CharnelleLe jour se lève. Lentement. Cruellement.Je suis réveillée depuis des heures, incapable de fermer les yeux. Incapable de bouger.Je suis là, allongée sur le ventre, la joue écrasée contre l’oreiller, son odeur partout autour de moi. Sur ma peau. Dans mes cheveux.Adrien dort encore. Sa respiration profonde soulève à peine la couverture qu’il a tirée sur nous au milieu de la nuit, dans un élan presque tendre.Je déteste ce silence.Je déteste ce qu’on a fait.Je ferme les yeux, mais tout revient. Son corps contre le mien. Ses mains sur ma peau. Sa voix. Ses murmures sales dans le noir.Et ce foutu « T’es à moi » qui résonne encore dans ma tête.Je me mords la lèvre pour ne pas pleurer.Je l’ai laissé gagner.Je lui ai tout donné.Et maintenant ?Je me sens vide. Epuisée.Je voudrais me lever. Fuir. Me barrer sans me retourner.Mais il bouge dans son sommeil, son bras glisse sur mes hanches et me ramène contre lui.Je retiens un sanglot.Je suis foutue.AdrienJe me réveille d
CharnelleLe vent mordant de ce début de matinée fouette mon visage tandis que je marche d’un pas rapide, fuyant la chambre comme on fuit un cercueil encore ouvert. Chaque pas résonne sur le pavé désert de la ruelle, et pourtant, je sais qu’il me suit. Je le sens. Sa présence s’accroche à moi comme une ombre, tenace et oppressante.Je ne me retourne pas. Pas encore.Mes pas me mènent vers ce vieux parc abandonné à l’orée de la ville, cet endroit que la mémoire collective a déserté depuis longtemps. Les arbres y dressent leurs silhouettes noircies comme autant de spectres silencieux.Je m’y engouffre, le souffle court, jusqu’à atteindre ce banc érodé par le temps et les intempéries. Là, enfin, je me retourne.Il est là. Immuable. Le regard rivé sur moi.— Tu n’as pas le droit de me poursuivre ainsi, murmuré-je d’une voix tremblante mais digne.Il s’approche lentement, mains dans les poches, l’allure faussement décontractée.— Tu m’as donné ce droit la nuit dernière.Je le fusille du re
CharnelleLe souffle court, je cours. Je cours comme si ma vie en dépendait. Mes pas résonnent dans les rues désertes, le froid s’engouffre sous ma peau, mord mes os, mais je ne ralentis pas.Le parc n’est plus qu’un souvenir derrière moi, et pourtant, sa silhouette semble me poursuivre. Non, pas lui… Lui. Adrien. Son ombre s’étend, s’accroche à moi comme un linceul invisible.Mon corps tremble. Pas de fatigue. Pas encore. Mais de cette rage sourde qui m’habite, de cette vérité que je refuse d’affronter.Il me possède encore.Je bifurque brusquement dans une ruelle étroite, m’éloigne du centre, de ces rues trop familières, trop peuplées de ses souvenirs. Un vieil immeuble se dresse devant moi, usé par le temps. Un hôtel miteux. Parfait.Je pousse la porte en bois qui grince sous mon poids et me dirige vers l’accueil où un vieil homme, les yeux mi-clos, me regarde sans vraiment me voir.— Une chambre, lâché-je d’une voix rauque.Il ne pose aucune question. Il se contente de me tendre u
CharnelleLe silence s’étire, suffocant, entre Adrien et moi. Dans cette chambre sordide, j’étouffe sous le poids de sa présence. Pourtant, il ne bouge pas. Ses yeux me scrutent, me dévorent sans un mot, et je comprends qu’aucune prière ne saurait éteindre la flamme qui l’anime.Mais soudain, un son brutal déchire l’air. Trois coups secs frappent la porte en morceaux derrière lui. Adrien se fige, son regard se durcit.— Tu es suivi, murmuré-je, la gorge nouée.Il ne me répond pas. Le battement sourd de mon cœur résonne dans mes tempes lorsque la voix grave d’un homme inconnu traverse le seuil :— Adrien. Ouvre. Tout de suite.Ce timbre n’a rien de commun. Il n’appelle pas, il ordonne.Adrien blanchit imperceptiblement, mais son menton se relève, fier.— C’est impossible… murmure-t-il.Il recule, lentement, et je le vois, pour la première fois, perdre l’assurance qui fait de lui cet homme insupportablement dominateur.Il sait. Il sait qui se tient derrière cette porte.La chaise qui ob
CharnelleLe silence retombe, pesant, presque irréel. Dans l’air vicié de cette chambre sans âme, je perçois encore le parfum d’autorité et de menace laissé par cet homme. Le père d’Adrien. Ce nom même, il ne l’a pas prononcé. Il s’est imposé, tel un seigneur réclamant son dû, et il est reparti, laissant derrière lui un gouffre béant.Adrien ne bouge pas. Son visage, d’ordinaire si maître de lui-même, n’est plus qu’un masque brisé, une lutte à peine dissimulée entre la colère, la honte et cette peur qu’il refuse de nommer.Je m’agenouille face à lui, posant mes mains sur ses genoux.— Dis-moi, soufflé-je d’une voix douce mais ferme. Qui est-il réellement ? Quel est cet homme capable de te réduire au silence ?Ses yeux s’ouvrent lentement sur moi, et dans leur reflet, je lis une vérité plus noire que tout ce que j’avais pu imaginer.— Il s’appelle Alaric de Belmont. Mon père… et mon bourreau.Le nom claque dans l’air comme un coup de fouet. Alaric de Belmont. Il a suffi d’un seul regar
Charnelle, Adrien, AlaricLe manoir s’élève dans la nuit, imposant, glacé. Une demeure faite de pierre et de silence. Chaque pas que nous faisons résonne sur les dalles, comme un compte à rebours. Adrien serre ma main, son visage fermé, ses yeux d’acier rivés sur cette façade qu’il rêve de voir s’effondrer.Nous traversons l’allée déserte. La porte s’ouvre sans un mot. Le majordome s’efface. Il savait que nous viendrions.L’intérieur est encore pire. Luxueux, froid, étouffant. Les portraits des Belmont nous surplombent, témoins d’un passé que personne n’ose regarder en face. Adrien ne dit rien. Il avance, le dos droit, traînant derrière lui la rage d’une vie entière.Alaric nous attend dans le grand salon. Debout, dos à la cheminée, un verre de whisky à la main. Son sourire ne monte pas jusqu’à ses yeux.— Vous voilà enfin.Adrien ne répond pas. Je sens ses doigts trembler contre les miens.— Tu sais pourquoi on est là, lâche Adrien. On ne va pas tourner autour du pot.Le regard d’Ala
CharnelleLe téléphone sonne. Dans ce silence oppressant, ce bruit strident nous arrache à notre mutisme. Adrien regarde l’écran. Ses mâchoires se crispent.— C’est lui.Je me fige. Pas besoin de nom. Lui. Son père. Alaric de Belmont. Celui qui tient encore ce fil invisible autour du cou d’Adrien.— Tu vas décrocher ?Il hoche la tête, sans me regarder. Ses doigts tremblent un instant avant d’écraser la touche verte.— Qu’est-ce que tu veux ? lâche Adrien d’une voix sèche.La voix d’Alaric claque, froide, posée.— Un terrain d’entente, Adrien. Tu veux partir ? Tu veux tourner la page ? Soit. Mais on ne coupe pas les liens du sang comme on claque une porte. Viens me voir. Une dernière fois. Parlons. En hommes.Adrien rit, un éclat bref, sans joie.— En hommes ? Tu n’es qu’un lâche qui utilise son fils comme une arme.Un silence s’étire. Puis Alaric reprend, plus bas, plus menaçant :— Tu sais très bien que si tu refuses, je peux vous briser. Elle d’abord. Et toi ensuite. Tu n’es pas li
AdrienJe quitte le salon, mais l’écho de ses paroles me poursuit dans chaque recoin de ce manoir qui m’a vu naître et suffoquer. Les couloirs semblent s’étirer à l’infini, figés dans un autre siècle, témoins muets d’une grandeur factice bâtie sur la peur et le sang.Je m’arrête au pied de l’escalier monumental, l’esprit en proie à un tumulte que je peine à contenir. La proposition de mon père résonne encore dans ma poitrine : une trêve, un terrain d’entente, la possibilité d’une paix. Mais à quel prix ? Quelle place un homme tel que lui pourrait m’accorder sans chercher à me posséder tout entier ?Le majordome s’approche, toujours aussi discret, presque une ombre.— Monsieur Adrien… Votre père souhaite que vous restiez dîner. Le chef a préparé un repas en votre honneur.Je retiens un rictus amer. Depuis quand cet homme, qui m’a renié sans jamais ciller, organise-t-il un dîner pour moi ? Chaque geste de sa part dissimule un piège, une corde prête à se resserrer autour de ma gorge. Pou
Charnelle Adrien me serre plus fort, et je sens sa respiration devenir plus irrégulière. Ses doigts se crispent autour de moi, comme s’il avait besoin de me sentir, de se rassurer.— Oui, il a accepté. Il… il m’a dit qu’il me laissait tout. Tout ce qu’il a bâti. Et qu’il voulait que je prenne ma place, ma véritable place.Je le regarde, cherchant une trace de doute dans ses yeux, mais il n’y en a pas. Il est déterminé. Plus que jamais.— Alors, c’est fini. Il n’y a plus d’obstacles, n’est-ce pas ? Je le regarde, cherchant dans ses yeux une réponse, une confirmation.Il hoche la tête, une lueur de soulagement et de fierté dans son regard.— Oui. Plus rien ne pourra nous séparer, Charnelle. Nous allons avancer, et ce que ton père n’a pas pu accepter, nous le ferons ensemble. Pour notre futur. Pour ce que nous sommes. Et pour notre enfant.Je souris, le cœur léger. Peu importe ce qui se passera demain. Nous avons franchi cette étape. Et désormais, nous allons écrire notre histoire à deu
CharnelleLes jours passent, et chaque instant qui s’écoule me rapproche un peu plus de ce futur que nous avons imaginé, ensemble. Mon ventre s'arrondit doucement, et avec chaque mouvement de cet enfant qui grandit en moi, je sens une force nouvelle s’éveiller en moi. Une force que je n’avais pas imaginée, mais qui semble guider mes pas. Adrien et moi avançons côte à côte, une main dans l'autre, dans une harmonie nouvelle, plus forte que jamais.La décision de son père, ce changement de dynamique, continue de me travailler. Adrien n’a plus à se battre contre une ombre. Le poids de l’héritage, des attentes, semble enfin avoir été levé. Pourtant, je sais que le chemin devant lui ne sera pas forcément plus simple. Il devra assumer ce rôle avec une force nouvelle, une conviction nouvelle. Et je serai là, toujours. Pour le soutenir. Pour l’aimer.Ce matin-là, après un petit-déjeuner tranquille, nous décidons de sortir de la villa pour prendre l’air. Un moment pour nous deux, loin des respo
CharnelleLes jours qui suivent sont empreints d’une énergie nouvelle, comme si chaque instant était chargé de promesses. Adrien et moi avons pris le temps de célébrer ce moment, cette nouvelle étape qui s’ouvre devant nous. Mais au fond de moi, une certitude s'est installée : je suis prête. Prête à devenir mère, prête à affronter ce futur aux côtés d’Adrien. Ensemble, nous avons traversé tant d’obstacles, et aujourd’hui, un tout nouveau chapitre s’écrit.Ce matin-là, comme tant d’autres, le soleil se lève doucement, effleurant les rideaux de notre chambre avec une lumière dorée. Adrien dort à mes côtés, son corps chaud et rassurant contre le mien. J’aime ces moments de calme, ces instants où la réalité semble s’éloigner, où nous ne sommes plus qu’unis dans la quiétude. Mais mon esprit est aussi rempli de pensées. La nouvelle, cette annonce que j’ai faite à Adrien, résonne encore dans ma tête comme un doux écho : nous allons être parents. Et c’est un bonheur simple, pur, qui me traver
Adrien Je me lève de la table, le cœur battant plus fort maintenant que j’ai pris ma décision. Mon père a peut-être voulu me pousser dans une direction stratégique, mais ce n’est pas pour cela que j’agirai. Ce sera parce que j’aime Charnelle, parce que je suis prêt à l’unir à moi pour la vie. Et cela, c’est ma propre décision.Je lui adresse un dernier regard, un regard déterminé.— Je reviendrai vers toi quand le moment sera venu.Je quitte la pièce, mon esprit déjà tourné vers ce qui doit arriver. Ce n’est pas une simple question de pouvoir. C’est une question de cœur.CharnelleLes jours ont passé, mais quelque chose dans l’air semble encore plus lourd que d’habitude. Adrien est plus distant ces derniers temps, plus concentré sur l'avenir, ses pensées tournées vers des décisions qu’il ne me partage pas encore. Pourtant, je sens cette tension qui persiste entre nous, même lorsque ses mains effleurent les miennes avec une tendresse qui dissimule bien des tourments.Il m’a promis qu’
AdrienLa soirée s'étire dans une atmosphère de tension palpable, alors que je me gare devant la demeure de mon père. La maison, imposante comme toujours, me regarde comme un monstre silencieux. Je la connais bien, chaque recoin, chaque pièce où les secrets se cachent et où l’ombre de mon père semble toujours peser sur tout ce qui se passe sous son toit. Ce soir, je ne suis pas ici pour recevoir des leçons sur le pouvoir ou sur les affaires. Non, ce soir, il y a quelque chose d’autre qui m’attend.Je prends une profonde inspiration et monte les marches menant à l’entrée. Le serveur me laisse entrer et m’accompagne jusqu’à la salle où il m’attend. Je le vois, là, à la tête de la table, son regard toujours aussi acéré, scrutant chaque geste, chaque parole comme une arme. Il me fait signe de m’installer.— Prends place, me dit-il d’un ton neutre, sans chaleur, comme d’habitude.Je m’assois en face de lui, son regard me transperçant. Il semble plus vieux ce soir, fatigué, mais toujours au
AdrienCharnelle et moi échangeons un regard, partagé entre la gratitude et la méfiance. Ce dîner a peut-être été l’occasion de nous annoncer à la famille, mais il a aussi révélé tout un réseau de tensions sous-jacentes, de pouvoirs en jeu et de futurs compromis. La famille, l’entreprise, la nouvelle génération… Tout cela se mêle en une seule et même entité, prête à engloutir ce que nous avons de plus précieux.Et alors que nous nous préparons à partir, je suis plus que jamais convaincu qu’à partir de maintenant, il nous faudra être plus forts que jamais. Pour le bébé. Pour notre avenir. Pour nous.Les jours suivant le dîner ont été une suite d’entretiens avec des partenaires d’affaires, de réunions interminables et de décisions stratégiques. Mon père a fait en sorte de maximiser la visibilité de notre annonce, et maintenant tout le monde sait que nous attendons un enfant. Il n'y a plus de place pour les doutes, et tout le monde attend de voir ce que nous allons faire ensuite.Je le s
AdrienLe jour du dîner arrive rapidement. Mon père a insisté pour organiser une soirée en l'honneur de l’annonce de la grossesse, et même si je sais qu’il agit ainsi pour renforcer son image de patriarche bienveillant, je suis loin d’être convaincu que ce n’est pas une façon de contrôler la situation. Mais, malgré tout, il a insisté, et il est hors de question de refuser son invitation. Charnelle est d'accord pour l'accompagner, bien qu'elle soit un peu nerveuse. Ce genre de réunion ne lui a jamais plu, surtout avec mon père. Je le ressens dans le regard qu'elle porte sur moi, un mélange d'incertitude et de désir de protéger ce qu’on a, ce qu’on est.Quand nous arrivons au restaurant privé de mon père, un endroit aussi élégant qu'exclusif, un silence étrange s’abat sur moi. L’éclairage tamisé, les tables de marbre, les serveurs en costume... Tout cela me paraît irréel. Comme si ce monde dans lequel je suis né était une illusion.— Ne t’inquiète pas, tout ira bien, me dit Charnelle en
AdrienLa nouvelle s’est installée dans la villa, dans le calme qui suit la tempête. Charnelle et moi n’avons pas échangé beaucoup de mots depuis, chaque instant étant un peu trop chargé de ce que nous venons d’apprendre. Elle est là, à mes côtés, et pourtant, quelque chose en elle a changé. Je ne sais pas exactement quoi, mais je peux le sentir, comme une tension dans l’air, une attente silencieuse qui pèse sur nos épaules.Ce matin-là, je suis à mon bureau, plongé dans des papiers que je n’arrive même pas à lire. Mes pensées sont ailleurs. Je ne sais même pas comment réagir face à cette grossesse, ce changement qui surgit dans nos vies de manière inattendue. Mon père, lui, va probablement réagir d'une manière différente. Ce genre de nouvelles l’intéresse toujours, mais il y a cette part de moi qui redoute ses réactions. Que va-t-il en penser ? Je me doute qu'il s’attendait à autre chose de moi. Peut-être pas un enfant, pas maintenant.Je fais une pause, en pensant à ce que j'ai cons
CharnelleEnfin, quand l’extase nous emporte tous les deux, il y a une douceur dans la folie. Une douceur infinie, qui s’étire dans le silence, un silence qui est notre seule réponse à ce que nous venons de vivre. Nous restons là, l’un contre l’autre, le corps fatigué mais le cœur plein de cette vérité qu’aucune peur, aucun obstacle ne pourra jamais effacer.Il est à moi, et je suis à lui. Et cette nuit-là, nous nous appartenons, à jamais.Deux jours après notre escapade, nous sommes de retour en ville. La transition entre les moments de passion intense et la réalité quotidienne est toujours aussi brutale. Adrien est là, à mes côtés, et pourtant, quelque chose en moi semble s'être modifié. Je ne peux l'expliquer, mais une étrange sensation de malaise s'est installée en moi, comme une brume persistante, un poids invisible.Le retour à la villa est calme. Trop calme. Adrien se plonge immédiatement dans le travail, mais je sens qu'il est différent, comme si quelque chose bouillonnait sou