L’innatendu

Cinq ans plus tard. 

Dans la chambre Vip du meilleur hôpital de BurningCity, Julian Carter, le PDG de CARTER S.A, exerçait une force subtile sur la main de Georgia, sa mère mourante. Il lui a enfoncé un stylo entre les doigts. 

“ Tu dois juste signer là, maman. Tout sera en règle à présent. ” 

“ Laisse-moi te donner un support belle-maman. Tiens.” Roslyn, son épouse, le soutenait.  

 La matriarche les a fortement repoussés.

“ Bande de vautours! Mécréants! Vous  n’obtiendrez rien de moi! ” 

Elle venait de ressusciter d’un arrêt cardiaque de trop. Sa voix était faible, mais la  vieille dame, championne de karaté dans sa jeunesse, savait encore se défendre dans ses vieux jours. 

“ Ma fille, ramenez-moi ma petite-fille.  Ana!  Si elle était ici, vous n’oseriez pas me voler impunément ! ” Georgia se pliait de douleurs. 

Ses propos ont agacé Julian. 

“ Maman, ne sommes-nous pas de ta famille? Pourquoi pleures-tu cette criminelle qui t’a abandonnée, il y a des années ? ” Le regard braqué sur le sol, le visage de Julian  se tordait de gêne. 

 La vérité est qu'après le départ d’Anastasia, au moment même où Julian et sa famille sont retournés au pays A, les Carter n’avaient plus ni argent ni maison.  Profitant de l'état végétatif de  Georgia, ils avaient occupé le manoir de la sexagénaire et se servaient dans ses comptes, convaincus qu'elle mourrait dans les jours à venir, mais la bonne dame s’était miraculeusement remise sur pied au point de créer une nouvelle entreprise à succès. 

“ Voyous! Rendez-moi mes terres! Vous n'aurez pas un sou  jusqu’à ce que je la vois! ” La voix de  Georgia déchirait les pensées. 

L’atmosphère était désagréablement  pesante dans la pièce.  

“ Tu n’as que nous ! ” persistait Julian, l’air renfrogné.

Personne n’avait plus entendu parlé d’Ana depuis son divorce. C’était comme si la terre l'avait engloutie; et écouter Georgia  geindre pour elle avec véhémence écorchait la figure de tout le monde. Penelope s’est précipitée sur Georgia avec une  seringue dans le bras de sa  chemise. Roselyn, toujours aux aguets, l'a attirée hors de la salle. 

“ Cette épave ne veut pas mourir. Autant mieux, l’aider! ” Penelope se plaignait avec aigreur.

“ Veux-tu aller en  prison ? Veux-tu causer ma mort? Roselyn parlait d’une voix étouffée, craignant d'être entendue.

Elle réprimandait encore sa fille, lorsque Robert Miller est apparu dans le couloir de l’institution sanitaire.

“ Reste dans ton fauteuil ! ” Elle a prévenu Penelope.

Un ensemble trois pièces de couleur noir enveloppait sa carrure d’un mètre quatre vingt-dix-huit de l’homme, lui donnant l’apparence d’un dieu grec érigé sur l’olympe.  

“  Oh Rob! Enfin, tu es là ! ” Roslyn a souri avec agitation.

Penelope a poussé de façon lamentable son véhicule pour handicapés physiques jusqu'à lui, jetant le poison dans une poubelle discrète. 

“Robert, je suis heureuse de te voir. ” Son accent bas et angélique la rendait immaculée. 

“ Je suis venu dès que j’ai pu. Qu’arrive-t-il à madame Carter? ” Robert a parlé avec inquiétude, oubliant presque Penelope qui était proche de lui. 

Roselyn a fait une grimace. Elle avait toujours pensé être la seule femme qualifiée pour porter ce nom important. Cela ne l’a pas empêché d’arborer sa plus triste expression, avant de murmurer:  

“ Viens avec moi, s’il te plaît. Peut-être t'écouteras-t-elle contrairement à nous. ”  

Robert, suivi de Penelope, a marché derrière Roslyn avec assez de retenue.  Georgia ne l'appréciait pas beaucoup depuis son mariage avec Anastasia. 

“Bonjour, mamie.” ronronna-t-il en la voyant. 

Dès que la femme a perçu les vibrations de son timbre vocal, elle a réussi à le cravater. 

“ Où as-tu laissé mon enfant, sale garnement ? As-tu fini par ôter sa vie  comme tu le lui avais promis? ” 

Ses mots ont froissé l'ego de Robert. Ces cinq dernières années, Il les avait consacrées à traquer Anastasia. Certain de sa vicissitude, il espérait l’humilier lorsqu’elle viendrait le supplier pour une aumône. À ce moment-là, il  comptait lui rappeler qu’il restait son seul moyen de survie, puis  refuserait de l’aider. Seulement !   Jamais il n’avait retrouvé le moindre  indice le rattachant à cette femme remplie de noirceur.  Georgia ne s’est pas arrêtée là.

“ Assassin! Meurtrier! ”  Son souffle la quittait.

Julian a alerté les médecins afin qu’ils la mettent sous oxygène et stabilisent son état. 

“ Sauvez la vie de ma mère, je vous prie. Elle est  ce que j’ai de plus cher. ” 

Ce qui était bien vrai. Georgia ne devait pas mourir sans lui avoir cédé toute sa fortune. Deux jours auparavant, Julian désirant vendre les parts de l’entreprise Carter S.A à un investisseur étranger, a appris que le testament de sa mère avait des arrangements désavantageux à son endroit. Pendant qu’il y pensait encore, une inconnue a poussé la porte de la chambre. Elle était vêtue d'une combinaison couleur émeraude de style  pattes d’éléphant qui relevait ses courbes en forme de sablier. 

“ Qui a permis à cette paparazzi d’entrer? ” La voix aiguë de Penelope était marquée de colère. 

“ Grand-mère, je suis là.  Ne me quitte pas, s’il te plaît ” 

” Anastasia ? ” se sont-ils exclamés en cœur, sauf Robert. 

Penelope s’est réfrigérée. De mémoire, l’ex-madame Miller était morte pour elle.

“ Rob, je ne me sens pas bien.” Elle a agrippé le bras de Robert pour se rassurer qu’il ne s'agissait pas d’une farce ou d’un fantôme. Anastasia était bien là.

Malgré son insistance sur la manche de Robert, l’attention de l’homme ne lui était plus destinée. Un vent de panique l’a habillé. 

“ Maman…” Elle a quémander le secours de Roslyn.   Mais, tous étaient concentrés sur la personne méconnaissable et remarquable qu'était devenue Anastasia. 

L'apparence frêle et effacée qu'elle avait dans leur souvenir avait disparu pour laisser place à de la vivacité. Sa chevelure autrefois brune, longue et mal taillée était devenue rousse avec une découpe parfaite se limitant de justesse à ses épaules. Elle portait même de hauts talons translucides, révélant ses beaux pieds et sa manucure réussie, ainsi qu’un ensemble de bijoux originaux. La qualité de son sac à main aurait  convaincu toutes les demoiselles de BurningCity à le lui arracher sans remords. 

“ Grand-mère, reste avec nous, je t’en prie.  Je suis là maintenant.”  Les larmes jaillissaient des yeux d’Anastasia et   mouillaient le dos de la main de Georgia alors qu’elle implorait pour sa vie.

La courbe cardiaque de Georgia en chute libre est remontée à l'immédiat. Enfin, chacun des Carter pouvait souffler. Le cœur de Julian s’est réchauffé. Maintenant que sa fille était de retour, elle pouvait simplement lui transférer les soixante quinze pourcent d’actions qui lui ont été léguées en attendant la prochaine crise de Georgia. Il a touché le dos d’Anastasia. 

“ C’est bien que tu sois de retour Ana. Nous irons voir l’avocat tout à l'heure pour… ” 

“ Je viens d’arriver, papa. Laisse-moi réconforter, grand-mère. Nous parlerons d'affaires plus tard.”   

Un nœud s’est formé dans la gorge de Julian. Il la regardait d'un air méfiant, surpris  de ce qu'elle ait eu le courage de lui couper la parole sans daigner lui diriger un regard. Roselyn s'est exclamée.

“ Elle a raison, chéri. Ana doit venir de très loin. Je vais de ce pas faire préparer sa chambre pour son retour à la maison. ” 

“ Ne te dérange pas pour moi, je resterai auprès de grand-mère.”  Anastasia caressait tendrement le dos de la main de Georgia, l'enveloppant de baisers d’amour inépuisable. 

“ Comme tu m’as manqué, grand-mère! Tous les jours, j’ai pensé à toi, tu sais?  Ne m’abandonne pas, s’il te plaît. Ne me quitte jamais.” Anastasia n’arrêtait de supplier  Georgia.

Une larme a coulé sur la joue de la dame, s’assemblant à ceux de sa petite-fille pour sceller leurs émotions.  Robert a défait son nœud de cravate. Une bouffée de chaleur inexplicable s'infiltrait dans son cœur. Le médecin supérieur est tout à coup entré. 

“ Il y a trop de gens ici. Monsieur Carter vous seul  pouvez rester avec  votre mère. ” 

“ Euh, non! Ma femme s’en occupera j’ai une entreprise à faire tourner. Roslyn, reste avec maman.” Dit Julian en quittant la chambre devenue trop étroite à son goût. 

Roselyn en fût irritée et montra Pénélope. 

“ J’ai moi-même une fille invalide à ma charge, docteur. Ma belle-fille pourra s'en charger. N’est-ce pas, Ana ? ” 

Le docteur s’est tourné vers Anastasia, l’incompréhension planant sur son visage. 

“ Je resterai avec elle le temps qu’il faut.” S’empressa de dire Anastasia. 

Roselyn n’a pas pu s'empêcher d’ajouter avec un faux sourire solaire.

“ Ne l’ai-je pas dit, docteur ? Ana et mamie sont très proches ” 

“ Veuillez m'excuser. J’ai un rendez-vous important tout à l'heure.”  Robert a dû s'en aller. 

“ Rob, où vas-tu ? Attends-moi. Je t’en prie.” Penelope l’a suivi sur son fauteuil roulant, maudissant Anastasia dans son cœur pour son retour, car Robert marchait trop rapidement. “ C’est de ta faute si je ne peux pas suivre Rob en allant sur mes jambes, Anastasia. Tu me le payeras! ”  

Roslyn a profité de la situation pour s’éclipser. 

“Docteur ma grand-mère s’en remettra-t-elle? Vous ferez tout pour la sauver n’est-ce pas? Je payerais tout ce qui est nécessaire….” 

Le médecin s’est pris d’affection pour Anastasia en ressentant ses craintes. 

“ Continuez avec le contact peau contre peau et ne cessez pas de lui parler. Votre présence lui fait du bien. ” 

” D’accord. ” répondit-elle, apaisée par les mots du médecin. 

Pendant qu’il sortait, un petit bonhomme s’est incrusté à pas de chat.  

“ Maman, c’est qui la vieille dame? ”

Sa nounou s’est presque renversée en passant la porte derrière lui. 

“  Désolée, mademoiselle. Brain est si vif. ” 

Anastasia a souri en prenant son fils dans ses bras.

“ Tu devais m’attendre en bas, mon amour.” 

“ Est-ce mon arrière-grand-mère ? ” Brain l'observait Georgia de  façon méticuleuse avec ses petits  yeux  bleus saphir.  “Je trouve qu’elle te ressemble beaucoup. ” 

Anastasia voulait réprimander son fils pour être entré furtivement dans l’hôpital, mais, Brain était trop adorable dans ses manières de petit homme très sérieux. Elle s’est contentée de répondre à ses questions. 

“ Oui, C'est ta mamie. Elle sera ravie de faire ta connaissance. ” 

Le petit n’avait que quatre ans, mais s'intéressait déjà fortement à l’art plastique. Il a quitté les genoux d’Anastasia pour mieux appréhender les traits du visage de Georgia. 

“ Tu crois qu’elle nous entend? ” 

Anastasia n’a pas su répondre à son fils, alors Brain s’est rapproché de l’oreille de Georgia. 

“ Je t’aime beaucoup mamie. Réveille-toi et je te montrerais toutes mes toiles. Les gens les adorent. Ihihi ”