Prax baissa son flingue. — On n’a pas le temps, on se grouille. Montez ! Ida, après une émotion de surprise qui valait le poids entier d’un trésor de vieux galion, accompagna d’un geste rassurant Akihiro pour qu’il monte dans l’énorme monte-charge. Le Japonais, sur la défensive, était prêt à sauter sur tout ce qui bougerait le petit doigt ; Prax en l’occurrence. Ida plaqua sa carte contre le lecteur et les portes se refermèrent avec leur silence habituel. C’était tellement évident, comment elle ne l’avait pas vu ! —
Ils grimpaient depuis quinze minutes quand Théo décida de retrouver sa langue.Stan ne cherchait pas à discuter.Si Théo voulait dire un truc, il le dirait.Stan le suivait d’une dizaine de mètres, observant à des centaines de kilomètres autour de lui le paysage.Ils étaient sur une montagne fantastiquement haute et, en toute logique, l’oxygène aurait dû y être raréfié, mais ce n’était pas le cas. Pourtant les nuages et le monde qui se trouvaient en-dessous étaient si bas, si loin d’eux, à plusieurs kilomètres sans doute, que ce n’était pas logique de ne pas avoir de mal à respirer.C’était le contraire : l’air y était frais, pur, vigoureux.Le chemin qu’ils gravissaient était vertigineux. Parfois, c’était un enchaînement d’escaliers taillés à même la pierre de la montagne, tantôt vaguement creusés dans une terre ocre dans laquelle u
Tous les chauffeurs se jetèrent sur la voiture en feu avec leurs extincteurs. En quelques secondes, ils mirent fin à l’enfer brûlant des flammes qui grimpaient autour des survivants.C’est couvert de mousse qu’Ida, Akihiro, Prax et Antonio furent saisis à bras le corps par des dizaines de mains pour franchir ce qui restait de la carrosserie bouillante.Ils fumaient comme des saucisses sorties tout droit d’un barbecue.Ida n’avait jamais vu une voiture dans cet état. Antonio avait assuré. Qu’ils soient tous en vie relevait d’un miracle.Elle venait de prendre le plus beau bronzage de sa vie au passage !Un chauffeur gara un coupé sport genre modèle unique à côté d’eux dont le noir de la carrosserie était… anormalement noir ; comme les vitres teintées aussi ; comme les dizaines de petites antennes qui parsemaient le toit comme autant de pics de hérisson.
Les onze hommes et la seule femme du Grand Conseil de l’Homakoéon, en compagnie de Pythagore, Théophile et Stan, s’installèrent en cercle directement sur l’herbe épaisse qui ceinturait un énorme cèdre du Liban deux fois millénaire, incroyablement vaste par ses branches et ses épines d’un bleu inconnu de Stan. Pythagore, assis à côté de Stan, leva ses deux mains, chacune plus épaisse que le torse de Stan tout entier, pour ouvrir la session et faire taire les discussions. C’était vraiment un monstre. Stan comprit mieux pourquoi il avait été champion olympique au sixième siècle avant notre ère avant de devenir le plus grand penseur de tous les temps. Et pourquoi le mot Nefilim, ou Nephilim, était traduit dans certaines bibles par le mot Géant. Les plus anciens de ceux qui se trouvaient là autour de lui faisaient tous plus de 2,1
—Garez-vous devant les deux hommes en poncho, dit brusquement Akihiro à Antonio en reconnaissant sous leur capuche Stan et Théophile.Ils se tenaient debout, à surveiller les allées et venues, au bord de la petite route en pavés roses qui ceinturait une place discrète et verdoyante en forme de demi-cercle dans ce quartier résidentiel du centre de Bruxelles.Ida comprit pourquoi ils avaient choisi cet endroit. Les arbres, le petit parc abritant des bancs derrière les buissons, empêchaient aux vidéos de sécurité d’avoir une vue d’ensemble de la place.Et il y avait fort à parier que les deux hommes se trouvaient dans un angle mort.Antonio se gara juste devant eux. Ida sortit la première.Elle n’y avait pas pensé avant mais ils pouvaient l’abattre là, comme ça, sans sommation. Après tout, elle faisait p
C’est après Akihiro et Théophile qu’ils arrivèrent enfin à destination, aux alentours des 22 heures, dans une propriété du Vésinet, dans le 78, la banlieue chic de Panam.Chaque voiture avait suivi son propre itinéraire.Diviser les troupes face à la puissance de recherche de tous ceux qui les traquaient était la stratégie de base. Ils portaient tous des chapeaux ou des casquettes qu’ils changeaient régulièrement pour ne pas être repérés par les caméras de sécurité.La voiture de Théo stationnait à proximité du perron d’entrée, entourée de fleurs et de plantes sauvages savamment entretenues.Une fois franchi le portail ouvert, il se referma automatiquement.Le Vésinet, pour qui connaissait, c’était 60 % de manoirs, de châteaux et de maisons luxueuses pour 40 % de verdure et de lacs et de rivières qui la traversaient de toutes parts. On ét
Blondie-les-jolies-guiboles remontait ses bas à l’abri du comptoir.—J’te jure, si mon cochon de mec…Elle indiqua Bibi d’un mouvement de tête, gros, gras et à la calvitie géante, ses rares cheveux tombant sur ses épaules en mèches grasses et désordonnées, assis à sa table en train de compter les billets de la caisse.—… n’était pas aussi obsédé, j’mettrais autre chose que ses mini-jupes qu’il m’offre tout le temps et ses putains de trucs glissants et ses putains de talons de 122 centimètres de hauts !Stan se marra.—T’es avec Bibi, t’es avec Bibi, faut assumer, petite obsédée. Elle lui lança un doigt d’honneur bien mérité.—T’es toujours fidèle aux blondes, non ?
Seule Ida Kalda, déjà debout, buvait un café dans la cuisine en regardant le jardin Japonais par la fenêtre, pensive.Il y eut un malaise des deux côtés lorsque Stan entra.A peine dix minutes s’étaient passées depuis l’épisode du Dreamcatcher brisé dans tous les sens et il avait encore sérieusement la gueule dans le cul… et les nerfs à fleur de peau.Mais la voir lui remplit les poumons d’un oxygène différent, libérateur.Un souffle puissant et revitalisant.—Je suis une lève-tôt, dit Ida en montrant sa tasse et en se redressant.Stan hocha la tête et se remplit une tasse du café qu’elle avait préparé. Ils se touchaient presque.C’était très étrange. Là où il aurait dû ressentir méfiance envers une ennemie potentielle ou avérée, elle lui donnait confi
Le Maître des Serpents – Jiingua, dans la langue de cette tribu d’Amazonie que l’occident n’avait pas encore découverte et qu’Abraham nommait les Amatrides –, s’approcha doucement du Boa emmêlé à la branche d’arbre.Il n’était qu’à cent mètres du village, pas plus.On entendait les enfants jouer et nager dans la rivière Iomitria, la rivière du Dieu Serpent. 400 kilomètres au sud, la rivière se noyait dans l’Amazone, mais aucun de ces indiens n’était jamais descendu jusque-là.Don Lapuana – peau blanche dans leur langue – n’était qu’à un mètre derrière Jiingua. Il plaçait chacun de ses pas dans ceux de l’Indien. Depuis deux ans qu’il était là, Don Lapuana avait appris leur dialecte et leur système d’écriture à base d’iconographies. Il avait trois femmes, une hutte, cinq enfants et on lui enseignait jour après jour la vie quotidienne de la tribu.Jiingua commença à incanter. C’était u
La punition due à celui qui s’égare, c’est de l’éclairer (Critias – Platon)La chambre forte était recouverte de plomb. De plaques de plomb épaisses d’au moins dix centimètres, scellées entre elles pour qu’aucune faille ni aucun trou ne puissent exister. Partout. Sur le sol, les murs, le plafond, la porte, partout.Les lumières arc-en-ciel se dispersèrent doucement, beaucoup plus lentement que d’habitude.Stan avait la bouche pâteuse. Il était complètement dans les choux, dans le flou, dans le vague. Cela n’avait rien d’un Transit habituel. C’était forcé.Théophile, en tenue militaire noire, des rangers reluisantes aux pieds qu’il avait dû cirer durant des heures jusqu’à pouvoir se mirer dedans, se tenait devant la porte, aussi sérieux qu’une peau de vache travaillée à la main par un tanneur trop vigoureux.Au niveau de son cœur, sur son
Stan s’éveilla doucement.Prisca, allongée, contre lui, dormait, son bras passé sur son torse. Ils étaient sur un matelas défoncé, dans une pièce sombre. Des planches clouées à la va-vite obstruaient les fenêtres. Des débris de sachets de bouffe gisaient partout par terre.Doucement, il se leva sans réveiller Prisca. Elle avait les yeux gonflés, elle avait dû pleurer beaucoup.A tâtons, il trouva une porte et l’ouvrit, encore un peu dans le coton. Tout le monde était là : Akihiro, Klauss, Tenebra, Oliver et Sorina. Ida etAntonio.Klauss vint le soutenir par l’épaule.—Ben mon gars, tu l’as joué super-héros sur ce coup-là. Ça va mieux ?—On est où ?—Ak
Le moteur du camion rugit dans l’aube naissante. Antonio avait bien sûr choisi de voler le camion sans remorque. Avec 660 chevaux sous le capot, un pare-buffle à écrabouiller un troupeau de mammouths en furie, un habitacle derrière les sièges pour vivre, dormir, manger, regarder la télé ou se connecter à Internet avec un ordinateur intégré à la tête du lit, un petit salon qu’on installait en faisant basculer des planches, un frigo, il était exactement ce qui leur fallait.Lentement, il roula vers le regroupement de Nefilims cernés par les non- vivants.Les fantômes qui avaient accompagné Antonio jusqu’à la cabine s’engouffrèrent dans le restaurant. Et personne n’en sortit. Ils dormaient tous.Les non-morts ne leur avait pas ôté la vie.Ils s’étaient contentés de leur donner du sommeil en surplus.Stan ressentit qu’il dormait tous, l’un de
Devant eux, à trente mètres, se tenait toute l’Entité. Plus de vingt personnes au total. Et une dizaine de mercenaires du Camp 3, armés jusqu’aux dents, qui les braquaient, à droite et à gauche.Les points de leurs lasers de visée se promenaient sur les torses ou les visages d’Antonio, d’Ida et de lui-même.Dans le genre foireux et foiré, son évasion venait de planter dans le mille.Derrière lui, à l’ouest, une toute petite partie du soleil apparaissait, mais les nuages restaient rouge sang, s’étalant en largeur sur toute l’horizon.Théophile se tenait en avant du groupe, cinq pas devant, dans sa tenue du Mat, une espèce de vagabond aux couleurs hétéroclites, un masque étrange enserrant ses joues et son crâne, lui déformant le visage – et on pouvait à peine le reconnaître – et il tenait un bâton rouge, rouge comme ses chaussures qui semblaient avoir servi depuis
L’Inconscient préside à l’accomplissement de toutes nos actions, quelles qu’elles soient. (E. Coué)—Si j’entre dans ma chambre, Annabelle va se réveiller et courir prévenir Théophile que je fais mes bagages.Stan, qui ferma son sac à dos d’un geste ferme après avoir mis tout ce qu’il fallait dedans, vint vers elle pour la rassurer.—On te trouvera des affaires propres en cours de route, c’est pas grave. Tu as ton petit carton avec la spirale ?Elle l’extirpa de la poche de sa chemise à carreaux. C’est d’une voix basse, tremblante et la tête baissée, qu’elle dit :—Tout le monde va nous prendre en chasse. Absolument tout le monde. On n’aura jamais nulle part où on sera sûrs d’être tranquilles. Il y aura toujours quelqu’un pour
—Il a vraiment dit ça ?Prisca, enroulée dans les draps de son lit double que Stan venait de quitter nu pour aller chercher de l’eau fraîche dans la bonbonne, fit oui de la main.Ils venaient de baiser pendant deux heures. Ils suaient et respiraient mal à cause de la chaleur. Les vitres fermées couvertes de buée entouraient leur couche.Comme convenu, Stan la trouva chez lui, à l’attendre dans son lit, après être parti de chez Théophile en claquant la porte, sous le regard incrédule des trois vétérans devant leur volaille qui grillait doucement au-dessus de leur feu de camp.Stan et Prisca n’avaient pas parlé, ils s’étaient juste jetés dessus comme deux amoureux pour qui le monde extérieur ne compte plus.—« Elle est à part et tu n’es qu’un errant ». Paf ! Dans ta
—Vous connaissez l’Homme aux Bottes. Il a fait partie de l’Entité. Vous l’avez formé comme vous me formez moi. Et tout comme moi, il a choisi la lame de l’Ermite. Et vous connaissez son vrai nom. Et un petit détail physique qui le rattache lui et moi. Soyez franc. Pour une fois. Ça changera !Théophile terminait de faire cuire les steaks pour des burgers-maison. Il avait déjà préparé les pains, les frites, le fromage, les sauces, les oignons, la salade, les concombres, les tomates tout en écoutant Stan, silencieux et concentré dans ses gestes.Devant le mobil-home rouge qu’il s’était attribué, juste à l’entrée du Camp 1, Klauss et Krishla la discrète (qui n’enlevait jamais ses lunettes noires, de jour comme de nuit) se préparaient à rôtir de la volaille au-dessus du feu.Ils surveillaient à la fois les entrées et les sorties du camp, clamaient l’exti
Ils passèrent leur journée à errer dans la bourgade sans vie. De temps à autre, un poids lourd passait sur la route principale en laissant derrière lui un nuage de poussière et de sable qui mettait des heures à retomber.Prisca participa à une partie de Soft-Ball avec d’autres membres de l’Entité qui avaient dessiné dans le désert un terrain complet, pendant que Stan l’applaudissait et l’encourageait depuis le coin d’herbes où il avait posé ses fesses. Il aurait donné tout ce qu’il possédait – c’est-à-dire à peu près rien – pour jouer avec sa copine au lieu d’être là, la canne abandonnée dans l’herbe à côté de lui, les jambes en lambeaux.Ils errèrent dans le quartier des maisons. Toutes étaient fermées, à part celles de la famille Croop.Ils mangèrent des pancakes au beurre de cacahuète au bar. Ils s’embrassèrent longuement dans la charrette des Daltons.Ils mar