New York, plateau de Fox News…Le révérend Robert Taggert fit son entrée sous les applaudissements d’un public soigneusement sélectionné pour la circonstance. Vêtu d’un costume sombre qui affinait sa haute silhouette tout en faisant resplendir ses cheveux blancs coupés courts, il portait ses soixante quinze ans avec une rare élégance. Un sourire éclatant de star hollywoodienne placardé sur son visage lifté, il serra chaleureusement la main de Will Connoly, le journaliste vedette qui l’avait invité dans son émission. Ce dernier le convia à s’asseoir dans l’un des deux larges fauteuils placés au centre du plateau. L’émission se déroulant en direct, toute la technique – éclairage, son, régie - était réglée au millimètre et Connoly attaqua sans préambule.– Révérent Taggert, merci d’être venu aussi vite ! Je sais que vous êtes très pris par vos ouailles dans votre fief de Virginie.– L’actualité ne peut pas attendre Will, vous le savez mieux que moi,
Budapest.Le jour se levait.Angela était accoudée à la rambarde du pont Elisabeth et laissait son regard vagabonder au gré des flots. Vingt mètres plus bas, les eaux grises du Danube s’écoulaient avec une lenteur apaisante, indifférentes au tumulte qui gagnait peu à peu la planète, mais cela ne calma en rien son esprit.À l’espoir messianique suscité par les révélations de Ö, succédaient dorénavant des rumeurs de guerre.Le monde basculait. Et il n’avait suffi que de quelques heures pour cela. Comment pouvait-on passer d’un extrême à l’autre en si peu de temps ?Les gens sont versatiles, voilà tout. Cela fait partie de la nature humaine, se dit-elle.Mais qu’allaient-ils faire maintenant ? Comment renverser la situation ? Comment empêcher cette guerre dont le spectre se matérialisait un peu plus à chaque heure qui passait ?À ses côtés, la présence de Noa la rassura. Elle n’était plus seule dans sa quête. Une onde
New York…Se cacher parmi huit millions de personnes était le meilleur moyen de passer inaperçu, se répétait Zed tel un mantra afin de combattre son aversion pour les villes. Après le départ d’Angela, il avait pris la décision d’aller se noyer dans la plus grande masse populaire des États-Unis : New York City. Densité : sept mille habitants au kilomètre carré. Néanmoins, même dans ces conditions, la NSA le repèrerait aussi facilement qu’un mouton noir dans un troupeau s’il faisait le moindre faux-pas. Il changeait donc d’hôtel tous les jours, donnait des faux noms, payait systématiquement en liquide, et surtout, se connectait sous des IP différents en ayant pris soin de pirater des réseaux wi-fi aussi loin que possible de sa position.Présentement, il était dans le Queens, quartier populaire multi-ethnique qui offrait un terrain de jeu parfait pour rester incognito. Malgré tout, la situation n’était pas enviable. Être un fugitif ne permettait pas d
Budapest.Angela dormait à poings fermés lorsqu’on frappa à sa porte. Elle se réveilla instantanément, sur le qui-vive, une onde de peur la parcourant. Elle se leva et s’approcha de la porte, une boule au ventre.– Qui est là ?– C’est Noa ! Ouvrez !Soulagée, elle déverrouilla la porte, laissant le journaliste se faufiler à l’intérieur. Il claqua la porte derrière lui et la prit dans ses bras.– On a réussi !– Quoi ?!– Ö… Il nous a entendus !Ils étaient assis sur le lit et discutaient dans la pénombre, la seule source de lumière étant la faible clarté nocturne de la ville filtrant par les rideaux.– Je n’arrivais pas à dormir et je suis descendu dans le hall pour me connecter sur le Web par l’ordinateur de l’hôtel.– Que dit le message ? demanda Angela.– Guettez la venue de Ö.– C’est tout ?– C’est tout.– Mon Dieu, il va venir ! C’est incroyable !
Londres…Bien qu’il fût l’heure du déjeuner, la salle de rédaction du Guardian bruissait de l’habituelle effervescence des grands quotidiens. Comme aimait à le répéter Harold Ramis, le rédacteur en chef, l’information ne mangeait pas, ne dormait pas, ne prenait jamais la moindre pause-café. Il se passait toujours quelque chose sur la planète Terre, et ce qui valait la peine d’être rapporté devait l’être sans délai. Être un bon journaliste ne consistait pas à pondre un bon papier ; il fallait l’écrire avant les autres. Ce métier était un sacerdoce qui devait s’affranchir des habituelles contraintes temporelles humaines.Ce qui pouvait devenir usant à la longue, en convenait Ramis. Mais après plus de vingt ans passés dans le métier, il ne l’aurait lâché pour rien au monde. Ce boulot était une drogue, une putain de drogue ! À vrai dire, il ne vivait que pour ça.Prévenu de l’arrivée du dernier message de Ö quelques minutes à peine après sa
Budapest…Angela et Noa avaient décidé de téléphoner dans des lieux publics éloignés de leur hôtel par mesure de sécurité. Une fois fait, ils se rejoignirent dans un café du quartier piéton de Vaci, dont la terrasse s’ouvrait sur une charmante place arborée. Ils commandèrent du thé, des sandwichs et des pâtisseries locales, puis firent le point.Chacun avait appelé son journal respectif, ainsi que tous les contacts qu’il connaissait dans les autres rédactions ; Angela avait même pu discuter avec Philipp Dexter, le rédacteur en chef du New York Times que lui avait présenté William, mais la réponse était invariablement la même : leur information était du vent. Personne ne publierait rien là-dessus, c’était trop casse-gueule.– Retour à la case départ, nous devons trouver autre chose, dit Noa.– Il y a peut-être une solution, renchérit Angela. Faire circuler l’info sur le web.– On y voit passer tellement de trucs délirants qu
Washington DC, deux jours plus tard…Les bureaux des sénateurs ne se trouvent pas au Capitole même, mais dans trois bâtiments à proximité, sur Constitution Avenue, de sorte qu’ils doivent se déplacer lorsqu’une séance est prévue au sein de l’hémicycle. Quand il pleut, la plupart le font en limousine, mais aujourd’hui, malgré le temps, Frank Urban avait choisi d’y aller à pied ; il avait besoin de s’oxygéner, les dernières vingt-quatre heures ayant été plus qu’éprouvantes. Marchant à grands pas sans prendre la peine d’éviter les flaques qui noyaient la chaussée, bien abrité sous son parapluie malgré le déluge, il traversa Constitution Avenue pour s’engager sur la voie piétonne longeant Northeast Drive, son garde du corps le suivant à courte distance.Urban était d’humeur aussi sombre que les lourds nuages noirs qui roulaient au ras des toits et grondaient en déversant leurs trombes d’eau sur la ville. Le dernier message de Ö était un sérieux problème. La
Israël, Mont Thabor…Les premières lueurs de l’aube dessinaient une longue chevelure flamboyante dans l’éther. Poussés par un vent d’altitude, des nuages sombres prenaient peu à peu possession du ciel, se parant d’une teinte mauve du côté du levant.Angela s’extirpa de sa couverture ; le petit tertre sur lequel ils s’étaient installés le soir précédent était situé presque au pied de la montagne. Il n’était pas très élevé, mais cependant suffisamment pour qu’elle puisse observer les environs. Depuis la veille, des milliers de pèlerins s’étaient amassés dans la longue plaine déserte au pied du mont, formant à perte de vue, une véritable marée humaine. La foule répandait doucement, dans le silence du désert, les bruits inhérents aux gens qui se réveillent, mais étrangement, les sons lui parvenaient étouffés comme au travers d’un filtre, comme s’ils frémissaient sur un plan vibratoire légèrement déphasé du sien. Peut-être était-ce la densité plus lourde
Quelque part dans les Montagnes Rocheuses, un an plus tard…Il faisait nuit. Angela était dehors, sur la terrasse de leur magnifique chalet perdu en pleine montagne, à deux heures de route sinueuse de la première ville.La jeune femme était sortie pour contempler les étoiles qu’aucune pollution lumineuse ne venait troubler, de sorte que le ciel était d’une densité extraordinaire, un véritable océan d’astres sur lequel la Voie Lactée se détachait tel un ruban céleste.Par la porte coulissante laissée ouverte, elle entendait le son de la télévision que Noa regardait encore.Le flash spécial qui passait en boucle depuis des heures sur les chaines du monde entier, annonçait une nouvelle absolument unique dans l’histoire humaine : le dernier conflit de la planète venait de prendre fin.Après des millénaires de guerre et de barbarie, le monde, l’humanité, était enfin en paix.Noa éteignit la télé et sortit rejoindre sa compagn
Le président Pennet marchait d’un pas nerveux dans le bureau ovale pendant qu’il parlait au téléphone avec Karl Urban. Ce dernier écumait d’une rage froide, lançant des mots aussi tranchants à l’encontre de l’occupant de la Maison-Blanche que l’étaient les scalpels qu’il utilisait pour ses exécutions, mais ce n’était pas ce qui inquiétait le plus Pennet. Ce dernier s’arrêtait toutes les dix secondes pour regarder, par les hautes fenêtres, la scène qui se déroulait devant les grilles de la Maison-Blanche, là où une foule de plus en plus nombreuse s’agglutinait. Malgré la distance, il était clair que les barrières, sous la pression, commençaient à céder. Dans les jardins, les membres des Services Secrets couraient en tous sens mais c’est leur chef – un grand gaillard nommé Jeffrey Cooper - qui fit irruption dans son bureau. Étrangement, il était parfaitement calme.– Monsieur le Président, nous allons vous évacuer. Suivez-moi je vous prie.Le ton était posé, mais ferme. Un
Le porte-avions USS Georges H.W. Bush, accompagné des croiseurs et destroyers de son groupe d’escorte, fendait les flots à pleine vitesse vers le détroit de Gibraltar. Les cinq autres groupes de combat, ainsi que les navires d’assaut des Marines, suivaient à quelques milles de distance, échelonnés en file indienne.La plus grande force aéronavale depuis la Seconde Guerre mondiale, approchait de la mer Méditerranée.Le commandant de l’armada, l’amiral Necker, était à la passerelle du Georges Bush et observait l’horizon à la jumelle. Les premiers rapports de vol des avions de reconnaissance, faisaient état d’une flottille hétéroclite de bateaux commençant à boucher l’entrée du détroit de Gibraltar. Apparemment, d’après les analystes qui scrutaient les nombreuses photographies aériennes prises ces dernières heures, ils n’étaient pas armés.– Amiral, nous avons un problème !L’officier en chef des services de renseignements du bord, un capitaine de
Deux heures avaient passé depuis la fin de la méditation. Le jour s’était levé mais ils ne s’en étaient même pas aperçus ; depuis ce temps, ils scrutaient fiévreusement leurs écrans, passant d’un site de chaîne d’info à un autre, en attente de quelque chose - un acte, un événement significatif - qui démontrerait un basculement des consciences.Le premier fait marquant apparut à Calcutta, en Inde, lorsqu’une télé locale relata qu’une foule qui grossissait de minute en minute, s’était massée devant le consulat américain, scandant des slogans de paix. Davis laissa l’un des portables branché sur le site en question tandis qu’il surfait avec l’autre. Et il tomba sur un deuxième fait : la même chose se produisait à New Delhi devant l’ambassade US. Puis, un de ses collègues à Princeton lui envoya un lien vers une télévision locale brésilienne, à Rio de Janeiro. Là aussi, une foule énorme avait envahi les rues autour de l’ambassade américaine. Mais le plus étrange, était l
Cinq heures vingt minutes du matin, à Mac Leod Ganj…Malgré l’heure matinale, il y avait foule dans le temple, dans les rues adjacentes ainsi que dans le village et même sur la route y conduisant. Non seulement tous les moines de la région avaient rejoint le temple bouddhiste pour la Grande Méditation, mais également les habitants des villages alentour et une bonne partie de ceux de Dharamsala. L’instant de la méditation arrivant – il serait minuit, heure de Greenwich, dans dix minutes - tout le monde s’était assis en silence, certains directement sur les routes et chemins menant au temple.Angela et Noa s’étaient joints aux moines dans le monastère, ainsi que Foller.Davis, lui, était installé à un bureau de fortune dressé dans un coin de la salle principale, ses deux ordinateurs portables connectés au Pearl Lab via une liaison Skype, et un téléphone satellite à portée de main. Il observait les méditants qui se préparaient à cet instant unique da
Le porte-parole du Dalaï Lama, aidé par Adam Foller et ses nombreux contacts, fit venir en un temps record deux équipes de télévisions indiennes à Dharamsala. Les correspondants des grands groupes de presse occidentaux siégeant à Delhi furent également contactés, mais, étrangement, ils refusèrent de venir.Apparemment, le message d’un homme de paix en ces temps de guerre, n’était pas le bienvenu. Cela ne surprit guère Noa, qui savait parfaitement comment fonctionnait le système. Les grands groupes de presse étaient aux ordres et participaient à la mascarade.Qu’à cela ne tienne, il y avait d’autres solutions. Davis lança la nouvelle sur les réseaux sociaux. En quelques heures, la nouvelle devint virale et fit le tour de la planète Internet : les deux journalistes qui avaient annoncé la venue de Ö étaient avec le Dalaï Lama.Et ils avaient une solution pour stopper la guerre.Les caméras avaient été installées sur la terrasse extér
Dharamsala, État de l’Himachal Pradesh, Inde du Nord…Le voyage avait duré plus de vingt heures et Angela se sentait exténuée. Après tout, il y a peu, elle était encore morte et sa résurrection lui avait laissé quelques séquelles en terme de fatigue. Le jet de Foller les avait déposés à Delhi, d’où ils avaient pris un avion à hélice qui les avait ensuite conduits à Gagal, l’aérodrome de Dharamsala. De là, un taxi les avait emmenés dans un petit village au nord de la ville indienne qui dominait la vallée de Kangra, plus précisément à Mc Leod Ganj, lieu de villégiature des bouddhistes en exil et de leur chef suprême, le Dalaï Lama.Le taxi les avait déposés au centre et depuis, ils poursuivaient à pied sur un chemin sinuant au beau milieu d’une multitude de maisons blanches, vertes, bleues, ocre et jaunes, toutes à plusieurs étages, s’accrochant à flanc de colline au sein d’une verdure aussi exubérante que chatoyante. Tout autour, des centaines de fanions
Base navale de Norfolk, Virginie…Les six porte-avions quittèrent leurs quais à dix minutes d’intervalle, poussés par de puissants remorqueurs qui les aidèrent à déhaler des pontons. Les deux cent soixante mille chevaux de leurs turbines alimentées par les réacteurs nucléaires Westinghouse prirent le relais, ébranlant les lourds navires sur la James River.Sur les ponts, les équipages, en grande tenue, étaient alignés au cordeau afin de saluer la foule immense. Car toute la population de la région était venue assister au départ et s’était massée sur les rives, les plages et même les ponts de la baie de Chesapeake - qui avaient été fermés à la circulation pour l’occasion. Les sirènes de bord firent retentir leurs hurlements gutturaux, auxquels répondirent les cris et les encouragements des spectateurs tandis que dans le ciel, le ballet des hélicoptères des chaînes de télévision battait son plein.La fanfare de la garde nationale avait
Université de Princeton…Le docteur Richard Madison résidait quelques rues plus loin, de sorte qu’ils furent chez lui en peu de temps.Davis tambourina à la porte qui ne tarda pas à s’ouvrir sur un homme dans la soixantaine, vêtu d’un jean et d’une chemise bleu clair. Son épaisse chevelure poivre et sel lui donnait un air juvénile, que renforçait le large sourire qu’il afficha lorsqu’il reconnut Davis.– Brad ! Que me vaut le plaisir ?– Docteur Madison, désolé de vous déranger à l’improviste, mais nous avons besoin de votre aide.Madison les fit entrer et les installa dans son salon. Davis fit les présentations, suivi d’un résumé exhaustif de la situation.– Je crois savoir pourquoi vous êtes venus me trouver, Brad, fit le scientifique.– Vous pensez à la même chose que moi ?– Oui. La méditation.– Le docteur Richard Madison est professeur de psychologie et de psychiatrie à l’université de Prin