Le sol se rapproche à une vitesse incroyable. Je rentre chez moi. Ou du moins, c’est ainsi que je le ressens. Je sais qu’il ne s’agit que d’un aller-retour, que je ne croiserai aucun ami et n’aurai le droit de m’entretenir avec personne. Pourtant la simple idée de me retrouver à nouveau entre ces murs et d’y respirer cet air si familier me propulse sans que j’aie besoin de prier mes ailes.Parce que je n’ai aucun lien avec les Singuliers en termes de fils du destin, il m’est plus difficile de retrouver leur trace. Heureusement, j’ai dans ma poche deux trois conseils qu’Aldrik m’a filés dans la foulée. Le fait que l’Organisation soit une création de Curtis Ignac joue rapidement en ma faveur: à l’instant même où je me retrouve dans les Pyrénées-Orientales, la magnifique bâtisse victorienne capte mon attention comme un arbre de Noël scintillant.Je suis Vif-Argent des X-Men, Flash des DC Comics, Sonic dans… bref, vous avez compris. Avec une pensée pour Aldrik qui m’a f
Loki a travaillé la mémoire de tout le monde. Lorsque nous nous sommes envolés pour Hemera–ou plutôt, lorsqu’il m’a portée –, il ne restait plus aucune trace de notre excursion parisienne.Je ne retourne pas à l’Organisation immédiatement après cet «exploit». Non seulement parce que les blessures infligées à mes ailes sont longues à cicatriser, mais aussi parce que je n’en ai tout bonnement plus la foi. Il faut dire la vérité: j’ai pris une sacrée claque sur ce pont, et mon bras remis à neuf me sert de piqûre de rappel chaque minute. Mélusine est en vie, je devrais me réjouir. Mais que se serait-il passé si mon instructeur n’était pas arrivé à temps pour me sauver?Bien entendu, je savais que je n’étais pas prête. Ce n’est pas comme si j’avais agi par impulsivité. Seulement de toute mon existence, y compris les épreuves que j’ai endurées dans les Affres, jamais je ne m’étais fait torturer. C’était horrible… et j’étais seule. Terriblemen
Nous patientons ce qui me semble être une éternité avant le retour d’Alena. Loki prend même le temps de s’absenter afin de sauver une âme en détresse. Notre entraînement manque de punch, nous avons tous deux la tête ailleurs et je n’ose quitter des yeux la cachette où j’ai dissimulé le livre. Enfin, ma tante revient en compagnie d’un individu qui m’est inconnu. Je devine qu’il s’agit d’un confrère à son costume blanc sur mesure qui n’est pas sans rappeler celui de Loki. Il est grand, mince, asiatique et… chauve. Un Ange chauve. Bien que la situation ne s’y prête guère, j’ai soudain une forte envie de rire.—Je vous présente Ambrocio.—Enchantée. Je suis…—Allyn, me coupe-t-il. Je sais.—Vous me connaissez?—Bien entendu.Ma stupeur se devine aisément. Quand me ferai-je à l’idée que j’appartiens désormais à une famille célèbre? Loki le salue pour sa part sans se présenter.—Ambrocio est l’An
Lucas était interloqué, il n’y avait pas d’autre mot. Il avait commencé sa lecture quinze heures auparavant et n’en revenait toujours pas: la personnalité de Lucie Rivière était si éloignée de celle de sa fille au même âge qu’il s’était demandé plus d’une fois si Allyn n’avait pas été adoptée. Une avance rapide sur la naissance de cette dernière avait toutefois éclipsé ses derniers doutes.Sa nuit blanche avait filé à une vitesse surnaturelle. En même temps, comment aurait-il pu songer à se coucher alors qu’il détenait enfin ce qu’il avait cherché durant onze longues années?La jeunesse de Lucie avait été survolée, son adolescence lue en diagonale. Jamais il n’avait éprouvé pareille gêne à l’idée de s’immiscer dans l’intimité d’une de ses âmes perdues. Hélas, il lui était impossible d’occulter l’identité des protagonistes du roman; en dépit de leurs caractères divergents, Lucie et Allyn se ressemblaient beaucoup. Physiquement, souligna Harper, car la dét
Alena et Curtis patientent en haut du kiosque dans une attitude si solennelle que j’en viens à chercher la guillotine qu’ils me destinent. Une pulsion meurtrière me prend aux tripes tandis que j’intercepte le regard de mon grand-oncle, j’attends ce moment depuis des mois: celui où je vais enfin pouvoir vomir ma bile verbale sur ce petit enfoiré de menteur.—Merci, Loki. Allyn, je t’en prie, assieds-toi.—Je préfère rester debout.Mon instructeur se racle la gorge et me frôle de manière si peu subtile que je finis par accepter lorsque Curtis réitère son «invitation».—J’ai été très déçu lorsque l’on m’a informé de ton comportement. Bien entendu tu n’es pas la seule à blâmer, néanmoins j’avais espéré que notre discussion passée aurait aiguisé ton discernement.Pas la seule à blâmer? Est-ce la raison pour laquelle Loki semble autant m’en vouloir? Je ne m’étais pas trompée à son sujet: tout ce qui l’im
La mort. C’est ce qui définissait le mieux la vision qu’Alice et Lucas avaient sous les yeux. Il ne fallait pas se leurrer: c’était dans les Affres qu’ils avaient atterri.Tout ce qui faisait le charme du parc de Sceaux en temps normal avait cédé la place à un paysage de cendres. De la grande étendue de pelouse noirâtre aux arbres consumés, rien n’avait échappé à l’imagination malsaine de l’Ange Noir. Les deux équipiers se consultèrent du regard: des particules grises stagnaient dans les airs, offrant une image de temps suspendu. D’un hochement de tête, ils se couvrirent la bouche et le nez d’une main et commencèrent leur exploration des lieux.La pelouse se disloquait sous leurs pieds. Il n’y avait pas un bruit. Contrairement aux feuilles mortes d’automne, celles-ci s’effritaient tel du papier d’Arménie. L’air chargé de cendres avait quelque chose d’oppressant, presque corrosif, et ils n’étaient pas certains d’avoir envie de se frotter aux nuages noirs qui st
J’atterris à cheval sur le torse de Loki. La tête de ce dernier évite de justesse mon coup de poing, on ne peut en dire autant du marbre blanc qui se fêle sous l’impact. Aussi vif que l’éclair, mon instructeur me propulse dans les airs puis me rattrape pour me renvoyer d’un chassé vers la terre ferme. J’anticipe son geste et l’esquive avec grâce pour réapparaître dans son dos, un sourire torve sur le visage.—Vous vous ramollissez, Loki.—Vous vous méprenez.Ce bref échange n’altère en rien mes réactions. Toujours alerte, je devance une fois encore son attaque et enroule mes jambes autour de son torse dans l’intention de le faire chuter avec moi au sol. Loki amortit ma chute dans un grand fracas, et si lui comme moi ressortons de cet échange sans la moindre blessure, nous ne pouvons en dire autant du paysage qui est devenu apocalyptique.—Alena risque de nous en vouloir si nous détruisons un autre kiosque.—Cela ne leur ferait
N’étant plus l’Ange Gardien de Lucas, je suis incapable de déterminer avec précision l’endroit où il se trouve. Heureusement, j’ai encore l’illusion pour déambuler à travers l’Organisation sans attirer l’attention.J’atterris dans mon ancienne chambre alors qu’il s’écroule sur le ventre dans son lit. À la vision de son état lamentable, mon sang ne fait qu’un tour. Dix jours que Lucas souffre en se demandant pourquoi son Ange Gardien n’a pas fait acte de présence. Pense-t-il que je l’ai abandonné? Je n’ose imaginer la tête qu’il fera quand je lui avouerai ne pas avoir réussi à conserver ce poste plus de quelques minutes.—Qui est là? répète-t-il avant que la lumière n’éclaire la pièce.Lucas sursaute en m’apercevant. Perdue dans mes sinistres réflexions, je ne me suis pas rendu compte que mes ailes encore déployées pouvaient l’effrayer.—Allyn!? Bon sang, le flip! Est-ce que tout va bien?—C’est à moi de
Sept mois et demi plus tard.Je laisse Lucas ouvrir le chemin devant moi. Le personnel hospitalier nous reluque avec amusement: bien que nous ayons pris le temps de nous changer après que Maël se soit précipité pour nous annoncer la nouvelle à notre retour de mission, quelques brindilles de paille dépassent toujours des cheveux hérissés de mon compagnon et je devine qu’il en va de même pour le chignon lâche qui ballotte au-dessus de ma tête.—Ces maudits hôpitaux se ressemblent tous, grommelle mon équipier. On ne s’y retrouvera jamais!—On nous a dit tout de suite à gauche après la salle des infirmiers. Tiens, c’est ici.Sans prendre garde au numéro affiché près de la chambre en question, j’en viens vite à rougir d’embarras et à refermer ladite porte tout de suite après être tombée nez à nez avec un couple tout aussi surpris que moi.—Mille pardons! Ce n’était pas eux,
Plus tôt sur Hemera.Loki n’était pas serein, loin de là. Sa récente discussion avec le Haut-Juge empestait la trahison et le déshonneur; raison pour laquelle il préférait encore marcher pour méditer au calme, plutôt que de se rendre chez les Vanael en un battement d’ailes. Autrefois, l’Ange Gardien se serait contenté d’approuver les ordres d’un simple hochement de tête. Ce jour-là, il ne parvenait à ignorer la petite voix qui lui répétait à quel point il regretterait de se comporter en soldat discipliné.—Loki? s’étonna Milo lorsqu’il ouvrit sa porte pour inviter l’Ange à entrer. Sois le bienvenu.Loki fit un petit tour d’inspection une fois parvenu dans le salon, salua poliment Lucie et Axel et s’inquiéta de trouver les deux indésirables d’Hemera sur un fauteuil des Vanael.—Que font-ils encore ici? s’informa-t-il en désignant le couple d’un signe de tête.Milo, qui avait suivi son invité de près, se racl
Je patiente devant la salle animée lorsque Lucas me saisit par la taille pour déposer ses lèvres sur mon épaule dénudée. Fidèle à ma parole, j’ai réussi à mettre la main sur la robe bustier bordeaux ornée de dentelle noire qu’il tenait absolument à me voir porter ce soir; il en ira bientôt de même avec la seconde promesse que je respecterai d’ici quelques heures: Lucas n’affrontera pas la cruauté de mon oncle une nuit de plus.Armée de cette détermination, j’aborde la fête de l’Organisation d’une tout autre manière que la veille au matin. Suite aux changements de variables notables de cette nuit, il est évident que cette soirée sera ma dernière en tant que Singulière et je tiens à en profiter un maximum malgré le trou noir qui a pris naissance en moi pour engloutir progressivement mes organes.Notre entrée sur la fin de Every breath you take n’est pas sans ironie. Je me laisse guider par le bras de Lucas tandis que nous zigzaguons parmi la foule pour atteindre
Après dix jours de tranquillité absolue ponctuée d’une demi-douzaine de missions au cours desquelles mon attention angélique a chuté de manière exponentielle, Lucas et moi nous retrouvons confrontés au retour des vacanciers. En comparaison avec le calme apaisant dont nous avons largement profité depuis Noël, le manoir prend aujourd’hui des airs de ruche bourdonnante.Je parcours le couloir du premier étage sans ressentir la moindre irritation face aux regards curieux qui continuent de peser sur moi. Cette bulle de bonheur en compagnie de Lucas m’a au moins révélé une chose: profiter de la compagnie de mes proches est la seule chose qui compte. D’autant plus que je me sens animée d’une fougue telle que rien ne parviendra à étioler le sourire placardé sur mon visage depuis mon réveil. Je ne pensais pas qu’une simple soirée aurait cet effet sur moi, et pourtant me voilà à acclamer l’arrivée du vingt-sept décembre avec la même excitation qu’Alice l’année précédente.—&n
Nous ne sommes plus que quatre à table, ce midi. Trois, si on compte le fait que Lily et moi agissons comme si l’autre n’existait pas. Alice et Guillaume ont finalement pris la route ce matin. De ce que j’ai compris, ils ne passeront pas les fêtes dans leurs familles respectives cette année, mais chez les parents d’Alice. Je suspecte Guillaume de ne pas vouloir la lâcher d’une semelle pour le moment, d’autant plus depuis la dernière mission d’Alice et Lucas qui s’est révélée être un fiasco. Je trouve pour ma part que c’est une excellente idée: bien que nos séances de spa se soient révélées moins régulières que par le passé, nos rares échanges m’ont aidée à comprendre que quelque chose n’allait effectivement pas de son côté. Il ne me reste plus qu’à espérer que son séjour en famille lui fera le plus grand bien; autrement, je devrai me débrouiller pour mettre de l’ordre dans cette histoire avant mon grand départ.Entre l’absence d’Alice et Guillaume, le séjour de Julie
Un carillon accompagne l’ouverture de la porte vitrée du magasin d’antiquités. Jed est en tête, les sens en alerte et le regard balayant les alentours avec vigilance. Il n’a pas prononcé plus de trois mots depuis que nous sommes sortis de la Sphère pour nous mettre en quête de la boutique que détenait la femme de Robert. Encore une fois, j’en conclus que si sa présence à mes côtés est préférable à celle de Lucas depuis que je m’entraîne dans les Affres, les échanges que j’entretenais avec ce dernier lors de nos missions me manquent terriblement.Fait assez particulier pour être relevé: le souvenir d’aujourd’hui déborde de détails sonores dont les Affres se passent d’ordinaire volontiers. En effet, à la mélodie du carillon a rapidement succédé un méli-mélo de tic-tac d’horloges et de sifflements aigus semblables à ceux d’une cocotte-minute. À cela s’ajoute le compte-goutte d’une curieuse fontaine où un mince filet d’eau s’échappe par intermittence, produisant un écho métall
Mes paupières s’entrouvrent avec paresse, dévoilant la surprise que Lucius a cette fois-ci orchestrée à mon attention. L’inconnu maigrelet qui me fait actuellement face s’est assis dans la position du lotus, les mains jointes et le regard fixe pointé dans ma direction. Ses yeux noirs, cernés de vert et de violet, me donnent la curieuse impression d’avoir affaire à une coquille vide; je reviens toutefois vite sur cette première impression lorsque je me consacre à l’examen de ses lèvres dont le tressautement trahit une impatience manifeste à l’idée de croquer ma chair.Je déglutis et prête davantage attention au reste de sa physionomie. Parvenue à la triste conclusion qui s’impose, je prie pour que la créature n’ouvre pas la bouche pour dévoiler deux rangées de dents similaires à celles des clowns du petit Thomas.«Tu es au-dessus de ça», m’intimé-je avec force. «Pense à tout ce que tu as affronté ces derniers mois, pense à tout ce qu’il te reste à a
Lucas freina net à la sortie de la Sphère, statufié par l’étendue chaotique qui lui faisait face. En optant pour la visite d’un parc animalier balinais, le Singulier avait naïvement cru devoir affronter une jungle aussi luxuriante que celle qu’Allyn et lui avaient explorée au cours de l’année précédente. Au lieu de ça, l’espace naturel en question n’en avait plus que le nom.Les arbres autrefois gigantesques avaient été tronçonnés sans aucun scrupule, leurs dépouilles gisant à même le sol ou pendant mollement par de faibles attaches encore existantes. Les lianes herbacées n’avaient pas échappé au massacre et se nécrosaient sur le terrain craquelé, souvent regroupées en tas d’ordures où d’énormes fourmis avaient établi leurs nids.Ce paysage de désolation devenait apocalyptique à mesure qu’Alice et Lucas approchaient des attrape-touristes et autres bâtisses destinées à accueillir les animaux. Là-bas, le sol remodelé suite à de plus que probables impacts de bombes reflétait
—C’est hors de question! fulmine Lucas.Loïc Fortin a encore frappé. Je me disais bien que son calme de la veille était déconcertant. Voilà qu’il a trouvé le moyen de se venger de mon cher et tendre: quoi de plus simple pour venir à bout des nerfs de Lucas que d’abuser une fois encore de son pouvoir?—Je savais qu’Alice resterait ton équipière, Lucas. C’est normal et cela ne me dérange pas de faire équipe avec ce… Jed? hésité-je à l’adresse de Josias.Ce dernier approuve d’un gentil signe de tête malgré le malaise que semble lui inspirer la discussion.—Moi si, ça me dérange, grogne Lucas en pointant Fortin du doigt. Et cet enfoiré sait pertinemment pourquoi.—Harper, votre langage.—Trouvez quelqu’un d’autre.—Vous n’êtes pas dans un supermarché. Jed Nell est l’unique Singulier sans partenaire, il est donc logique qu’il devienne le nouvel équipier de mademoiselle Rivière. Cette