Elle sort un petit carnet et un crayon de la poche de son pantalon en cuir noir. Elle s’assied et je l’observe commencer à griffonner quelque chose. Je rêve ? La seule chose qu’elle trouve à faire après m’avoir raconté toutes ces salades, c’est de dessiner ? Ils n’ont pas l’air d’avoir toute leur tête, je ferais mieux de m’enfuir. Ou bien suis-je trop fermée d’esprit ? Tandis que je pèse le pour et le contre, Apolline se redresse et s’avance jusqu’à moi. Elle me tend son carnet, et j’en reste littéralement bouche bée. Ce qu’elle a dessiné est magnifique ! C’est tellement réaliste qu’on pourrait presque croire qu’il s’agit d’une photo.—Comment as-tu fait pour dessiner un truc pareil aussi rapidement ? Et qu’est-ce que c’est ?—Tu le sauras si tu viens avec nous, se contente-t-elle de me répondre avec un petit clin d’œil en prime. Ce que je viens de dessiner représente l’édifice principal de Réturis. Maintenant que tu sais à quoi il ressemble, tu peux le visual
Mon corps est tellement lourd… Je suis allongée sur ce qui me semble être un lit. Je peux sentir la soie des draps sous mes mains et la douceur de l’oreiller sous ma tête. Seulement, je ne peux pas en avoir la certitude. Mes yeux refusent catégoriquement de s’ouvrir. J’ai beau user de toute ma force mentale pour entrouvrir ne serait-ce qu’une seule paupière, on dirait bien que ma force physique, elle, n’est pas au rendez-vous. Je ne me suis jamais sentie aussi faible et aussi lourde à la fois. En revanche, je suis consciente, et c’est déjà une bonne nouvelle. Contrairement à mes yeux, mes oreilles sont fonctionnelles. Des voix me parviennent de l’endroit où je suis. Je crois reconnaître celle d’Apolline, et la deuxième me dit vaguement quelque chose. Elle provient du garçon qui avait lâché quelques mots avant que je ne perde connaissance. Il parlait de poison de je ne sais plus quoi. J’ai du poison dans les veines ?—Combien de temps, encore ? soupire Apolline.J’en
Je suis réveillée par des éclats de voix. J’ai aussitôt le réflexe d’ouvrir les yeux, mais ma tentative échoue et me rappelle que je suis toujours prisonnière de mon corps. Je m’applique donc à tendre l’oreille afin de capter le nombre d’individus présents dans la pièce, ainsi que leur identité. Deux voix me parviennent très nettement, à quelques centimètres du lit où je repose.—Encore combien de temps ?—D’ici quelques minutes, maximum une heure, ce devrait être bon. Cesse de t’impatienter comme ça, Angie ! râle une voix masculine.Je suis pratiquement sûre qu’il s’agit de Zéphyr. Sa présence ne me pose aucun problème, mais j’aurais aimé que ce soit Apolline qui l’accompagne. Et non Angie. Je ne lui fais pas du tout confiance. Si la jeune femme n’avait pas été là, il aurait violé toute ma vie en l’espace de quelques secondes. J’ose espérer qu’il n’a rien tenté durant mon sommeil.—Ça ne pourrait pas aller plus vite ? s’impatiente Angie.
Je suis réveillée par le vibreur de mon portable. En consultant ce dernier, je m’aperçois que Roxana a plusieurs fois tenté de m’appeler. Elle m’a aussi envoyé un message pour m’informer qu’elle et le reste du groupe passeraient me prendre à quatorze heures afin de passer l’après-midi au parc. Je jette un coup d’œil à l’horloge du salon et me rend compte qu’il ne me reste plus que quinze minutes avant qu’ils n’arrivent. Je monte directement dans ma chambre, sans me soucier du fait que je me suis réveillée dans le salon. J’étais si fatiguée que j’ai dû m’endormir sur le canapé. Je me prépare en vitesse, surveillant l’heure du coin de l’œil. Dans ma hâte, je casse le manche de ma brosse à cheveux et cause un renfoncement dans le mur lorsque j’ouvre la porte de mon armoire. C’est quoi ce délire ? Je reste là, les bras ballants, sans trop comprendre ce qui m’arrive. Et puis la sonnette retentit. J’enfile mes vêtements aussi vite que je peux et dévale les escaliers pour ouvrir la porte. Rap
Une lumière blanche et aveuglante éclaire la totalité de la pièce. Je cligne plusieurs fois des paupières pour m’acclimater à celle-ci, observant minutieusement l’environnement qui m’entoure. Ne s’y trouvent que des lits. Des lits blancs, entre des murs blancs, sur un sol blanc, et sous un plafond blanc. Je comprends d’emblée où je me trouve. Dans une infirmerie. Je déteste les infirmeries. Cette couleur omniprésente qui rappelle l’hôpital me fait froid dans le dos. Je jette un rapide coup d’œil angoissé à ma tenue, constatant avec soulagement que je porte exactement les mêmes vêtements que lorsque je suis arrivée ici. Personne ne m’a enfilé une espèce de blouse horrible. Dieu merci. Je me relève lentement, puis pivote mes jambes sur la gauche afin de me lever de ce lit sur lequel j’ai l’impression d’être retenue depuis des lustres. Je touche du bout de mes baskets le sol, m’apprêtant à y appuyer tout mon poids, lorsque la porte de l’infirmerie s’ouvre brusquement derrière moi.
Apolline me fait traverser un long couloir dallé de noir et de blanc, recouvert d’un épais tapis de velours rouge. Elle fait coulisser une porte de la même couleur, et nous voilà arrivées dans une pièce en coupole. Quelques pans de murs blancs sont présents, mais le reste n’est que fenêtre donnant sur la flore extérieure. Du moins, c’est ce que je suppose. Puisqu’il fait nuit, je ne vois pas grand-chose. Je me contente donc de contempler le ciel noir, constatant avec étonnement qu’il n’y a pas d’étoiles. Ce monde en est dépourvu. L’atmosphère pourrait sembler triste et isolée de tout, mais au contraire, j’ai l’impression d’être plongée dans un monde abyssal regorgeant de mystères tous plus étranges les uns que les autres.—Nous sommes dans la salle d’attente, m’explique Apolline. Derrière la porte rouge là-bas au fond, se trouve le Siège. C’est ici que notre reine passe la plupart de son temps. C’est d’ici qu’elle dirige, qu’elle donne des ordres aux soldats protégeant le
—C’est elle ? demande un garçon aux cheveux roux bouclés.Bizarrement, il me rappelle quelqu’un, mais je n’arrive pas à savoir qui. À ses côtés, je remarque une fille avec la même couleur de cheveux. Ils lui arrivent jusqu’aux épaules. Les deux Surnaturels ont les mêmes petits yeux rouges et le même nez retroussé. Ils sont frères et sœurs, cela ne fait quasiment aucun doute.—Oui, c’est elle, confirme Apolline à côté de moi. Elle s’appelle Evalina.Comme quand j’étais au Siège, l’annonce de mon prénom jette un froid dans la salle. Les six autres Surnaturels laissent leur jeu de cartes à l’abandon et me fixent de leurs yeux carmin étincelants. Je ne sais plus où me mettre. Qu’est-ce qu’ils ont tous avec mon prénom, à la fin ? Je suis tentée de le leur demander, mais je me ravise. Pour le moment, il vaut mieux que je garde ça pour moi. Je leur poserai la question lorsqu’il y aura moins de tension.Un garçon aux cheveux bruns lève ses yeux vers Angi
De petits picotements à peine perceptibles s’immiscent sous ma peau, d’abord très légers, puis de plus en plus intense, jusqu’à ce qu’une décharge électrique me réveille en sursaut. Je bondis hors de mon lit, tous les sens aux aguets, parcourant la pièce du regard pour essayer d’en trouver l’origine. La veille, Cassie m’avait dit qu’elle détenait le pouvoir de la décharge électrique. Sauf que là, je ne la vois nulle part. Elle n’est pas dans ma chambre. Et puis, pourquoi aurait-elle fait une chose pareille ? On ne réveille pas les gens ainsi ! Je jette un coup d’œil à ma petite montre en argent, celle que j’avais eue pour mes quinze ans. Je revois alors le visage de mes parents quand ils me l’avaient offerte, les yeux pétillants de joie à l’idée de me faire ce cadeau. Et ce petit souvenir est suffisant pour ouvrir les vannes. Les larmes coulent sur mon visage sans que je cherche à les retenir. Je suis orpheline. Jamais je n’aurais cru dire ça un jour. Tout ce qu’il me reste d’eux, c’es
Angie est le premier à demander des explications. J’entends sa voix, mais je suis incapable de me concentrer sur ce qu’il dit. Les seuls mots qui résonnent dans ma tête sont ceux de Zéphyr. Il n’a pas dit que Cassie et Tessia étaient revenues. Il a seulement dit Cassie. Ma poitrine me fait mal. Mon corps se met à trembler de lui-même. Je ne me sens pas bien. Ma gorge est serrée. Je n’arrive plus à distinguer clairement mon entourage. Mon cœur bat trop vite. J’essaie de prendre une profonde inspiration et d’expirer calmement, mais j’ai l’impression de ne plus pouvoir respirer. Tessia n’est pas revenue. Je recule et heurte la paroi du tunnel. J’ai la sensation qu’on est en train de jouer avec mon cœur. Qu’il résiste tant bien que mal, mais qu’il suffirait qu’on le crève encore un peu plus pour le voir perdre la partie. Je ne me sens plus capable d’agir comme si ce n’était pas grave. Comme si je pouvais encore attendre, alors que ma sœur est la seule famille qu’il me reste. Mes jambes son
—Je savais que je te trouverais ici.—Je n’ai pas cherché à me défiler.Zéphyr esquisse un sourire et s’engouffre dans l’espace sombre et bleuté du Jardin Abyssal. Il jette un rapide coup d’œil à l’aquarium, puis il me rejoint sur le canapé. Il se laisse tomber contre la matière moelleuse et pose ses avant-bras sur ses genoux, les mains croisées. Il ne dit rien. Et je sais pertinemment pourquoi. Il attend que ce soit moi, comme à chaque fois qu’il veut entamer une discussion sérieuse. Et je n’aime pas ce genre de discussions. Il me pousse souvent à comprendre ce que je redoute le plus, à faire face aux démons qui me rongent de l’intérieur. Et je déteste ça.—Tu perds ton temps, finis-je par dire.—Nous savons tous les deux que c’est un mensonge. Depuis quand ne lis-tu plus dans les pensées des autres ? Parce que tu n’as pas l’air de savoir pourquoi je suis là.—Je suis fatigué.—Fatigué ? relève-t-il, les yeu
—Angie, attrape !Je rattrape in extremis la dague qui filait droit sur mon front, ma main se refermant autour de la lame en métal froid. Je braque un regard incendié en direction d’Apolline. Celle-ci hausse les épaules, et ses pensées, manquant un brin de tact, ne tardent pas à résonner dans ma tête.«Tu n’avais qu’à être plus rapide ! »Je jette la dague à mes pieds. Celle-ci vient se figer dans le tatami. Si Ombelline voit ça, je suis mort. Je la retire et m’assieds sur l’entaille désormais présente, jetant un coup d’œil discret en direction de l’Immortelle. Elle est encore occupée à arbitrer le combat d’Edden et de Maximilien. Le Cerveau n’a d’ailleurs aucune chance, il n’est pas assez rapide et n’arrive pas à anticiper les coups de son adversaire. Et même si cela me coûte de le reconnaître, Edden est fort. Très fort.—OK, dis-moi ce qui ne va pas.Je fronce les sourcils. Apolline me rejoint sur le tatami et s’assied à mes côtés,
—Puis-je connaître l’origine de ce vacarme ? tonne une voix féminine derrière notre petit groupe.Je me retourne pour faire face à une silhouette bien particulière.—Ombelline ! s’exclame Zéphyr, d’un ton moins assuré qu’il a l’habitude d’employer. Comme tu peux le voir, nous avons géré la situation ! Tu peux donc retourner te...—Vous avez géré la situation ? le coupe-t-elle sèchement. Il me semble pourtant que ce n’est pas officiellement terminé.L’Immortelle baisse ses yeux gris sur ma silhouette. J’affronte son regard, ne comprenant pas très bien en quoi sa phrase me concerne. Suis-je la situation non terminée ? Isaac a réussi à me faire reprendre mes esprits et à me calmer. Si elle était arrivée quelques minutes plus tôt, sa remarque aurait été très pertinente, mais maintenant, elle tombe dans le vide. Je me contrôle parfaitement. Les Surnaturels dévient leur regard dans ma direction. Lorsque je vois le visage d’Apolline afficher une e
J’ouvre mes yeux sur un espace clos. Froid. Sans vie et abandonné. Ou presque. Un vieux berceau terni par les années se tient dans un coin. Je sais exactement où je suis. Je savais que cela se reproduirait, mais je n’imaginais pas aussi rapidement. Je baisse le regard sur mes jambes pour constater, à mon plus grand soulagement, qu’elles ne sont pas ligotées. Et aucune chaise à l’horizon. Je suis tout simplement assise sur le sol froid. Le berceau est le seul meuble de la pièce. Si Isaac dit vrai et que je suis bien victime d’une effraction de rêve, cela veut donc dire que Mélodie créée ce cauchemar de toutes pièces. Le berceau qui figure dans cet endroit n’est donc pas là pour rien.Je me relève, à l’affût du moindre bruit susceptible d’annoncer la venue de la Démone. Pour le moment, il n’y a personne. Elle ne doit pas savoir que je suis réveillée. Il faut dire que contrairement à la dernière fois, je n’ai pas fait de bruit. Isaac m’a bien expliqué qu’ici, il ne pouvait rien m’a
Une voix. Je l’entends. Elle me parle, elle murmure mon prénom. Se glisse dans les limbes de mon sommeil. Caresse mes paupières, m’intimant l’ordre de les ouvrir. J’ai envie de dormir, mais j’obéis. J’ouvre les paupières, lentement, pour ne pas être éblouie par les rayons du soleil matinal. Cependant, ce n’est pas sur ma chambre que mes yeux s’ouvrent, mais sur un espace sombre. Froid. Sans vie. Mes pupilles peinent à se dilater pour tenter d’apercevoir quelque chose. Après plusieurs secondes, je parviens à distinguer une forme au loin. Je plisse les yeux. À première vue, on dirait un lit. Mais il me semble bien trop petit pour accueillir un adulte, ou même un enfant.En revanche, il est idéal pour un bébé. C’est un berceau. Un vieux berceau qui semble avoir subi les conséquences du temps. La peinture du bois est écaillée, et quelques planches sur le côté manquent à l’appel. Mais il est là. Toujours debout, tout au fond, dans un coin. Ce berceau abandonné donne un aspect
Angie coulisse la porte pour la fermer. Je fronce les sourcils.—Je préférerais que tu ne fermes pas la porte.—Je préfère quand elle est fermée, réplique-t-il d’emblée.Je croise les bras et soupire pour lui signifier que je ne suis pas d’accord avec lui. C’est incroyable, il lui suffit d’une phrase pour trouver le moyen de me contredire ! Comment allons-nous réussir à communiquer calmement l’un et l’autre, si nous ne sommes déjà pas d’accord quant au fait de fermer ou non une porte ?Angie croise les bras et s’adosse contre la porte, le regard rivé sur un point au-dessus de moi. Généralement, quand il fait ça, c’est qu’il est perdu dans ses pensées. Je me laisse alors lourdement retomber sur mon lit, les bras étalés de part et d’autre de ma tête, fermant les yeux pour ne plus avoir à croiser cette lumière éblouissante. Un sourire ne tarde pas à faire son apparition sur mon visage. Je sais pourquoi il est ici. Du moins, je crois avoir ma petite
—Evalina !—Non, va-t’en ! lui hurlé-je, des larmes de colère perlant sur mes joues.Je ne veux plus le voir. Pas après ce qu’il a fait. A-t-il sincèrement pensé que je ne lui en voudrais pas ? Comment a-t-il pu me faire ça ? Comment a-t-il pu me regarder dans les yeux et me mentir ?—Attends ! Écoute-m...—Je t’ai dit de t’en aller ! vociféré-je.S’il n’est pas bête, il m’écoutera et s’en ira. Quoiqu’en ce moment, je doute de son intelligence. S’il avait un tant soit peu de jugeote, il ne m’aurait pas menti en me regardant droit dans les yeux. Il faut qu’il s’en aille. Mes nerfs sont en train de lâcher, et ce n’est pas bon du tout.—Je voulais te le dire, mais je ne savais pas comment t...—Va-t’en, Edden ! le coupé-je, serrant les poings pour tenter de me contrôler. Va-t’en ! Je t’en supplie, va-t’en !Le Fidèle s’apprête une fois de plus à se justifier, mais lorsque ses yeux verts croisent le
S’il te plaît, Angie, on a besoin de votre aide.—Qu’est-ce que tu fais ? me demande Sean, toujours occupé à rassurer Bastian.Je rouvre les yeux et attends quelques secondes avant de lui répondre, laissant mes pupilles s’habituer à l’obscurité. Cela faisait un moment que j’avais les paupières closes.—J’essayais de contacter Angie par la pensée, expliqué-je. Mais je crois que c’est inutile, ça ne fonctionne pas.C’est sans doute au-dessus de mes capacités. S’il m’avait entendu, il serait là, non ?—Les animaux de notre royaume sont capables de pratiquer entre eux l’appel par la pensée afin de rallier les autres lorsqu’il est question de danger ou de violation des frontières. Si les animaux peuvent le faire, je pense que tu peux y arriver aussi, m’encourage-t-il.Je le remercie d’un faible sourire, désespérée à l’idée de rester ici encore plusieurs heures. Ça commence à faire un bout de temps que nous sommes là. Apollin