2018Aire de repos autoroute A20Le repas arrivait à sa fin, Frédo n’avait pas dit grand-chose, ce qui ne lui ressemblait guère. Les conversations étaient assez banales, météo, voiture, faits divers. Frédo se leva pour aller chercher les cafés et en se rasseyant, il prit la parole:–J’ai un truc à vous dire.Il avait posé ses avant-bras devant lui, mains jointes, en prière. Le ton était grave. Ses yeux regardaient un point imaginaire, fixe, sur la table, entre ses coudes. Ses collègues étaient attentifs, Frédo n’était pas coutumier de ce genre d’intervention, les chichis et les manières l’emmerdaient, on voyait bien qu’il prenait un élan intérieur…–Je vis seul. Vous le savez, ça n’a pas toujours été le cas. J’ai un fils de quinzeans, Nathan, vous pouvez vous douter… on a été deux pour le faire.Il eut un petit rire nerveux, la tentative d’humour essayait de masquer le fond… Sandrine faillit sortir une bêtise, elle se
Besançon2018Damien et Frédo attendaient patiemment dans le hall de l’hôtel de police. Seul Frédo s’était présenté au planton... pour laisser l’effet de surprise !Un homme petit, rond, souriant, s’approcha. Il salua Frédo chaleureusement !–Comment allez-vous, Frédéric ? Cela faisait longtemps que l’on ne s’était vu !Frédo répondit glacial, cent couteaux effilés sortant de sa bouche :–Très exactement, troisans et six mois, lors du troisième anniversaire de la disparition de ma femme. La fois où vous m’avez dit que l’on n’aurait plus rien de nouveau, tant que le hasard ne s’en mêlerait pas ! Vous m’avez même fait comprendre alors qu’il valait mieux que je ne revienne pas. Que vous m’appelleriez quand il y aurait un nouvel élément !Jarier prit un air contrit ! Il était mielleux, faux comme la Joconde du musée de Toulouse.–Comme je vous comprends! Mais je manque à tous mes devoirs, suivez moi dans mo
Les deux collègues étaient retournés à leur voiture sous une pluie battante.–Bon sang ! Il ne s’arrête jamais de pleuvoir dans ce pays ! Alors, ce Jarier, toi qui le connais, t’en penses quoi Frédo ?–Je ne sais pas trop, mais, il psychotait grave. Le coup du Post-it, ça m’a soufflé.–C’est sûr, il n’est pas serein, se croire surveillé ainsi, ce n’est pas commun.–Vu sa réaction, à mon sens, il craignait que l’on soit là à cause d’un lien entre la petite Zhilliet et Séverine. J’ai l’impression qu’il était soulagé qu’on n’en ait pas parlé, mais, il ne peut pas ne pas y penser !–J’ai eu la même impression. Avec Sandrine et Yannis, fouillez dans sa vie pour savoir quelle est sa part d’ombre, et qui peut le tenir aux couilles... Il ne cache pas des trucs pour son propre compte, on est sûrs maintenant qu’il y a quelqu’un derrière. Trouvez son vice: sexe, jeu, trafic. De mon côté, j’ai un truc à faire cet aprèm.
Besançon2018L’après-midi même, Damien se rendit au domicile d’ Anka Kolienko:–Madame Kolienko ? Capitaine Damien Sergent.–Bonjour Sergent, euh, faut-il vous appeler Sergent ou capitaine ?Damien sourit, son patronyme suscitait souvent ce genre de réactions. Bien que le grade de Sergent n’exista pas dans la police, la confusion était fréquente chez les béotiens.–Capitaine c’est mon grade, Sergent c’est juste mon nom.Anka sourit et se mordit la lèvre inférieure pour ne pas demander si son nom était « sergent » et « juste » son prénom... humour de trentenaire, fait de réminiscence de «Dîner de Cons».–Dans ce cas, bonjour tout court, c’est plus simple. Que me vaut cette visite ?–Je viens de Saint-Gaudens, à côté de Toulouse. Je suis porteur d’une…Le doux visage aux yeux clairs se durcit instantanément à l’évocation familiale. Un voile de froideur l’enveloppa.
BesançonLa C5 noire avec cocarde et macaron handicapé se gara en silence dans la contre-allée du bois. Jarier attendait depuis dix minutes. Pas question d’arriver en retard avec le préfet! Il monta dans l’auto à la place du mort. Le chauffeur descendit, les laissant seuls.Quelques instants plus tard, la cloison séparatrice en verre baissa, avec son ronronnement de moteur électrique.Le préfet Bergeron était silencieux, comme à son habitude. Il dévisagea le commandant de son regard noir. Le flic, lui, tentait de garder un semblant de contenance. Encore une fois, son corps le trahissait: sa transpiration aigre exhalait dans l’habitacle. Ce qui marquait chez le vieil infirme, au premier abord, c’était ses yeux. Ils étaient beaucoup trop enfoncés dans leurs orbites, au fond de cratères parcheminés. Jarier se souvint avoir pensé, lors de leur première rencontre, que Georges Lucas avait dû le croiser avant de créer son personnage d’empereur dans Star Wars.
BesançonAnka revint de la cuisine, se rassit et continua son récit. Elle raconta son père brisé, rentrant à la maison drapé de dignité. Une fois la porte fermée, elle lui lui décrivit le hurlement qu’il avait poussé. Le bouleversant cri de douleur, un cri animal de bête blessée qu’elle entendait encore dans ses cauchemars quasi quotidiens ! Son père, son papotchka, avait cessé de vivre ce matin-là, et Anka avait cessé d’aimer son Ira chérie. Oui, l’amour d’Anka pour sa sœur se transforma en dégoût tant ce cri l’avait retournée, tant elle avait communié avec l’infinie, l’incurable blessure de son père.Ira n’emmenait que la désolation, la douleur, la tristesse dans la famille… depuis sa naissance. Une semaine plus tard, papa fêtait ses soixante-trois ans, il en paraissait soixante-dix. J’imagine que ses pensées étaient toutes pour moi. J’imagine qu’il nous revit seize ans plus tôt par ce matin froid de novembre, moi dans ses bras, lui posant la terrible question…«
CHAPITRE 30Sandrine attaquait son troisième grand crème, quand Damien entra dans le café. Sandrine et Yannis riaient aux larmes, apparemment pour un « truc idiot qui fait rire » mêlant Dark Vador et une boulangère... une blague racontée par Frédo quelques instants plus tôt. Dam se la fit répéter, et bien sûr, il ne comprit pas la subtilité de la chose. Comme Sandrine avait repris sa respiration normale, il lui demanda:–En parlant de Frédo, où est-il ?–Il est parti juste avant que t’arrives, il n’y a même pas cinq minutes. Il est peut-être aux toilettes d’ailleurs ?–Merde, faut qu’on se grouille, on a rendez-vous avec Jarier dans 10 minutes. C’est à deux pas, mais je ne veux pas qu’on arrive en retard. En attendant, vous avez retrouvé la trace de Kevin et de Jules ?Sandrine réagit la première.–Oui, on a l’adresse de Kevin, celui dont Clara Zhilliet disait qu’il était assez vilain.–OK, vous y allez le plus tôt possible.–On l’a pré
BesançonLe café où Jarier leur avait donné rendez-vous était un bistrot à l’ancienne, avec ses cuivres ostentatoires et ses boiseries rehaussées de filets de peinture couleur or. Bien sûr, la modernité était passée par là, mais le principal avait été conservé: l’ambiance feutrée de ces vieux débits de boisson. Les tables, par obligation comptable, étaient très proches, mais les demi-cloisons séparatrices donnaient quand même un semblant d’intimité. Au-dessus du zinc en cuivre se trouvait un téléviseur géant, pour suivre sans doute les matches de foot ou autres. À l’écran passait une retransmission de ce sport absolument improbable, au nom de biscuit d’apéro. Un gars arborant une chasuble bleue, venait de pousser une pierre en granit. Deux de ses compagnons balayaient maintenant la piste comme des furieux !Frédo était venu seul. Jarier, qui guettait leur arrivée depuis dix minutes lui fit un signe. Il suait déjà. L’arrivant, qui était calme jusqu’alors, reprit, san