Je n’arrive pas à détacher mes yeux de cette silhouette longiligne qui s’avance vers nous. À première vue, on pourrait la prendre pour une humaine tout à fait normale. Mais lorsqu’elle se rapproche, les différences se font visibles. Elle possède une peau si blanche que je pourrais presque me croire métisse alors que c’est loin d’être le cas. Elle est non seulement d’une blancheur cadavérique, mais elle brille, telle des milliers de petits diamants incrustés sous sa peau. Ses cheveux sont immaculés, comme si une fine couche de neige s’y était déposée. Ils sont ramenés en une tresse parfaite où pas un seul cheveu ne dépasse, le tout descendant jusqu’à ses pieds. Elle marche d’un pas assuré, comme si le terme hésiter ne faisait pas partie de son vocabulaire. Elle est vêtue d’une robe blanche à manches longues, très serrée, qui lui arrive aux chevilles. D’après ce que je vois, elle doit faire un bon mètre quatre-vingt, mais cela ne l’empêche pas de porter tout de même de grandes bottes à t
Je me trouve dans la salle d’attente. Ou du moins, une pièce en coupole lumineuse où je suis censée patienter afin que la reine me reçoive. Qu’elle veuille s’entretenir avec moi me fait un peu peur. Je ne vois pas de quoi elle souhaite me parler. Je pensais que l’on s’était tout dit, hier. Peut-être que la reine a décidé de me réprimander pour mon impertinence envers Angie ? D’ailleurs, celui-ci est adossé contre l’un des murs en verre en face de moi. Il est comme d’habitude. Bras croisés, visage impassible, regard posé sur ma silhouette sans la moindre trace d’émotion. À croire que notre échange dans le Jardin Abyssal n’a jamais eu lieu. Soudain, il tourne la tête vers la gauche. Des bruits de pas nous parviennent de derrière la porte. Puis celle-ci coulisse sur l’un des gardes royaux vêtus d’une armure entièrement noire, qui nous invite à entrer au Siège. Angie me fait signe de le suivre, et je m’avance donc derrière lui jusqu’à cet immense fauteuil doré, où la reine est confortablem
Je suis pétrifiée sur place. Incapable de bouger. Mes jambes se mettent à trembler sans que je ne puisse les contrôler, et mes bras tiennent comme ils peuvent le petit Ethan. Je ne sais pas ce que je dois faire. Je ne sais pas pourquoi cette dame m’a confié son enfant. Je ne sais pas si ce que je vois quelques mètres plus loin en face de moi est réel ou pas. J’aimerais tellement que ce soit un cauchemar et me réveiller. Mais je sais que ce n’en est pas un. Les pleurs d’Ethan me le confirment. Je ne peux pas détacher mes yeux de ces six créatures monstrueuses. Comment de telles choses peuvent-elles exister ?Soudain, un cri me perce les tympans. Ce n’est pas le cri guttural provenant de l’un des monstres, non. C’est Ethan qui hurle dans mes oreilles. Il se met à gesticuler dans tous les sens, essayant de s’échapper de mes bras pour aller rejoindre ceux de sa maman. Je m’apprête à le rendre à sa mère, mais cette dernière me fait un non catégorique de la tête. Pourquoi refuse-t-ell
Un peu plus d’une semaine s’est écoulée depuis la bataille. Un mois réturien que je suis ici. Bon, pour moi cela fait presque deux semaines. Mais ici, un mois équivaut à quatorze jours. Tout me paraît extrêmement long. J’ai passé ces derniers temps allongée sur le lit de la chambre que l’on m’a attribué, à compter les secondes qui s’écoulent. Chaque fois que j’entends le tic ou bien le tac de ma montre, je cligne des yeux. Pourquoi ? Aucune idée. Je ne fais que ça de mes journées. Je ne sors de ma chambre que pour aller manger. Concernant le reste, il y a tout ce qu’il me faut dans mes appartements. Je n’adresse la parole à personne. C’est comme si j’en étais encore au même point qu’à mon arrivée ici. Je ne connais pas les Surnaturels. Je n’ai pas appris à les connaître et je n’en ai pas vraiment envie. La reine croit que je suis en phase de dépression suite au décès de mes parents et au dépaysement. Et elle n’a peut-être pas tout à fait tort. Moi qui déteste verser une larme, je pleur
Tout est noir. L’obscurité enveloppe chaque recoin de la pièce. Je ne vois rien. Je suis perdue. Personne ne viendra me sauver. Il ne me reste plus qu’à attendre la mort imminente. Elle est là, tapie dans l’un des recoins sombres. Elle n’attend plus que moi. Seulement, je ne suis pas encore prête. Je ressens la faim, le froid, la fatigue, et ce vide abyssal qui ne me quitte plus. Je ne veux pas partir. J’ignore pourquoi… L’espoir ? Je n’ai pourtant plus rien à attendre de cette misérable vie qu’est la mienne. Il ne me reste plus rien. Plus rien auquel je puisse me raccrocher. Et soudain, un cri. Sortis de nulle part, mais bel et bien là. Un cri déchirant, reflétant une douleur si grande, si épouvantable. Le cri d’une jeune fille. Plus précisément, d’une jeune fille de treize ans que je ne connais que trop bien.—Tessia ! crié-je, à m’en déchirer les poumons.Rien. Rien que ce hurlement déchirant. J’aimerais tant me relever et courir jusqu’à la source du cri ! Mais j
—Elle se réveille !J’ouvre lentement mes paupières, aveuglée par la lumière blanche de la pièce où je me trouve. Je mets un certain temps avant de comprendre que je suis de retour à l’infirmerie. Je distingue de longs cheveux lisses et noir de jais penchés sur moi, j’en conclus donc qu’il s’agit d’Apolline. À ses côtés, une silhouette plus petite... c’est Cassie. Je tente de me relever du lit où je me trouve, mais une douleur lancinante dans le dos me fait esquisser une grimace et je me rallonge immédiatement.—Ne te relève pas si vite, tu vas te faire mal ! s’écrie Apolline.—Je crois que c’est déjà fait, rigole Cassie. Pardon, je sais que ce n’est pas drôle du tout ! Mais je ne peux pas m’empêcher de rire, c’est plus fort que moi ! pouffe-t-elle à nouveau.—Cassie ! Franchement ! Je ne vois vraiment pas ce que tu trouves de drôle là-dedans ! la gronde sa sœur. Evalina est restée dans le coma deux jours entiers à cause d’un violent
Je fixe la reine, abasourdie. Moi, une Gémone ? Mais ce royaume est encore plus dingue que je l’imaginais ! Candélaria est en train de me faire comprendre que tous leurs espoirs reposent sur moi, la fille qui est née sur Terre, qui ne connaît absolument aucune technique de combat, qui est essoufflée rien qu’en montant des escaliers, et qui tourne de l’œil à la première goutte de sang ! Je suis censée me battre et exterminer un être démoniaque ? Je ne suis pas une machine à tuer ! Ils ne peuvent pas m’utiliser comme ils le veulent et quand ça leur chante ! Moi qui tenais absolument à connaître la vérité, désormais, je ferais volontiers marche arrière. Je ne veux plus rien savoir ! Je veux tout oublier !—Si tu as des questions, ma chère, c’est le moment de les poser, me conseille la reine. Je me doute que tu dois être bouleversée.Bouleversée ? J’ai bien envie de lui dire que le mot est faible. J’ignore même comment je fais pour encaisser tout ça sans rien dire. Je s
Nous quittons enfin le Majestueux. Rester des mois enfermés dans ce château, il y a de quoi devenir fou. Si Evalina n’était pas arrivée ici pour chambouler nos habitudes, il n’y aurait jamais eu de sortie aujourd’hui. Mais je préférerais mourir plutôt que de l’avouer à voix haute. Depuis que nous avons quitté le Jardin Abyssal afin de rejoindre les autres à l’entrée du Majestueux, la Gémone se comporte d’une façon très étrange. Son regard ne cesse de fureter partout. Ses sourcils se froncent, laissant apparaître un léger pli au niveau du front. Je crève d’envie de savoir à quoi elle pense. Il me suffirait de braquer mon regard sur elle et de me concentrer suffisamment pour pouvoir entendre l’écho de ses pensées. Mais je me suis promis de me contenir. Je dois arrêter de le faire à chaque fois que j’en ai envie. Je détesterais qu’on me fasse la même chose. Je lui ai fait croire que je n’essaierai même pas de me retenir, mais c’était uniquement pour la voir s’énerver.Cette fille p
Angie est le premier à demander des explications. J’entends sa voix, mais je suis incapable de me concentrer sur ce qu’il dit. Les seuls mots qui résonnent dans ma tête sont ceux de Zéphyr. Il n’a pas dit que Cassie et Tessia étaient revenues. Il a seulement dit Cassie. Ma poitrine me fait mal. Mon corps se met à trembler de lui-même. Je ne me sens pas bien. Ma gorge est serrée. Je n’arrive plus à distinguer clairement mon entourage. Mon cœur bat trop vite. J’essaie de prendre une profonde inspiration et d’expirer calmement, mais j’ai l’impression de ne plus pouvoir respirer. Tessia n’est pas revenue. Je recule et heurte la paroi du tunnel. J’ai la sensation qu’on est en train de jouer avec mon cœur. Qu’il résiste tant bien que mal, mais qu’il suffirait qu’on le crève encore un peu plus pour le voir perdre la partie. Je ne me sens plus capable d’agir comme si ce n’était pas grave. Comme si je pouvais encore attendre, alors que ma sœur est la seule famille qu’il me reste. Mes jambes son
—Je savais que je te trouverais ici.—Je n’ai pas cherché à me défiler.Zéphyr esquisse un sourire et s’engouffre dans l’espace sombre et bleuté du Jardin Abyssal. Il jette un rapide coup d’œil à l’aquarium, puis il me rejoint sur le canapé. Il se laisse tomber contre la matière moelleuse et pose ses avant-bras sur ses genoux, les mains croisées. Il ne dit rien. Et je sais pertinemment pourquoi. Il attend que ce soit moi, comme à chaque fois qu’il veut entamer une discussion sérieuse. Et je n’aime pas ce genre de discussions. Il me pousse souvent à comprendre ce que je redoute le plus, à faire face aux démons qui me rongent de l’intérieur. Et je déteste ça.—Tu perds ton temps, finis-je par dire.—Nous savons tous les deux que c’est un mensonge. Depuis quand ne lis-tu plus dans les pensées des autres ? Parce que tu n’as pas l’air de savoir pourquoi je suis là.—Je suis fatigué.—Fatigué ? relève-t-il, les yeu
—Angie, attrape !Je rattrape in extremis la dague qui filait droit sur mon front, ma main se refermant autour de la lame en métal froid. Je braque un regard incendié en direction d’Apolline. Celle-ci hausse les épaules, et ses pensées, manquant un brin de tact, ne tardent pas à résonner dans ma tête.«Tu n’avais qu’à être plus rapide ! »Je jette la dague à mes pieds. Celle-ci vient se figer dans le tatami. Si Ombelline voit ça, je suis mort. Je la retire et m’assieds sur l’entaille désormais présente, jetant un coup d’œil discret en direction de l’Immortelle. Elle est encore occupée à arbitrer le combat d’Edden et de Maximilien. Le Cerveau n’a d’ailleurs aucune chance, il n’est pas assez rapide et n’arrive pas à anticiper les coups de son adversaire. Et même si cela me coûte de le reconnaître, Edden est fort. Très fort.—OK, dis-moi ce qui ne va pas.Je fronce les sourcils. Apolline me rejoint sur le tatami et s’assied à mes côtés,
—Puis-je connaître l’origine de ce vacarme ? tonne une voix féminine derrière notre petit groupe.Je me retourne pour faire face à une silhouette bien particulière.—Ombelline ! s’exclame Zéphyr, d’un ton moins assuré qu’il a l’habitude d’employer. Comme tu peux le voir, nous avons géré la situation ! Tu peux donc retourner te...—Vous avez géré la situation ? le coupe-t-elle sèchement. Il me semble pourtant que ce n’est pas officiellement terminé.L’Immortelle baisse ses yeux gris sur ma silhouette. J’affronte son regard, ne comprenant pas très bien en quoi sa phrase me concerne. Suis-je la situation non terminée ? Isaac a réussi à me faire reprendre mes esprits et à me calmer. Si elle était arrivée quelques minutes plus tôt, sa remarque aurait été très pertinente, mais maintenant, elle tombe dans le vide. Je me contrôle parfaitement. Les Surnaturels dévient leur regard dans ma direction. Lorsque je vois le visage d’Apolline afficher une e
J’ouvre mes yeux sur un espace clos. Froid. Sans vie et abandonné. Ou presque. Un vieux berceau terni par les années se tient dans un coin. Je sais exactement où je suis. Je savais que cela se reproduirait, mais je n’imaginais pas aussi rapidement. Je baisse le regard sur mes jambes pour constater, à mon plus grand soulagement, qu’elles ne sont pas ligotées. Et aucune chaise à l’horizon. Je suis tout simplement assise sur le sol froid. Le berceau est le seul meuble de la pièce. Si Isaac dit vrai et que je suis bien victime d’une effraction de rêve, cela veut donc dire que Mélodie créée ce cauchemar de toutes pièces. Le berceau qui figure dans cet endroit n’est donc pas là pour rien.Je me relève, à l’affût du moindre bruit susceptible d’annoncer la venue de la Démone. Pour le moment, il n’y a personne. Elle ne doit pas savoir que je suis réveillée. Il faut dire que contrairement à la dernière fois, je n’ai pas fait de bruit. Isaac m’a bien expliqué qu’ici, il ne pouvait rien m’a
Une voix. Je l’entends. Elle me parle, elle murmure mon prénom. Se glisse dans les limbes de mon sommeil. Caresse mes paupières, m’intimant l’ordre de les ouvrir. J’ai envie de dormir, mais j’obéis. J’ouvre les paupières, lentement, pour ne pas être éblouie par les rayons du soleil matinal. Cependant, ce n’est pas sur ma chambre que mes yeux s’ouvrent, mais sur un espace sombre. Froid. Sans vie. Mes pupilles peinent à se dilater pour tenter d’apercevoir quelque chose. Après plusieurs secondes, je parviens à distinguer une forme au loin. Je plisse les yeux. À première vue, on dirait un lit. Mais il me semble bien trop petit pour accueillir un adulte, ou même un enfant.En revanche, il est idéal pour un bébé. C’est un berceau. Un vieux berceau qui semble avoir subi les conséquences du temps. La peinture du bois est écaillée, et quelques planches sur le côté manquent à l’appel. Mais il est là. Toujours debout, tout au fond, dans un coin. Ce berceau abandonné donne un aspect
Angie coulisse la porte pour la fermer. Je fronce les sourcils.—Je préférerais que tu ne fermes pas la porte.—Je préfère quand elle est fermée, réplique-t-il d’emblée.Je croise les bras et soupire pour lui signifier que je ne suis pas d’accord avec lui. C’est incroyable, il lui suffit d’une phrase pour trouver le moyen de me contredire ! Comment allons-nous réussir à communiquer calmement l’un et l’autre, si nous ne sommes déjà pas d’accord quant au fait de fermer ou non une porte ?Angie croise les bras et s’adosse contre la porte, le regard rivé sur un point au-dessus de moi. Généralement, quand il fait ça, c’est qu’il est perdu dans ses pensées. Je me laisse alors lourdement retomber sur mon lit, les bras étalés de part et d’autre de ma tête, fermant les yeux pour ne plus avoir à croiser cette lumière éblouissante. Un sourire ne tarde pas à faire son apparition sur mon visage. Je sais pourquoi il est ici. Du moins, je crois avoir ma petite
—Evalina !—Non, va-t’en ! lui hurlé-je, des larmes de colère perlant sur mes joues.Je ne veux plus le voir. Pas après ce qu’il a fait. A-t-il sincèrement pensé que je ne lui en voudrais pas ? Comment a-t-il pu me faire ça ? Comment a-t-il pu me regarder dans les yeux et me mentir ?—Attends ! Écoute-m...—Je t’ai dit de t’en aller ! vociféré-je.S’il n’est pas bête, il m’écoutera et s’en ira. Quoiqu’en ce moment, je doute de son intelligence. S’il avait un tant soit peu de jugeote, il ne m’aurait pas menti en me regardant droit dans les yeux. Il faut qu’il s’en aille. Mes nerfs sont en train de lâcher, et ce n’est pas bon du tout.—Je voulais te le dire, mais je ne savais pas comment t...—Va-t’en, Edden ! le coupé-je, serrant les poings pour tenter de me contrôler. Va-t’en ! Je t’en supplie, va-t’en !Le Fidèle s’apprête une fois de plus à se justifier, mais lorsque ses yeux verts croisent le
S’il te plaît, Angie, on a besoin de votre aide.—Qu’est-ce que tu fais ? me demande Sean, toujours occupé à rassurer Bastian.Je rouvre les yeux et attends quelques secondes avant de lui répondre, laissant mes pupilles s’habituer à l’obscurité. Cela faisait un moment que j’avais les paupières closes.—J’essayais de contacter Angie par la pensée, expliqué-je. Mais je crois que c’est inutile, ça ne fonctionne pas.C’est sans doute au-dessus de mes capacités. S’il m’avait entendu, il serait là, non ?—Les animaux de notre royaume sont capables de pratiquer entre eux l’appel par la pensée afin de rallier les autres lorsqu’il est question de danger ou de violation des frontières. Si les animaux peuvent le faire, je pense que tu peux y arriver aussi, m’encourage-t-il.Je le remercie d’un faible sourire, désespérée à l’idée de rester ici encore plusieurs heures. Ça commence à faire un bout de temps que nous sommes là. Apollin