Lorsque Loki revient d’une énième croisade contre les projections, je n’ai pas bougé d’un pouce. Assise dans l’herbe, les genoux repliés contre ma poitrine, j’observe avec intérêt le dolmen du manoir victorien qui me fait face. La demeure m’a d’abord attirée en raison de ses similitudes avec l’architecture incroyable de l’Organisation, mais à présent que mes yeux se sont posés sur le dolmen, mon estomac se contracte sous le coup d’une émotion que je ne parviens pas à identifier. Est-ce de l’angoisse? Ou plutôt de la curiosité?Mes bras se resserrent autour de mes jambes, m’empêchant ainsi de commettre une folie. Je me suis juré de ne jamais me laisser tenter, alors pourquoi y songer maintenant? À cette question, je n’ai pas besoin d’y réfléchir deux fois…Lucas.Combien de temps s’est-il écoulé depuis que j’ai abandonné mon équipier? Un mois? Un an? Et s’il m’avait oubliée? Et si, persuadé qu’il n’existe plus aucun espoir d
Mon corps est paralysé à l’idée de s’écraser au sol au terme de ma chute. Mais suis-je vraiment censée toucher terre un jour? Autour de moi, le vide est sans fin: aucun nuage ni signe avant-coureur de reliefs terriens. J’essaie de me convaincre que tout va bien, que ce crétin de Loki sait ce qu’il fait et qu’il ne va pas tarder à arriver… pour finalement maudire ce dernier à grand renfort de noms d’oiseaux. Il manque vraiment une case à ce type!J’enchaîne les insultes imagées quand il apparaît enfin à mes côtés. Sa silhouette est majestueuse. De son costume trois-pièces ne subsistent que son pantalon à pince et sa chemise blanche de laquelle dépassent à présent deux ailes duveteuses pigmentées de plumes dorées scintillantes. Il me dévisage avec curiosité et je réalise alors que le vent qui agresse mes oreilles ne couvre pas forcément toutes les injures que je baragouine sans m’arrêter.—Vous allez m’aider, oui ou non!?Loki demeure be
Peu de choses pouvaient expliquer pourquoi Lucas déambulait dans les couloirs de l’Organisation avec le sourire aux lèvres, et bien trop peu de gens pouvaient se vanter d’avoir été témoins de ce petit miracle. Néanmoins, sa coéquipière en faisait partie et en était ravie.—Je suis fière de toi, Lucas. Pour avoir pu retirer cette attelle si rapidement, c’est que les séances avec la kiné ont été assidues. Du moins… je l’espère? ajouta-t-elle avec une pointe de suspicion.—Tu me connais, je déteste me balader en clopinant.—En plus de ça, tu n’étais plus assez rapide pour éviter Lily dans les couloirs.Harper leva les yeux au ciel.—Ne m’en parle pas, cette fille est pire qu’une verrue: j’ai beau la jouer avec une profonde indifférence, elle continue de s’accrocher.—Si tu n’avais pas cherché à rendre Allyn jalouse, tu n’en serais pas là aujourd’hui, répliqua Alice, bien trop allègre pour que son commentai
J’essaie de me concentrer sur ce qui m’entoure, mais aussi sur le mouvement de mes ailes. Un drôle de murmure me parvient sur la droite, écho des propos d’Aldrik que je ne perçois plus correctement. Voici l’enjeu conséquent de mon nouvel apprentissage: Aldrik avait raison, le plus compliqué est de se focaliser sur ce qui m’entoure afin que tout redevienne net malgré ma vitesse incroyable. Car après tout, quel intérêt y a-t-il à être invisible si on ne peut pas en profiter?Je canalise mon attention sur la silhouette floue de l’ancien Ange Noir et mes ailes cessent immédiatement de battre. Mes pieds qui effleuraient le sol s’embrouillent alors sur le carrelage de l’immense salon et je m’écrase sur le ventre avec très peu de classe.—Encore heureux que ton corps ne conserve aucune trace de tes exploits, soupire-t-on derrière moi.Je me tourne sur le flanc gauche pour détailler mon nouveau coach. Les bras croisés, il a le tact de n’afficher aucune ex
—J’ai une bonne nouvelle.—L’entraînement est terminé!?Impossible de masquer mon enthousiasme. Loki me scrute de ses yeux dorés mais s’abstient de commenter. À la manière dont il me dévisage, je devine que son type de «bonne nouvelle» ne correspond définitivement pas au mien.—Presque, admet-il cependant. Vous souvenez-vous de notre conversation de l’autre fois?Je le fixe en me demandant s’il plaisante. Non pas que nous échangions énormément lors de nos entraînements, mais où pense-t-il en venir en m’apportant si peu de précisions?—Il y a deux semaines, ajoute-t-il suite à ma confusion. Vous vous plaigniez de vous ennuyer lors de nos entraînements.—Oh, ça.Ma plainte est toujours d’actualité, mais comme nous avons ensuite enchaîné sur une multitude de combats peu différents les uns des autres, j’ai vite abandonné tout espoir de voir une évolution positive pointer le bout de
Le sol se rapproche à une vitesse incroyable. Je rentre chez moi. Ou du moins, c’est ainsi que je le ressens. Je sais qu’il ne s’agit que d’un aller-retour, que je ne croiserai aucun ami et n’aurai le droit de m’entretenir avec personne. Pourtant la simple idée de me retrouver à nouveau entre ces murs et d’y respirer cet air si familier me propulse sans que j’aie besoin de prier mes ailes.Parce que je n’ai aucun lien avec les Singuliers en termes de fils du destin, il m’est plus difficile de retrouver leur trace. Heureusement, j’ai dans ma poche deux trois conseils qu’Aldrik m’a filés dans la foulée. Le fait que l’Organisation soit une création de Curtis Ignac joue rapidement en ma faveur: à l’instant même où je me retrouve dans les Pyrénées-Orientales, la magnifique bâtisse victorienne capte mon attention comme un arbre de Noël scintillant.Je suis Vif-Argent des X-Men, Flash des DC Comics, Sonic dans… bref, vous avez compris. Avec une pensée pour Aldrik qui m’a f
Loki a travaillé la mémoire de tout le monde. Lorsque nous nous sommes envolés pour Hemera–ou plutôt, lorsqu’il m’a portée –, il ne restait plus aucune trace de notre excursion parisienne.Je ne retourne pas à l’Organisation immédiatement après cet «exploit». Non seulement parce que les blessures infligées à mes ailes sont longues à cicatriser, mais aussi parce que je n’en ai tout bonnement plus la foi. Il faut dire la vérité: j’ai pris une sacrée claque sur ce pont, et mon bras remis à neuf me sert de piqûre de rappel chaque minute. Mélusine est en vie, je devrais me réjouir. Mais que se serait-il passé si mon instructeur n’était pas arrivé à temps pour me sauver?Bien entendu, je savais que je n’étais pas prête. Ce n’est pas comme si j’avais agi par impulsivité. Seulement de toute mon existence, y compris les épreuves que j’ai endurées dans les Affres, jamais je ne m’étais fait torturer. C’était horrible… et j’étais seule. Terriblemen
Nous patientons ce qui me semble être une éternité avant le retour d’Alena. Loki prend même le temps de s’absenter afin de sauver une âme en détresse. Notre entraînement manque de punch, nous avons tous deux la tête ailleurs et je n’ose quitter des yeux la cachette où j’ai dissimulé le livre. Enfin, ma tante revient en compagnie d’un individu qui m’est inconnu. Je devine qu’il s’agit d’un confrère à son costume blanc sur mesure qui n’est pas sans rappeler celui de Loki. Il est grand, mince, asiatique et… chauve. Un Ange chauve. Bien que la situation ne s’y prête guère, j’ai soudain une forte envie de rire.—Je vous présente Ambrocio.—Enchantée. Je suis…—Allyn, me coupe-t-il. Je sais.—Vous me connaissez?—Bien entendu.Ma stupeur se devine aisément. Quand me ferai-je à l’idée que j’appartiens désormais à une famille célèbre? Loki le salue pour sa part sans se présenter.—Ambrocio est l’An
Sept mois et demi plus tard.Je laisse Lucas ouvrir le chemin devant moi. Le personnel hospitalier nous reluque avec amusement: bien que nous ayons pris le temps de nous changer après que Maël se soit précipité pour nous annoncer la nouvelle à notre retour de mission, quelques brindilles de paille dépassent toujours des cheveux hérissés de mon compagnon et je devine qu’il en va de même pour le chignon lâche qui ballotte au-dessus de ma tête.—Ces maudits hôpitaux se ressemblent tous, grommelle mon équipier. On ne s’y retrouvera jamais!—On nous a dit tout de suite à gauche après la salle des infirmiers. Tiens, c’est ici.Sans prendre garde au numéro affiché près de la chambre en question, j’en viens vite à rougir d’embarras et à refermer ladite porte tout de suite après être tombée nez à nez avec un couple tout aussi surpris que moi.—Mille pardons! Ce n’était pas eux,
Plus tôt sur Hemera.Loki n’était pas serein, loin de là. Sa récente discussion avec le Haut-Juge empestait la trahison et le déshonneur; raison pour laquelle il préférait encore marcher pour méditer au calme, plutôt que de se rendre chez les Vanael en un battement d’ailes. Autrefois, l’Ange Gardien se serait contenté d’approuver les ordres d’un simple hochement de tête. Ce jour-là, il ne parvenait à ignorer la petite voix qui lui répétait à quel point il regretterait de se comporter en soldat discipliné.—Loki? s’étonna Milo lorsqu’il ouvrit sa porte pour inviter l’Ange à entrer. Sois le bienvenu.Loki fit un petit tour d’inspection une fois parvenu dans le salon, salua poliment Lucie et Axel et s’inquiéta de trouver les deux indésirables d’Hemera sur un fauteuil des Vanael.—Que font-ils encore ici? s’informa-t-il en désignant le couple d’un signe de tête.Milo, qui avait suivi son invité de près, se racl
Je patiente devant la salle animée lorsque Lucas me saisit par la taille pour déposer ses lèvres sur mon épaule dénudée. Fidèle à ma parole, j’ai réussi à mettre la main sur la robe bustier bordeaux ornée de dentelle noire qu’il tenait absolument à me voir porter ce soir; il en ira bientôt de même avec la seconde promesse que je respecterai d’ici quelques heures: Lucas n’affrontera pas la cruauté de mon oncle une nuit de plus.Armée de cette détermination, j’aborde la fête de l’Organisation d’une tout autre manière que la veille au matin. Suite aux changements de variables notables de cette nuit, il est évident que cette soirée sera ma dernière en tant que Singulière et je tiens à en profiter un maximum malgré le trou noir qui a pris naissance en moi pour engloutir progressivement mes organes.Notre entrée sur la fin de Every breath you take n’est pas sans ironie. Je me laisse guider par le bras de Lucas tandis que nous zigzaguons parmi la foule pour atteindre
Après dix jours de tranquillité absolue ponctuée d’une demi-douzaine de missions au cours desquelles mon attention angélique a chuté de manière exponentielle, Lucas et moi nous retrouvons confrontés au retour des vacanciers. En comparaison avec le calme apaisant dont nous avons largement profité depuis Noël, le manoir prend aujourd’hui des airs de ruche bourdonnante.Je parcours le couloir du premier étage sans ressentir la moindre irritation face aux regards curieux qui continuent de peser sur moi. Cette bulle de bonheur en compagnie de Lucas m’a au moins révélé une chose: profiter de la compagnie de mes proches est la seule chose qui compte. D’autant plus que je me sens animée d’une fougue telle que rien ne parviendra à étioler le sourire placardé sur mon visage depuis mon réveil. Je ne pensais pas qu’une simple soirée aurait cet effet sur moi, et pourtant me voilà à acclamer l’arrivée du vingt-sept décembre avec la même excitation qu’Alice l’année précédente.—&n
Nous ne sommes plus que quatre à table, ce midi. Trois, si on compte le fait que Lily et moi agissons comme si l’autre n’existait pas. Alice et Guillaume ont finalement pris la route ce matin. De ce que j’ai compris, ils ne passeront pas les fêtes dans leurs familles respectives cette année, mais chez les parents d’Alice. Je suspecte Guillaume de ne pas vouloir la lâcher d’une semelle pour le moment, d’autant plus depuis la dernière mission d’Alice et Lucas qui s’est révélée être un fiasco. Je trouve pour ma part que c’est une excellente idée: bien que nos séances de spa se soient révélées moins régulières que par le passé, nos rares échanges m’ont aidée à comprendre que quelque chose n’allait effectivement pas de son côté. Il ne me reste plus qu’à espérer que son séjour en famille lui fera le plus grand bien; autrement, je devrai me débrouiller pour mettre de l’ordre dans cette histoire avant mon grand départ.Entre l’absence d’Alice et Guillaume, le séjour de Julie
Un carillon accompagne l’ouverture de la porte vitrée du magasin d’antiquités. Jed est en tête, les sens en alerte et le regard balayant les alentours avec vigilance. Il n’a pas prononcé plus de trois mots depuis que nous sommes sortis de la Sphère pour nous mettre en quête de la boutique que détenait la femme de Robert. Encore une fois, j’en conclus que si sa présence à mes côtés est préférable à celle de Lucas depuis que je m’entraîne dans les Affres, les échanges que j’entretenais avec ce dernier lors de nos missions me manquent terriblement.Fait assez particulier pour être relevé: le souvenir d’aujourd’hui déborde de détails sonores dont les Affres se passent d’ordinaire volontiers. En effet, à la mélodie du carillon a rapidement succédé un méli-mélo de tic-tac d’horloges et de sifflements aigus semblables à ceux d’une cocotte-minute. À cela s’ajoute le compte-goutte d’une curieuse fontaine où un mince filet d’eau s’échappe par intermittence, produisant un écho métall
Mes paupières s’entrouvrent avec paresse, dévoilant la surprise que Lucius a cette fois-ci orchestrée à mon attention. L’inconnu maigrelet qui me fait actuellement face s’est assis dans la position du lotus, les mains jointes et le regard fixe pointé dans ma direction. Ses yeux noirs, cernés de vert et de violet, me donnent la curieuse impression d’avoir affaire à une coquille vide; je reviens toutefois vite sur cette première impression lorsque je me consacre à l’examen de ses lèvres dont le tressautement trahit une impatience manifeste à l’idée de croquer ma chair.Je déglutis et prête davantage attention au reste de sa physionomie. Parvenue à la triste conclusion qui s’impose, je prie pour que la créature n’ouvre pas la bouche pour dévoiler deux rangées de dents similaires à celles des clowns du petit Thomas.«Tu es au-dessus de ça», m’intimé-je avec force. «Pense à tout ce que tu as affronté ces derniers mois, pense à tout ce qu’il te reste à a
Lucas freina net à la sortie de la Sphère, statufié par l’étendue chaotique qui lui faisait face. En optant pour la visite d’un parc animalier balinais, le Singulier avait naïvement cru devoir affronter une jungle aussi luxuriante que celle qu’Allyn et lui avaient explorée au cours de l’année précédente. Au lieu de ça, l’espace naturel en question n’en avait plus que le nom.Les arbres autrefois gigantesques avaient été tronçonnés sans aucun scrupule, leurs dépouilles gisant à même le sol ou pendant mollement par de faibles attaches encore existantes. Les lianes herbacées n’avaient pas échappé au massacre et se nécrosaient sur le terrain craquelé, souvent regroupées en tas d’ordures où d’énormes fourmis avaient établi leurs nids.Ce paysage de désolation devenait apocalyptique à mesure qu’Alice et Lucas approchaient des attrape-touristes et autres bâtisses destinées à accueillir les animaux. Là-bas, le sol remodelé suite à de plus que probables impacts de bombes reflétait
—C’est hors de question! fulmine Lucas.Loïc Fortin a encore frappé. Je me disais bien que son calme de la veille était déconcertant. Voilà qu’il a trouvé le moyen de se venger de mon cher et tendre: quoi de plus simple pour venir à bout des nerfs de Lucas que d’abuser une fois encore de son pouvoir?—Je savais qu’Alice resterait ton équipière, Lucas. C’est normal et cela ne me dérange pas de faire équipe avec ce… Jed? hésité-je à l’adresse de Josias.Ce dernier approuve d’un gentil signe de tête malgré le malaise que semble lui inspirer la discussion.—Moi si, ça me dérange, grogne Lucas en pointant Fortin du doigt. Et cet enfoiré sait pertinemment pourquoi.—Harper, votre langage.—Trouvez quelqu’un d’autre.—Vous n’êtes pas dans un supermarché. Jed Nell est l’unique Singulier sans partenaire, il est donc logique qu’il devienne le nouvel équipier de mademoiselle Rivière. Cette