—Bonjour, Madame Kross. Inspecteur Flore Dumont, d’Interpol. Je vous ai téléphoné il y a quelques heures pour vous annoncer ma venue.Hélène Kross, une petite femme dont la vie n’avait pas toujours dû être facile, aux mains usées par les tâches ménagères et les travaux du jardin, aux rides qui en disaient plus sur sa personnalité que n’importe quelle fiche biographique imprimée depuis un ordinateur, hocha la tête en terminant de s’essuyer les mains avec un chiffon rappé déjà bien humide.Ses yeux étaient gonflés et lourds de cernes à force de pleurer.—J’étais en train de couper des oignons et des échalotes, dit-elle en s’écartant pour lui laisser le passage, espérant ainsi la duper.Mais la pauvre madame Kross devait pleurer toutes les larmes de son corps nuit et jour depuis presque dix
Au Camp 1, les Nefilims avaient tendu des toiles de camouflage entre les mobil-homes dès leur retour du Camp 2, de l’Amargosa Hotel.Les cinq têtes-de-con s’étaient installées tout au fond du camp.Prisca, Annabelle et Stan avaient eux aussi tendu leur toile entre leurs deux maisons. Ils aménagèrent en dessous un petit coin bien à eux avec un vieux canapé trouvé derrière une caravane, une table bancale fabriquée avec des planches et un fût pour le feu du soir et les grillades. C’était parfait pour passer de bonnes soirées à la fraîche.La vie dans le camp 1 s’organisait.Pour l’heure, Stan, Prisca, Annabelle, Théophile et Klauss préparaient un barbecue dans le crépuscule de leur pré-carré à eux. Théophile et Klauss s’étaient invités sans prévenir. Ils faisaient cuire plusieurs T-bones-steak d’un kilo et d’énormes patates enveloppées dans du papier alu.
Antonio arrêta la voiture devant un entrepôt désaffecté à l’entrée de Bruxelles.—On ne va pas au Bureau 09 ? demanda Ida, surprise.Une trentaine de voitures immatriculées dans toute l’Europe s’alignaient en vrac le long de l’entrepôt.—J’ai reçu des instructions du Colonel Santoro. Il vous attend à l’intérieur.—Okay. A plus tard, Antonio.—Je me gare là-bas. Faites moi signe si vous avez besoin.Ida Kalda traversa le parking plein de trous et de graviers et de gros cailloux, manquant à plusieurs reprises de casser les talons de 9 cm de ses Salomés avant de franchir une grande porte coulissante entrouverte.Santoro lui lança un regard ravageur dès qu’il la v
BibiBar. La mélasse poisseuse et gluante qui formait l’atmosphère était à gerber. On ne voyait aucun des immeubles de l’autre côté de l’avenue, à travers le méandre des constructions qui reliait les deux rives urbaines.Bibi, vautré dans son gros fauteuil, buvait une bière. Il avait toujours quarante piges au bas mot et des cheveux en moins. Il était gros – ce qui le rapetissait, c’était le plus flippant.La blonde canon en mini-jupe et en résilles trouées nettoyait les tables en faisant cogner fort les talons hauts de ses cuissardes en cuir rouge sur le béton craquelé.Il flottait. Personne ne traînait dans les rues. C’étaient des pluies acides. Chaque goutte d’eau qui touchait vos mains ou votre visage creusait un trou gros comme une tête de clou.Les toiles enduites de bitume tendues au-dessus du BibiBar récupéraient la pluie radioactive pour la faire couler dans d’anciennes cana
Stan mangeait un cheese taille XXL et des frites à sept heures du matin. Delia Croop lui servit son plat en disant « toi, t’es un vrai Américain » en remuant un mini-drapeau USA qu’elle planta fièrement dans le pain du cheese. Il y avait aussi des tranches de bacon grillées, des patates bouillies, du fromage à pâte dure jaune-orange et deux œufs sur le plat dans l’assiette, couverts de Ketchup.Il crevait la dalle depuis la veille.Trois chauffeurs routiers discutaient au bar. Il était le seul de l’Entité à être là d’aussi bonne heure. Ça lui convenait très bien.Et puis Prisca entra, toute timide.Heureusement que c’était elle et pas quelqu’un d’autre.La voir le rendit joyeux. Elle l’extirpa de la torpeur dans laquelle il se trouvait depuis le Transit d’hier.La veille, il s’était enfermé dans son mobil-home san
A 7h01, Ida sortit de l’ascenseur et ne reconnut pas la salle principale du Bureau 09. Tout était changé. Son bureau se trouvait maintenant collé à celui de Santoro et de Prax.Génial ! Elle allait devoir bosser à trois mètres de son amant et l’idée ne lui disait rien qui vaille. Déjà, baiser au boulot avec un collègue, supérieur qui plus est, relevait de la plus grosse connerie de sa vie, mais se retrouver vissés ensemble à longueur de journée ressemblait à une torture assurée.Murphy Klemmerton tirait la gueule. Elle aussi avait changé de place et son bureau se retrouvait dos à la vitre polarisée du Centac d’où les techniciens avaient une vue imprenable sur l’écran de son Mac. Si elle voulait mater une photo de son mec à poil, c’était grillé de chez grillé.Une dizaine de déménageurs s’agitait dans tous les sens pour tout changer. En gros, on avait divisé le vaste open space en deux pa
En cinq journées d’un travail éreintant, tous les membres de l’Entité avaient retapé de nuit comme de jour toute la section 8 de l’Amargosa Hôtel.Des panneaux officiels installés sur chaque porte par l’Etat de Californie indiquaient qu’il était interdit d’entrer ici, qu’une université de New-York y menait des recherches et que tout contrevenant serait arrêté et risquait une peine de dix ans de prison et de 15 millions de dollars d’amende. Et que seules les sections 1 à 7 étaient libres d’accès ; que la section 8 et l’Opéra House n’étaient pas accessibles au public amateur ou professionnel pour la chasse aux fantômes.Dans la Section 8, chaque pièce était insonorisée.La première était une salle de cours avec quelques chaises et quelques tables et d’immenses tableaux blancs couvrant tous les murs.La seconde servait pour les Transits sans présence de fantômes. Kl
Klauss bossait. Il était seul dans sa pièce, à jongler entre ses différentes caméras.Stan entra par la porte extérieure, depuis le désert.—J’arrive pas à dormir, dit-il en se frottant les yeux face à tant de lumières dans la pièce.Pourtant tout était éteint, seuls les écrans illuminaient de couleurs mélangées le Q.G. du pro des fantômes. L’horloge indiquait 4h10.—C’est un peu normal au début. On en apprend tellement que ça fait travailler la tête.Klauss avait installé un lit de camp avec un ventilateur à ses pieds. Un large Dreamcatcher tournait doucement au-dessus de la porte d’entrée intérieure. Klauss lui en avait expliqué l’utilité la veille.—Même s’il est interdit entre Nefilim de s’introdui
Le Maître des Serpents – Jiingua, dans la langue de cette tribu d’Amazonie que l’occident n’avait pas encore découverte et qu’Abraham nommait les Amatrides –, s’approcha doucement du Boa emmêlé à la branche d’arbre.Il n’était qu’à cent mètres du village, pas plus.On entendait les enfants jouer et nager dans la rivière Iomitria, la rivière du Dieu Serpent. 400 kilomètres au sud, la rivière se noyait dans l’Amazone, mais aucun de ces indiens n’était jamais descendu jusque-là.Don Lapuana – peau blanche dans leur langue – n’était qu’à un mètre derrière Jiingua. Il plaçait chacun de ses pas dans ceux de l’Indien. Depuis deux ans qu’il était là, Don Lapuana avait appris leur dialecte et leur système d’écriture à base d’iconographies. Il avait trois femmes, une hutte, cinq enfants et on lui enseignait jour après jour la vie quotidienne de la tribu.Jiingua commença à incanter. C’était u
La punition due à celui qui s’égare, c’est de l’éclairer (Critias – Platon)La chambre forte était recouverte de plomb. De plaques de plomb épaisses d’au moins dix centimètres, scellées entre elles pour qu’aucune faille ni aucun trou ne puissent exister. Partout. Sur le sol, les murs, le plafond, la porte, partout.Les lumières arc-en-ciel se dispersèrent doucement, beaucoup plus lentement que d’habitude.Stan avait la bouche pâteuse. Il était complètement dans les choux, dans le flou, dans le vague. Cela n’avait rien d’un Transit habituel. C’était forcé.Théophile, en tenue militaire noire, des rangers reluisantes aux pieds qu’il avait dû cirer durant des heures jusqu’à pouvoir se mirer dedans, se tenait devant la porte, aussi sérieux qu’une peau de vache travaillée à la main par un tanneur trop vigoureux.Au niveau de son cœur, sur son
Stan s’éveilla doucement.Prisca, allongée, contre lui, dormait, son bras passé sur son torse. Ils étaient sur un matelas défoncé, dans une pièce sombre. Des planches clouées à la va-vite obstruaient les fenêtres. Des débris de sachets de bouffe gisaient partout par terre.Doucement, il se leva sans réveiller Prisca. Elle avait les yeux gonflés, elle avait dû pleurer beaucoup.A tâtons, il trouva une porte et l’ouvrit, encore un peu dans le coton. Tout le monde était là : Akihiro, Klauss, Tenebra, Oliver et Sorina. Ida etAntonio.Klauss vint le soutenir par l’épaule.—Ben mon gars, tu l’as joué super-héros sur ce coup-là. Ça va mieux ?—On est où ?—Ak
Le moteur du camion rugit dans l’aube naissante. Antonio avait bien sûr choisi de voler le camion sans remorque. Avec 660 chevaux sous le capot, un pare-buffle à écrabouiller un troupeau de mammouths en furie, un habitacle derrière les sièges pour vivre, dormir, manger, regarder la télé ou se connecter à Internet avec un ordinateur intégré à la tête du lit, un petit salon qu’on installait en faisant basculer des planches, un frigo, il était exactement ce qui leur fallait.Lentement, il roula vers le regroupement de Nefilims cernés par les non- vivants.Les fantômes qui avaient accompagné Antonio jusqu’à la cabine s’engouffrèrent dans le restaurant. Et personne n’en sortit. Ils dormaient tous.Les non-morts ne leur avait pas ôté la vie.Ils s’étaient contentés de leur donner du sommeil en surplus.Stan ressentit qu’il dormait tous, l’un de
Devant eux, à trente mètres, se tenait toute l’Entité. Plus de vingt personnes au total. Et une dizaine de mercenaires du Camp 3, armés jusqu’aux dents, qui les braquaient, à droite et à gauche.Les points de leurs lasers de visée se promenaient sur les torses ou les visages d’Antonio, d’Ida et de lui-même.Dans le genre foireux et foiré, son évasion venait de planter dans le mille.Derrière lui, à l’ouest, une toute petite partie du soleil apparaissait, mais les nuages restaient rouge sang, s’étalant en largeur sur toute l’horizon.Théophile se tenait en avant du groupe, cinq pas devant, dans sa tenue du Mat, une espèce de vagabond aux couleurs hétéroclites, un masque étrange enserrant ses joues et son crâne, lui déformant le visage – et on pouvait à peine le reconnaître – et il tenait un bâton rouge, rouge comme ses chaussures qui semblaient avoir servi depuis
L’Inconscient préside à l’accomplissement de toutes nos actions, quelles qu’elles soient. (E. Coué)—Si j’entre dans ma chambre, Annabelle va se réveiller et courir prévenir Théophile que je fais mes bagages.Stan, qui ferma son sac à dos d’un geste ferme après avoir mis tout ce qu’il fallait dedans, vint vers elle pour la rassurer.—On te trouvera des affaires propres en cours de route, c’est pas grave. Tu as ton petit carton avec la spirale ?Elle l’extirpa de la poche de sa chemise à carreaux. C’est d’une voix basse, tremblante et la tête baissée, qu’elle dit :—Tout le monde va nous prendre en chasse. Absolument tout le monde. On n’aura jamais nulle part où on sera sûrs d’être tranquilles. Il y aura toujours quelqu’un pour
—Il a vraiment dit ça ?Prisca, enroulée dans les draps de son lit double que Stan venait de quitter nu pour aller chercher de l’eau fraîche dans la bonbonne, fit oui de la main.Ils venaient de baiser pendant deux heures. Ils suaient et respiraient mal à cause de la chaleur. Les vitres fermées couvertes de buée entouraient leur couche.Comme convenu, Stan la trouva chez lui, à l’attendre dans son lit, après être parti de chez Théophile en claquant la porte, sous le regard incrédule des trois vétérans devant leur volaille qui grillait doucement au-dessus de leur feu de camp.Stan et Prisca n’avaient pas parlé, ils s’étaient juste jetés dessus comme deux amoureux pour qui le monde extérieur ne compte plus.—« Elle est à part et tu n’es qu’un errant ». Paf ! Dans ta
—Vous connaissez l’Homme aux Bottes. Il a fait partie de l’Entité. Vous l’avez formé comme vous me formez moi. Et tout comme moi, il a choisi la lame de l’Ermite. Et vous connaissez son vrai nom. Et un petit détail physique qui le rattache lui et moi. Soyez franc. Pour une fois. Ça changera !Théophile terminait de faire cuire les steaks pour des burgers-maison. Il avait déjà préparé les pains, les frites, le fromage, les sauces, les oignons, la salade, les concombres, les tomates tout en écoutant Stan, silencieux et concentré dans ses gestes.Devant le mobil-home rouge qu’il s’était attribué, juste à l’entrée du Camp 1, Klauss et Krishla la discrète (qui n’enlevait jamais ses lunettes noires, de jour comme de nuit) se préparaient à rôtir de la volaille au-dessus du feu.Ils surveillaient à la fois les entrées et les sorties du camp, clamaient l’exti
Ils passèrent leur journée à errer dans la bourgade sans vie. De temps à autre, un poids lourd passait sur la route principale en laissant derrière lui un nuage de poussière et de sable qui mettait des heures à retomber.Prisca participa à une partie de Soft-Ball avec d’autres membres de l’Entité qui avaient dessiné dans le désert un terrain complet, pendant que Stan l’applaudissait et l’encourageait depuis le coin d’herbes où il avait posé ses fesses. Il aurait donné tout ce qu’il possédait – c’est-à-dire à peu près rien – pour jouer avec sa copine au lieu d’être là, la canne abandonnée dans l’herbe à côté de lui, les jambes en lambeaux.Ils errèrent dans le quartier des maisons. Toutes étaient fermées, à part celles de la famille Croop.Ils mangèrent des pancakes au beurre de cacahuète au bar. Ils s’embrassèrent longuement dans la charrette des Daltons.Ils mar