Son frère?!Ce n’est pas possible. Le monde ne peut pas être monstrueux à ce point. Et ils n’ont rien vu, là-haut? Ils n’ont rien dit?—Je…, balbutie-t-elle, je ne comprends pas…Elle ne pleure pas, seul un trémolo dans la voix trahit sa souffrance. Rien que le regard perdu, vide, l’incompréhension la plus totale. Le choc.Je ne sais pas quoi dire pour soigner la blessure, pour lui remonter le moral. Tout ce que je pourrais dire serait fade et… mensonger. Car je doute qu’on puisse y changer quoi que ce soit. Je lui ouvre les bras, ne sachant pas si elle apprécie le contact physique, mais elle s’y réfugie. Son souffle court ricoche sur ma clavicule alors qu’elle me serre de toutes ses forces. Ça faisait longtemps que je n’avais pas eu les mots.Et c’est toujours aussi douloureux.—Ça va aller. Je te jure que ça va aller, fais-moi confiance.—Qu’est-ce que je vais faire? Je ne peux pas montrer ça a
Ellis n’est pas d’une grande compagnie, mais au moins il nous change les idées. Attablés avec Nora pour le repas du soir, nous écoutons distraitement les discussions des autres patients. Nous avons passé un long moment à jouer du piano dans la salle de musique, jusqu’à ce que nous en ayons les doigts douloureux. Nous nous divertissons des histoires de Leïa, qui n’a aucune gêne à raconter ses déboires quant à son tatouage finalement arrivé. J’en viens même à remettre en question la viabilité de Soulmates 2.0. Une morte et quatre tatouages défaillants pour le moment. Il n’y a que Cara qui a son âme sœur sans effet secondaire, même si elle ne lui plait pas.—Je ne comprends pas…, bégaye la jeune femme tatouée.On est cinq à table. Les inséparables, Nex et Leïa, et notre petit groupe. Le jeune homme est plutôt taciturne – c’est elle qui vole la vedette avec ses grands éclats de rire et ses tatouages mouvants.Ellis ne s’arrête pas de manger pour autant, même quan
Je retourne sur mon lit, perturbée par cette révélation, sous le regard amusé d’Ellis. Et s’il avait raison? Et si, tout ce que nous faisons était bel et bien une réponse au conditionnement que l’on nous impose depuis des années?Puis, une pensée, plus insidieuse encore, commence à faire son chemin. Si tout ce qu’il dit est vrai… et alors? Qu’est-ce que ça peut bien changer pour nous? Que nos comportements soient conditionnés ou non, est-il vraiment possible de nous déconstruire après tant d’années? Peut-on seulement briser une société dans ce qu’elle a de plus profond?Décontenancée, je décide de m’occuper intelligemment. Je lis à propos d’un tas de maladies que je pourrais présenter. Enfin,«maladie»… Un mot que je n’aime pas. Je ne suis pas malade et ne l’ai jamais été! Mais tous ces troubles… je ne suis pas certaine de me retrouver en eux. Troubles dissociatifs de l’identité, troubles alimentaires – anorexie,
—Ellis…, soufflé-je en passant le pas de la porte.Allongé sur le lit, les yeux perdus dans le vague, il doit être en train de se perdre sur le réseau d’iBrain. Il a les cheveux en bataille, un sous-pull noir qui souligne la naissance de ses muscles. Je le détaille un moment avant de faire une nouvelle tentative.—Ellis…?—Quoi?—Je crois que j’ai fait une connerie.<nostalgie>—Jaspe?—Hmm?—Jaspe…—Quoi?!—Jaspe…—T’as fait une connerie?Je n’ose rien dire, je me mords juste la lèvre comme une idiote. Il sait que quand je commence comme ça, de toute façon, c’est cuit. Et je sais aussi que ma manière de l’appeler ainsi le fait fondre. Utiliser la mignonnerie pour parvenir à mes fins. Voilà une compétence clé.—As, tu as fait une connerie?Il vient me voir dans la cuisine, cont
Après un long moment à les écouter parler d’amour, d’âmes sœurs et de leur futur au sein de la société, je décide de m’isoler et de retourner dans ma chambre. Ce genre d’aveux à demi-mot me peine. Ce que représente Isaac ne me plait pas du tout, alors quoi? Je devrais ne rien faire? Attendre que de nouveaux rêves m’assaillent, m’oppressent, ou me montrent ce qu’il fait à l’autre bout de la ville? Et lui, alors, a-t-il accès aux miens, de rêves? Peut-il pénétrer dans mon intimité alors que je ne le connais pas? Toutes ces questions se bousculent dans ma tête et mes crampes d’estomac ne s’améliorent pas.J’ai la trouille de finir comme Hana, cobaye oublié pour avoir testé le programme qu’il ne fallait pas.<nostalgie>—Ce serait bien, si on commençait à rénover la chambre d’amis, tu ne crois pas? me propose Jaspe, alors que nous sommes au restaurant.Je repose lentement ma fourchette sur le bord de mon assiette,
<alerte>Vous êtes blessée. N’oubliez pas de désinfe…</alerte>Je frotte de toutes mes forces pour effacer ces marques. Ce n’est pas du feutre et ce n’est pas un tatouage non plus, même si ça y ressemble. C’est de la scarification. Ce connard d’Isaac s’est scarifié. Mais pourquoi? Pour me parler? Pour m’atteindre? Parce qu’il sait que je suis dans ses rêves? Putain! Comment le sait-il? Me sent-il? Et mes douleurs aux côtes? Aux jambes? Et si tout n’était que lié à ses propres douleurs?Ellis est venu toquer à la porte, voir ce qu’il se passe. Je n’ai rien répondu: il est au courant, de toute façon, il a vu les traces violacées s’étendre sur mes bras. Il sait que pour moi aussi quelque chose cloche dans le programme.J’ai peur de me rendormir et de replonger dans le prisme de cette personnalité instable, de ce meurtrier. Je ne connais pas Isaac, mais je sais déjà qu’il est t
Vingt-quatre heures? Il est fou, je ne peux pas…Enfin je crois. Est-ce que j’ai le droit de sortir? Je n’ai pas demandé à la psy. Je continue à prendre les médicaments tous les jours, mais je n’ai pas l’impression d’aller mieux. Tout est toujours flou, j’ai encore des vertiges et je commence à avoir le nez qui saigne. Qu’est-ce que je ferais sans ces médicaments? Je ne peux pas tout abandonner comme ça et partir parce qu’un con me menace d’écrire des messages sur ma peau…Au scalpel.Et pourquoi veut-il me voir, d’abord? Il attend de moi que je le ramène à l’Upside? Il croit peut-être que je suis une fille de bonne famille, richissime, qui n’attend qu’une chose, lui offrir une seconde chance…Je descends au rez-de-chaussée dans l’espoir d’obtenir un rendez-vous avec le Docteur Healey, lorsque des cris attirent mon attention. Cara s’énerve de sa voix de crécelle sur deux infirmiers dans le hall. Je passe une tête par la porte, u
<nostalgie>Cancer des ovaires / Ablation totale / Seize ans / Fatal(ité)J’aurais dû lui dire, seulement je n’ai jamais pu m’y résoudre.«Pas tellement envie d’enfant»est un passe-partout beaucoup plus simple à encaisser. J’aurais dû lui dire. On était amis, amants, amoureux. Il aurait compris, j’en suis persuadée.Et puis…. Il aurait aussi compris que je ne suis plus une femme. Enfin, je crois. C’est ce que je me suis dit, à seize ans, surtout quand j’ai demandé aux autres. «Qu’est-ce qui fait que je suis une femme, hein?»Les hormones, tout ça, ça vient avec la différence entre nos sexes. C’est ce qu’on a vu en bio. Moi je me suis cantonnée à cette définition. Plus d’ovaires… eh bien… moi. Il ne restait que moi, dans mon corps pas bien proportionné.—Mais, ovaires ou pas, je reste une femme, non?Bouche ouverte, fermée, poisson hors de l’eau qui ne peut plus respirer. On ne me répond p
Parfois, je repense à son corps qui s’effondre, à son regard d’incompréhension qui me transperce. Je ne sais pas pourquoi ce souvenir remonte à la surface… Comme une tache qu’on essaie d’effacer, mais qui reste indélébile.Je mentirais en disant que ça ne me fait rien, mais j’ai l’habitude du mensonge.Ça ne me fait pas rien, mais ça ne me fait pas quelque chose non plus… Juste une ancienne cicatrice que l’on a envie de gratter, ou que l’on détaille de temps à autre, juste pour se remémorer qu’elle est là.Je me contente de regarder dans le vide, de me rappeler ses mains sur mon corps, ses lèvres sur les miennes. J’essaie désespérément de me souvenir de ce que je ressentais pour lui, de me replonger dans cet océan d’incertitudes, cette insécurité béate dans laquelle nous plonge l’amour.Je ne dirais pas que ce mot a été banni, juste qu’on ne le prononce plus vraiment. On se regarde les uns les autres, comme des fantômes errant
—D’accord As, je vais t’expliquer. De toute manière ça ne change plus grand-chose, maintenant.Je déglutis douloureusement. Il me prend de haut, me fait comprendre qu’il sait tout et que je ne sais rien. Est-ce que le Ellis chaleureux était un masque? S’ était-il forgé une personnalité pour me plaire? Dans quel but? Dans quelle optique?—Isaac ne t’a pas été attribué arbitrairement, mais le Docteur te l’a déjà dit un peu plus tôt, n’est-ce pas?—Le Docteur Healey…Je n’ai pas besoin qu’on m’explique davantage pour comprendre leur raisonnement. On m’a implanté une âme sœur faussée dès le départ et elle était censée me guider jusqu’à la Rébellion, mais pourquoi?Il peut lire en moi comme dans un livre ouvert et c’est sans surprise qu’il répond avant même que j’aie formulé la question à haute voix:—Parce que tu es la fille Wheel, que tu savais où étaient cachés les dossiers et que
Le silence m’étouffe, puis le soulagement.L’incompréhension aussi, de voir que nous y sommes finalement arrivés. Que nous en sommes là… Je ne peux pas y croire. Nous restons un long moment accroupis, le temps de reprendre notre souffle, d’oser enfin se regarder dans les yeux.—Tu… tu saignes! m’horrifié-je en voyant son bras gauche.—C’est superficiel.Il prend mon visage en coupe et plonge son regard dans le mien. Je crois que nous avons tous les deux envie de nous embrasser, de montrer au monde entier que l’amour existe. Et pourtant, je ne sais pas si je serai capable de le faire alors que Soulmates est encore dans mon cerveau. La première fois que nos lèvres se sont scellées, je ne savais pas qu’il était tatoué sur mon avant-bras et je pensais qu’il s’agissait du véritable amour.J’aimerais pouvoir en être convaincue à nouveau. J’aimerais être certaine d’être tombée amoureuse de lui pour les bonnes raisons. Déjà, sans avoir reçu
Les flammes lèchent Adrian, provoquant ses hurlements, alors qu’il disparaît de notre champ de vision en tournant à gauche. Il ne reste bientôt que les traînées noires sur le sol dans la lumière vacillante. Ils vont recommencer. Ils vont nous immoler. Je ferme les yeux et exige de l’équipe qu’on me lâche.—Putain lâchez-la! gueule Ellis. On vient à votre rencontre, on va les coincer par-derrière, tenez bon.Ellis, toujours là pour me sauver, pour réparer les pots cassés. Ellis qui n’arrivera probablement pas à temps cette fois-ci.Sauf si…Je dégaine mon flingue, lève le bras, maintiens mon poignet de la main gauche pour ne pas vaciller.—As, bouge, on recule!Des mains s’emparent de moi et je me dégage d’un coup d’épaule. De ce carrefour, sur la gauche, sortent les flammes qu’ils projettent. Elles envahissent tout le couloir pour nous acculer et nous forcer à reculer, à nous mettre à découvert. Seulement je ne reculerai
«Tire à vue», c’est le seul conseil qu’on m’a donné en me catapultant ici. J’hésite à sortir mon arme, mais ça briserait de suite ma couverture. Je n’ai pas le temps de réfléchir: il me reste dix minutes avant que les caméras de sécurité ne réalisent la supercherie.Pour le moment, la voie est libre.Je prends Isaac sur mon canal personnel, c’est lui qui va me guider jusqu’à l’ordinateur miracle.—As, tu vas prendre à droite à la prochaine intersection.—Tu peux voir s’il y a des patrouilles sur ton bidule? chuchoté-je.—Non, alors garde l’œil ouvert.—Non, je fais un colin-maillard.Il pouffe, puis le silence revient. Je déambule d’une manière que j’espère peu suspecte, en retenant toujours mon souffle à chaque fois que je passe un embranchement. Il me guide sans que j’aie besoin de râler et quand je croise un autre groupe de scientifiques, je me contente d’un petit hochement de tête en g
J’ai envie d’appeler Ellis.Je me retiens, nous sommes en mission, pas en badinage. On descend les différents étages, alors que les strates de chaque niveau nous apparaissent quand nous les dépassons. Mae reste silencieuse et moi aussi, mais peut-être pas pour les mêmes raisons. Elle doit être soulagée… Peut-être agacée aussi, que je sois une cible si facile. Mais polie, elle se contente de croiser les bras et d’attendre que nous arrivions en bas.L’architecture de mon être est en train de s’effondrer quand nous sortons de la cage de verre. Je fais taire les combats qui m’assaillent et garde la tête haute ; As, celle du lycée, je l’invoque, je l’implore, celle qui se moquait bien des quolibets, des œillades, des remarques déplacées. Reviens, celle qui était encore fière et forte, fais-nous l’honneur de venir sauver ce qui peut encore l’être.L’apaisement me gagne quand nous déambulons dans les rues que je connais si bien. La chaleur, le soleil, la promesse d’une ét
Jaspe est là. Oui, c’est bien lui.Lorsque son regard me transperce, je meurs un petit peu plus, je me décompose. Il va nous vendre. Il va sonner l’alerte. Il a forcément dû voir les informations. Il sait qui je suis, ce que je représente ; les entrailles de la Rébellion, l’âme des résistants, le cœur libre.Je remercie Mae d’être la femme intelligente qu’elle est: quand j’agrippe son avant-bras, elle comprend en un coup d’œil que lui et moi nous connaissons et que tout notre plan s’écroule pour une seconde, un regard, un souffle, un baiser, un amour de jeunesse.L’amour pour briser nos plans.Je retiens un rictus mauvais tandis que les secondes s’égrènent et que le temps s’effondre entre nous. La faille spatio-temporelle qui nous sépare va bientôt se réduire. Il se remettra à courir comme il l’a toujours fait, galopant à une allure folle, sans que rien n’ait d’emprise sur lui. Nous avons vécu cinq ans ensemble. Une brise. Une caresse sur nos peaux alo
J’aurais aimé bénéficier d’une nuit plus longue. Les néons clignotent à huit heures, ordre d’Harmonie pour que l’on reste en vie. Le noir, la nuit, l’obscurité encombre l’esprit à tel point qu’on ne veut plus sortir du lit, et l’on reste en boule, prostré, à penser à tout ce que l’on a laissé derrière nous. Ellis dépose un baiser sur le sommet de mon crâne et s’extirpe des couvertures en s’étirant comme un chat.—C’est un beau jour pour mourir.—Jolie référence, noté-je avant de me lever à mon tour.Case douche, puis cafétéria. La journée va encore être longue avant que l’heure fatidique n’approche, tout le temps pour Ellis de me baratiner encore un peu, de m’inspirer confiance et par la même occasion de me détourner de l’échéance.—C’est dingue que nous soyons arrivés à ce stade-là, lancé-je, un peu placidement, alors que nous sommes dans la salle informatique pour nous tenir au courant avant le départ.—C’est-à-dire?
Ellis dort. Sa respiration, calme, me l’indique sans doute possible.Je me sens mal à l’idée de ce que je vais faire, mais je ne pourrai pas vivre sans savoir. Alors j’allume le réseau du Bunker, auquel j’ai accès depuis que j’ai prouvé ma valeur. Il marche beaucoup mieux sur ordinateur, seulement je ne veux pas regarder ça au milieu de tout le monde.Je prends un long moment avant de taper les mots. Comme si rien qu’écrire son nom pouvait briser tous les barrages que j’ai érigés jusqu’ici. Peut-être bien, en fin de compte, mais si demain je dois mourir, je veux savoir.<recherche>Jaspe Wolfe</recherche>Ça mouline, le petit cercle cherche, patine un peu, d’ailleurs. J’ai presque envie qu’il plante«désolé, connexion interrompue»et on passerait à autre chose. L’angoisse me tiraille, je n’ai aucune idée de ce que je vais trouver.Ou plutôt j’ai peur de ce que je vais lire.Le résultat des recher