Avril 2017—Comment ça, au revoir? Allyn, que veux-tu dire par là exactement? Et qu’as-tu fait à tes cheveux? Et tes yeux!J’inspire un bon coup, tente tant bien que mal d’ignorer la présence imposante de Curtis dans mon dos et plonge mon regard dans les iris ambrés d’Emma. Ma pauvre tutrice ne sait pas où donner de la tête entre l’étrange individu qui m’accompagne et ma petite personne, surtout depuis que je lui ai lâché la triste bombe qui nous afflige tous depuis vingt-quatre heures.—Tu te souviens de ce que tu m’as raconté à Noël? De ce que papa avait expliqué à Axel à l’heure de sa mort?—Oui, mais je ne vois pas ce que…—Ça s’est produit, Emma. Mon héritage m’est tombé dessus sans que je demande quoi que ce soit.—Allyn, je t’en prie. Axel délirait. Il n’avait que neuf ans.—Axel allait parfaitement bien et tu le sais, affirmé-je aussi doucement que po
Au vu des antécédents bien connus de Lucas Harper, on aurait pu croire que ce dernier réagirait avec colère suite au départ d’Allyn. Ce fut pourtant tout le contraire.Dans les premiers jours, Lucas se contenta de naviguer dans ses activités avec une léthargie proche de la nonchalance et du «je-m’en-foutisme». Lorsqu’il se trouvait à la cafétéria, il ne participait jamais aux conversations, et ce, même quand on le sollicitait directement. Quant à la bibliothèque, il n’y avait pas encore remis les pieds. Alice, sa nouvelle coéquipière toute désignée, n’avait pas non plus cherché à le motiver. Bien trop déroutée par les disparitions brutales et rapprochées de ses deux meilleurs amis, la jeune femme se contentait de vivre au jour le jour comme l’unique survivante d’une guerre meurtrière.Leurs autres camarades, quoique plus loquaces, n’en menaient pas plus large; Enzo étant le plus touché d’entre eux par les adieux d’Allyn. Ayant toujours éprouvé un faible
—Mon instructeur?Ce type se moque de moi. Non, en fait, cette dimension tout entière se moque de moi.—Curtis m’a dit qu’il me laissait du temps pour m’adapter. Que me voulez-vous maintenant?Loki cille à plusieurs reprises, comme s’il ne comprenait pas mon indignation.—Le Haut-Juge m’a spécifié que je devais vous trouver au plus vite pour me présenter.—Bien entendu.Je soupire, profondément agacée. De toute évidence, les Anges ont quelques soucis avec certaines notions élémentaires. Comme, par exemple, la durée minimum requise pour renouer le contact avec un grand frère que je croyais perdu à jamais.—C’est évident, pourquoi aurais-je du temps à consacrer à mon frère décédé alors qu’un avenir trépidant m’attend avec vous?Je doute que l’Ange ait saisi mon sarcasme, car aucune expression ne déforme son visage parfait lorsqu’il poursuit d’un ton révérencieux:—Ma
Quelque temps plus tard, j’erre comme une âme en peine sans avoir la moindre idée du chemin qu’il me faut emprunter pour retrouver Axel. Je récupère un semblant de confiance en moi lorsque mes pieds me conduisent par hasard devant la maison bâtie dans la roche d’Anna et Aldrik. Ces derniers, ayant finalement décidé de profiter du soleil éclatant, sont installés sur la pelouse entretenue qui borde leur demeure. Trop occupés à batifoler, les deux énergumènes ne me remarquent pas; quant à moi, je ne cherche pas à attirer leur attention.Comme j’ai retrouvé mes repères, mettre la main sur Axel est finalement assez simple. D’autant plus que mon frère n’a pas bougé d’un iota, si ce n’est qu’il discute à présent avec Hugo et un jeune homme qui m’est étranger. Hugo est le premier à m’apercevoir. Son sourire éclatant s’étiole à mesure que la distance s’amenuise entre nous, révélant ainsi ma contrariété.—Je… crois qu’on va vous laisser, déclare-t-il en interprétant cor
—Des soldats?—Des soldats.—Du genre… qui se battent et tout?—Cela a l’air de vous surprendre.—Disons que vous ne donnez pas dans le style de ceux qui aiment se faire décoiffer. D’autant plus dans des tenues pareilles.—Que pensiez-vous que nous faisions dans ce cas?En voilà une bonne question. Les seules informations que je suis parvenue à recueillir jusqu’à présent proviennent d’un ancien Ange Noir, d’un Ange déchu et d’un Singulier extrêmement rancunier. Vu de cette manière, il est évident que je possède encore deux ou trois lacunes sur la question.—Je ne me suis pas encore vraiment penchée sur le sujet.La commissure droite des lèvres de Loki dessine une fossette timide. Dois-je y deviner un rictus amusé?—Parez mon attaque, m’ordonne-t-il en se positionnant face à moi.—Encore?Mon instructeur n’a que faire de mon ton
Une goutte de sueur glissa sur la tempe de Lucas, dévia au niveau de sa cicatrice puis échoua sur la serviette qu’il avait étalée à même le sol de sa chambre. Ses muscles tétanisés protestaient contre le traitement brutal qu’il leur imposait depuis plus de trois heures; pourtant rien n’y faisait. Lucas n’en démordrait pas tant que la douleur ne deviendrait pas insupportable, tant que son cœur ne se délogerait pas de sa poitrine pour lui signifier qu’il avait clairement abusé.Cela arriva vingt-trois minutes et quarante-sept secondes plus tard. Le bras droit d’Harper fut saisi d’une terrible crampe qui l’obligea à s’effondrer sur le sol, vêtements et cheveux baignant de sueur au point qu’on aurait pu le croire tout droit sorti de la douche.Ce n’est plus suffisant, conclut-il.Lucas bascula sur le dos et glissa ses paumes de mains sur son visage pour rabattre ses cheveux en arrière.Rien n’était plus suffisant. Malgré ses tentatives acharnées, son cœur
Lorsque Loki revient d’une énième croisade contre les projections, je n’ai pas bougé d’un pouce. Assise dans l’herbe, les genoux repliés contre ma poitrine, j’observe avec intérêt le dolmen du manoir victorien qui me fait face. La demeure m’a d’abord attirée en raison de ses similitudes avec l’architecture incroyable de l’Organisation, mais à présent que mes yeux se sont posés sur le dolmen, mon estomac se contracte sous le coup d’une émotion que je ne parviens pas à identifier. Est-ce de l’angoisse? Ou plutôt de la curiosité?Mes bras se resserrent autour de mes jambes, m’empêchant ainsi de commettre une folie. Je me suis juré de ne jamais me laisser tenter, alors pourquoi y songer maintenant? À cette question, je n’ai pas besoin d’y réfléchir deux fois…Lucas.Combien de temps s’est-il écoulé depuis que j’ai abandonné mon équipier? Un mois? Un an? Et s’il m’avait oubliée? Et si, persuadé qu’il n’existe plus aucun espoir d
Mon corps est paralysé à l’idée de s’écraser au sol au terme de ma chute. Mais suis-je vraiment censée toucher terre un jour? Autour de moi, le vide est sans fin: aucun nuage ni signe avant-coureur de reliefs terriens. J’essaie de me convaincre que tout va bien, que ce crétin de Loki sait ce qu’il fait et qu’il ne va pas tarder à arriver… pour finalement maudire ce dernier à grand renfort de noms d’oiseaux. Il manque vraiment une case à ce type!J’enchaîne les insultes imagées quand il apparaît enfin à mes côtés. Sa silhouette est majestueuse. De son costume trois-pièces ne subsistent que son pantalon à pince et sa chemise blanche de laquelle dépassent à présent deux ailes duveteuses pigmentées de plumes dorées scintillantes. Il me dévisage avec curiosité et je réalise alors que le vent qui agresse mes oreilles ne couvre pas forcément toutes les injures que je baragouine sans m’arrêter.—Vous allez m’aider, oui ou non!?Loki demeure be
Sept mois et demi plus tard.Je laisse Lucas ouvrir le chemin devant moi. Le personnel hospitalier nous reluque avec amusement: bien que nous ayons pris le temps de nous changer après que Maël se soit précipité pour nous annoncer la nouvelle à notre retour de mission, quelques brindilles de paille dépassent toujours des cheveux hérissés de mon compagnon et je devine qu’il en va de même pour le chignon lâche qui ballotte au-dessus de ma tête.—Ces maudits hôpitaux se ressemblent tous, grommelle mon équipier. On ne s’y retrouvera jamais!—On nous a dit tout de suite à gauche après la salle des infirmiers. Tiens, c’est ici.Sans prendre garde au numéro affiché près de la chambre en question, j’en viens vite à rougir d’embarras et à refermer ladite porte tout de suite après être tombée nez à nez avec un couple tout aussi surpris que moi.—Mille pardons! Ce n’était pas eux,
Plus tôt sur Hemera.Loki n’était pas serein, loin de là. Sa récente discussion avec le Haut-Juge empestait la trahison et le déshonneur; raison pour laquelle il préférait encore marcher pour méditer au calme, plutôt que de se rendre chez les Vanael en un battement d’ailes. Autrefois, l’Ange Gardien se serait contenté d’approuver les ordres d’un simple hochement de tête. Ce jour-là, il ne parvenait à ignorer la petite voix qui lui répétait à quel point il regretterait de se comporter en soldat discipliné.—Loki? s’étonna Milo lorsqu’il ouvrit sa porte pour inviter l’Ange à entrer. Sois le bienvenu.Loki fit un petit tour d’inspection une fois parvenu dans le salon, salua poliment Lucie et Axel et s’inquiéta de trouver les deux indésirables d’Hemera sur un fauteuil des Vanael.—Que font-ils encore ici? s’informa-t-il en désignant le couple d’un signe de tête.Milo, qui avait suivi son invité de près, se racl
Je patiente devant la salle animée lorsque Lucas me saisit par la taille pour déposer ses lèvres sur mon épaule dénudée. Fidèle à ma parole, j’ai réussi à mettre la main sur la robe bustier bordeaux ornée de dentelle noire qu’il tenait absolument à me voir porter ce soir; il en ira bientôt de même avec la seconde promesse que je respecterai d’ici quelques heures: Lucas n’affrontera pas la cruauté de mon oncle une nuit de plus.Armée de cette détermination, j’aborde la fête de l’Organisation d’une tout autre manière que la veille au matin. Suite aux changements de variables notables de cette nuit, il est évident que cette soirée sera ma dernière en tant que Singulière et je tiens à en profiter un maximum malgré le trou noir qui a pris naissance en moi pour engloutir progressivement mes organes.Notre entrée sur la fin de Every breath you take n’est pas sans ironie. Je me laisse guider par le bras de Lucas tandis que nous zigzaguons parmi la foule pour atteindre
Après dix jours de tranquillité absolue ponctuée d’une demi-douzaine de missions au cours desquelles mon attention angélique a chuté de manière exponentielle, Lucas et moi nous retrouvons confrontés au retour des vacanciers. En comparaison avec le calme apaisant dont nous avons largement profité depuis Noël, le manoir prend aujourd’hui des airs de ruche bourdonnante.Je parcours le couloir du premier étage sans ressentir la moindre irritation face aux regards curieux qui continuent de peser sur moi. Cette bulle de bonheur en compagnie de Lucas m’a au moins révélé une chose: profiter de la compagnie de mes proches est la seule chose qui compte. D’autant plus que je me sens animée d’une fougue telle que rien ne parviendra à étioler le sourire placardé sur mon visage depuis mon réveil. Je ne pensais pas qu’une simple soirée aurait cet effet sur moi, et pourtant me voilà à acclamer l’arrivée du vingt-sept décembre avec la même excitation qu’Alice l’année précédente.—&n
Nous ne sommes plus que quatre à table, ce midi. Trois, si on compte le fait que Lily et moi agissons comme si l’autre n’existait pas. Alice et Guillaume ont finalement pris la route ce matin. De ce que j’ai compris, ils ne passeront pas les fêtes dans leurs familles respectives cette année, mais chez les parents d’Alice. Je suspecte Guillaume de ne pas vouloir la lâcher d’une semelle pour le moment, d’autant plus depuis la dernière mission d’Alice et Lucas qui s’est révélée être un fiasco. Je trouve pour ma part que c’est une excellente idée: bien que nos séances de spa se soient révélées moins régulières que par le passé, nos rares échanges m’ont aidée à comprendre que quelque chose n’allait effectivement pas de son côté. Il ne me reste plus qu’à espérer que son séjour en famille lui fera le plus grand bien; autrement, je devrai me débrouiller pour mettre de l’ordre dans cette histoire avant mon grand départ.Entre l’absence d’Alice et Guillaume, le séjour de Julie
Un carillon accompagne l’ouverture de la porte vitrée du magasin d’antiquités. Jed est en tête, les sens en alerte et le regard balayant les alentours avec vigilance. Il n’a pas prononcé plus de trois mots depuis que nous sommes sortis de la Sphère pour nous mettre en quête de la boutique que détenait la femme de Robert. Encore une fois, j’en conclus que si sa présence à mes côtés est préférable à celle de Lucas depuis que je m’entraîne dans les Affres, les échanges que j’entretenais avec ce dernier lors de nos missions me manquent terriblement.Fait assez particulier pour être relevé: le souvenir d’aujourd’hui déborde de détails sonores dont les Affres se passent d’ordinaire volontiers. En effet, à la mélodie du carillon a rapidement succédé un méli-mélo de tic-tac d’horloges et de sifflements aigus semblables à ceux d’une cocotte-minute. À cela s’ajoute le compte-goutte d’une curieuse fontaine où un mince filet d’eau s’échappe par intermittence, produisant un écho métall
Mes paupières s’entrouvrent avec paresse, dévoilant la surprise que Lucius a cette fois-ci orchestrée à mon attention. L’inconnu maigrelet qui me fait actuellement face s’est assis dans la position du lotus, les mains jointes et le regard fixe pointé dans ma direction. Ses yeux noirs, cernés de vert et de violet, me donnent la curieuse impression d’avoir affaire à une coquille vide; je reviens toutefois vite sur cette première impression lorsque je me consacre à l’examen de ses lèvres dont le tressautement trahit une impatience manifeste à l’idée de croquer ma chair.Je déglutis et prête davantage attention au reste de sa physionomie. Parvenue à la triste conclusion qui s’impose, je prie pour que la créature n’ouvre pas la bouche pour dévoiler deux rangées de dents similaires à celles des clowns du petit Thomas.«Tu es au-dessus de ça», m’intimé-je avec force. «Pense à tout ce que tu as affronté ces derniers mois, pense à tout ce qu’il te reste à a
Lucas freina net à la sortie de la Sphère, statufié par l’étendue chaotique qui lui faisait face. En optant pour la visite d’un parc animalier balinais, le Singulier avait naïvement cru devoir affronter une jungle aussi luxuriante que celle qu’Allyn et lui avaient explorée au cours de l’année précédente. Au lieu de ça, l’espace naturel en question n’en avait plus que le nom.Les arbres autrefois gigantesques avaient été tronçonnés sans aucun scrupule, leurs dépouilles gisant à même le sol ou pendant mollement par de faibles attaches encore existantes. Les lianes herbacées n’avaient pas échappé au massacre et se nécrosaient sur le terrain craquelé, souvent regroupées en tas d’ordures où d’énormes fourmis avaient établi leurs nids.Ce paysage de désolation devenait apocalyptique à mesure qu’Alice et Lucas approchaient des attrape-touristes et autres bâtisses destinées à accueillir les animaux. Là-bas, le sol remodelé suite à de plus que probables impacts de bombes reflétait
—C’est hors de question! fulmine Lucas.Loïc Fortin a encore frappé. Je me disais bien que son calme de la veille était déconcertant. Voilà qu’il a trouvé le moyen de se venger de mon cher et tendre: quoi de plus simple pour venir à bout des nerfs de Lucas que d’abuser une fois encore de son pouvoir?—Je savais qu’Alice resterait ton équipière, Lucas. C’est normal et cela ne me dérange pas de faire équipe avec ce… Jed? hésité-je à l’adresse de Josias.Ce dernier approuve d’un gentil signe de tête malgré le malaise que semble lui inspirer la discussion.—Moi si, ça me dérange, grogne Lucas en pointant Fortin du doigt. Et cet enfoiré sait pertinemment pourquoi.—Harper, votre langage.—Trouvez quelqu’un d’autre.—Vous n’êtes pas dans un supermarché. Jed Nell est l’unique Singulier sans partenaire, il est donc logique qu’il devienne le nouvel équipier de mademoiselle Rivière. Cette