—Elle se réveille !J’ouvre lentement mes paupières, aveuglée par la lumière blanche de la pièce où je me trouve. Je mets un certain temps avant de comprendre que je suis de retour à l’infirmerie. Je distingue de longs cheveux lisses et noir de jais penchés sur moi, j’en conclus donc qu’il s’agit d’Apolline. À ses côtés, une silhouette plus petite... c’est Cassie. Je tente de me relever du lit où je me trouve, mais une douleur lancinante dans le dos me fait esquisser une grimace et je me rallonge immédiatement.—Ne te relève pas si vite, tu vas te faire mal ! s’écrie Apolline.—Je crois que c’est déjà fait, rigole Cassie. Pardon, je sais que ce n’est pas drôle du tout ! Mais je ne peux pas m’empêcher de rire, c’est plus fort que moi ! pouffe-t-elle à nouveau.—Cassie ! Franchement ! Je ne vois vraiment pas ce que tu trouves de drôle là-dedans ! la gronde sa sœur. Evalina est restée dans le coma deux jours entiers à cause d’un violent
Je fixe la reine, abasourdie. Moi, une Gémone ? Mais ce royaume est encore plus dingue que je l’imaginais ! Candélaria est en train de me faire comprendre que tous leurs espoirs reposent sur moi, la fille qui est née sur Terre, qui ne connaît absolument aucune technique de combat, qui est essoufflée rien qu’en montant des escaliers, et qui tourne de l’œil à la première goutte de sang ! Je suis censée me battre et exterminer un être démoniaque ? Je ne suis pas une machine à tuer ! Ils ne peuvent pas m’utiliser comme ils le veulent et quand ça leur chante ! Moi qui tenais absolument à connaître la vérité, désormais, je ferais volontiers marche arrière. Je ne veux plus rien savoir ! Je veux tout oublier !—Si tu as des questions, ma chère, c’est le moment de les poser, me conseille la reine. Je me doute que tu dois être bouleversée.Bouleversée ? J’ai bien envie de lui dire que le mot est faible. J’ignore même comment je fais pour encaisser tout ça sans rien dire. Je s
Nous quittons enfin le Majestueux. Rester des mois enfermés dans ce château, il y a de quoi devenir fou. Si Evalina n’était pas arrivée ici pour chambouler nos habitudes, il n’y aurait jamais eu de sortie aujourd’hui. Mais je préférerais mourir plutôt que de l’avouer à voix haute. Depuis que nous avons quitté le Jardin Abyssal afin de rejoindre les autres à l’entrée du Majestueux, la Gémone se comporte d’une façon très étrange. Son regard ne cesse de fureter partout. Ses sourcils se froncent, laissant apparaître un léger pli au niveau du front. Je crève d’envie de savoir à quoi elle pense. Il me suffirait de braquer mon regard sur elle et de me concentrer suffisamment pour pouvoir entendre l’écho de ses pensées. Mais je me suis promis de me contenir. Je dois arrêter de le faire à chaque fois que j’en ai envie. Je détesterais qu’on me fasse la même chose. Je lui ai fait croire que je n’essaierai même pas de me retenir, mais c’était uniquement pour la voir s’énerver.Cette fille p
Je hurle de terreur. Je ne suis retenue que par les bras. Mes jambes se balancent dans le vide. Ces léldriques de malheur et leurs pinces me font un mal de chien ! Je devrais m’estimer heureuse qu’ils ne se décident pas à me lâcher en plein vol, mais ma destination me pétrifie d’angoisse. L’Imposant. J’espère seulement que la Démone va tenir sa promesse. Qu’elle relâche Tessia, saine et sauve. Histoire que mon sacrifice ne soit pas vain. Je me doutais que tout ne se passerait pas comme prévu. J’ai essayé de prévenir les Surnaturels lorsque j’ai aperçu ses monstres ailés au loin. J’ai essayé de crier pour capter leur attention, seulement, Edden et Angie étaient bien trop occupés à se battre. Quant aux autres, ils vérifiaient la zone. Le problème, c’est qu’aucun n’a pensé à vérifier juste au-dessus de nos têtes. Qu’est-ce qui a pris à Edden et Angie de s’adonner à cette bagarre ridicule ? Je pensais que les Surnaturels étaient soudés, et non qu’il puisse y avoir de telles tensions au sei
—Mélodie, attends-moi !Des éclats de rire s’échappent de la bouche de ma meilleure amie et viennent se répercuter dans la salle de classe vide. Nous avons pu nous faufiler discrètement à l’intérieur du collège, sans qu’aucun surveillant ne nous voie. Ça n’a pas été facile. On se serait crus agents du FBI à la poursuite d’un dangereux criminel. À chaque bruit suspect, Mélodie et moi nous planquions derrière n’importe quoi susceptible de nous cacher. Et à chaque fois, je ne pouvais m’empêcher de rire. Mélodie était la seule de nous deux à prendre notre mission très à cœur. Elle mettait une main sur ma bouche quand elle voyait que j’étais au bord de la crise de rire, puis elle vérifiait que la voie était libre. C’est ainsi que nous nous sommes retrouvées là, dans la classe de notre professeur de français. C’est notre première heure de cours le lundi matin. D’habitude, nous ne pouvons nous rendre au collège qu’à partir de huit heures trente. Avant cet horaire, le bâtiment est
—Je vous avais demandé de ne pas lui faire de mal, s’exclame une voix féminine.Je cherche des yeux le physique de cette voix, mais à part les trénones et moi, je ne discerne personne. Je plisse les yeux pour y voir plus clair. Cette pièce a beau être spacieuse, elle n’en est pas moins très sombre. Mais la luminosité se fait soudain plus vive. Un nébor vient de brancher l’un de ces fils à une prise située un peu plus loin. Je peux désormais discerner avec plus de précision ce qui se dresse en face de moi. C’est un immense rideau rouge, fait de velours. Il couvre la distance du sol jusqu’au plafond, et de part et d’autre des extrémités de la salle. Cette pièce me fait penser à une scène de théâtre. Un rond lumineux y est réfléchi. Un projecteur doit certainement se trouver au fond de la salle. Et derrière le rideau, je ne tarde pas à distinguer une forme humaine. La mise en scène est identique à celle des spectacles de danse que ma meilleure amie et moi adorions aller voir.
Je suis balancée dans ma cellule comme un vulgaire bout de chiffon. Les barreaux se referment derrière moi dans un fracas assourdissant, tandis que les nébors s’éloignent au loin. Mon nez se fronce de dégoût à l’odeur familière de pourriture qui règne à l’Isolement. Mes larmes coulent le long de mes joues. Je me recroqueville et enfouis ma tête entre mes genoux. Des sanglots étouffés se répercutent à travers la cellule. Mes pensées fusent à mille à l’heure, tout se bouscule. Les derniers souvenirs que j’ai de Roxana remontent alors à la surface. Comme la fois où nous nous étions poursuivies dans la classe avec nos doigts pleins de pâte à tartiner. Ou bien celle où l’on avait dansé comme des folles à ma soirée d’anniversaire. Ou encore, lorsqu’elle m’avait offert son cadeau au parc, juste avant que ma vie ne tourne au drame improbable. Je porte une main autour de mon cou et serre le collier entre mes doigts. Cette petite note de musique, une clé de sol, sertie de quelques pierres de sap
—Evalina !Cette voix... elle m’est étrangement familière. Si familière qu’elle me contraint à desserrer mon emprise. Ma victime peut à nouveau respirer. Ce n’est pas normal. Je ne devrais pas la laisser vivre. Je fronce les sourcils de frustration et reprends où j’en étais pour en finir, quand une seconde voix, plus grave, se fait entendre à travers le hall.—Ne fais pas ça !Ne fais pas quoi ? Je veux juste achever ma proie, mais quelque chose au fond de moi me pousse à abandonner. Je la repose au sol et elle s’écroule dans un bruit sourd. J’entends d’ici son sifflement irrégulier, signe qu’elle est toujours en vie. Pourquoi l’ai-je relâchée, alors que mon instinct m’intime de la tuer ? Mes yeux recommencent à me brûler. C’est alors que des bras m’enserrent la taille et me tirent en arrière. Je bute contre quelque chose de dur, mais de doux à la fois. Un corps. Quelqu’un me maintient dans ses bras pour m’empêcher d’atteindre mon but ultime. L’extase f
Angie est le premier à demander des explications. J’entends sa voix, mais je suis incapable de me concentrer sur ce qu’il dit. Les seuls mots qui résonnent dans ma tête sont ceux de Zéphyr. Il n’a pas dit que Cassie et Tessia étaient revenues. Il a seulement dit Cassie. Ma poitrine me fait mal. Mon corps se met à trembler de lui-même. Je ne me sens pas bien. Ma gorge est serrée. Je n’arrive plus à distinguer clairement mon entourage. Mon cœur bat trop vite. J’essaie de prendre une profonde inspiration et d’expirer calmement, mais j’ai l’impression de ne plus pouvoir respirer. Tessia n’est pas revenue. Je recule et heurte la paroi du tunnel. J’ai la sensation qu’on est en train de jouer avec mon cœur. Qu’il résiste tant bien que mal, mais qu’il suffirait qu’on le crève encore un peu plus pour le voir perdre la partie. Je ne me sens plus capable d’agir comme si ce n’était pas grave. Comme si je pouvais encore attendre, alors que ma sœur est la seule famille qu’il me reste. Mes jambes son
—Je savais que je te trouverais ici.—Je n’ai pas cherché à me défiler.Zéphyr esquisse un sourire et s’engouffre dans l’espace sombre et bleuté du Jardin Abyssal. Il jette un rapide coup d’œil à l’aquarium, puis il me rejoint sur le canapé. Il se laisse tomber contre la matière moelleuse et pose ses avant-bras sur ses genoux, les mains croisées. Il ne dit rien. Et je sais pertinemment pourquoi. Il attend que ce soit moi, comme à chaque fois qu’il veut entamer une discussion sérieuse. Et je n’aime pas ce genre de discussions. Il me pousse souvent à comprendre ce que je redoute le plus, à faire face aux démons qui me rongent de l’intérieur. Et je déteste ça.—Tu perds ton temps, finis-je par dire.—Nous savons tous les deux que c’est un mensonge. Depuis quand ne lis-tu plus dans les pensées des autres ? Parce que tu n’as pas l’air de savoir pourquoi je suis là.—Je suis fatigué.—Fatigué ? relève-t-il, les yeu
—Angie, attrape !Je rattrape in extremis la dague qui filait droit sur mon front, ma main se refermant autour de la lame en métal froid. Je braque un regard incendié en direction d’Apolline. Celle-ci hausse les épaules, et ses pensées, manquant un brin de tact, ne tardent pas à résonner dans ma tête.«Tu n’avais qu’à être plus rapide ! »Je jette la dague à mes pieds. Celle-ci vient se figer dans le tatami. Si Ombelline voit ça, je suis mort. Je la retire et m’assieds sur l’entaille désormais présente, jetant un coup d’œil discret en direction de l’Immortelle. Elle est encore occupée à arbitrer le combat d’Edden et de Maximilien. Le Cerveau n’a d’ailleurs aucune chance, il n’est pas assez rapide et n’arrive pas à anticiper les coups de son adversaire. Et même si cela me coûte de le reconnaître, Edden est fort. Très fort.—OK, dis-moi ce qui ne va pas.Je fronce les sourcils. Apolline me rejoint sur le tatami et s’assied à mes côtés,
—Puis-je connaître l’origine de ce vacarme ? tonne une voix féminine derrière notre petit groupe.Je me retourne pour faire face à une silhouette bien particulière.—Ombelline ! s’exclame Zéphyr, d’un ton moins assuré qu’il a l’habitude d’employer. Comme tu peux le voir, nous avons géré la situation ! Tu peux donc retourner te...—Vous avez géré la situation ? le coupe-t-elle sèchement. Il me semble pourtant que ce n’est pas officiellement terminé.L’Immortelle baisse ses yeux gris sur ma silhouette. J’affronte son regard, ne comprenant pas très bien en quoi sa phrase me concerne. Suis-je la situation non terminée ? Isaac a réussi à me faire reprendre mes esprits et à me calmer. Si elle était arrivée quelques minutes plus tôt, sa remarque aurait été très pertinente, mais maintenant, elle tombe dans le vide. Je me contrôle parfaitement. Les Surnaturels dévient leur regard dans ma direction. Lorsque je vois le visage d’Apolline afficher une e
J’ouvre mes yeux sur un espace clos. Froid. Sans vie et abandonné. Ou presque. Un vieux berceau terni par les années se tient dans un coin. Je sais exactement où je suis. Je savais que cela se reproduirait, mais je n’imaginais pas aussi rapidement. Je baisse le regard sur mes jambes pour constater, à mon plus grand soulagement, qu’elles ne sont pas ligotées. Et aucune chaise à l’horizon. Je suis tout simplement assise sur le sol froid. Le berceau est le seul meuble de la pièce. Si Isaac dit vrai et que je suis bien victime d’une effraction de rêve, cela veut donc dire que Mélodie créée ce cauchemar de toutes pièces. Le berceau qui figure dans cet endroit n’est donc pas là pour rien.Je me relève, à l’affût du moindre bruit susceptible d’annoncer la venue de la Démone. Pour le moment, il n’y a personne. Elle ne doit pas savoir que je suis réveillée. Il faut dire que contrairement à la dernière fois, je n’ai pas fait de bruit. Isaac m’a bien expliqué qu’ici, il ne pouvait rien m’a
Une voix. Je l’entends. Elle me parle, elle murmure mon prénom. Se glisse dans les limbes de mon sommeil. Caresse mes paupières, m’intimant l’ordre de les ouvrir. J’ai envie de dormir, mais j’obéis. J’ouvre les paupières, lentement, pour ne pas être éblouie par les rayons du soleil matinal. Cependant, ce n’est pas sur ma chambre que mes yeux s’ouvrent, mais sur un espace sombre. Froid. Sans vie. Mes pupilles peinent à se dilater pour tenter d’apercevoir quelque chose. Après plusieurs secondes, je parviens à distinguer une forme au loin. Je plisse les yeux. À première vue, on dirait un lit. Mais il me semble bien trop petit pour accueillir un adulte, ou même un enfant.En revanche, il est idéal pour un bébé. C’est un berceau. Un vieux berceau qui semble avoir subi les conséquences du temps. La peinture du bois est écaillée, et quelques planches sur le côté manquent à l’appel. Mais il est là. Toujours debout, tout au fond, dans un coin. Ce berceau abandonné donne un aspect
Angie coulisse la porte pour la fermer. Je fronce les sourcils.—Je préférerais que tu ne fermes pas la porte.—Je préfère quand elle est fermée, réplique-t-il d’emblée.Je croise les bras et soupire pour lui signifier que je ne suis pas d’accord avec lui. C’est incroyable, il lui suffit d’une phrase pour trouver le moyen de me contredire ! Comment allons-nous réussir à communiquer calmement l’un et l’autre, si nous ne sommes déjà pas d’accord quant au fait de fermer ou non une porte ?Angie croise les bras et s’adosse contre la porte, le regard rivé sur un point au-dessus de moi. Généralement, quand il fait ça, c’est qu’il est perdu dans ses pensées. Je me laisse alors lourdement retomber sur mon lit, les bras étalés de part et d’autre de ma tête, fermant les yeux pour ne plus avoir à croiser cette lumière éblouissante. Un sourire ne tarde pas à faire son apparition sur mon visage. Je sais pourquoi il est ici. Du moins, je crois avoir ma petite
—Evalina !—Non, va-t’en ! lui hurlé-je, des larmes de colère perlant sur mes joues.Je ne veux plus le voir. Pas après ce qu’il a fait. A-t-il sincèrement pensé que je ne lui en voudrais pas ? Comment a-t-il pu me faire ça ? Comment a-t-il pu me regarder dans les yeux et me mentir ?—Attends ! Écoute-m...—Je t’ai dit de t’en aller ! vociféré-je.S’il n’est pas bête, il m’écoutera et s’en ira. Quoiqu’en ce moment, je doute de son intelligence. S’il avait un tant soit peu de jugeote, il ne m’aurait pas menti en me regardant droit dans les yeux. Il faut qu’il s’en aille. Mes nerfs sont en train de lâcher, et ce n’est pas bon du tout.—Je voulais te le dire, mais je ne savais pas comment t...—Va-t’en, Edden ! le coupé-je, serrant les poings pour tenter de me contrôler. Va-t’en ! Je t’en supplie, va-t’en !Le Fidèle s’apprête une fois de plus à se justifier, mais lorsque ses yeux verts croisent le
S’il te plaît, Angie, on a besoin de votre aide.—Qu’est-ce que tu fais ? me demande Sean, toujours occupé à rassurer Bastian.Je rouvre les yeux et attends quelques secondes avant de lui répondre, laissant mes pupilles s’habituer à l’obscurité. Cela faisait un moment que j’avais les paupières closes.—J’essayais de contacter Angie par la pensée, expliqué-je. Mais je crois que c’est inutile, ça ne fonctionne pas.C’est sans doute au-dessus de mes capacités. S’il m’avait entendu, il serait là, non ?—Les animaux de notre royaume sont capables de pratiquer entre eux l’appel par la pensée afin de rallier les autres lorsqu’il est question de danger ou de violation des frontières. Si les animaux peuvent le faire, je pense que tu peux y arriver aussi, m’encourage-t-il.Je le remercie d’un faible sourire, désespérée à l’idée de rester ici encore plusieurs heures. Ça commence à faire un bout de temps que nous sommes là. Apollin