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CHAPITRE 2

last update Dernière mise à jour: 2021-11-15 15:35:28

INTRUSION

Mercredi 08 août 2018

 

 

Mercredi 08 août 2018 – 11h12

 

Les études anthropologiques prouvent que les communautés humaines sacrifient le célibataire. La civilisation a modéré la rigueur de la sanction. Aujourd’hui, au sein d’une famille nombreuse le célibataire, au masculin ou au féminin, sert de bouche-trou et de repoussoir. Au repas, le voilà relégué en bout de table. À cette place, il ne rompt ni l’harmonie des couples ni sa propre solitude harmonieuse, voilà pour le bouche-trou. La fonction de repoussoir est plus subtile. Elle consiste à reporter sur le célibataire les corvées ennuyeuses. L’appel au rite du repoussoir s’identifie grâce à la formule incantatoire :

– Désolé, j’ai un service à vous (te) demander…

Ayant perdu au jeu des chaises musicales, le sacrifié n’a pas d’autre choix que de s’exécuter.

 

J’aurais mieux fait de m’abstenir ! Mon passage inopiné ressemble au soufflé. Un plat figuratif de l’état de grâce de la nouveauté que je symbolise un court instant. Très vite, je retombe dans l’anonymat de principe. Les adultes se détournent de moi, et reprennent leur train-train. Me voilà dans la peau d’un article lambda remisé sur une étagère anonyme : intérêt périmé. Par son attitude, le groupe humain – ma famille – me déclare qu’il me rejette déjà. Pour accompagner le bouche-trou, il ne reste plus qu’Édouard : un enfant âgé de cinq, six ans. Le gosse me bombarde de questions, auxquelles je réponds sans conviction. Je doute qu’il comprenne les réponses de l’adulte. Cela me vaut :

– Ç’est quoi-ça, oncle Éric ?

Complété d’un invariable et exaspérant :

– Ça veut dire quoi ça, oncle Éric ?

Dans un premier temps, le progressiste que je suis s’efforce d’effacer de la bouche d’Édouard le titre protocolaire : « d’oncle. » Sans résultat ! L’enfant se cramponne à l’atavisme de l’éducation reçue. Ses interrogations répétitives s’agrémentent donc de la ponctuation récurrente. À la longue, je me lasse… et lance un regard de supplique en direction de Laurence, la maman :

– Libère moi de ton fiston !

Rien n’y fait. Laurence, nièce présumée, est lancée à plein régime dans une conversation avec une de ses belles-sœurs toute aussi présumée : « Et blablabla… ! » Il est vrai que dans cette colonie humaine, j’ai un mal fou à identifier qui est qui, et qui est à qui. Faute du secours de la mère, je reste sous la coupe du persécuteur. Les toilettes me servent d’argument de repli. Le piège s’est refermé sur moi ! Le séjour va être une galère. Toutefois, en ce premier jour, impossible de justifier d’un départ prématuré. Je maugrée :

– Dans quel plan t’es-tu fourré ?!

Je vais devoir trouver le motif bidon qui me permettra de filer avant le terme imposé. Pour le terme ? Je n’ai pas d’autre choix que de passer une nuit sur place. Une éternité qui me fait dire :

– Tu n’as pas ta place au sein de ce troupeau humain soumis à un rythme imposé !

 

Au matin de la seconde journée, mon choix est arrêté. Je n’ai encore rien dit à la tante Clém, mais je filerai après le déjeuner. J’ai trouvé le prétexte : l’on m’attend à Bordeaux. Avant cela je dois meubler. Je fais un saut dans la bibliothèque. Je veux y trouver une lecture raisonnable : l’objet du meuble. J’ai le souvenir que la bibliothèque de la maison vaut le détour. Me voilà dans le silence de l’antre aux recueils. Je m’y ressource avec bonheur. Dans ce lieu, les ouvrages ne relèvent plus que du registre de la collection. Ici, à quand remonte le dernier lecteur… ? Après un tour complet des diverses étagères à portée de vue, je m’empare d’un ouvrage daté qui traite de l’œuvre de Pierre-Paul Riquet, baron de Bonrepos, père-fondateur du canal du Midi. J’ai choisi Bonrepos en réaction aux récriminations matinales des plus jeunes. Ils m’ont tiré de mon sommeil ! Que faisaient les parents ?! La notion de vacance est variable selon les individus ! C’est muni d’un livre oublié que je vais affronter la matinée qui s’annonce. J’espère que l’ouvrage aura un effet répulsif sur la marmaille. J’aime bien les enfants, moins ceux des autres… Quant aux miens, c’est plus expéditif : je n’en n’ai aucun par vœux de célibat involontaire.

 

– Ç’est quoi-ça, oncle Éric ?

Une heure que j’étais installé dans le parc à jouir du calme des pages. Édouard le diabolique insiste :

– Ç’est quoi-ça… ? Ç’est quoi-ça oncle Éric ?!

– Un livre !

Je veux chasser la mouche :

– Édouard, laisse-moi tranquille !

– Ça veut dire quoi ça, oncle Éric ?

L’oncle craque… Je n’ai pas le temps de réagir, Laurence m’interpelle :

– Je suis désolée de vous déranger cher oncle, mais j’ai besoin de votre aide…

Le repoussoir s’invite ! Je pose Bonrepos sur la table de jardin, à proximité du transat qui me supporte. Dans la confusion, l’insupportable : je renverse la tasse de café. Le breuvage se répand sur le plastique, sans porter préjudice aux pages de Bonrepos : « Ouf ! » Toutefois, le « Ça » de la requête, additionné au « Ça » du liquide renversé, achèvent de me contrarier. Exaspéré, je me tourne vers la nièce pièce-rapportée, qui campe dans l’encadrement de la cuisine, fenêtre grande ouverte :

– C’est pourquoi ?!

Pendant que j’éponge le jus, la mère du diable se lance dans une justification où il est question que je sois le seul adulte disponible. Les pères se sont évaporés. Et les mères surveillent les petits au bord de la piscine. Il faut entendre là, les enfants de l’âge d’Édouard. Je brûle de déclarer à la solliciteuse :

– Tu ferais mieux d’en faire autant !

Laurence précise :

– Les petits veulent faire un tour de vélo. Édouard n’en a pas. Tante Clém, me signale qu’il y en aurait un qui traînerait au grenier.

Je traduis le propos de la nièce :

– Et tu veux que j’aille le chercher ?!

– Ce serait adorable !

Le souhait féminin est un ordre de réquisition. J’abandonne lecture, éponge d’infortune, et me dirige vers la porte de la cuisine. À l’instant où je m’engouffre dans la maison, la voix étouffée d’Édouard glisse à sa mère :

– Y fait quoi oncle Éric ?

Je grommèle :

– La poisse ce gosse !

Puis-je deviner que ma réflexion est une prophétie ?

 

Je me trouve face à la porte du grenier. Cette porte en bois, verrouillée par un simple loquet, symbolise deux mondes qui se côtoient sans se rencontrer. Avant la porte se tient le présent, un ignorant, courtisan assidu de l’actualité. Après la porte, réside le passé, assorti de sa mémoire déchue. En deçà il y a la vie colorée d’aujourd’hui. Au-delà, règne le bric-à-brac des souvenirs bannis en gris. Les portes de grenier des vieilles maisons de famille forment des lignes de crêtes où s’affrontent répulsion et attraction. La répulsion ? Dans un grenier, l’intrus peut y croiser sa solitude, issue des souvenirs enterrés. L’attraction ? Le visiteur improvisé peut y renouer avec son histoire. À l’instant où je soulève le loquet et que la porte s’entrouvre en grinçant, la mémoire m’envahit. Enfant, les jours de pluie, le grenier devenait pour moi et mes cousins une salle de jeu improvisée. La caverne d’Ali Baba révélait des trésors, grâce auxquels nous nous déguisions à volonté. Ces journées relevaient du très exceptionnel ! Par convention, un grenier ne fait pas partie de la vie courante. C’est un lieu de rebut et d’oubli : l’antichambre des futurs et biens dénommés vide-greniers. Pour certains encombrants, l’endroit se réduit à être la station ultime d’avant la béance de la benne à ordures. Par essence, le grenier révèle l’indécision humaine, où le fait de se déposséder relève du registre du compliqué. À la seconde du tri sanction, le doute surgit :

– Sait-on jamais, cela pourrait-de nouveau servir...

Dans ces limbes du rejet, l’objet y est donc dans l’attente d’un choix sans cesse différé. Jusqu’au jour où la décision tombe : celle du grand ménage. La mémoire détachée s’en va alors sans faculté de retour. Ainsi en est-il des souvenirs, fruits disloqués du conservé-jeté !

 

Je grimpe les dernières marches qui mènent au grenier proprement dit. Sous mes pieds, le bois sec d’une latte disjointe gémit et m’annonce. Dans le dos, je sens que la porte est restée entrebâillée : je le sais d’instinct. Enfant, j’avais déjà remarqué que la porte ne se refermait jamais complètement. L’interstice de lumière signifiait que je pouvais rebrousser chemin. J’en ignore la raison, mais la réflexion assure l’adulte d’aujourd’hui, quand elle rassurait l’enfant d’hier. La survivance des impressions reste, mais autrement. Le grenier forme un immense carré d’un seul tenant qui épouse la forme cubique de la maison. Il possède au moins une simplicité. À environ dix heures du matin, la fournaise s’impose : le grenier n’est pas isolé. Seul l’est le reste de la maison. Ce monde renfermé est vraiment à part. Il y règne une pénombre forcée, qu’atténuent des ouvertures en œil de bœuf. Leurs vitres sont sales. Ici, on ne fait jamais de nettoyage au sens propre du terme : nul ne vient dans la relégation sans motif d’exception. Dans le registre olfactif, le parfum du bannissement me cerne très vite : un étrange remugle, issu des vêtements hors d’âge qui débordent de malles dépareillées. Au relent de piqué, se mêle l’odeur caractéristique des rongeurs. Leur présence est attestée par des crottes abandonnées au hasard du plancher de chêne, blanchi par la poussière. Le grenier est aussi un cimetière à mouches : un mouroir, à l’image des insectes du deuil, nourris de mort. Seule concession au silence pesant : une mouche prisonnière bute rageusement contre un vitrage perdu dans l’amas. C’est cerné de ce tout oppressant, que je m’enfonce dans les entrailles des jours oubliés : cette vision, cette odeur, cette lourdeur… Est-ce cela, le parfum du passé décomposé ? Je me souviens que des vélos ont bien été remisés ici. À l’époque, ils avaient été pendus à des crocs, eux-mêmes fixés à une poutre secondaire de la charpente. Si je me rappelle bien, le lieu d’exécution improvisée se situait dans la diagonale, à l’opposé de la porte. La perspective de devoir traverser le fourre-tout ne me séduit guère… C’est en sueur que j’entame avec répulsion une incursion, qui confirmera ou infirmera mon souvenir d’enfance. En face de moi, s’ouvre une espèce de piste. Elle serpente au milieu de l’improbable jungle du daté-rejeté.

 

Je m’engage dans le passage aménagé dans l’empilement du tout-venant, corseté de meubles à étagères ouvertes. Dessus, dessous, dedans, du n’importe quoi en papier repose en vrac. Des journaux surannés côtoient de vieux hebdomadaires, eux-mêmes recouverts par la souillure du temps. En m’enfonçant dans le dédale, un écho suggère :

– Où est l’intérêt de conserver tout cela ?

Une autre réflexion, plus pratique, chasse la précédente :

– Pourvu que ce maudit vélo soit là où il doit être…

Je trompe l’appréhension en m’imaginant archéologue improvisé. J’examine la logique chronologique des strates qui s’empilent, ou la certitude de leur incohérence. Compte tenu de la disposition des lieux, et du comportement humain : le plus vieux est relégué au plus loin du grenier. En d’autres termes, je remonte le cours du temps, et m’éloigne de mes semblables. La solitude s’invite… À mi-parcours, la piste se transforme en un boyau étroit. L’entassement devient un mur incurvé en forme de S. Je me contorsionne entre un lustre de style Art-déco, qui tient sur la gauche grâce au miracle d’un équilibre précaire, et des cartons posés à plat qui débordent d’une étagère, située à la droite. Au passage, ma figure ramasse une toile d’araignée. Partagé entre dégoût et exaspération, je frotte mon visage, et fulmine :

– C’est dégueulasse !

Au débouché du piège à rat : miracle ! Je repère la poutre d’où pend effectivement un vélo pour enfant. Il est proche d’un cadre désossé qui attend dans la rouille la mise à mort. À l’instant où je décroche le vélo, plutôt en bon état, je constate qu’il est peint en rose. J’esquisse un sourire narquois : « Petite vengeance ! » J’imagine Édouard, juché sur ce vélo à la couleur conventionnelle des filles. Un peu provocateur, plus pour exorciser le lieu, je déclare à haute voix :

– Édouard va adorer !

 

Ni une ni deux, je repars en sens inverse en tenant le guidon de la main droite, roue avant levée. Derrière moi j’entends le « flop, flop » caractéristique d’un pneumatique dégonflé. Grâce au bruit sympathique, je me sens enfin accompagné. La prise entre les mains, j’accélère le pas. Je ne souhaite qu’une chose, m’extraire au plus vite de l’empilement malsain. Je me retrouve au niveau du fameux S, détroit si délicat... Trop empressé d’en finir, je ne prête plus attention. Engagé dans la seconde partie du passage, mon épaule gauche accroche un objet incertain : « Patatras ! » L’incertain se déverse sur le dos, soulevant poussière, mauvaise odeur et tout-venant désagréable. Surpris, je lâche le vélo qui s’affale sur le côté droit du mur bric-à-brac. Un instant, je redoute que le lustre n’ajoute sa chute à la confusion générale. L’objet tremble, mais se décide à être raisonnable. Je me retourne et prends la mesure du chaos. Je pousse un retentissant :

– Fait suer !

Je détaille le fruit de ma précipitation. Un carton est tombé au sol, libérant son improbable contenu. Prenant soin de ne pas déclencher une nouvelle avalanche, je tire à moi le vélo et l’extrais du passage. Contraint, je reviens sur mes pas. Je râle :

– Quel piège à con !

Me voilà accroupi, à ranger à la va-vite le fatras répandu. Malgré la pénombre, mon regard est attiré par une photographie au format réduit. Intrigué, je la tire de sous un papier qui la dissimule partiellement. Mes yeux s’écarquillent : la machinerie d’historien se met en branle. Perplexe, je balbutie :

– C’est quoi ce truc ?!

Je veux m’assurer que la photo n’est pas un mirage : j’en nettoie la surface recroquevillée par l’effet du temps. Je relève que l’image rétro, protégée par le carton, a conservé son éclat mat pelliculé d’origine. Par réflexe, je retourne la photographie. Je veux vérifier l’éventualité d’une mention. Bien m’en a pris ! Une main anonyme a apposé dans une encre, couleur foncée incertaine, une indication sommaire. La semi-obscurité, conjuguée au sombre de l’encre, m’interdisent de déchiffrer : je renonce. Je glisse un visage inconnu dans la poche arrière du bermuda. Mon cerveau gamberge à toute vitesse, et la fébrilité m’envahit. La chaleur suffocante me saute à la gorge ! Je m’empresse de remettre dans la boite le reste éparpillé. Au fond de moi, une voix scélérate revendique :

– Embarque le carton !

Sans plus réfléchir, je loge la boite sous le bras gauche, saisis le vélo de la main droite, et détale, sans me soucier d’accrocher autre chose sur la voie. En mon âme et conscience, deux avis s’entrechoquent. Le premier s’exprime avec gravité :

– Remets à sa place ce que tu viens de prendre !

Le second tient un discours progressiste :

– Examine le contenu !

J’ai déjà tranché. Je me suis emparé du tout !

 

À pas pressés, je m’approche de la table de jardin, après m’être débarrassé sans égard du vélo : il gît à cheval entre gazon-paillasse et gravier d’allée. La nièce et son rejeton ont déserté le lieu. Je constate que la tasse et la serviette-éponge se sont évaporées d’un coup de baguette magique au féminin. Quant aux pages de Bonrepos, je les délaisse. C’est à partir d’une place nettoyée que je vais exhumer le butin. Je ne sais pour quel motif, mais la voix du grenier, la folle-raison, me susurre de conserver la photo dans la poche. Je perçois que l’image représente le joker de la partie qui va s’annoncer. Pour en avoir fait les frais par le passé, mon intrusion sera interprétée avec hostilité. À l’instant où je plonge les doigts dans le carton entrouvert, la voix de Laurence me rattrape :

– Regarde Édouard, le gentil oncle Éric t’a descendu le vélo !

J’entends le gamin protester :

– C’est un vélo pour les filles, pas pour Édouard !

Le nez fixé dans les entrailles des souvenirs, j’esquisse un sourire carnassier. J’imagine la mine déconfite du bambin, et me dis :

– C’était prévisible !

Toutefois, là où je m’attendais à de l’Édouard, c’est Laurence qui m’inflige :

– C’est quoi ça ?!

Contraint, je lève mon visage et réponds platement :

– Des papiers du grenier…

Nos regards se croisent. Après une hésitation, Laurence m’avertit :

– Pas sûre que ça plaise à belle-maman Clém…

Je suis à deux doigts de répliquer, hors diplomatie :

– Tu me gonfles !

Pour une fois, Édouard se révèle en allié. Il coupe court à l’observation de sa mère :

– Vélo tout cassé !

Laurence se détourne :

– Mais non mon Édouard ! Les pneus sont justes dégonflés. On va arranger ça avec oncle François. Il nous attend avec tes cousins et cousines. Je sais qu’il a une pompe pour les bobos-vélos.

La mère et l’enfant filent avec l’engin, dont le pneu arrière malade laisse un sillon dans le gravier. Je pousse un « ouf ! » de soulagement. Je vais enfin, pouvoir me consacrer à l’examen tant attendu. Je jubile : un vrai gosse face à ses cadeaux de Noël de plein été !

 

 

***

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    MARÉE DESCENDANTE Mercredi 28 novembre 2018Mercredi 28 novembre 2018 – 07H33Je gagne la chambre le cœur rempli de vague à l’âme. À l’extérieur, un jour fatigué se lève. Je suis sonné tel un boxeur au terme d’un combat indécis. Je connais le sujet! Étudiant, je participais aux matchs organisés par le club de boxe de l’université. J’en suis à ma énième nuit blanche, et c’est à la nuit tombée que les tournois de boxe se disputent. Je sens le battement du sang dans les tempes: un mal de tête infernal me vrille le cerveau. Je m’allonge et imagine le ring sur lequel m’attendent mes challengers. À un angle, il y a la tante Clém, quatre-vingt-dix-huit ans, une histoire sur fond d’inavoué inavouable. À l’autre corner, une affaire qui se déroule sur le rond-point, au pied du Conssé. Des poids-légers y revendiquent leur droit de vivre face à des poids-lourds immobiles. Je sens que le sommeil me délivre du mal de têt

  • Le silence de la terre   CHAPITRE 10

    IMPASSEMardi 27 novembre 2018Mardi 27 novembre 2018 – 16h45Réquisitoire sous le bras, je pénètre dans le salon. Les volets sont déjà fermés. Le rituel immuable du Conssé me signale que nous sommes entrés en nuit et non dans la nuit. À ma droite, un feu ronronne dans l’âtre. À proximité, un antique pare-feu en bois, rehaussé d’une scène bucolique brodée sur tissu, dissimule en partie les flammèches avides de bûche. L’objet est à l’image du salon, avec ses meubles anciens bien lustrés. Ils revendiquent le raffiné du XVIIIème siècle. Grâce à eux, je perçois le temps des salons littéraires, et l’art des conversations policées. La politesse exquise du mot d’esprit s’est perdue depuis. Sur la gauche, à l’arrière-plan du piano demi-queue, se dresse l’immense tableau dénommé: «Le loup terrassé!» Une escarbille claque dans le foyer, libérant un pétillant d’étincelles. Je repère le fauteuil désigné

  • Le silence de la terre   CHAPITRE 9

    MARÉE MONTANTEMardi 27 novembre 2018Mardi 27 novembre 2018 – 07h34La voiture s’immobilise dans la cour. Le chien du Conssé, un aboyeur né, n’a pas bronché: merci à lui! J’ai savouré les roulements de pneumatiques du dernier kilomètre parcouru. Après la virée nocturne, le sas de l’allée me fait communier avec le banal qui m’entoure: il n’a rien d’anodin. Le banal, est une campagne façonnée par des mains qui émergent de l’indifférence. Je réalise qu’à force d’aller et venir dans le banal, l’évident, je suis devenu aveugle. L’évident? Nul ne le remarque plus! Il ressemble au fidèle serviteur: une humanité transparente à force de trop de discrétion dans le service. Adieu le service rendu, et tout s’arrête. Le paysage banal n’évoquait plus rien d’évident pour m

  • Le silence de la terre   CHAPITRE 8

    «GUEULES CASSÉES»Mardi 27 novembre 2018Mardi 27 novembre 2018 – 02h32Au moins deux bonnes heures que je campe sur l’improbable galette! À force d’attendre, j’ai renoncé à consulter la montre. La conversation s’étiole: je connais les doléances des interlocuteurs. Annick m’a précisé qu’elle est divorcée sans enfant. Infirmière de formation, elle a renoncé à sa vocation à la suite d’un accident de la circulation. Un chauffard ivre l’avait percutée. Depuis, elle garde des enfants à domicile et ses séquelles:– Je n’ai droit qu’à un enfant. Bilan, je ne boucle pas mon mois. Quand les services sociaux sont venus visiter la maison, la commission a considéré l’escalier qui mène du rez-de-chaussée à l’étage, trop raide. En cas d’accident, les services auraient engagé leur responsabilité. Résultat des courses, sur trois agréments présentés, ils ne m’en ont délivrée qu’un seul. J’ai eu beau

  • Le silence de la terre   CHAPITRE 7

    «BALADE»Mardi 27 novembre 2018Mardi 27 novembre 2018 – 00h25– Ouf! Tu touches au but!Me voilà à quelques kilomètres du point de chute, et je me détends: quel calvaire cette route! Il m’a fallu quatre heures pour parcourir, porte à porte, les soixante-cinq kilomètres qui séparent Toulouse du Conssé. En temps normal, le trajet par la nationale prend à peine plus d’une heure. Au dire de la radio, j’aurai mieux fait d’emprunter l’autoroute. La voie, encagée par convention, a été ouverte par exception. Les gilets jaunes occupent les barrières de péage, ils laissent passer à l’œil les véhicules. Quant à moi, j’ai renoncé aux autoroutes depuis que l’État les a cédées aux sociétés privées, et elles s’en donnent à cœur joie avec le cadeau! Les entreprises d’exploitation arrondissent leurs fins de mois déjà profitables grâce à la survivance d’ancien régime de l’octroi. Au moins

  • Le silence de la terre   CHAPITRE 6

    ENQUÊTE Samedi 24 novembre 2018Samedi 24 novembre 2018 – 18h47Je décroche. Clémentine s’emporte:– Éric!– …?– Je vous laisse des messages, et vous ne me rappelez pas!J’appuis sur la télécommande du téléviseur. La voix de l’électronique s’interrompt. À l’écran, il ne subsiste que les images de violence retransmises par une chaîne d’information en continu. Ces images incroyables, je les regarde en boucle depuis le début de l’après-midi. Je réponds la voix lasse:– Je suis désolé. Je suis submergé, à cause des évènements qui secouent le pays.Un silence passe. Clémentine se fait moins acrimonieuse:– Vous aviez pris l’engagement de m’informer de l’avancée de vos recherches. Cela fait plus de trois semaines que je n’ai aucune nouvelle!Je m’efforce d’expliquer une évidence à la tante: les manifestations des gilets j

  • Le silence de la terre   CHAPITRE 5

    ROSSIGNOL Samedi 22 août 1914Samedi 22 août 1914 – 6h45Il est des noms harmonieux, «Rossignol» en est un. Son évocation renvoie au chant mélodieux de l’oiseau. Rossignol, ce sont des champs, non des chants, une forêt, un village et sa campagne. Il se situe en Belgique, aux confins des Ardennes, entre France et Luxembourg. Rossignol, en raison des évènements qui s’y sont déroulés, ne relève pas d’une image d’Épinal. Au regard de l’histoire, l’endroit symbolise un tombeau et une date gravée dans un marbre anthracite. Un tombeau: des hommes vont mourir dans les bois avoisinants du lieu enchanteur: terrible contraste bucolique! Une date: le 22 août 1914, dix-neuvième jour de guerre, se révèlera être le jour le plus sanglant de l’histoire de l’armée française. Jamais elle ne perdra autant d’hommes en si peu de temps: l’affaire d’une journée. Rossignol, est le champ où le feu e

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