EdenNous avons enterré les corps dans le silence. Sans mots, sans prières. Juste de la terre retournée à la hâte, et le poids de ce qu’ils représentaient : une promesse de violence. Une déclaration de guerre.Chaque pelletée me déchirait les bras. Pas à cause de la douleur physique, non. Mais parce que j'avais l’impression de m’enterrer moi-même, centimètre par centimètre. Mon innocence. Ma paix. Mon illusion de pouvoir encore choisir une vie tranquille.Le jour s’est levé sans lumière.Le ciel est d’un gris sourd, dense comme la cendre, comme s’il savait ce qui s’est joué cette nuit. Comme s’il pleurait ce que nous venons de perdre : la paix illusoire, le répit, ce mince fil d’air qu’on appelait « avenir ».Mais je ne veux plus penser à eux. Ni à ceux qui viendront. Je ne veux plus penser à la fuite, aux pièges, au sang.Je veux lui.Aleksandr est resté debout devant la fenêtre. Les mains croisées dans le dos. La nuque tendue. Le dos droit comme un commandant devant un champ de bata
EdenLa douleur me réveille avant même que je comprenne où je suis. Mon crâne tambourine violemment, ma gorge est sèche, et mes poignets… liés. La prise est brutale, une corde rugueuse m’enserre les bras derrière mon dos, creusant la peau jusqu’à la brûlure. L’air est poisseux, lourd de sueur et de sang séché. Je tente de bouger, mais une chaîne cliquette à mon cheville.Je suis attachée.Un frisson glacé me traverse. Mon souffle se hache alors que mes yeux, encore brouillés par l’inconscience, balayent l’espace restreint. Une pièce sombre, à l’odeur métallique de rouille et de mort. Le sol est en béton brut, fissuré, maculé de taches que je préfère ne pas identifier. Des néons vacillants diffusent une lumière blafarde, rendant l’atmosphère encore plus sordide.La dernière chose dont je me souviens, c’est une ruelle. Un bruit de pas derrière moi. Une piqûre au creux du cou. Puis le noir.Un bruit de porte grinçante me fait sursauter. Je me tends, retenant mon souffle.Trois hommes ent
EdenLe silence est plus oppressant que la peur. Il s’étire, dense, saturé de ce parfum métallique qui colle aux murs et à ma peau. Aleksandr ne parle pas. Il se contente de me fixer, ses doigts toujours agrippés à mon menton, me forçant à soutenir son regard.— À moi.Ses mots résonnent encore, lourds de promesses et de menaces. Mon cœur tambourine dans ma poitrine, mais je refuse de détourner les yeux. Je ne lui donnerai pas la satisfaction de voir la peur dans mon regard.Un rictus tord ses lèvres.— Tu essaies de faire l’insolente, hm ?Sa voix est un murmure tranchant, une caresse empoisonnée. Lentement, il effleure mon cou du bout des doigts. Une pression à peine perceptible, mais qui me fait tressaillir malgré moi.Son sourire s’élargit.— Intéressant.Ses mains descendent, effleurent la corde qui enserre mes poignets. En un geste fluide, il sort une lame et tranche le lien. Mes bras s’affaissent aussitôt, engourdis par la douleur.Je n’ai pas le temps de reprendre mes esprits
EdenL'air dans le manoir est plus lourd qu'à l'extérieur. Il est saturé d'une odeur que je ne peux pas définir, un mélange de cuir, de feu de bois et d'une note plus sombre… quelque chose d'animal. Quelque chose qui m'évoque un piège.Aleksandr me tient toujours le menton, ses doigts ancrés dans ma peau comme un avertissement. Ses yeux, sombres et insondables, scrutent chaque frisson qui me parcourt, chaque mouvement de ma poitrine sous ma respiration encore saccadée.— Tu peux me tuer maintenant, ce serait plus simple.Ma voix est ferme, mais il y a une lueur d’ironie dans mon regard. Je sais qu’il ne le fera pas. Pas tout de suite. Pas comme ça.Il esquisse un sourire. Lent. Prédatoire.— Pourquoi abîmer un trésor si rare ?Il caresse ma joue du pouce. Le geste semble presque tendre, mais il n'y a rien de doux chez lui.— Tu ne comprends pas encore, mais tu comprendras bientôt.Ses doigts glissent lentement le long de ma gorge.Un frisson me traverse. Pas de peur. Pas uniquement. I
EdenLa porte claque derrière nous.Je recule d’un pas. Puis un autre.Mon souffle est court, mes muscles tendus comme des cordes prêtes à rompre. L’ombre d’Aleksandr s’étire sous la lumière tamisée, menaçante. Il n’a pas besoin de parler pour que l’air s’alourdisse. Sa simple présence est une prison invisible, un étau qui se referme lentement autour de moi.— Tu comptes aller où ? demande-t-il, sa voix basse et traînante, presque moqueuse.Je me raidis.— Loin de toi.Un sourire étire ses lèvres. Il s’avance d’un pas.Je recule encore, jusqu’à heurter le lit derrière moi.— Et tu crois pouvoir m’échapper ?— Je crois surtout que je n’ai pas l’intention de me laisser faire.Il secoue légèrement la tête, amusé, et glisse une main dans la poche intérieure de sa veste. Son regard ne me lâche pas une seconde.— Tu ne fais que retarder l’inévitable.— C’est ce qu’on verra.Je me jette sur le côté, rapide, visant la porte.Mais Aleksandr anticipe.Il m’attrape au vol, ses doigts se referman
EdenL’air est lourd dans la chambre.Ma poitrine se soulève rapidement sous l’effet du combat qui vient de s’achever. Mais est-ce vraiment fini ? Aleksandr est là, tout près, accroupi au bord du lit, le regard plongé dans le mien. Il n’a pas besoin de m’attacher pour que je sois prisonnière. Son simple regard m’enchaîne.J’ai encore l’impression de sentir ses doigts sur mes poignets, sa poigne d’acier, cette façon qu’il a eue de me maintenir sans effort, comme si je n’étais qu’un caprice dans ses bras.— Tu es trop belle quand tu luttes.Sa voix est un murmure, un souffle chaud contre ma peau brûlante.— Va te faire voir.Il sourit.Un sourire qui fait naître un frisson d’avertissement le long de mon échine.Je ne devrais pas l’énerver.Je ne devrais pas jouer à ce jeu.Mais quelque chose en moi refuse de plier.Il se redresse lentement, sa silhouette se découpant sous la lumière tamisée. Il retire sa veste d’un geste lent, maîtrisé, la jetant sur le fauteuil en velours sombre près d
EdenSon regard est un piège.Une mer d’ombres et de lumières qui me noie lentement. Aleksandr est là, si proche que je sens chaque souffle qu’il expulse, chaque tressaillement imperceptible de son corps. Il ne bouge pas. Il attend. Il me laisse croire que j’ai encore un choix, alors que nous savons tous les deux que ce n’est qu’une illusion.J’ai perdu la bataille bien avant de la livrer.J’ai beau me le répéter, une part de moi refuse d’accepter cette vérité. Je veux lutter. Je veux continuer à me battre contre lui, contre moi-même, contre ce désir qui rampe sous ma peau comme une malédiction.Mais Aleksandr est patient.Il sait que la lutte ne dure jamais éternellement.AleksandrJe la regarde se débattre avec elle-même.Eden est un paradoxe fascinant. Un feu indomptable qui refuse de s’éteindre, mais qui brûle d’autant plus fort à chaque souffle d’air que je lui donne. Elle est piégée dans ses propres contradictions, incapable de choisir entre la haine et l’acceptation.Je pourrai
EdenL’erreur est là, entre nous.Accrochée à ses lèvres. Gravée dans mon souffle court, dans mes doigts crispés sur sa chemise.Je viens de l’embrasser.Je viens de lui donner ce qu’il attendait, ce qu’il voulait depuis le premier instant.Et le pire ?Je l’ai voulu aussi.La prise qu’il exerce sur moi se relâche légèrement. Juste assez pour me faire croire que j’ai encore un échappatoire. Mais je connais déjà la vérité : il ne me retient pas. C’est moi qui ne pars pas.Ma respiration est saccadée. Mon cœur bat trop vite.Aleksandr me regarde, et je devine ce qu’il va dire avant même qu’il ouvre la bouche.— Tu te mens à toi-même, Eden.Il murmure ces mots avec une douceur assassine, une certitude tranchante qui me donne envie de hurler.Alors je fais ce que je fais de mieux.Je le repousse violemment.Son dos heurte le mur avec un bruit sourd. Mais il ne riposte pas.Il se contente de me fixer avec cet air suffisant, ce sourire arrogant qui me donne envie de le frapper.— Ne crois p
EdenNous avons enterré les corps dans le silence. Sans mots, sans prières. Juste de la terre retournée à la hâte, et le poids de ce qu’ils représentaient : une promesse de violence. Une déclaration de guerre.Chaque pelletée me déchirait les bras. Pas à cause de la douleur physique, non. Mais parce que j'avais l’impression de m’enterrer moi-même, centimètre par centimètre. Mon innocence. Ma paix. Mon illusion de pouvoir encore choisir une vie tranquille.Le jour s’est levé sans lumière.Le ciel est d’un gris sourd, dense comme la cendre, comme s’il savait ce qui s’est joué cette nuit. Comme s’il pleurait ce que nous venons de perdre : la paix illusoire, le répit, ce mince fil d’air qu’on appelait « avenir ».Mais je ne veux plus penser à eux. Ni à ceux qui viendront. Je ne veux plus penser à la fuite, aux pièges, au sang.Je veux lui.Aleksandr est resté debout devant la fenêtre. Les mains croisées dans le dos. La nuque tendue. Le dos droit comme un commandant devant un champ de bata
EdenJe ne dors pas. Pas vraiment. Il y a dans l’air quelque chose de trop tranchant pour le sommeil. Le feu crépite dans l’âtre, timide. Il éclaire les murs de pierre d’une lueur vacillante, projetant des ombres instables, comme des souvenirs en fuite. L’obscurité danse. Le silence est presque parfait. Mais il n’est pas doux. Il est tendu. Suspendu. C’est le silence de l’attente. Le genre de calme que seuls les fous peuvent appeler paix.Aleksandr dort à moitié. Son bras m’entoure, possessif, protecteur. Son souffle chaud s’épanche dans mon cou. Pourtant, même endormi, son corps est prêt. Je le sens. Chaque muscle en alerte, chaque battement de cœur comme un écho du danger. Il est né pour survivre. Et pour tuer, si besoin.Mon bras blessé pulse doucement. La douleur est là, constante, comme une voix basse qui ne cesse de murmurer. Je ferme les yeux. Inspire. Expire. Essaie de m’accrocher à cette chaleur contre moi. À cette bulle de sécurité factice.Mais il y a quelque chose. Quelque
EdenL’air vibre autour de moi, saturé du bruit des pales, du hurlement des moteurs, et de l’écho des coups de feu qui résonnent toujours, plus lointains. Ma poitrine se soulève, haletante. Je m’accroche à lui. Sa présence, son corps contre le mien, est la seule chose qui m’empêche de sombrer dans l’abîme. Je suis blessée. Pas seulement physiquement, mais profondément. Cette violence, ce chaos, tout est si... réel. Et pourtant, dans ses bras, je ne veux plus rien ressentir d’autre que la chaleur de sa peau contre la mienne.Je ne ressens plus mon bras. Juste des fourmillements insupportables, comme si la chair elle-même refusait d’accepter la blessure. La douleur est là, mais elle ne prend pas le dessus. Ce n’est pas grave. Pas tant qu'il est là. Tant qu'il me tient, je peux tenir.Je lève les yeux vers lui. Sa mâchoire est crispée, ses lèvres serrées. Il est pâle, les veines de son cou saillantes, battant dans un rythme qui ne me dit rien de bon. Mais il garde les yeux fixés sur le v
AleksandrLe sang bat à mes tempes, résonne contre mes tympans comme un tambour de guerre. La ville, ses bruits, ses hurlements, ses coups de feu… tout s’éloigne. Il n’y a plus qu’elle. Cette silhouette qui fend la foule, qui court vers moi avec une force que je croyais éteinte depuis longtemps. Eden.Je ne peux pas bouger. J’ai les bras en feu, le flanc en sang. J’ai reçu un éclat, peut-être plus. Mais ce n’est pas ça qui m’empêche d’avancer. C’est la peur. La terreur sourde que quelque chose la touche avant que je puisse la serrer contre moi.AleksandrCours. Continue. Je suis là.Elle est magnifique. Même au milieu du chaos, même dans cette nuit où tout pourrait s’arrêter, elle est lumière. Et je me rends compte que j’ai été idiot de croire que je pouvais la protéger en m’éloignant. Elle est ma seule protection contre l’ombre. Elle est mon feu.Je tends la main vers elle, une seconde trop tard.Le coup de feu claque.Je hurle.Aleksandr– Non !Mon cœur explose dans ma poitrine. Je
Eden Le bruit de mes pas résonne comme un appel à l’aide dans la ruelle sombre. Chaque mouvement semble amplifier le sentiment d’urgence qui bombarde mon esprit. Je suis à la recherche d’une issue, d’un abri, ou peut-être même d’un signe qui me dirait que tout ira bien. Mais dans cette cacophonie urbaine, chaque son semble une résonance de danger. Je tourne à gauche et me faufile dans une ruelle étroite, pressant mon dos contre le mur froid. Ma respiration est rapide, presque incontrôlable. Je scrute l’horizon, tentant d’attraper un aperçu de ce que je fuies. Les images des visages menaçants, de leurs intentions sombres, hantent chaque coin de mon esprit. Je me rappelle de l’adieu d’Aleksandr, de son regard déterminé, et de la promesse qu'il m’a faite. Chaque image me pousse à avancer. EdenJe dois le retrouver. Je dois savoir s’il va bien.Peu importe combien il est difficile de croire en une lumière au bout de ce tunnel, je refuse de laisser la peur m’écraser. Je me glisse der
Eden & AleksandrEdenJe sens la tension avant même d’ouvrir les yeux.Pas celle du monde encore endormi. Pas celle du calme du matin. Non.C’est une tension qui serre la gorge. Qui s’insinue sous la peau.Une menace sourde. Invisible.Je garde les yeux fermés. Je retiens mon souffle.Et j’écoute.Le silence est trop… chargé.Comme si l’air lui-même retenait sa respiration.Et puis je le sens. Le souffle d’Aleksandr, chaud contre ma nuque.Régulier. Présent.Mais son corps ne bouge pas. Il est figé. Comme moi.EdenQuelque chose ne va pas.Je rouvre les yeux. Lentement. Chaque battement de cœur résonne dans mes tempes.La pièce est baignée d’une lumière pâle. Trop pâle.La fenêtre entrouverte laisse passer un vent qui n’existait pas la veille.Et ce frisson. Ce frisson qui grimpe le long de mon dos.EdenJe le sens.Je le ressens.Quelque chose approche.Aleksandr— Ne bouge pas.Sa voix est si basse que j’aurais pu la croire rêvée. Mais non.Elle est réelle. Grave. Râpeuse.Et elle m
Eden & AleksandrEdenJe sens encore lui en moi.Sa présence. Son odeur. Son empreinte.C’est dans mes os, sous ma peau, dans chaque cellule tremblante.Chaque battement de mon cœur résonne contre sa cage thoracique, comme un tambour de guerre trop lent, trop fort.Comme si mon corps voulait hurler, mais que ma gorge restait nouée.Il ne dit rien.Moi non plus.Le silence est là, épais, brûlant, et pourtant je ne le fuis pas. Pas encore.Ma tête est posée sur son torse, ma peau nue contre la sienne. Il est chaud. Solide. Immobile.Il est ce mur contre lequel je me fracasse, encore et encore, sans comprendre pourquoi je n’apprends jamais.Ses doigts effleurent distraitement ma colonne vertébrale. Un va-et-vient lent. Apaisant.Mais je suis tout sauf apaisée.Je suis en vrac.Brisée à l’intérieur.Et paradoxalement, plus entière que jamais.Il ne m’a pas juste prise. Il m’a redéfinie.Et ça me fait peur.Un vertige silencieux, sans chute ni sol.Parce que je ne sais pas qui je suis quan
Eden & AleksandrEdenJe me laisse tomber sur le lit. Je suis vidée. Épuisée de lutter contre lui, contre moi. Il reste debout, impassible. Son ombre me domine. Je ne sais même plus si je le hais. Ou si je l’aime dans une langue trop ancienne pour être comprise.Eden : « Tu veux que je cède, c’est ça ? »Aleksandr : « Je veux que tu arrêtes de prétendre. Tu es à moi. Tu l’as toujours été. Même dans tes silences. Même dans ton refus. »Je rouvre les yeux. Mon regard accroche le sien. Il est là, brûlant. Dévastateur. Un roi noir dans une guerre sans trêve.Et je sais.Il a gagné une manche.Mais je suis encore debout.Et je n’ai pas dit mon dernier mot.Il n’y a plus de distance.Il fond sur moi comme un orage. Comme une faim trop longtemps contenue. Son corps me cloue, ses lèvres s’écrasent contre les miennes avec une brutalité presque douloureuse. Il n’y a pas de douceur. Pas de tendresse. Juste l’urgence, l’instinct, la rage mêlée au désir.Je réponds. Contre toute raison.Contre la
EdenJe ne respire plus.Ses mots vibrent encore dans l’air, suspendus, acérés comme des lames.« Tu me cherches, Eden ? »Ma peau se tend. Mon cœur cogne, furieux, affolé, comme s’il voulait se déchirer pour s’échapper de ma poitrine. Je reste immobile, droite dans ce lit devenu glacé, devenu étranger. L’obscurité est plus dense qu’avant, plus vivante. Comme si elle respirait avec lui. Comme si elle le dissimulait dans ses replis les plus sombres. Elle n’est plus une absence de lumière. Elle est sa complice.Je veux croire que j’ai rêvé. Que la solitude m’a rendue paranoïaque. Mais cette voix… je la reconnaîtrais entre mille. Grave. Lente. Venimeuse.Elle n’annonce rien de bon. Elle annonce lui.Un froissement. Un souffle. Une présence.Il est là.Près.Trop près.Un frisson me traverse la colonne, aigu, instinctif. Mon corps sait avant moi que c’est réel. Que ce n’est pas un cauchemar. Que ce n’est pas une hallucination née du manque. Il est là. De chair, de sang, d’ombre et de feu.