Toute l’équipe était maintenant réunie autour de l’îlot central, dans la cuisine. Qui buvait café sur café, qui se tartinait des Krisprolls à la confiture, qui regrettait de ne pas avoir de croissants, mais malgré tout, tout le monde était là : Akihiro, reposé ; Théophile-le-traître, qui engloutissait sa tasse de café noir ; Rose, colorée de partout, comme toujours, qui buvait un thé vert à la menthe ; Ida, perdue ; Antonio, sur ses gardes, ses mains jamais loin de ses flingues ; et Stan, que tout le monde observait.Stan prit le paquet de sucre en poudre et le plaça à un coin de la table.Il plaça une tasse de café à l’autre bout et déposa la cafetière pleine de café bien chaud au milieu. Il prit sans le lui demander la tasse de thé de Rose pour la placer à côté de la tasse de café, dans un coin.—Voilà comment le Bureau 09 nous trouve, mais voilà aussi le moyen génial
Stan et l’Homme aux Bottes atterrirent dans un désert sans fin en se tenant fermement par les bras l’un l’autre.Ils roulèrent sur une dune, face à face, en s’agrippant sans se lâcher. La descente sembla ne jamais se terminer.Une fois en bas, une fois enfin arrêtés, ils relâchèrent la pression l’un sur l’autre.Stan, du sable plein la bouche et les narines, les yeux et les oreilles, recula sur les fesses de plusieurs mètres pour s’éloigner de son ennemi en crachant, en bavant, en se mouchant avant de se tordre de douleur.Une des balles de Théophile lui avait traversé les côtes, dix ou douze centimètres sous le bras droit. Rien de grave, mais ça saignait. Et ça faisait horriblement mal.Assis, brassant le sable entre ses mains, l’Homme aux Bottes semblait encore sonné.Stan se mit debout, titubant de douleur.
L’esprit montre tant de pauvreté qu’il semble, tel le voyageur dans le désert qui ne réclame qu’une simple gorgée d’eau, n’aspirer tout simplement pour son réconfort qu’à l’indigent sentiment du divin. Et c’est à cela même dont l’esprit se contente qu’on peut mesurer l’importance de sa perte. (Usserl)C’est d’abord par un épais nuage de sable qui s’éleva au loin qu’ils comprirent que quelque chose approchait. Puis il y eut les bruits de moteurs rugissants, d’abord éloignés puis de plus en plus puissants au fur et à mesure que la dizaine de véhicules fonçait vers eux.Ils remirent leur capuche en place dans un geste étrangement synchronisé.—Hé hé ! dit l’Homme aux Bottes. Nous n’allons plus tarder à savoir où nous nous trouvons.Un serpent sortit la tête du sable et s’enroula autour du bâton rouge à 7 nœuds jusqu’au poignet d
Murphy Klemmerton franchit les portes de l’ascenseur avec un mal de crâne digne de sa meilleure beuverie. Elle avait fêté l’anniversaire de sa collègue analyste Ania Proskitia jusqu’à trois heures du matin, dans un bar tendance de Bruxelles, avant de terminer en boîte de nuit, comme il le fallait. On n’avait pas trente ans tous les jours et on ne fêtait pas son divorce le même jour tous les jours. Enfin… un truc comme ça. Tout ce dont elle se souvenait, c’était s’être fait sauter dans des chiottes dégueulasses par un type dont elle ne se rappelait même plus le visage. Pour le reste…Elle salua tout le monde d’un geste ample, le visage baissé pour qu’on ne remarque pas son état et se dirigea directement dans la salle de repos. Il lui fallait son cinquième café. Et avaler un autre cacheton de Paracétamol. Et une autre ligne de coke, dans les chiottes.La salle de repos était vide, heureusement.Elle inséra le
La jetbulle suivait sa trajectoire à plus de 1500 km/heure. A l’intérieur, on ne sentait pas la vitesse.Après seulement une heure depuis le site de Transfusion Temporelle situé en pleine mer du Nord, sur une ancienne plate-forme pétrolière officiellement à l’abandon depuis soixante-six ans, Claude Santoro vit rapidement la mer disparaître pour des terres acides et fumantes.La jetbulle, en pilotage automatique, ralentit à 800 km/heure, la vitesse maximum autorisée au-dessus des terres.Il était temps de redevenir lui-même. Le processus prenait trente minutes en moyenne. Il fit pivoter son siège à 180° et passa dans la micro-cabine à l’arrière et, sur un siège spécialement conçu pour cela, dans lequel il s’installa presque à regret, ordonna la rétro-transformation.Des pods magnétiques se fixèrent à ses tempes, ses bras et ses chevilles.
Stan se réveilla sur son lit, un bras dans le dos, une jambe en V, en train de baver légèrement sur son oreiller.Pendant un court instant, il vit encore l’arc-en-ciel l’entourer. Mais il disparut dès qu’il ouvrit un œil.Son camping-car était impeccable, lustré, on l’avait nettoyé des joints de portes aux angles des plafonds. On avait préparé son retour ici, pour que rien ne traîne, pour que rien n’entrave la fin de son Transit.C’était du Théo tout craché.Le recruteur de l’Entité savait qu’il allait revenir là. Ce qui signifiait aussi qu’il était rentré avant lui. Avec Ida saine et sauve, il l’espéra. Théo avait donné sa parole et un homme qui ne tient pas sa parole n’est pas un homme. S’il l’avait trahie, Stan le tuerait. Il le savait fermement en son cœur.Tout ce que ces derniers jours lui avaient procuré comme événements, sensation
Il mangea en face de Prisca comme s’il n’avait jamais mangé de sa vie. Delia et Amia Croop se démenèrent pour lui cuisiner et lui servir des patates bouillies et grillées qui tapissaient toute l’assiette géante, sept œufs sur le plat avec du Ketchup étalé partout dessus, des tranches de bacon grillé sur le côté, au moins dix tranches ; du café à l’américaine, trois tasses au total, du jus d’orange, une tarte aux pommes dont il reprit trois tranches, deux pommes coupées en quartier, et une salade complète dans un grand bol avec des noix, des tomates et du jambon rôti coupé en dés.Prisca mangea plus raisonnablement, mais elle engloutit plus qu’en une semaine.Les deux sœurs rigolaient dans la cuisine.Leurs cernes sous les yeux, l’état dans lequel ils étaient, montraient sans trop de surprise ce qu’ils avaient fait de la nuit blanche qu’ils venaient de passer ensemble. Certains signes ne
Comme Stan s’en doutait, deux mercenaires du Camp 3 assis sur des chaises à l’ombre du porche, fusil à pompe sur les genoux et chapeau baissé sur leur nez, cigare coincé au bord des lèvres, discutaient style Clint Eastwood, chacun le cul posé sur une chaise à bascule à côté d’une porte de chambre. Impossible d’aller faire un petit coucou à Ida sans l’accord du big boss.Stan verrait ça plus tard dans la journée.Retrouver l’énorme bâtiment hanté lui fit du bien. Il revenait un peu chez lui, avec ses habitudes, la chaleur écrasante, la poussière du désert, l’ambiance abandonnée.Il y avait pris goût à ce coin pourri.Plutôt que de passer par la porte du QG extérieur, il entra par le milieu du motel hanté et remonta le couloir silencieusement, la lampe de son smartphone lui évitant de faire glisser sa canne sur un caillou ou de se cogner le crâne sur un pan de mur. Plus loin, très loi
Le Maître des Serpents – Jiingua, dans la langue de cette tribu d’Amazonie que l’occident n’avait pas encore découverte et qu’Abraham nommait les Amatrides –, s’approcha doucement du Boa emmêlé à la branche d’arbre.Il n’était qu’à cent mètres du village, pas plus.On entendait les enfants jouer et nager dans la rivière Iomitria, la rivière du Dieu Serpent. 400 kilomètres au sud, la rivière se noyait dans l’Amazone, mais aucun de ces indiens n’était jamais descendu jusque-là.Don Lapuana – peau blanche dans leur langue – n’était qu’à un mètre derrière Jiingua. Il plaçait chacun de ses pas dans ceux de l’Indien. Depuis deux ans qu’il était là, Don Lapuana avait appris leur dialecte et leur système d’écriture à base d’iconographies. Il avait trois femmes, une hutte, cinq enfants et on lui enseignait jour après jour la vie quotidienne de la tribu.Jiingua commença à incanter. C’était u
La punition due à celui qui s’égare, c’est de l’éclairer (Critias – Platon)La chambre forte était recouverte de plomb. De plaques de plomb épaisses d’au moins dix centimètres, scellées entre elles pour qu’aucune faille ni aucun trou ne puissent exister. Partout. Sur le sol, les murs, le plafond, la porte, partout.Les lumières arc-en-ciel se dispersèrent doucement, beaucoup plus lentement que d’habitude.Stan avait la bouche pâteuse. Il était complètement dans les choux, dans le flou, dans le vague. Cela n’avait rien d’un Transit habituel. C’était forcé.Théophile, en tenue militaire noire, des rangers reluisantes aux pieds qu’il avait dû cirer durant des heures jusqu’à pouvoir se mirer dedans, se tenait devant la porte, aussi sérieux qu’une peau de vache travaillée à la main par un tanneur trop vigoureux.Au niveau de son cœur, sur son
Stan s’éveilla doucement.Prisca, allongée, contre lui, dormait, son bras passé sur son torse. Ils étaient sur un matelas défoncé, dans une pièce sombre. Des planches clouées à la va-vite obstruaient les fenêtres. Des débris de sachets de bouffe gisaient partout par terre.Doucement, il se leva sans réveiller Prisca. Elle avait les yeux gonflés, elle avait dû pleurer beaucoup.A tâtons, il trouva une porte et l’ouvrit, encore un peu dans le coton. Tout le monde était là : Akihiro, Klauss, Tenebra, Oliver et Sorina. Ida etAntonio.Klauss vint le soutenir par l’épaule.—Ben mon gars, tu l’as joué super-héros sur ce coup-là. Ça va mieux ?—On est où ?—Ak
Le moteur du camion rugit dans l’aube naissante. Antonio avait bien sûr choisi de voler le camion sans remorque. Avec 660 chevaux sous le capot, un pare-buffle à écrabouiller un troupeau de mammouths en furie, un habitacle derrière les sièges pour vivre, dormir, manger, regarder la télé ou se connecter à Internet avec un ordinateur intégré à la tête du lit, un petit salon qu’on installait en faisant basculer des planches, un frigo, il était exactement ce qui leur fallait.Lentement, il roula vers le regroupement de Nefilims cernés par les non- vivants.Les fantômes qui avaient accompagné Antonio jusqu’à la cabine s’engouffrèrent dans le restaurant. Et personne n’en sortit. Ils dormaient tous.Les non-morts ne leur avait pas ôté la vie.Ils s’étaient contentés de leur donner du sommeil en surplus.Stan ressentit qu’il dormait tous, l’un de
Devant eux, à trente mètres, se tenait toute l’Entité. Plus de vingt personnes au total. Et une dizaine de mercenaires du Camp 3, armés jusqu’aux dents, qui les braquaient, à droite et à gauche.Les points de leurs lasers de visée se promenaient sur les torses ou les visages d’Antonio, d’Ida et de lui-même.Dans le genre foireux et foiré, son évasion venait de planter dans le mille.Derrière lui, à l’ouest, une toute petite partie du soleil apparaissait, mais les nuages restaient rouge sang, s’étalant en largeur sur toute l’horizon.Théophile se tenait en avant du groupe, cinq pas devant, dans sa tenue du Mat, une espèce de vagabond aux couleurs hétéroclites, un masque étrange enserrant ses joues et son crâne, lui déformant le visage – et on pouvait à peine le reconnaître – et il tenait un bâton rouge, rouge comme ses chaussures qui semblaient avoir servi depuis
L’Inconscient préside à l’accomplissement de toutes nos actions, quelles qu’elles soient. (E. Coué)—Si j’entre dans ma chambre, Annabelle va se réveiller et courir prévenir Théophile que je fais mes bagages.Stan, qui ferma son sac à dos d’un geste ferme après avoir mis tout ce qu’il fallait dedans, vint vers elle pour la rassurer.—On te trouvera des affaires propres en cours de route, c’est pas grave. Tu as ton petit carton avec la spirale ?Elle l’extirpa de la poche de sa chemise à carreaux. C’est d’une voix basse, tremblante et la tête baissée, qu’elle dit :—Tout le monde va nous prendre en chasse. Absolument tout le monde. On n’aura jamais nulle part où on sera sûrs d’être tranquilles. Il y aura toujours quelqu’un pour
—Il a vraiment dit ça ?Prisca, enroulée dans les draps de son lit double que Stan venait de quitter nu pour aller chercher de l’eau fraîche dans la bonbonne, fit oui de la main.Ils venaient de baiser pendant deux heures. Ils suaient et respiraient mal à cause de la chaleur. Les vitres fermées couvertes de buée entouraient leur couche.Comme convenu, Stan la trouva chez lui, à l’attendre dans son lit, après être parti de chez Théophile en claquant la porte, sous le regard incrédule des trois vétérans devant leur volaille qui grillait doucement au-dessus de leur feu de camp.Stan et Prisca n’avaient pas parlé, ils s’étaient juste jetés dessus comme deux amoureux pour qui le monde extérieur ne compte plus.—« Elle est à part et tu n’es qu’un errant ». Paf ! Dans ta
—Vous connaissez l’Homme aux Bottes. Il a fait partie de l’Entité. Vous l’avez formé comme vous me formez moi. Et tout comme moi, il a choisi la lame de l’Ermite. Et vous connaissez son vrai nom. Et un petit détail physique qui le rattache lui et moi. Soyez franc. Pour une fois. Ça changera !Théophile terminait de faire cuire les steaks pour des burgers-maison. Il avait déjà préparé les pains, les frites, le fromage, les sauces, les oignons, la salade, les concombres, les tomates tout en écoutant Stan, silencieux et concentré dans ses gestes.Devant le mobil-home rouge qu’il s’était attribué, juste à l’entrée du Camp 1, Klauss et Krishla la discrète (qui n’enlevait jamais ses lunettes noires, de jour comme de nuit) se préparaient à rôtir de la volaille au-dessus du feu.Ils surveillaient à la fois les entrées et les sorties du camp, clamaient l’exti
Ils passèrent leur journée à errer dans la bourgade sans vie. De temps à autre, un poids lourd passait sur la route principale en laissant derrière lui un nuage de poussière et de sable qui mettait des heures à retomber.Prisca participa à une partie de Soft-Ball avec d’autres membres de l’Entité qui avaient dessiné dans le désert un terrain complet, pendant que Stan l’applaudissait et l’encourageait depuis le coin d’herbes où il avait posé ses fesses. Il aurait donné tout ce qu’il possédait – c’est-à-dire à peu près rien – pour jouer avec sa copine au lieu d’être là, la canne abandonnée dans l’herbe à côté de lui, les jambes en lambeaux.Ils errèrent dans le quartier des maisons. Toutes étaient fermées, à part celles de la famille Croop.Ils mangèrent des pancakes au beurre de cacahuète au bar. Ils s’embrassèrent longuement dans la charrette des Daltons.Ils mar