Gabriel de MontreuilLe vent murmure à travers les ruines comme un spectre, un souffle glacé qui semble vouloir nous prévenir de ce qui nous attend. L’air est dense, vicié par le temps et l’histoire de cette île oubliée. Chaque pas sur le sol durci résonne dans cette vaste solitude, comme un écho du passé, un avertissement qui se cache sous les pierres usées par les siècles.Nous avançons à l’intérieur de la forteresse, la lumière de nos lanternes vacillant dans l’obscurité. Aïda mène toujours la marche, sa silhouette déterminée, mais il y a quelque chose dans son regard qui me trouble. C’est l’incertitude. Nous savons tous que cet endroit ne nous accueillera pas comme des hôtes, mais comme des intrus. Et cette pensée me hante à chaque pas que nous faisons.Nous franchissons un grand hall couvert de poussière, les murs marqués par des symboles anciens, gravés dans la pierre. Des signes qui, dans la lueur tremblante des lanternes, prennent des formes inquiétantes. Des yeux, des crocs,
Gabriel de MontreuilJe me réveille dans l’obscurité totale, le souffle court, le cœur battant comme un tambour dans ma poitrine. Une sensation de froid glacial m’envahit, mais aussi une douleur vive qui traverse chaque muscle de mon corps. J’essaie de bouger, mais mes bras et mes jambes sont liés, enchaînés à une pierre froide et rugueuse. Mon esprit se brouille, un voile épais m’empêche de penser clairement. C’est comme si la réalité elle-même m’échappait.Je tente de me redresser, mais la lourdeur de mes chaînes me cloue au sol. Je regarde autour de moi, mais la lumière est si faible que je peine à distinguer les contours. Tout ce que je vois, ce sont des ombres mouvantes, des silhouettes figées dans la pénombre.— Gabriel...La voix qui résonne dans cette obscurité n’est pas celle d’un homme, mais d’une créature étrange, éthérée. Elle semble venir de toutes parts, se glissant dans les recoins de mon esprit.— Tu n’es plus libre, poursuit la voix. Tu es ici pour comprendre que ce q
Gabriel de MontreuilLa lumière aveuglante s’estompe lentement, mais le poids des chaînes reste. Le sol tremble encore sous mes pieds, comme si la terre elle-même cherchait à nous engloutir dans ses abysses. La silhouette qui se dresse devant moi, son visage dissimulé dans l’ombre, reste silencieuse. Son rire s’éteint progressivement, mais il ne disparait pas totalement. Il flotte dans l’air, un écho inlassable, un avertissement que je ne peux ignorer.Je serre les dents, forçant mes poignets contre les chaînes, chaque mouvement me coûtant un effort terrible. Je n’ai plus le droit à l’erreur, plus de temps à perdre. La peur, cette compagne de toujours, est devenue l’ennemi numéro un. Je dois l’écraser, la réduire à néant, sinon elle me brisera.— Tu veux vraiment lutter contre cela ? La voix qui résonne à nouveau, glacée, sans émotion. Contre le destin ?Je ne réponds pas immédiatement. Mes pensées se bousculent dans ma tête, s'entrechoquent comme des vagues battant les falaises. Le d
Gabriel de MontreuilD’un seul coup, je fais sauter les chaînes de mes poignets. Un éclat de lumière jaillit alors de mes bras, une énergie pure, née de notre résistance commune. Diego, Aïda, et M’bala sont à mes côtés, nos regards se croisant dans un ultime élan de fraternité.La bataille n’est pas terminée, mais ce moment est notre victoire. Ce n’est pas la fin, mais le début de notre révolte contre l’invisible, contre cette force qui cherche à nous briser. Nous sommes à nouveau libres, et tant que nous serons ensemble, rien, ni personne, ne pourra nous enchaîner.La guerre est loin d’être terminée, mais pour l’instant, nous avons remporté la première bataille. Et cela, personne ne pourra nous l’enlever.Le soleil, encore timide à l'horizon, éclaire à peine l'immensité qui nous entoure. La mer, calme après la tempête, semble suspendue entre deux mondes, deux réalités. La lutte contre l'ombre est loin d'être terminée, mais ce sentiment de liberté retrouvé m'envahit comme un souffle d
Gabriel de MontreuilLe bruit des canons résonne dans l’air lourd, un grondement sourd qui fait trembler la mer. La bataille est en plein essor, mais dans ma tête, tout est calme, comme si je voyais la scène au ralenti. Le navire de l’Empire, massif, imposant, se profile devant nous. Un géant de fer et de bois, sûr de lui, comme une bête prête à écraser tout ce qui ose se dresser sur son chemin. Mais nous ne sommes pas là pour fuir. Nous sommes là pour leur montrer qu’un esprit libre ne se brise jamais.Je serre la barre de mes mains, les yeux fixés sur l’horizon, là où le vaisseau de l’Empire se rapproche. Diego, sur la passerelle à mes côtés, scrute les mouvements ennemis, toujours aussi précis, toujours aussi alerte.— Ils sous-estiment notre audace, dit-il, sa voix calme mais chargée de tension. Leurs canons ne feront pas la différence. Nous frapperons là où ils ne s’y attendent pas.Je hoche la tête. Nous avons longuement planifié cette attaque. Ce ne sera pas une simple embuscad
Gabriel de MontreuilLes cieux semblent se refermer sur nous. Après la bataille, il y a un moment de calme trompeur. La mer, autrefois en furie, se calme lentement, laissant place à une tranquillité étrange, presque surnaturelle. Mais je sais que ce calme est une illusion. Une tempête se prépare, plus grande, plus dangereuse, et elle ne sera pas seulement une épreuve pour nous, mais pour tout ce que nous avons bâti.Je me tiens sur le pont, les yeux fixés sur l'horizon lointain. Les vagues, malgré leur douceur apparente, sont comme des présages. Elles semblent nous dire que tout n’est pas encore terminé, que la mer, qui nous a accueillis et guidés, n'a pas encore dévoilé tous ses secrets. Et je sais, au fond de moi, que nous allons devoir affronter une tempête bien plus terrible que ce que nous avons déjà traversé.Diego, fidèle à sa vigilance, se tient à mes côtés. Il regarde, lui aussi, l'horizon, ses yeux calculant déjà les mouvements de l'invisible, anticipant ce que nous ne pouvo
Gabriel de MontreuilLe fracas des canons continue de résonner, un écho lointain dans le tumulte de la bataille. La mer est un champ de guerre, chaque vague un rugissement de violence, chaque déflagration une menace de mort imminente. Mais ce n’est pas la peur qui nous saisit. Non. C’est l’instinct, cette sensation primale qui nous pousse à foncer, à se battre jusqu’au dernier souffle, à ne jamais céder.Je suis sur le pont, ma main crispée sur la barre, mes yeux cherchant la silhouette imposante du vaisseau de l’Empire dans la brume épaisse de la mer. Son navire est gigantesque, un monstre d’acier et de bois, mais c’est dans sa grande taille même qu’il cache sa faiblesse. Un vaisseau lourd et encombrant, trop lent pour nous. Nous, nous sommes rapides, agiles, et nous frappons là où ils ne s’y attendent pas.Diego, toujours à mes côtés, observe les mouvements de l’Empire, son regard perçant analysant chaque détail. Ses doigts pianotent sur la carte, traçant des lignes invisibles qui d
Gabriel de MontreuilLe silence qui règne après la bataille est aussi lourd que la mer qui nous entoure. La brume s’est dissipée, et bien que l’horizon soit dégagé, la tension reste palpable, suspendue dans l’air comme une menace prête à exploser. Le vaisseau ennemi est réduit en miettes, mais l’odeur du métal brûlé et de la poudre noire flotte encore autour de nous. La victoire a un goût amer. Nous avons gagné, mais à quel prix ?Je suis sur la passerelle, le regard fixé sur les restes du vaisseau de l’Empire, qui tangue lentement, abandonné à son triste sort. La mer elle-même semble refuser de pleurer cette défaite. Elle est trop vaste, trop indifférente à nos victoires et nos pertes. Pourtant, en moi, tout est en feu. L’adrénaline de la bataille s’estompe, et ce qui reste, c’est le poids du commandement. Le poids de ce que cela implique.Diego arrive à mes côtés, les traits tirés, son regard toujours aussi acéré, comme une lame prête à trancher. Il ne dit rien au départ, mais je se
Récit d’un vieil homme, narrateur anonymeOn raconte qu’un jour, un capitaine a fait taire la mer.Pas par la peur. Pas par la guerre.Mais parce qu’il lui a tourné le dos.Parce qu’il a aimé plus fort que la mer ne le permet.Parce qu’il a choisi l’amour au lieu du vent, une main au lieu du sabre.Son nom ?Gabriel de Montreuil.Une légende.Une épine dans le flanc de l’Empire.Un spectre pour les galions espagnols.Un mythe pour les jeunes mousses qui rêvaient de fortune, de gloire, de liberté.Et puis… plus rien.Un matin, le Pavillon Noir n’est plus reparu à l’horizon.Plus de voiles. Plus de feu.Le capitaine s’est tu.Et avec lui, la mer a perdu quelque chose de sauvage, de furieux.Mais moi, je sais.Je sais ce qu’il est devenu.J’étais jeune mousse sur un brick marchand, à l’époque.On croisait au large d’îles sans nom, là où les cartes s’effacent dans le bleu, où le ciel et l’eau se confondent.Et un soir, juste avant que le soleil meure, je l’ai vu.Une barque.Deux silhouet
Gabriel de MontreuilLe San Telmo dort dans le ventre de l’océan.Et nous, on flotte dans l’après.La plage est déserte, battue par le vent. Du sable blanc, du sel sur ma peau. Elle est là, allongée, la poitrine soulevée lentement, les yeux fermés.Je ne dis rien.Je la regarde respirer.AïdaJe sens son regard avant d’ouvrir les yeux.Je le connais. Il me brûle doucement, sans violence.Ses mains sont posées sur ses genoux. Il ne me touche pas. Pas encore.Je me redresse.Ma robe est en lambeaux, mais je m’en moque.Il est là. Et je suis vivante.— Tu comptes me regarder longtemps comme ça ?Il ne sourit pas. Il s’approche. Lentement.Je tends la main. Il l’attrape.Gabriel de MontreuilSon contact me brise.Je tombe à genoux devant elle, le front contre son ventre.— Je t’ai crue morte.— J’ai cru l’être aussi.Ses doigts glissent dans mes cheveux, et tout se tait.AïdaIl a tout perdu. Le navire. Le serment. La légende.Mais il m’a gardée.Ou peut-être que c’est moi qui l’ai gardé.
Gabriel de MontreuilJe tombe à genoux. Le pont du San Telmo vacille sous mes mains. L’air est saturé de sel, de magie ancienne, de douleur. Aïda gît là, dans les bras invisibles du navire, comme une offrande vivante, une prière hurlée à l’océan. Son corps est toujours là, mais son âme, je la sens glisser, tirée par des courants plus sombres que la mort elle-même.— Non… non, Aïda…Je me précipite, mais déjà la coque s’ouvre autour d’elle, comme une gueule vivante. Le bois craque, soupire, s’ouvre comme une plaie.DiegoJe m’élance après Gabriel. Il vacille, prêt à se jeter dans l’abîme pour la rejoindre. Je l’attrape par le bras au dernier instant.— Tu fais quoi, bordel ?!Il se débat, les yeux fous.— Elle a pris ma place, Diego ! C’est à moi ! C’était à moi !Il me frappe. Je le retiens. Je le frappe à mon tour. Le chaos autour de nous est si intense que personne ne voit. La mer hurle, la Gardienne récite des incantations dans une langue morte. Mais Gabriel ? Il se brise entre mes
DiegoJe connais Gabriel depuis assez longtemps pour comprendre ce qu’il s’apprête à faire. Ce regard, cette foutue détermination glacée… Il croit qu’il n’a pas le choix. Mais il en a toujours un.— On peut trouver une autre issue, je lance. Il y a toujours un autre moyen.La Gardienne esquisse un sourire triste.— Vous ne comprenez pas. Ce navire ne navigue que sur le serment du sang.AïdaLe serment du sang.Tout s’effondre en moi. Mon souffle se coupe, mon cœur cogne contre mes côtes comme un tambour de guerre. Je comprends avant même que Gabriel parle.— C’est moi, murmuré-je. C’est moi le prix.Il détourne les yeux.Le silence qui suit est pire que n’importe quelle tempête.Gabriel de MontreuilAïda me fixe, les yeux brillants d’un mélange de peur et de rage. Je pourrais lui mentir. Lui dire qu’elle se trompe. Mais elle sait. Elle a toujours su.— Non, souffle-t-elle.Le San Telmo tangue violemment. L’eau noire s’agite sous nous, une houle surnaturelle, impatiente. Mon père reste
Gabriel de MontreuilLe pont du San Telmo grince sous mes pas.Le bois est ancien, pourtant il semble respirer. Les voiles noires frémissent comme la peau d’une créature vivante. Un murmure serpente à travers l’air, une prière oubliée, un avertissement peut-être. Mais il est trop tard pour reculer.Je sens la présence de mes compagnons derrière moi. Diego inspecte le gréement, les traits tendus. M’Bala, silencieux, recharge son fusil, prêt à affronter l’inconnu. Aïda garde le médaillon serré dans sa main, son regard brillant d’une inquiétude qu’elle ne dissimule plus.Puis la Gardienne parle.— Le navire t’appartient, Gabriel de Montreuil. Il est le dernier témoin de ton sang, l’ultime vestige de ce qui fut et de ce qui doit être.Je tourne les yeux vers elle. Son voile d’or scintille sous la lueur irréelle qui baigne le vaisseau.— Où nous mènera-t-il ?Elle incline légèrement la tête.— Là où le pacte l’exige.Un frisson court le long de mon échine. Ce pacte… Je l’ai scellé sans en
Gabriel de MontreuilM’BalaJe plante mon coutelas dans la poitrine d’un des spectres.Il ne bronche pas.Ses mains se referment sur mon cou.Je suffoque.Puis, soudain, une lumière jaillit derrière moi.Je tombe à genoux, haletant.Le médaillon.Aïda s’est levée.Son regard est brûlant.Et le médaillon brille d’une lueur qui n’a rien de naturel.Les morts s’arrêtent.L’ombre, elle, avance.Gabriel de MontreuilLa jungle se déchire dans un rugissement de vent et de cendres.La silhouette cachée dans l’ombre révèle enfin son visage.Un visage que je connais.Mon père.Ou du moins, ce qu’il est devenu.Son regard est froid, inhumain.— Tu aurais dû rester en mer, Gabriel.Sa voix est un murmure de tempête, un écho de mille âmes perdues.Je serre les poings.— Pourquoi es-tu encore là ?Un sourire tordu se dessine sur son visage.— Parce que j’ai échoué.Un silence s’abat sur nous.Puis il lève la main.Et la terre tremble sous nos pieds.DiegoLe sol s’ouvre en un fracas assourdissant.
Gabriel de MontreuilMon père me regarde, ou du moins… ce qui reste de lui.Son visage n’est qu’une ombre du souvenir que j’en avais, ses traits mangés par le temps et la mort. Pourtant, dans ses yeux vides, quelque chose brûle encore. Une lueur. Un avertissement.Le médaillon que j’ai ramassé pulse dans ma main, sa surface froide vibrant contre ma peau.Et derrière lui, la jungle change.Les arbres semblent se courber, leurs racines noires s’étirent comme des griffes prêtes à m’engloutir. Le sol lui-même palpite sous mes pieds. Quelque chose… non, quelqu’un m’observe.— Gabriel…La voix de mon père est un murmure brisé, un souffle venu d’un autre monde.Je serre les dents.— Tu es mort.Il incline lentement la tête, et un rictus tord ses lèvres décomposées.— Oui.Un frisson glacé parcourt mon échine.Puis il lève un doigt décharné et pointe mon cœur.— Mais toi… tu es en train de suivre mon chemin.Le médaillon pulse plus fort.Autour de moi, la jungle se resserre.Et soudain, une v
Gabriel de MontreuilLa mer s’est tue.Les derniers vestiges des galions espagnols dérivent entre les vagues, des planches brisées, des voiles déchirées, et des cadavres flottants que la mer n’a pas encore engloutis. L’odeur du sel et du sang se mélange dans l’air. Le Pavillon Noir est toujours debout, mais il tangue, meurtri par la bataille et les fureurs des eaux maudites.Je serre la barre à m’en blanchir les jointures, le regard fixé sur l’horizon voilé d’une brume épaisse.Derrière moi, Diego s’appuie contre le bastingage, la main sur ses côtes blessées. M’Bala surveille le pont d’un œil attentif, prêt à bondir à la moindre menace.Et Aïda…Aïda respire encore.À chaque inspiration laborieuse qui s’échappe de ses lèvres, je sens une étincelle de rage et d’espoir s’allumer en moi.— Terre en vue !Le cri vient du nid de pie.Je lève les yeux.Devant nous, une masse sombre se découpe lentement dans la brume.Une île.Notre seule chance de survie.Mais aussi notre plus grande menace
Gabriel de MontreuilAïda s’accroche à la vie.Elle respire difficilement, allongée sur le pont du Pavillon Noir, son sang s’infiltrant entre les planches de bois comme une promesse maudite. Ses yeux sont mi-clos, sa peau, plus pâle que je ne l’ai jamais vue.Je presse ma main contre la plaie, ignorant le chaos qui nous entoure.— Tiens bon, Aïda. Tu m’entends ?Sa main tremble, se referme sur mon bras.— Gabriel…Sa voix est un souffle. Faible. Trop faible.M’Bala s’agenouille à côté de moi, son visage d’ordinaire impassible déformé par l’angoisse.— Il faut la descendre à la cabine. Vite.J’acquiesce, incapable de parler.Je la soulève avec précaution. Son corps est léger contre le mien, mais je sens la chaleur de son sang qui s’imprègne dans ma chemise. Je descends d’un pas rapide l’escalier menant à ma cabine, Diego à mes trousses, son bras toujours serré contre ses côtes blessées.À peine la pose-t-on sur la couchette qu’un cri résonne sur le pont.— L’ennemi revient !Je me fige