Région des Mille Îles, à la frontière canadienne...Le canot remontait lentement le fleuve Saint-Laurent dans la lumière déclinante du soleil couchant.Angela se tenait à la proue, observant la berge boisée qui défilait sur sa droite tandis qu’un chapelet d’îles – Saint-Elmo Island, Florence, Sunken Rock et d’autres plus petites dont le nom n’était pas indiqué sur sa carte – défilaient à gauche.Quelques maisons apparaissaient çà et là, parfois uniques sur les îles les plus petites, perdues dans un écrin de conifères, prélude aux immenses forêts canadiennes dont Angela apercevait la ligne sombre sur la rive nord du fleuve. La nature donnait ici sa pleine mesure, belle et sauvage, peu marquée par l’homme, si ce n’était la pollution invisible du fleuve.Quelque part devant, perdue dans l’obscurité naissante et les nappes de brume que la baisse de température faisait surgir, Deer Island, l’île des Skull and Bones, se dressait, farouche et
Rome...Il faisait encore nuit lorsque Noa se posa à Fiumicino.Il avait rejoint Londres en taxi et sauté dans le premier avion pour Rome, sans réfléchir, mais son anxiété n’avait fait que croître au cours du vol. Maintenant il en était persuadé, il s’était précipité dans la gueule du loup. Et il était trop tard pour faire machine arrière.La porte avant de l’avion s’ouvrit et les passagers commencèrent à sortir. Noa traîna le plus longtemps possible afin d’être dans les derniers.Tandis qu’il remontait la travée centrale vers la sortie, il cherchait un endroit où se cacher, peut-être dans les toilettes ou le galley avant, mais les hôtesses étaient trop nombreuses et attentives pour qu’il puisse tromper leur surveillance. Il se retrouva sur la passerelle, puis dans les couloirs de l’aéroport, canalisé comme les autres passagers vers les services officiels sans espoir de fuite.C’est dans la file d’attente pour l’immigration qu’il
Hongrie...Le train d’Angela entra en gare de Budapest-Keleti en fin d’après-midi. La jeune femme descendit du wagon et se mêla aux autres passagers, se laissant porter par le flot des voyageurs. Un panneau indicateur bleu soutenu par deux pylônes verts donnait différentes informations en Hongrois, mais les pictogrammes internationaux étaient assez explicites pour qu’elle puisse reconnaître la direction du métro. Il aurait été plus simple de prendre un taxi, mais Zed avait été catégorique à ce sujet.En repensant au hacker, l’inquiétude la submergea. Zed avait réussi à la persuader qu’elle était sur la liste des tueurs de William et qu’elle devait dorénavant se montrer extrêmement prudente. Il l’avait conduite à l’aéroport de Montréal afin de la faire partir du Canada, endroit plus sûr d’après lui que les États-Unis.Cependant, son passeport allait fatalement la trahir, laissant une empreinte électronique aussi visible pour les limiers des service
Il était presque minuit lorsque la voiture de Noa entra dans Budapest. Il avait couvert les mille cinq cents kilomètres depuis Rome en moins de seize heures, au volant d’un véhicule de location. La fatigue aurait dû le terrasser - il ne se rappelait même plus quand il avait dormi pour la dernière fois - mais il était porté par une énergie qu’il ne s’expliquait pas.Il avait trouvé l’adresse du professeur Emmerich sur Internet et l’avait rentrée dans le GPS de la voiture. L’heure était très indue pour une visite, mais quelque chose le poussait à y aller malgré tout.À cette heure-ci, les rues de la ville étaient presque désertes et la circulation inexistante. Il lui fallut peu de temps pour rejoindre l’avenue Karoly. Il se gara en face de la synagogue et marcha vers la rue Dob dont il avait mémorisé la position. Il découvrit l’immeuble avec facilité, y pénétra, gravit les escaliers quatre à quatre et chercha le numéro 12. Il allait frapper à la porte lorsque celle-
Angela se réveilla dans un semi-brouillard mental, qu’une douche froide ne parvint pas à dissiper.Emmaillotée dans sa serviette de bain, elle regarda par la fenêtre.Un jour morne s’était levé sur Budapest.L’esprit en berne, elle alluma la télévision avant de s’asseoir sur le lit pour sécher ses cheveux.Son cerveau mit quelques secondes à comprendre ce que les images montraient. Elle sauta sur la télécommande pour augmenter le volume sonore et son cœur manqua un battement.Un flash spécial d’information tournait en boucle.L’Ange Révélateur venait d’envoyer un cinquième message au monde.L’esprit en feu, Noa tournait dans sa chambre comme un lion en cage.Le nouveau message de Ö était une véritable bombe.À l’habituel texte hermétique, était jointe une liste, celle des cent sociétés les plus corrompues au monde, avec, non seulement la preuve de leurs méfaits, mais aussi des extraits de courrie
New Haven, Connecticut,...L’édifice pompeusement appelé « The Tomb » par ses propriétaires, est une petite construction de pierres roses coincée entre le lycée Jonathan Edwards et le bâtiment de la Russel Trust Association, sur High Street, à deux pas de la célèbre université de Yale. La façade, partiellement cachée derrière deux grands marronniers, est percée de hautes et très étroites fenêtres ressemblant à des meurtrières, conférant à l’ensemble l’allure d’une sorte de temple médiéval.La rue, habituellement calme, connaissait ce soir-là une agitation feutrée, celle d’un ballet de limousines noires déposant leurs hôtes devant l’entrée du manoir. Deux vans des services secrets bloquaient la rue en amont et en aval, tandis que des agents patrouillaient aux alentours.Le sénateur Urban descendit de sa voiture, franchit en quelques pas le trottoir et la courte allée, puis grimpa les cinq marches menant à une entrée à double colonne surmo
Rome, place Saint-Pierre...Le pape s’apprêtait à réciter la prière pour l’Angélus de midi depuis la terrasse surélevée placée devant la basilique. La foule, plus dense que d’habitude, se pressait derrière les barrières, impatiente et frémissante à l’idée que le Saint-Père allait peut-être commenter les derniers évènements et donner des réponses aux multiples interrogations que le monde se posait.L’Ange Révélateur était-il un messager de Dieu ? Telle était la question qui tournait en boucle dans les esprits surchauffés. Pour beaucoup, cela ne faisait plus aucun doute. Cependant, chacun savait que le Vatican était très prudent avec les miracles. Nul doute qu’il n’y aurait pas de confirmation papale, néanmoins, chaque mot concernant Ö serait bu comme parole divine par les pèlerins, quelle qu’en soit la signification.De l’autre côté de la place Saint-Pierre, là où les colonnes du Bernin s’ouvraient sur la ville en une large entrée
Budapest...Angela et Noa avaient parlé sans discontinuer durant des heures.Ils s’étaient d’abord présentés l’un à l’autre, presque pudiquement. Puis, la confiance s’installant, ils s’étaient livrés à un échange d’informations à bâtons rompus, n’omettant aucun détail sur leurs découvertes mutuelles des derniers jours.Au fil de leur discussion, ce qu’avait pressenti le professeur Emmerich prenait corps ; leurs deux enquêtes étaient liées.Bien sûr, il y avait l’Ange. Ou peut-être, des Anges. Car rien ne prouvait que les apparitions africaines, indiennes et péruviennes fussent l’œuvre de la même entité que Ö. D’après le théologien, la confrérie angélique était nombreuse et bien organisée. Quoi qu’il en soit, une énergie divine était descendue sur Terre pour mettre en garde les hommes contre quelque chose de terrible.Angela avait ensuite rallumé la télévision pour voir si les choses avaient évolué suite à la divulgation du cinqui
Quelque part dans les Montagnes Rocheuses, un an plus tard…Il faisait nuit. Angela était dehors, sur la terrasse de leur magnifique chalet perdu en pleine montagne, à deux heures de route sinueuse de la première ville.La jeune femme était sortie pour contempler les étoiles qu’aucune pollution lumineuse ne venait troubler, de sorte que le ciel était d’une densité extraordinaire, un véritable océan d’astres sur lequel la Voie Lactée se détachait tel un ruban céleste.Par la porte coulissante laissée ouverte, elle entendait le son de la télévision que Noa regardait encore.Le flash spécial qui passait en boucle depuis des heures sur les chaines du monde entier, annonçait une nouvelle absolument unique dans l’histoire humaine : le dernier conflit de la planète venait de prendre fin.Après des millénaires de guerre et de barbarie, le monde, l’humanité, était enfin en paix.Noa éteignit la télé et sortit rejoindre sa compagn
Le président Pennet marchait d’un pas nerveux dans le bureau ovale pendant qu’il parlait au téléphone avec Karl Urban. Ce dernier écumait d’une rage froide, lançant des mots aussi tranchants à l’encontre de l’occupant de la Maison-Blanche que l’étaient les scalpels qu’il utilisait pour ses exécutions, mais ce n’était pas ce qui inquiétait le plus Pennet. Ce dernier s’arrêtait toutes les dix secondes pour regarder, par les hautes fenêtres, la scène qui se déroulait devant les grilles de la Maison-Blanche, là où une foule de plus en plus nombreuse s’agglutinait. Malgré la distance, il était clair que les barrières, sous la pression, commençaient à céder. Dans les jardins, les membres des Services Secrets couraient en tous sens mais c’est leur chef – un grand gaillard nommé Jeffrey Cooper - qui fit irruption dans son bureau. Étrangement, il était parfaitement calme.– Monsieur le Président, nous allons vous évacuer. Suivez-moi je vous prie.Le ton était posé, mais ferme. Un
Le porte-avions USS Georges H.W. Bush, accompagné des croiseurs et destroyers de son groupe d’escorte, fendait les flots à pleine vitesse vers le détroit de Gibraltar. Les cinq autres groupes de combat, ainsi que les navires d’assaut des Marines, suivaient à quelques milles de distance, échelonnés en file indienne.La plus grande force aéronavale depuis la Seconde Guerre mondiale, approchait de la mer Méditerranée.Le commandant de l’armada, l’amiral Necker, était à la passerelle du Georges Bush et observait l’horizon à la jumelle. Les premiers rapports de vol des avions de reconnaissance, faisaient état d’une flottille hétéroclite de bateaux commençant à boucher l’entrée du détroit de Gibraltar. Apparemment, d’après les analystes qui scrutaient les nombreuses photographies aériennes prises ces dernières heures, ils n’étaient pas armés.– Amiral, nous avons un problème !L’officier en chef des services de renseignements du bord, un capitaine de
Deux heures avaient passé depuis la fin de la méditation. Le jour s’était levé mais ils ne s’en étaient même pas aperçus ; depuis ce temps, ils scrutaient fiévreusement leurs écrans, passant d’un site de chaîne d’info à un autre, en attente de quelque chose - un acte, un événement significatif - qui démontrerait un basculement des consciences.Le premier fait marquant apparut à Calcutta, en Inde, lorsqu’une télé locale relata qu’une foule qui grossissait de minute en minute, s’était massée devant le consulat américain, scandant des slogans de paix. Davis laissa l’un des portables branché sur le site en question tandis qu’il surfait avec l’autre. Et il tomba sur un deuxième fait : la même chose se produisait à New Delhi devant l’ambassade US. Puis, un de ses collègues à Princeton lui envoya un lien vers une télévision locale brésilienne, à Rio de Janeiro. Là aussi, une foule énorme avait envahi les rues autour de l’ambassade américaine. Mais le plus étrange, était l
Cinq heures vingt minutes du matin, à Mac Leod Ganj…Malgré l’heure matinale, il y avait foule dans le temple, dans les rues adjacentes ainsi que dans le village et même sur la route y conduisant. Non seulement tous les moines de la région avaient rejoint le temple bouddhiste pour la Grande Méditation, mais également les habitants des villages alentour et une bonne partie de ceux de Dharamsala. L’instant de la méditation arrivant – il serait minuit, heure de Greenwich, dans dix minutes - tout le monde s’était assis en silence, certains directement sur les routes et chemins menant au temple.Angela et Noa s’étaient joints aux moines dans le monastère, ainsi que Foller.Davis, lui, était installé à un bureau de fortune dressé dans un coin de la salle principale, ses deux ordinateurs portables connectés au Pearl Lab via une liaison Skype, et un téléphone satellite à portée de main. Il observait les méditants qui se préparaient à cet instant unique da
Le porte-parole du Dalaï Lama, aidé par Adam Foller et ses nombreux contacts, fit venir en un temps record deux équipes de télévisions indiennes à Dharamsala. Les correspondants des grands groupes de presse occidentaux siégeant à Delhi furent également contactés, mais, étrangement, ils refusèrent de venir.Apparemment, le message d’un homme de paix en ces temps de guerre, n’était pas le bienvenu. Cela ne surprit guère Noa, qui savait parfaitement comment fonctionnait le système. Les grands groupes de presse étaient aux ordres et participaient à la mascarade.Qu’à cela ne tienne, il y avait d’autres solutions. Davis lança la nouvelle sur les réseaux sociaux. En quelques heures, la nouvelle devint virale et fit le tour de la planète Internet : les deux journalistes qui avaient annoncé la venue de Ö étaient avec le Dalaï Lama.Et ils avaient une solution pour stopper la guerre.Les caméras avaient été installées sur la terrasse extér
Dharamsala, État de l’Himachal Pradesh, Inde du Nord…Le voyage avait duré plus de vingt heures et Angela se sentait exténuée. Après tout, il y a peu, elle était encore morte et sa résurrection lui avait laissé quelques séquelles en terme de fatigue. Le jet de Foller les avait déposés à Delhi, d’où ils avaient pris un avion à hélice qui les avait ensuite conduits à Gagal, l’aérodrome de Dharamsala. De là, un taxi les avait emmenés dans un petit village au nord de la ville indienne qui dominait la vallée de Kangra, plus précisément à Mc Leod Ganj, lieu de villégiature des bouddhistes en exil et de leur chef suprême, le Dalaï Lama.Le taxi les avait déposés au centre et depuis, ils poursuivaient à pied sur un chemin sinuant au beau milieu d’une multitude de maisons blanches, vertes, bleues, ocre et jaunes, toutes à plusieurs étages, s’accrochant à flanc de colline au sein d’une verdure aussi exubérante que chatoyante. Tout autour, des centaines de fanions
Base navale de Norfolk, Virginie…Les six porte-avions quittèrent leurs quais à dix minutes d’intervalle, poussés par de puissants remorqueurs qui les aidèrent à déhaler des pontons. Les deux cent soixante mille chevaux de leurs turbines alimentées par les réacteurs nucléaires Westinghouse prirent le relais, ébranlant les lourds navires sur la James River.Sur les ponts, les équipages, en grande tenue, étaient alignés au cordeau afin de saluer la foule immense. Car toute la population de la région était venue assister au départ et s’était massée sur les rives, les plages et même les ponts de la baie de Chesapeake - qui avaient été fermés à la circulation pour l’occasion. Les sirènes de bord firent retentir leurs hurlements gutturaux, auxquels répondirent les cris et les encouragements des spectateurs tandis que dans le ciel, le ballet des hélicoptères des chaînes de télévision battait son plein.La fanfare de la garde nationale avait
Université de Princeton…Le docteur Richard Madison résidait quelques rues plus loin, de sorte qu’ils furent chez lui en peu de temps.Davis tambourina à la porte qui ne tarda pas à s’ouvrir sur un homme dans la soixantaine, vêtu d’un jean et d’une chemise bleu clair. Son épaisse chevelure poivre et sel lui donnait un air juvénile, que renforçait le large sourire qu’il afficha lorsqu’il reconnut Davis.– Brad ! Que me vaut le plaisir ?– Docteur Madison, désolé de vous déranger à l’improviste, mais nous avons besoin de votre aide.Madison les fit entrer et les installa dans son salon. Davis fit les présentations, suivi d’un résumé exhaustif de la situation.– Je crois savoir pourquoi vous êtes venus me trouver, Brad, fit le scientifique.– Vous pensez à la même chose que moi ?– Oui. La méditation.– Le docteur Richard Madison est professeur de psychologie et de psychiatrie à l’université de Prin