Chapitre XXVL’offre du démon— Dépêchons-nous. Nëjose ne doit pas être très loin, il nous conduira au Mangeur d’Âme.Je me précipitai vers Tobiane pour l’aider à couvrir le corps de Nisfyl dans une cape afin de le charger sur le dos de son renard. Nous protégerions le corps de Nisfyl jusqu’au retour de son esprit, cette résolution durcie dans l’instant tel un acier trempé guidait chacun de mes gestes tendus par l’urgence. Tandis que je me démenais avec Tobiane et Vänesine, je réalisai peu à peu que ni Imolien ni Nortenam ne participaient à l’effort commun.— Qu’attendez-vous ?— Ne vous laissez pas prendre au piège, dame Luwise, déclara Imolien. Le Mangeur d’Âme a tué Nisfyl. Vos efforts pour le sauver sont voués à vous condamner, à finir prisonnière du démon.— Quand bien même Nisfyl aurait une chance d’être sauvé, ajou
Chapitre XXVILes âmes perduesJe marchais mécaniquement dans des ténèbres insondables sans aucun support sous mes pieds. Je n’avais ni chaud, ni froid ; je flottais dans un univers affranchi de sensations physiques. Les derniers liens qui me rattachaient à mon corps demeuré dans le monde extérieur avaient été rompus, et avec eux, mes espoirs de retour.Plus je m’enfonçais dans les Limbes, plus je comprenais que je n’arriverais pas à en sortir. Le Mangeur d’Âme m’avait prévenue, j’avais été trop fière pour l’écouter et me retrouvais piégée de mon propre fait. Je ne me souciais pas encore de ma situation critique, mon orgueil me poussait assurément vers l’avant. J’aurais préféré mourir en silence plutôt que de reconnaître mes torts auprès du démon que je gardais en moi. Une autre force pourtant, bien plus puissante, me soutenait dans cette épreuve. Mon objectif : Nisfyl. Mes pensées se focalisaient vers lui
Chapitre XXVIILe choix de la déesseNous arrivâmes en vue du nœud originel de la Sixième Branche trois jours après avoir quitté Imolien et Nortenam. Au loin, perdus dans la pénombre, se dessinaient les contours du Tronc de la Ramure Orientale, structure massive et boursoufflée tel un tubercule tortueux plissé sous le poids des années, d’où partaient les douze Branches de l’Est ainsi qu’une multitude de rameaux immatures. En ce lieu où l’on approchait du pied originel de l’Arbre-Mère, le Tronc n’était pas vertical comme celui d’un chêne fièrement dressé, il dessinait un tracé noueux qui s’élevait parfois haut vers le ciel avant de plonger pour trouver appui au sol. Il s’éparpillait dans une direction puis une autre pour finalement couvrir à lui seul un quart de notre monde. Le reste était accaparé par ses consœurs, les Ramures Occidentale, Méridionale et Septentrionale.Nous nous serions volontiers extasiés
Chapitre XXVIIIOsukateïL’été chauffait les murailles de Jivude lorsque nous revînmes de notre expédition, victorieux certes, mais débiteurs du Seigneur Suwamon qui, s’il ne le savait pas encore, ne reverrait plus son aîné, offert en tribut à notre quête insensée. Nous avions eu tout le chemin du retour pour ruminer la légitimité du prix payé. Je doutais pour ma part qu’il fut à ce point justifié.Avant le départ de la grotte de la déesse nous avions récupéré le corps de Nisfyl, ramené par le Sans-Visage Nëjose, ainsi que ceux des Aërlydes restés dans l’antichambre d’Okateï. Alignés aux côtés de ceux de Nortenam et de mon frère sur le pont de la galère empruntée à nos captifs, eux aussi du voyage quoique logés aux cachots, les visages cireux des défunts questionnèrent des jours durant notre conscience, tantôt pour l’apaiser et nous convaincre que nous avions agi au mieux, tantôt pour aviver nos remords. Le
PRÉFACEJ’écrivais dans la préface du premier opus qu’ « Osukateï - L’Âme de l’Arbre-Mère est une énigme. Puisqu’on apprend dès les premières pages du roman, dès le résumé en quatrième de couverture même que l’Arbre-Mère porte le nom d’Okateï. » Le voile se lève ici sur ce primo mystère...Tandis que dans le premier tome, l’univers se pose dans toute sa richesse, les énigmes s’installent et l’action se lance. Ici tout est en place. L’aventure commence véritablement… et au grand galop ! Luwise va plus loin dans sa quête d’identité, dépasse les frontières imaginables. Car Geoffrey Legrand nous emmène ici au-delà du possible. On franchit au gré de sa plume les plus sombres interdits. On plonge au cœur de destinations d’où personne ne revient jamais et on va plus loin dans l’épaisseur de l’univers de cet auteur de talent. Il y a le monde physique, la mythologie, le cadre spirituel et l’impalpable qui nous absorbe inévitablement. Un roman
Chapitre IAncêtres et descendantsPartir de rien est effrayant. Nulle ligne pour nous guider, nul canevas sur lequel s’appuyer, rien d’autre qu’une lointaine vision. Cette impression angoissante s’empara de moi le jour où j’héritai du trône de Folivröde, un territoire vierge plein de promesses sur lequel j’apposerai ma marque pour les siècles à venir. J’avais l’essentiel à ma disposition : l’écorce fertile où germeraient les graines des futurs champs et forêts, le soutien des ancêtres dont les hommes et les richesses fortifieraient le royaume nubile, l’appui de mon peuple, colons déterminés à construire un avenir sur cette terre sans passé. Ne manquaient plus que mes directives.La plus évidente fut de protéger le bourgeon de succession en le scellant dans une chambre à la base d’un donjon. La première pierre du château, mon château ! Il en allait de la sécurité de l’ensemble de la Lignée. La tour fut élev
Chapitre IILa guerre conjugaleUne dizaine d’hommes amarrèrent le vaisseau dans la crique de Folivröde tandis qu’une barque volante était apprêtée pour débarquer l’équipage. Faute d’un éperon et d’un port digne de ce nom, loin d’être la priorité du jeune royaume, accoster en ces lieux offrait donc toujours un spectacle épique. Nous observions la manœuvre depuis le donjon avec amertume. Parmi ces nouveaux arrivants se trouvait Olien Shifunada, mon promis.— D’après toi, lequel est-ce ? demanda Vänesine à Nisfyl. Je parierais sur le bouffi.— Les Sages de la Dixième Branche n’auraient pas osé. Cet Olien sera le représentant de leur Lignée, il doit avoir une certaine allure.— Dommage, j’aurais pris un malin plaisir à railler un roitelet disgracieux.— Je te promets mille raisons de le moquer, assurai-je. En attendant, allons les accue
Chapitre IIILes ambassadeurs aërsAu printemps suivant, la campagne de Folivröde se para d’une robe verdoyante constellée de touches jaunes et blanches. Ces prés masquaient sous une fine couche de sol l’écorce de la Branche, fragile ouvrage de la nature qu’un seul troupeau aurait suffi à anéantir ; l’agriculture demeurait un lointain rêve. Néanmoins chaque matin, je montais en haut du donjon malgré le froid de l’hiver qui tardait à s’éloigner et me prenais à rêver en admirant la beauté de mon domaine, les joues caressées par le vent.À l’ouest, le rideau diaphane de la cascade nourrissait un nuage emporté par la brise vers l’océan des vents. Des collines, visibles à travers l’arche de teck, bloquaient l’horizon en direction de Palwite, horizon où se perdait le jeune sentier serpentant entre les monts et les vallons, fine trace qui me ramenait en rêverie vers la cité de mon père. Vers l’orient, la pointe du