«GUEULES CASSÉES»Mardi 27 novembre 2018Mardi 27 novembre 2018 – 02h32Au moins deux bonnes heures que je campe sur l’improbable galette! À force d’attendre, j’ai renoncé à consulter la montre. La conversation s’étiole: je connais les doléances des interlocuteurs. Annick m’a précisé qu’elle est divorcée sans enfant. Infirmière de formation, elle a renoncé à sa vocation à la suite d’un accident de la circulation. Un chauffard ivre l’avait percutée. Depuis, elle garde des enfants à domicile et ses séquelles:– Je n’ai droit qu’à un enfant. Bilan, je ne boucle pas mon mois. Quand les services sociaux sont venus visiter la maison, la commission a considéré l’escalier qui mène du rez-de-chaussée à l’étage, trop raide. En cas d’accident, les services auraient engagé leur responsabilité. Résultat des courses, sur trois agréments présentés, ils ne m’en ont délivrée qu’un seul. J’ai eu beau
MARÉE MONTANTEMardi 27 novembre 2018Mardi 27 novembre 2018 – 07h34La voiture s’immobilise dans la cour. Le chien du Conssé, un aboyeur né, n’a pas bronché: merci à lui! J’ai savouré les roulements de pneumatiques du dernier kilomètre parcouru. Après la virée nocturne, le sas de l’allée me fait communier avec le banal qui m’entoure: il n’a rien d’anodin. Le banal, est une campagne façonnée par des mains qui émergent de l’indifférence. Je réalise qu’à force d’aller et venir dans le banal, l’évident, je suis devenu aveugle. L’évident? Nul ne le remarque plus! Il ressemble au fidèle serviteur: une humanité transparente à force de trop de discrétion dans le service. Adieu le service rendu, et tout s’arrête. Le paysage banal n’évoquait plus rien d’évident pour m
IMPASSEMardi 27 novembre 2018Mardi 27 novembre 2018 – 16h45Réquisitoire sous le bras, je pénètre dans le salon. Les volets sont déjà fermés. Le rituel immuable du Conssé me signale que nous sommes entrés en nuit et non dans la nuit. À ma droite, un feu ronronne dans l’âtre. À proximité, un antique pare-feu en bois, rehaussé d’une scène bucolique brodée sur tissu, dissimule en partie les flammèches avides de bûche. L’objet est à l’image du salon, avec ses meubles anciens bien lustrés. Ils revendiquent le raffiné du XVIIIème siècle. Grâce à eux, je perçois le temps des salons littéraires, et l’art des conversations policées. La politesse exquise du mot d’esprit s’est perdue depuis. Sur la gauche, à l’arrière-plan du piano demi-queue, se dresse l’immense tableau dénommé: «Le loup terrassé!» Une escarbille claque dans le foyer, libérant un pétillant d’étincelles. Je repère le fauteuil désigné
MARÉE DESCENDANTE Mercredi 28 novembre 2018Mercredi 28 novembre 2018 – 07H33Je gagne la chambre le cœur rempli de vague à l’âme. À l’extérieur, un jour fatigué se lève. Je suis sonné tel un boxeur au terme d’un combat indécis. Je connais le sujet! Étudiant, je participais aux matchs organisés par le club de boxe de l’université. J’en suis à ma énième nuit blanche, et c’est à la nuit tombée que les tournois de boxe se disputent. Je sens le battement du sang dans les tempes: un mal de tête infernal me vrille le cerveau. Je m’allonge et imagine le ring sur lequel m’attendent mes challengers. À un angle, il y a la tante Clém, quatre-vingt-dix-huit ans, une histoire sur fond d’inavoué inavouable. À l’autre corner, une affaire qui se déroule sur le rond-point, au pied du Conssé. Des poids-légers y revendiquent leur droit de vivre face à des poids-lourds immobiles. Je sens que le sommeil me délivre du mal de têt
RIEN DE PLUS Mercredi 28 novembre 2018Mercredi 28 novembre 2018 – 18h12La demeure possède un rythme pendulaire d’ouverture et de clôture pour le visiteur. L’entrée principale est déjà fermée: un révélateur de mise à la porte. Je voulais signifier une arrivée fracassante? Elle m’impose la surprise, par la porte dérobée de la cuisine! Au travers du vitrage, je découvre une Clémentine qui s’active. Le fond sonore de la radio est mon allié. La tante n’a pas entendu la porte s’ouvrir: je me glisse, me plante. Un bruit, une ombre? La vieille dame, au fourneau, se retourne en sursaut. Embarras:– Ah! C’est vous?! Vous m’avez fait une de ces peurs!Je maugrée une vague excuse. L’atmosphère se tend. Clémentine comprend que je ne suis pas le neveu policé. Je la mets en état de vulnérabilité? Elle s’efforce d’amortir l’emprise en c
Jeudi 14 novembre 2019Mercredi 28 novembre 2018 – 18h12Clémentine est partie le onze novembre dernier : un pied de nez symbolique à la grande histoire. Un signe affectueux envoyé à sa mère, Jeanne, décédée un jour d’un autre mois de novembre, d’une année autre. Aujourd’hui, avec la famille, nous voilà réunis pour son enterrement, dans ce cimetière, à mon goût trop proche de l’usine de confitures. Les camions ont repris leur noria. Il n’y a plus de barrage sur le rond-point. Il fait beau pour un mois de novembre. Comme si le soleil avait voulu accompagner Clémentine d’un sourire. Durant les mois que j’ai passés dans la maison, malgré mes allers-retours : Le Conssé – Toulouse – Le Conssé, j’ai découvert une personne attachante. Elle l’était d’autant plus, que son corps la soutenait de moins en moins. Les mois de juillet et d’août avaient
À Caroline, mon épouse.À Rodolphe et Stanislas, mes enfants.À Patrick. Si la lecture n’était pas ta passion. Ton cœur était un livre d’humanité !TRAGÉDIEMardi 03 septembre 2019Mardi 03 septembre 2019 – 15h05– Une fois révélés, il est des secrets qui asphyxient!Je rétorque:– Tant qu’ils ne sont pas révélés, il est des secrets qui asphyxient!C’est sur ces paroles que j’ai pris congé. Dans le rétroviseur, l’image de la maison de famille s’évanouit. À mes côtés, j’ai pour passager le doute. Il ne cesse d’opposer la réflexion de la tante Clémentine à la mienne: «Une fois révélés, Il est des secrets qui asphyxient! Tant qu’ils ne sont pas révélés, Il est des secrets qui asphyxient!» Je soupire
INTRUSIONMercredi 08 août 2018Mercredi 08 août 2018 – 11h12Les études anthropologiques prouvent que les communautés humaines sacrifient le célibataire. La civilisation a modéré la rigueur de la sanction. Aujourd’hui, au sein d’une famille nombreuse le célibataire, au masculin ou au féminin, sert de bouche-trou et de repoussoir. Au repas, le voilà relégué en bout de table. À cette place, il ne rompt ni l’harmonie des couples ni sa propre solitude harmonieuse, voilà pour le bouche-trou. La fonction de repoussoir est plus subtile. Elle consiste à reporter sur le célibataire les corvées ennuyeuses. L’appel au rite du repoussoir s’identifie grâce à la formule incantatoire:– Désolé, j’ai un service à vous (te) demander…Ayant perdu au jeu des chaises musicales, le sacrifié n’a pas d’autre choix que de s’exécuter.J’aurais mieux fait de m’abstenir! Mon passage inopiné ress
Jeudi 14 novembre 2019Mercredi 28 novembre 2018 – 18h12Clémentine est partie le onze novembre dernier : un pied de nez symbolique à la grande histoire. Un signe affectueux envoyé à sa mère, Jeanne, décédée un jour d’un autre mois de novembre, d’une année autre. Aujourd’hui, avec la famille, nous voilà réunis pour son enterrement, dans ce cimetière, à mon goût trop proche de l’usine de confitures. Les camions ont repris leur noria. Il n’y a plus de barrage sur le rond-point. Il fait beau pour un mois de novembre. Comme si le soleil avait voulu accompagner Clémentine d’un sourire. Durant les mois que j’ai passés dans la maison, malgré mes allers-retours : Le Conssé – Toulouse – Le Conssé, j’ai découvert une personne attachante. Elle l’était d’autant plus, que son corps la soutenait de moins en moins. Les mois de juillet et d’août avaient
RIEN DE PLUS Mercredi 28 novembre 2018Mercredi 28 novembre 2018 – 18h12La demeure possède un rythme pendulaire d’ouverture et de clôture pour le visiteur. L’entrée principale est déjà fermée: un révélateur de mise à la porte. Je voulais signifier une arrivée fracassante? Elle m’impose la surprise, par la porte dérobée de la cuisine! Au travers du vitrage, je découvre une Clémentine qui s’active. Le fond sonore de la radio est mon allié. La tante n’a pas entendu la porte s’ouvrir: je me glisse, me plante. Un bruit, une ombre? La vieille dame, au fourneau, se retourne en sursaut. Embarras:– Ah! C’est vous?! Vous m’avez fait une de ces peurs!Je maugrée une vague excuse. L’atmosphère se tend. Clémentine comprend que je ne suis pas le neveu policé. Je la mets en état de vulnérabilité? Elle s’efforce d’amortir l’emprise en c
MARÉE DESCENDANTE Mercredi 28 novembre 2018Mercredi 28 novembre 2018 – 07H33Je gagne la chambre le cœur rempli de vague à l’âme. À l’extérieur, un jour fatigué se lève. Je suis sonné tel un boxeur au terme d’un combat indécis. Je connais le sujet! Étudiant, je participais aux matchs organisés par le club de boxe de l’université. J’en suis à ma énième nuit blanche, et c’est à la nuit tombée que les tournois de boxe se disputent. Je sens le battement du sang dans les tempes: un mal de tête infernal me vrille le cerveau. Je m’allonge et imagine le ring sur lequel m’attendent mes challengers. À un angle, il y a la tante Clém, quatre-vingt-dix-huit ans, une histoire sur fond d’inavoué inavouable. À l’autre corner, une affaire qui se déroule sur le rond-point, au pied du Conssé. Des poids-légers y revendiquent leur droit de vivre face à des poids-lourds immobiles. Je sens que le sommeil me délivre du mal de têt
IMPASSEMardi 27 novembre 2018Mardi 27 novembre 2018 – 16h45Réquisitoire sous le bras, je pénètre dans le salon. Les volets sont déjà fermés. Le rituel immuable du Conssé me signale que nous sommes entrés en nuit et non dans la nuit. À ma droite, un feu ronronne dans l’âtre. À proximité, un antique pare-feu en bois, rehaussé d’une scène bucolique brodée sur tissu, dissimule en partie les flammèches avides de bûche. L’objet est à l’image du salon, avec ses meubles anciens bien lustrés. Ils revendiquent le raffiné du XVIIIème siècle. Grâce à eux, je perçois le temps des salons littéraires, et l’art des conversations policées. La politesse exquise du mot d’esprit s’est perdue depuis. Sur la gauche, à l’arrière-plan du piano demi-queue, se dresse l’immense tableau dénommé: «Le loup terrassé!» Une escarbille claque dans le foyer, libérant un pétillant d’étincelles. Je repère le fauteuil désigné
MARÉE MONTANTEMardi 27 novembre 2018Mardi 27 novembre 2018 – 07h34La voiture s’immobilise dans la cour. Le chien du Conssé, un aboyeur né, n’a pas bronché: merci à lui! J’ai savouré les roulements de pneumatiques du dernier kilomètre parcouru. Après la virée nocturne, le sas de l’allée me fait communier avec le banal qui m’entoure: il n’a rien d’anodin. Le banal, est une campagne façonnée par des mains qui émergent de l’indifférence. Je réalise qu’à force d’aller et venir dans le banal, l’évident, je suis devenu aveugle. L’évident? Nul ne le remarque plus! Il ressemble au fidèle serviteur: une humanité transparente à force de trop de discrétion dans le service. Adieu le service rendu, et tout s’arrête. Le paysage banal n’évoquait plus rien d’évident pour m
«GUEULES CASSÉES»Mardi 27 novembre 2018Mardi 27 novembre 2018 – 02h32Au moins deux bonnes heures que je campe sur l’improbable galette! À force d’attendre, j’ai renoncé à consulter la montre. La conversation s’étiole: je connais les doléances des interlocuteurs. Annick m’a précisé qu’elle est divorcée sans enfant. Infirmière de formation, elle a renoncé à sa vocation à la suite d’un accident de la circulation. Un chauffard ivre l’avait percutée. Depuis, elle garde des enfants à domicile et ses séquelles:– Je n’ai droit qu’à un enfant. Bilan, je ne boucle pas mon mois. Quand les services sociaux sont venus visiter la maison, la commission a considéré l’escalier qui mène du rez-de-chaussée à l’étage, trop raide. En cas d’accident, les services auraient engagé leur responsabilité. Résultat des courses, sur trois agréments présentés, ils ne m’en ont délivrée qu’un seul. J’ai eu beau
«BALADE»Mardi 27 novembre 2018Mardi 27 novembre 2018 – 00h25– Ouf! Tu touches au but!Me voilà à quelques kilomètres du point de chute, et je me détends: quel calvaire cette route! Il m’a fallu quatre heures pour parcourir, porte à porte, les soixante-cinq kilomètres qui séparent Toulouse du Conssé. En temps normal, le trajet par la nationale prend à peine plus d’une heure. Au dire de la radio, j’aurai mieux fait d’emprunter l’autoroute. La voie, encagée par convention, a été ouverte par exception. Les gilets jaunes occupent les barrières de péage, ils laissent passer à l’œil les véhicules. Quant à moi, j’ai renoncé aux autoroutes depuis que l’État les a cédées aux sociétés privées, et elles s’en donnent à cœur joie avec le cadeau! Les entreprises d’exploitation arrondissent leurs fins de mois déjà profitables grâce à la survivance d’ancien régime de l’octroi. Au moins
ENQUÊTE Samedi 24 novembre 2018Samedi 24 novembre 2018 – 18h47Je décroche. Clémentine s’emporte:– Éric!– …?– Je vous laisse des messages, et vous ne me rappelez pas!J’appuis sur la télécommande du téléviseur. La voix de l’électronique s’interrompt. À l’écran, il ne subsiste que les images de violence retransmises par une chaîne d’information en continu. Ces images incroyables, je les regarde en boucle depuis le début de l’après-midi. Je réponds la voix lasse:– Je suis désolé. Je suis submergé, à cause des évènements qui secouent le pays.Un silence passe. Clémentine se fait moins acrimonieuse:– Vous aviez pris l’engagement de m’informer de l’avancée de vos recherches. Cela fait plus de trois semaines que je n’ai aucune nouvelle!Je m’efforce d’expliquer une évidence à la tante: les manifestations des gilets j
ROSSIGNOL Samedi 22 août 1914Samedi 22 août 1914 – 6h45Il est des noms harmonieux, «Rossignol» en est un. Son évocation renvoie au chant mélodieux de l’oiseau. Rossignol, ce sont des champs, non des chants, une forêt, un village et sa campagne. Il se situe en Belgique, aux confins des Ardennes, entre France et Luxembourg. Rossignol, en raison des évènements qui s’y sont déroulés, ne relève pas d’une image d’Épinal. Au regard de l’histoire, l’endroit symbolise un tombeau et une date gravée dans un marbre anthracite. Un tombeau: des hommes vont mourir dans les bois avoisinants du lieu enchanteur: terrible contraste bucolique! Une date: le 22 août 1914, dix-neuvième jour de guerre, se révèlera être le jour le plus sanglant de l’histoire de l’armée française. Jamais elle ne perdra autant d’hommes en si peu de temps: l’affaire d’une journée. Rossignol, est le champ où le feu e