Seul le bruit des couverts qui s’entrechoquaient résonnait à table. Irène la petite sœur d’Hélène mangeait doucement, d’une manière qui l’agaçait, sans raison particulière. De son côté, elle regardait son téléphone avec perplexité. Ses grands yeux songeurs le lacéraient avec insistance et scepticisme. Elle essayait malgré la bruine dans sa tête de se remémorer le numéro de téléphone qui s’affichait à l’écran, en vain. La sonnerie avait attiré la curiosité des deux jeunes femmes. C’était rare que quelqu’un l’appelle. D’ailleurs, le seul qui le faisait constamment c’était Boris, ce bellâtre romantique, aussi jaloux qu’aimable. Irène lui adressa un sourire facétieux tandis qu’elle pianotait su
ChapitreIVLa tristesse est momentanée, la douleur est toujours éternelle.Samuel Ferdinand-Lop—Évidemment! Ça devait arriver! dit-elle, pâle de colère.D’un pas vif, elle s’apprêta à rentrer chez elle, mais Boris la retint aussitôt par le bras.—Attends, soyons prudents. Je vais entrer en premier.À ce moment-là, le voisin de palier ouvrit sa porte. Il tenait une canette de bière et semblait quelque peu éméché.—Je savais bien que j’avais entendu des bruits, dit-il à Hélène d’une voix indifférente. En constatant les dégâts, j’ai appelé la police. C’est ce qu’on doit faire dans ces cas-là n’est-ce pas?
Elle ressentait les brûlures des flammes sur sa peau, la fumée qui s’introduisait pernicieusement dans ses narines pour souiller ses poumons, le bout de fer pointu qui s’était enfoncé dans sa chair, excitant ses nerfs, mais aussi, du sang qui glissait sur son visage comme une lente coulée de sueur. Son cœur battait la chamade, tambourinait atrocement vite. Elle entendait les gouttes de pluie s’abattre violemment sur le véhicule, pour se cracher dans le mélange infâme de boue et de sang. Elle sentait des pas s’approcher. Elle hurla à l’aide sans réponse. Personne n’était là. Elle était seule, au milieu des flammes et de la nuée sauvage. Elle revit cette arme pointée sur elle, ses sens en surrégime, priant intérieurement que cet inconnu ne lui fasse aucun mal, que survienne de nulle part un miracle. Hélas, ses espérances furent vaines. La première balle transperça son ventre, suivie des deux autres qui mirent fin à la vie de son bébé, ainsi que d’une partie de la sienne.  
Un cri de terreur résonnant dans toute la maison réveilla Boris au beau milieu de la nuit. Bondissant de son lit, il se précipita hors de sa chambre et accourut dans le salon où il trouva Hélène recroquevillée sur le canapé, mordant nerveusement la manche de sa chemise de nuit.—Hélène! Qu’est-ce qui se passe?La jeune femme ne répondit pas. Ses yeux lunaires semblaient perdus dans ses pensées maussades. Boris la prit dans ses bras et tenta de la réconforter. Ce n’était malheureusement pas la première fois qu’il la voyait dans cet état. Il avait l’habitude de ses crises de panique, de ses hurlements et de son sommeil souvent troublé et agité.—J’ai revu mon bébé… Cet homme… Un cauchemar, oui c’était un cauchemar, dit-el
Chapitre VPleurer a toujours été pour moi un moyen de sortir les choses profondément enfouies. Quand je chante, je pleure souvent. Pleurer, c’est ressentir, c’est être humain.Ray CharlesHélène avança dans les couloirs lugubres et inquiétants de la clinique psychiatrique d’Accra, anxieuse et craintive. Plus elle avançait, plus elle se sentait nerveuse. Elle tremblait. Des patients aux regards vides et terreux y vadrouillaient, tristes et silencieux. Zombifiés et terrifiés, tout portait à croire qu’ils étaient psychologiquement brisés. Ils riaient à voix haute, sans parvenir à se maîtriser, gambadant, menottés et maintenus par des infirmières qui ne laissaient transparaître sur leurs visages, rien d’autre que la pitié et
Elle ne quitta pas sa mère des yeux, pas une fois. La douleurnaviguait en elle. Que pouvait-elle faire, face à ça? L’humiliation: elle y était habituée. Devoir subir les sauts d’humeur impondérables de sa mère, ses crises publiques et les regards parfois goguenards, et parfois souples, des personnes qui avaient le malheur d’assister à une telle indignation.—Pourquoi toi, maman? lâcha-t-elle en pleurant faiblement.—Tenez!Elle renâcla en entendant cette voix féminine mais gutturale. Une femme lui tendait un mouchoir.—Merci beaucoup, madame.C’était la directrice de la clinique psychiatrique d’Accra. C’était une femme quintessenciée, engoncée dans un tailleur rouge assorti à ses lèvres charnues, et décoré
Allongée dans la baignoire, Hélène se remémorait l’image désolante de sa mère enchaînée, de ses larmes, de ses mots et du déchirement qu’elle a ressenti dans ses entrailles, au moment de l’affronter une dernière fois.La jeune femme était étendue en silence, fixait le plafond. Madame Butterfly de Giacomo Puccini raisonnait dans la pièce et lui apportait pérennité et soulagement. Boris raffolait des musiques d’opéra. Il avait une panoplie de disques dans son tiroir. Il s’amusait à les écouter en dégustant du vin ou du champagne, tout en contemplant la ville, du haut de sa modeste demeure.Hélène sortit de la baignoire, noua une serviette autour de la poitrine et fixa le miroir d’un air nostalgique. Elle se rappelait désormais les nombreuses nuits qu’elle passait so
En rentrant ce soir-là, il eut l’impression que son corps pesait des tonnes. La fatigue de la journée creusait ses traits et faisait apparaître autour de sa bouche des rides profondes. Il soupira, puis regarda de part et d’autre de son salon. Il n’avait qu’une hâte, revoir Hélène, même si tous deux s’étaient disputés la veille. Mais il l’aimait. C’était plus fort que lui. Il ouvrit la porte de leur chambre et la vit, assise sur le rebord du lit, irrésistible dans sa robe de nuit en soie bleue au décolleté chargé de promesses,ses cheveux crêpelés attachés en chignon, et sa peau si lisse qu’elle accrochait parfaitement la lumière dorée du lustre. La douceur qu’elle dégageait à ce moment-là parvint presque à l’exciter. Il aurait aimé rentrer et s
Boris se réveilla en sursaut, aveugle dans l’obscurité complète de la pièce et torturé, en cet instant qui sépare mal l’inconscience de la lucidité. Il se leva d’un bond et s’affala lourdement sur le sol. Paniqué parce qu’il peinait à respirer, il saisit violemment les pans de sa chemise en s’efforçant de respirer par la bouche. Il prit de profondes inspirations jusqu’à sentir son cœur reprendre un rythme normal. Quand il se sentit mieux, il se releva péniblement sur des jambes tremblantes. Il se rallongea sur le canapé où il s’était endormi dans ses vêtements de ville. Sa poitrine comprimée était douloureuse, une douleur diffuse qu’il n’aurait pu décrire, tant elle était à la fois évanescente et puissante. La bouteille de whisky à moitié vide, posée sur la table basse installée près du canapé semblait le narguer. Il y jeta un regard haineux avant de la faire basculer d’un coup de pied sec sur le sol où elle se brisa en mille morceaux. Il était d’une humeur exécrable.
ChapitreVIIJe vous rappelle que la mort ne prend pas rendez-vous, alors donnez rendez-vous à votre vie.Alex Bocat—Pas la peine de t’affoler, c’est ta sœur qui m’a refilé ton adresse sur Facebook. Je lui ai dit que c’était très important. Alors, elle n’a pas hésité. Je peux savoir à quoi tu joues?Hélène garda le silence, prit une profonde inspiration et ferma les yeux. Elle était témoin de l’effondrement d’une partie d’elle-même. Elle comprit ce que c’était la douleur. La grande, la vraie douleur. Ce mal assez meurtrier qui étreint à la fois le passé, le présent et l’avenir, qui ne laisse aucune partie de la vie dans son intégrité, dénature &agr
ChapitreVILa mort nous prend beaucoup mais elle nous donne aussi. Elle nous apprend ce qui est réellement important, par exemple: donner en retour après avoir passé sa vie à recevoir, courir après quelque chose qu’on n’aurait jamais dû laisser partir ou revenir sur ce qui a fait ce que nous sommes.Auteur anonymeÇa faisait une heure qu’Hélène s’était enfermée dans la chambre d’hôpital où reposait Boris. Le silence dans lequel ils étaient immergés était interrompu par les bruits intermittents d’une machine cardiologique. Il était relié à des câbles et des tubes oxygénifères. Son corps immobile, glacé et fade reposait sur des draps de coton. Quelques bandages recouvraient son crâne et
Les deux jeunes femmes s’étaient attablées à la terrasse désinvolte d’un café désert du centre-ville, papotant à l’ombre d’un parasol, derrière des lunettes noires rendues nécessaires par le brûlant soleil d’un après-midi torride. Terminant un frugal déjeuner de crudités, elles se désaltéraient tranquillement. En tenues négligées, l’une comme l’autre semblait prête à quitter les appâts du grand jour, au profit d’un déshabillé de circonstance, pour endurer la soudaine canicule qui suivait la pluie, à l’ombre complice d’une tonnelle. Une goutte de sueur perlait sur l’épaule douce d’Hélène, qui s’agita, comme piquée par une aiguille. Elle tourna son regard vers le jardin bucolique qui jouxtait le café.
Boris se réveilla en sursaut, aveugle dans l’obscurité complète de la pièce et torturé, en cet instant qui sépare mal l’inconscience de la lucidité. Il se leva d’un bond et s’affala lourdement sur le sol. Paniqué parce qu’il peinait à respirer, il saisit violemment les pans de sa chemise en s’efforçant de respirer par la bouche. Il prit de profondes inspirations jusqu’à sentir son cœur reprendre un rythme normal. Quand il se sentit mieux, il se releva péniblement sur des jambes tremblantes. Il se rallongea sur le canapé où il s’était endormi dans ses vêtements de ville. Sa poitrine comprimée était douloureuse, une douleur diffuse qu’il n’aurait pu décrire, tant elle était à la fois évanescente et puissante. La bouteille de whisky à moitié vide, posée sur la table basse installée près du canapé semblait le narguer. Il y jeta un regard haineux avant de la faire basculer d’un coup de pied sec sur le sol où elle se brisa en mille morceaux. Il était d’une humeur exécrable.
En rentrant ce soir-là, il eut l’impression que son corps pesait des tonnes. La fatigue de la journée creusait ses traits et faisait apparaître autour de sa bouche des rides profondes. Il soupira, puis regarda de part et d’autre de son salon. Il n’avait qu’une hâte, revoir Hélène, même si tous deux s’étaient disputés la veille. Mais il l’aimait. C’était plus fort que lui. Il ouvrit la porte de leur chambre et la vit, assise sur le rebord du lit, irrésistible dans sa robe de nuit en soie bleue au décolleté chargé de promesses,ses cheveux crêpelés attachés en chignon, et sa peau si lisse qu’elle accrochait parfaitement la lumière dorée du lustre. La douceur qu’elle dégageait à ce moment-là parvint presque à l’exciter. Il aurait aimé rentrer et s
Allongée dans la baignoire, Hélène se remémorait l’image désolante de sa mère enchaînée, de ses larmes, de ses mots et du déchirement qu’elle a ressenti dans ses entrailles, au moment de l’affronter une dernière fois.La jeune femme était étendue en silence, fixait le plafond. Madame Butterfly de Giacomo Puccini raisonnait dans la pièce et lui apportait pérennité et soulagement. Boris raffolait des musiques d’opéra. Il avait une panoplie de disques dans son tiroir. Il s’amusait à les écouter en dégustant du vin ou du champagne, tout en contemplant la ville, du haut de sa modeste demeure.Hélène sortit de la baignoire, noua une serviette autour de la poitrine et fixa le miroir d’un air nostalgique. Elle se rappelait désormais les nombreuses nuits qu’elle passait so
Elle ne quitta pas sa mère des yeux, pas une fois. La douleurnaviguait en elle. Que pouvait-elle faire, face à ça? L’humiliation: elle y était habituée. Devoir subir les sauts d’humeur impondérables de sa mère, ses crises publiques et les regards parfois goguenards, et parfois souples, des personnes qui avaient le malheur d’assister à une telle indignation.—Pourquoi toi, maman? lâcha-t-elle en pleurant faiblement.—Tenez!Elle renâcla en entendant cette voix féminine mais gutturale. Une femme lui tendait un mouchoir.—Merci beaucoup, madame.C’était la directrice de la clinique psychiatrique d’Accra. C’était une femme quintessenciée, engoncée dans un tailleur rouge assorti à ses lèvres charnues, et décoré
Chapitre VPleurer a toujours été pour moi un moyen de sortir les choses profondément enfouies. Quand je chante, je pleure souvent. Pleurer, c’est ressentir, c’est être humain.Ray CharlesHélène avança dans les couloirs lugubres et inquiétants de la clinique psychiatrique d’Accra, anxieuse et craintive. Plus elle avançait, plus elle se sentait nerveuse. Elle tremblait. Des patients aux regards vides et terreux y vadrouillaient, tristes et silencieux. Zombifiés et terrifiés, tout portait à croire qu’ils étaient psychologiquement brisés. Ils riaient à voix haute, sans parvenir à se maîtriser, gambadant, menottés et maintenus par des infirmières qui ne laissaient transparaître sur leurs visages, rien d’autre que la pitié et
Un cri de terreur résonnant dans toute la maison réveilla Boris au beau milieu de la nuit. Bondissant de son lit, il se précipita hors de sa chambre et accourut dans le salon où il trouva Hélène recroquevillée sur le canapé, mordant nerveusement la manche de sa chemise de nuit.—Hélène! Qu’est-ce qui se passe?La jeune femme ne répondit pas. Ses yeux lunaires semblaient perdus dans ses pensées maussades. Boris la prit dans ses bras et tenta de la réconforter. Ce n’était malheureusement pas la première fois qu’il la voyait dans cet état. Il avait l’habitude de ses crises de panique, de ses hurlements et de son sommeil souvent troublé et agité.—J’ai revu mon bébé… Cet homme… Un cauchemar, oui c’était un cauchemar, dit-el