Je ferme le robinet et enfile mes vêtements propres d’un geste mécanique. Sortant de la douche, je suis surprise de me retrouver seule à l’extérieur. Il est d’habitude presque impossible de ne pas croiser d’autres personnes. Nous sommes nombreux, la grotte n’est pas très grande, les pièces sont exiguës. Mais aujourd’hui, c’est comme s’il n’y avait que moi. Kierân a dû se débrouiller pour faire comprendre aux autres de me laisser tranquille. Le problème, c’est qu’être seule me permet de penser. J’imagine les horreurs que j’ai dû commettre, les blessures que j’ai causées, le plaisir et le pouvoir qui m’ont sûrement nourrie pendant que tout le monde souffrait autour de moi, et ça me rend malade. Je me dégoûte.Je pose mes mains sur le lavabo et relève la tête vers le miroir. Je ne me reconnais plus. Mon visage a changé et je ne sais pas quoi en penser. Est-ce une bonne chose? Mes yeux ne sont plus aussi grands que dans mes souvenirs. Leur couleur verte s’est tachée de noir pa
—Cassie… ça fait au moins dix bonnes minutes qu’on attend.Je pousse un profond soupir d’impatience. Je suis adossée contre le mur qui fait office d’entrée pour la salle de douche. L’Optimiste se tient en face de moi, la tête tournant à droite et à gauche afin de s’assurer qu’il n’y a personne. Elle a déjà passé toutes les cabines de douche au peigne fin et a même refusé l’entrée à son frère, lui demandant de bien vouloir nous laisser seules. Sean l’a regardé bizarrement mais n’a pas osé insister. Il est reparti s’entraîner avec les autres. De là où je me tiens, je peux entendre le brouhaha des cris de victoire et de défaite qui proviennent d’en bas. Certains métamorphes passent à côté des douches pour rejoindre leurs appartements respectifs, et ça n’a pas l’air de plaire à Cassie. Elle est sur le qui-vive, le poing serré et les yeux furetant ici et là.—Cet endroit grouille de gens, nous ne serons jamais tranquilles. Alors parle, déclaré-je sèchement.
Aaron ne peut pas retenir le cri de souffrance qui sort de sa gorge. Instinctivement, son bras gauche vient attraper le droit. Ce dernier est tout flasque. De l’extérieur, les dégâts sont invisibles. Mais à l’intérieur, ça doit un être un véritable enfer pour lui. Il l’a bien cherché. Le métamorphe se plie de douleur, mais ne se plaint pas autant que je l’avais espéré. Il retire ses lunettes de soleil, les jette par terre et relève des yeux meurtriers dans ma direction. Ou devrais-je dire, un œil meurtrier. Celui de gauche, noir, darde ses rayons colériques dans ma direction. Mais celui de droite, entièrement blanc, n’a pas l’air de vraiment me voir. Aaron est borgne. Et je commence à croire que s’il supporte aussi bien la douleur que je viens de lui infliger, c’est parce qu’elle lui est familière.—T’as de la chance d’être sous les bonnes grâces de Kierân, crache-t-il. Quoique, je pense être suffisamment haut placé pour pouvoir faire exception à la rè…Il s’interro
—Prête?Je termine de faire mes lacets tout en hochant la tête. Angie range son arsenal de dagues dans sa veste en cuir noir, puis croise mon regard alarmé.—Juste au cas où, me dit-il.—Tu dis souvent ça, et la plupart du temps, il s’avère qu’elles te servent. Dans quel endroit dangereux comptes-tu m’emmener?Je me lève du lit où j’étais assise, rassemblant mes cheveux lisses en une queue-de-cheval. Je n’ai pas l’habitude de ce genre de coiffure, mais puisque j’ignore où nous allons, je préfère prendre certaines précautions. Avoir les cheveux détachés n’est pas vraiment l’idéal pour se battre, j’en ai fait l’expérience plus d’une fois.—Ce n’est pas dangereux, sourit-il. Tu t’y sentiras vite en sécurité.—Mais tu prends quand même tes dagues?—Seulement par habitude.—Comment sais-tu que je vais m’y sentir en sécurité?—C’est l’un des seuls endroits au
Je suis en train de suffoquer. L’atmosphère est chargée de douleur, de peine, de haine, et la combinaison de ces trois émotions me donne le tournis. Quelque part, j’ai envie de m’en nourrir. Mes veines palpitent étrangement sous ma peau. Je veux que les hurlements, la souffrance et les pleurs continuent. Mais je sais que ce n’est pas bien. Je ne suis pas censée vouloir ça. Je devrais souhaiter que toute cette cacophonie cesse, que mes amis se calment, que la situation s’apaise, que tout rentre dans l’ordre parce qu’il n’y a pas moyen que je me réjouisse de ce malheur. Alors pourquoi suis-je incapable de mettre mes bonnes pensées à exécution? Pourquoi est-ce que je reste là, agenouillée devant le corps sans vie de Cassie, à écouter tous ces cris qui éclatent autour de moi?—Ce mec vient de tuer ma sœur et t’es sérieusement en train de le défendre? hurle Sean.Je me relève et tourne la tête dans sa direction. Son visage est déformé par une rage si vi
—Ce n’est pas ce que j’appelle une salle de réunion, se renfrogne Ombelline, parcourant la chambre de Kierân du regard.—Parce que ce n’en est pas une, lui répond-il. Ma vraie salle de réunion est au Noctis, mais compte tenu de notre situation, tu devras te contenter de celle-ci.L’Immortelle effectue plusieurs pas dans la pièce, passant au peigne fin le moindre objet se présentant sous ses yeux. Lentement, ses doigts viennent effleurer les couvertures sur le lit. Le chef des métamorphes se racle la gorge.—À moins que tu ne projettes de t’inviter dans mon lit, je te prierais de bien vouloir poser tes mains ailleurs.J’affiche une grimace de dégoût, tandis qu’Ombelline se tourne vers Kierân.—Tu ne serais pas contre? lui demande-t-elle.—Disons qu’avec le physique que tu as, ça pourrait être intrigant.J’écarquille les yeux, effarée par leur discussion.—Ce n’est pas très malin de tenir de
—Sur-le-champ? répète Evalina, quelque peu inquiète.Ses émotions ne sont pas aussi claires que d’habitude, si bien que je ne mets pas longtemps à comprendre qu’elle s’efforce de camoufler quelque chose. Quant à Kierân, il la connaît trop bien pour passer à côté de ce qui la tracasse. Aussi appliquée soit elle à tenter de masquer ce qu’elle ressent, elle n’y parvient jamais. Excepté lorsqu’elle perd le contrôle. Ma gorge se serre face à ce souvenir. Evalina avait déjà eu des crises, mais jamais de cette ampleur. Ce n’était pas elle que j’ai vue au Cœur de Réturis. Ses yeux étaient chargés de haine et de folie. Ses paroles étaient abominables. Ses gestes étaient épouvantables. Son corps était méconnaissable. Ses veines ont viré au noir, son regard s’est éteint, et le simple rappel de ce moment me rend malade. J’ai détesté la voir ainsi. Ce n’était pas elle. Je me suis débrouillé du mieux que j’ai pu pour cacher mon trouble lorsqu’elle est venue me parler le lendemain,
—Maman?Je tends le bras vers sa silhouette qui me fait face, mais elle s’évapore aussitôt dans l’air. Je me précipite à l’endroit exact où elle se tenait et la supplie de revenir, mais je suis seule. Un brouillard enveloppe le paysage qui m’entoure et je dois plisser les yeux pour distinguer ce qui se trouve en face de moi. Le gouffre du Cœur de Réturis. Je lève la tête vers un ciel étrangement bleu, puis j’observe le sol, dépourvu de cendres. Je pivote sur moi-même, espérant apercevoir d’autres personnes, mais le lieu semble désert. Où sont passés mes amis? La guerre est-elle déjà terminée?—Je n’aurais jamais dû…, sanglote une voix féminine.Je ratisse le brouillard méticuleusement, mais pas l’ombre d’une silhouette à l’horizon.—Je t’en prie, ne lui fais pas subir ça! continue la même voix.Quelqu’un éclate de rire.—Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour que ce moment précis se réalise 
Peu de temps après le départ d’Angie et Evalina chez Richard…—Cassie?Je lève brusquement la tête vers Bastian. Celui-ci m’observe d’un air inquiet.—Tu n’as pas répondu à ma question.Je lui renvoie un regard éberlué. Le Séducteur soupire et s’accroupit à ma hauteur. Je suis assise sur le lit. Depuis que nous avons rejoint les quartiers de Kierân dans cette grotte exiguë, je passe ma vie dans cette chambre qui nous a été donnée. Elle n’est pas bien grande. Je la connais par cœur, des petites fissures sur les murs jusqu’aux creux dans le sol.—Comment te sens-tu? me demande-t-il.Ses yeux verts rencontrent les miens. Il pose ses mains sur la mienne.—Tu viens de passer plusieurs jours enfermé à l’Imposant pour que la Démone puisse faire croire à Evalina qu’Edden était vraiment mort, articulé-je. Ce serait plutôt à moi de te poser cette question. Tu détestes les esp
Il y a cinq ans…Un coup dans les intestins. Un ricanement.—On parie que je tape plus fort?Un coup dans les côtes. Je m’écroule par terre.—J’ai pas entendu les os craquer, laisse-moi essayer!Un coup dans la poitrine. Je me plie en deux.—Mais c’est qu’elle est résistante, cette chauve-souris!Un coup dans l’estomac. Je retiens un hurlement.—Bah alors, pourquoi tu te transformes pas? me demande l’un des connards. Avoue que t’en meurs d’envie!Il m’assène une violente gifle. Je ravale les larmes qui m’obstruent la vue.—Oh, bah alors? On a envie de chialer? s’esclaffe-t-il. Viens pas nous faire croire que t’es triste. Toi et ta race, vous êtes tous les mêmes. Juste des bêtes assoiffées de sang qui mériteraient toutes de crever!Il me crache dessus. Ses deux amis font de même. Je lutte pour ne pas leur laisser le
Quatre ans avant l’arrivée d’Evalina à Réturis…Je pénètre dans le hall, les yeux écarquillés face à tant d’espace et d’escaliers de toutes sortes. Je pensais que le centre d’hébergement pour orphelins était le lieu le plus impressionnant qu’il m’ait été donné de voir, mais celui-ci bat tous les records. Le plafond se dresse si loin au-dessus de ma tête que je n’en vois pas le bout. C’est exactement comme la dernière fois. Tout est noir, lugubre et intrigant. Tout est propre alors qu’il n’y a pourtant pas âme qui vive. Ce château est à l’abandon. Je suis loin d’en avoir fait le tour, mais je pense que si je m’étais introduite chez quelqu’un, je l’aurais su. Personne n’est venu me voir la semaine dernière et personne ne viendra me voir aujourd’hui non plus. Je m’avance donc dans le hall tout en réfléchissant à ce qu’il pourrait bien y avoir dans les parties que je n’ai pas encore explorées. J’espère qu’il n’y aura pas encore une salle de torture.
Les yeux verts d’Edden m’observent minutieusement, à la recherche de la moindre réaction de ma part, mais je reste neutre. Impassible. Mon esprit vient d’exploser sous l’annonce brutale du Fidèle, mais mon visage, lui, ne montre rien. Je n’arrive pas à bouger. J’ai mal au cœur. Je me sens vide. Perdue. Probablement anéantie. C’est trop d’informations. C’est ma vie qui tourne au cauchemar. C’est la vérité qui se transforme en mensonge et le mensonge qui se transforme en vérité. C’est mon cœur qui se retrouve ballotté, piétiné, labouré, entaillé, déchiré, écartelé. C’est mon âme qui saigne.—J’imagine que Kierân ne t’a pas parlé de moi, continue-t-il.Je subis chaque révélation comme un coup de poing dans l’estomac. Mes yeux se perdent dans l’immensité du ciel rouge au-dessus de moi. Ma respiration se fait de plus en plus lente. Il me semble que je suis en train de mourir, mais je n’en suis pas tout à fait sûre. Je ne sais pas si je suis supposée me se
—Maman?Je tends le bras vers sa silhouette qui me fait face, mais elle s’évapore aussitôt dans l’air. Je me précipite à l’endroit exact où elle se tenait et la supplie de revenir, mais je suis seule. Un brouillard enveloppe le paysage qui m’entoure et je dois plisser les yeux pour distinguer ce qui se trouve en face de moi. Le gouffre du Cœur de Réturis. Je lève la tête vers un ciel étrangement bleu, puis j’observe le sol, dépourvu de cendres. Je pivote sur moi-même, espérant apercevoir d’autres personnes, mais le lieu semble désert. Où sont passés mes amis? La guerre est-elle déjà terminée?—Je n’aurais jamais dû…, sanglote une voix féminine.Je ratisse le brouillard méticuleusement, mais pas l’ombre d’une silhouette à l’horizon.—Je t’en prie, ne lui fais pas subir ça! continue la même voix.Quelqu’un éclate de rire.—Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour que ce moment précis se réalise 
—Sur-le-champ? répète Evalina, quelque peu inquiète.Ses émotions ne sont pas aussi claires que d’habitude, si bien que je ne mets pas longtemps à comprendre qu’elle s’efforce de camoufler quelque chose. Quant à Kierân, il la connaît trop bien pour passer à côté de ce qui la tracasse. Aussi appliquée soit elle à tenter de masquer ce qu’elle ressent, elle n’y parvient jamais. Excepté lorsqu’elle perd le contrôle. Ma gorge se serre face à ce souvenir. Evalina avait déjà eu des crises, mais jamais de cette ampleur. Ce n’était pas elle que j’ai vue au Cœur de Réturis. Ses yeux étaient chargés de haine et de folie. Ses paroles étaient abominables. Ses gestes étaient épouvantables. Son corps était méconnaissable. Ses veines ont viré au noir, son regard s’est éteint, et le simple rappel de ce moment me rend malade. J’ai détesté la voir ainsi. Ce n’était pas elle. Je me suis débrouillé du mieux que j’ai pu pour cacher mon trouble lorsqu’elle est venue me parler le lendemain,
—Ce n’est pas ce que j’appelle une salle de réunion, se renfrogne Ombelline, parcourant la chambre de Kierân du regard.—Parce que ce n’en est pas une, lui répond-il. Ma vraie salle de réunion est au Noctis, mais compte tenu de notre situation, tu devras te contenter de celle-ci.L’Immortelle effectue plusieurs pas dans la pièce, passant au peigne fin le moindre objet se présentant sous ses yeux. Lentement, ses doigts viennent effleurer les couvertures sur le lit. Le chef des métamorphes se racle la gorge.—À moins que tu ne projettes de t’inviter dans mon lit, je te prierais de bien vouloir poser tes mains ailleurs.J’affiche une grimace de dégoût, tandis qu’Ombelline se tourne vers Kierân.—Tu ne serais pas contre? lui demande-t-elle.—Disons qu’avec le physique que tu as, ça pourrait être intrigant.J’écarquille les yeux, effarée par leur discussion.—Ce n’est pas très malin de tenir de
Je suis en train de suffoquer. L’atmosphère est chargée de douleur, de peine, de haine, et la combinaison de ces trois émotions me donne le tournis. Quelque part, j’ai envie de m’en nourrir. Mes veines palpitent étrangement sous ma peau. Je veux que les hurlements, la souffrance et les pleurs continuent. Mais je sais que ce n’est pas bien. Je ne suis pas censée vouloir ça. Je devrais souhaiter que toute cette cacophonie cesse, que mes amis se calment, que la situation s’apaise, que tout rentre dans l’ordre parce qu’il n’y a pas moyen que je me réjouisse de ce malheur. Alors pourquoi suis-je incapable de mettre mes bonnes pensées à exécution? Pourquoi est-ce que je reste là, agenouillée devant le corps sans vie de Cassie, à écouter tous ces cris qui éclatent autour de moi?—Ce mec vient de tuer ma sœur et t’es sérieusement en train de le défendre? hurle Sean.Je me relève et tourne la tête dans sa direction. Son visage est déformé par une rage si vi
—Prête?Je termine de faire mes lacets tout en hochant la tête. Angie range son arsenal de dagues dans sa veste en cuir noir, puis croise mon regard alarmé.—Juste au cas où, me dit-il.—Tu dis souvent ça, et la plupart du temps, il s’avère qu’elles te servent. Dans quel endroit dangereux comptes-tu m’emmener?Je me lève du lit où j’étais assise, rassemblant mes cheveux lisses en une queue-de-cheval. Je n’ai pas l’habitude de ce genre de coiffure, mais puisque j’ignore où nous allons, je préfère prendre certaines précautions. Avoir les cheveux détachés n’est pas vraiment l’idéal pour se battre, j’en ai fait l’expérience plus d’une fois.—Ce n’est pas dangereux, sourit-il. Tu t’y sentiras vite en sécurité.—Mais tu prends quand même tes dagues?—Seulement par habitude.—Comment sais-tu que je vais m’y sentir en sécurité?—C’est l’un des seuls endroits au