est rien en comparaison à cette puissance qui sommeille maintenant au fond de moi. Et ça me terrifie.
La lumière renverse mes émotions qui ne cessent de se battre depuis que je suis arrivée sur ce royaume. Elle éclaire l’impatience. L’exaspération. Les mensonges. La tristesse. La colère. La violence. La haine. Le deuil. Cet équilibre que je m’efforçais de maintenir est anéanti. J’enfonce mes ongles dans la cendre, tentant de me raccrocher à la terre. Je ne dois pas me laisser submerger. La sensation n’a pas l’air de vouloir rester. Elle se fait de plus en plus faible pour finalement s’extirper de mon corps et revenir dans la fourche, que Mélodie s’empresse de récupérer et de faire disparaître. J’ai recouvré mes esprits, mais j’ai cette terrible impression que quelque chose a changé. De ne plus être tout à fait la même. Je relève des yeux paniqués en direction de la Démone. Celle-ci me tend une main que je me surprends à accepter. Je me retrouve debout, profondément chamboulée. C’est comme si quelqu’un s’était invité dans les moindres recoins de mon corps et de mon esprit et qu’il avait décidé que rien n’allait. Qu’il fallait tout revoir. La peur me noue l’estomac.
— Qu’est-ce que c’était ? murmuré-je.
— Ta vérité, me répond-elle, avant de soulever Edden au-dessus du gouffre.
Mon sang se glace dans mes veines.
— Qu’est-ce que tu fais ? J’ai rempli ma contrepartie, tu es supposée le laisser tranquille !
— Vraiment désolée, Evalina.
Je fonce sur Mélodie, la rage au ventre, bien décidé à l’arrêter. Mais un bouclier débordant d’électricité rouge enveloppe soudainement le corps de la Démone et me repousse violemment. Le pouvoir qui appartenait à Zéphyr. J’atterris sur la terre cendrée, le cœur battant à tout rompre.
— Mélodie, relâche-le ! hurlé-je. Il n’a rien à voir avec tout ça ! S’il n’avait pas été là parmi les autres, tu ne l’aurais jamais enlevé ! C’est moi que tu veux, laisse-le partir !
— Certes, mais ce genre d’imprévu, Evalina, il faut savoir en tirer profit.
Je me relève et fonce au bord du gouffre, tentant d’attraper les jambes d’Edden. Mélodie le repousse encore plus loin. Faisant demi-tour, je change de tactique et me précipite vers elle. Le bouclier m’envoie à terre en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, mais je me relève et continue de frapper ce maudit sort, peu importe la douleur que me procurent les décharges, peu importe que ça fasse mal, peu importe que les éclairs rouges me brûlent la peau. Je frappe, encore et encore, tandis que Mélodie éclate de rire. La terre se lève tout autour d’elle, dans une sorte de tourbillon de poussière, et je ne vois soudainement plus rien. Je n’entends plus que sa voix.
— Je veux juste tenter une petite expérience, détends-toi, Evalina.
— Une expérience !? hurlé-je.
— Je me demande jusqu’où va la puissance du Deuxième Souffle des Surnaturels. Edden a toujours le sien, n’est-ce pas ? ricane-t-elle. Et Bastian est celui qui lui passera sa force de vie si jamais le Fidèle rencontre un problème, c’est bien ça ? Alors j’espère qu’il est en excellente forme, parce que pour survivre à une telle chute et à cette lave en fusion, il va lui en falloir ! Oh, tu penses que le corps d’Edden va réapparaître comme par magie ? Parce que si personne ne va à la pêche, je ne comprends pas comment son corps va bien pouvoir refaire surface. C’est un des mystères du Deuxième Souffle, et je brûle d’impatience de le découvrir ! J’espère que les garçons ne m’en voudront pas trop !
— Mélodie, s’il te plaît, arrête ! Le Deuxième Souffle n’est pas assez puissant pour permettre à un corps brûlé de renaître ! Tu vas tuer Edden et Bastian va ressentir toute sa douleur ! Il va brûler vif, il ne sera pas en mesure de passer sa force de vie à Edden ! Le Deuxième Souffle n’est pas quelque chose que tu peux expérimenter ! Si tu laisses tomber Edden, tu les envoies tous les deux vers la mort ! Je t’en supplie, arrête ! m’égosillé-je, frappant désespérément le bouclier. Renonce à cette folie, Mélodie ! Avec suffisamment de volonté, tu peux vaincre tes pulsions !
La terre cendrée retombe au sol. Le bouclier disparaît.
— Tu as raison, je peux vaincre mes pulsions.
Le soulagement s’empare de mon corps.
— Seulement…, reprend-elle, je n’en ai pas envie.
Elle laisse tomber Edden dans le gouffre, puis s’éloigne dans le brouillard.