C’était la fin de la journée. La lumière déclinait et les ombres s’allongeaient sur la forêt des Arbre-Mondes quand un flash détona. La silhouette d’un homme se tenant debout devant une Faille apparut. Barth leva les yeux et embrassa le paysage autour de lui.Obsidian et Essy se précipitèrent vers lui. Cette dernière le fixa, avant de le gifler brutalement.—C’était mérité, dit-il la joue en feu.—Deux jours! Ta mission était censée durer trois heures!Barth haussa les épaules, gêné.—Une fois que je flotte dans la Faille, le temps se dilate et je perds sa notion.—Elle a fait fuir Akion tellement elle était nerveuse, s’amusa Obsidian.Elle le frappa sur le bras en guise de réponse.—Comment ça s’est passé? demanda Obsidian.Barth sortit de sa poche un cristal vert, brûlant d’une lumière peu naturelle.—Ça confirme nos théories, répondit-il en regardant les reflet
En l’espace d’une journée, précisément deux cent sept personnes disparurent. Enfin, «disparaître» est un grand mot. «Exécutées» serait plus adapté. L’Inquisition fit des descentes simultanément dans chacun des foyers, Gutter comme Royal. Personne n’était épargné. Je garde le souvenir d’une femme tirée en dehors de chez elle par deux colosses en armure écarlate sous les cris de ses enfants. Tous furent «jugés» coupables pour hérésie.C’était le versant le plus noir de l’Inquisition. En quelques jours, quelques heures même, un climat de défiance s’installa. Je savais quelle serait la prochaine étape. La crainte. Puis la délation.—Tout ça fait le jeu de Draconis, maugréa Elias.—Je n’en reviens toujours pas que vous ayez tenté ça, répondit Liv en secouant la tête.—Et qu’il vous ait laissé vivre pour raconter l’histoire, rajouta Kal.Veil entendait la discussion sans l’écouter. Nous étions réunis tou
Maya avait un lien avec la Mort. Plus intime que quiconque, si ce n’est Elias peut-être. Elles avaient dansé toutes deux pendant des années, se tournant autour, l’une tendant les bras et l’autre s’échappant toujours de son étreinte. Elle la connaissait si bien, que lorsqu’elle voyait son spectre se profiler, elle se préparait à l’accueillir comme une vieille amie.Elle connaissait bien sa Mort. Celle qui était dans son ombre en toute circonstance, présente, mais sans pouvoir la toucher. Mais s’il y avait une chose qu’elle détestait, dont elle avait peur plus que tout, c’était les autres Morts. Celles qui pouvaient surgir et plonger sur quelqu’un sans prévenir. Anéantir, en un instant, une vie entière de possibilité. Une Mort qu’elle, Maya, ne pouvait repousser.Comme chaque jour depuis un mois, elle était au chevet d’Inaya Tempus. Elles ne s’étaient pas connues longtemps, mais avaient noué un lien d’autant plus fort qu’il s’était brisé brutalement. L’espoir qu’elle repren
Le temps nous est compté. C’était avec cette phrase qu’Elias s’endormait chaque soir et qu’il se réveillait le matin. Sauf ce jour. Maya passa ses doigts dans les cheveux d’Elias.—Ils ont poussé, nota-t-elle en désignant les racines blanches qui se démarquaient du châtain du reste de sa crinière.—Difficile de trouver une teinture sur une île déserte, sourit-il.Un doux silence s’installa dans la lumière du matin. Les deux derniers jours avaient été rythmés par un certain flottement. Le bonheur intense qu’il avait ressenti de retrouver Maya et Elio en chair et en os, teinté de chagrin.Son retour avait ravivé le conflit entre Elysia et Concordia, entre supporters et détracteurs des Omégas. Mais il avait aussi soulevé un élan d’espoir dans leurs rangs. Comme il l’avait promis, Elias Vendavel était de retour. Et dans son sillon, l’idée qu’avec lui et Maya à leur tête, ensemble, le pire était derrière eux. Il n’avait pas eu la foi de les décourager
Liv frémit au contact de la pierre froide sous ses pieds. Elle avançait nue sous sa toge de cérémonie, encadrée par deux dévôtaires, le visage masqué. Avec la Guerre Sainte officiellement lancée par Draconis, le recrutement des Dévots s’était intensifié. Et enfin, c’est à mon tour! se réjouit-elle.Dans quelques minutes, elle serait sacrée par le Triumvirat et rejoindrait ses nouveaux frères et sœurs dans un temple de l’érudition. Sa Foi serait portée vers des horizons inédits.Bien sûr, ses parents et ses amis lui manqueraient. Kal et Veil principalement, la plupart de ses autres compagnons étant des livres. Un sourire moqueur étira ses lèvres. J’espère que Kal trouvera une fille bien pour le garder dans le droit chemin. Pitié, pas une de ces cruches de la cour! Elle se faisait plus de soucis pour Veil. Il était si convaincu qu’une nouvelle Ruine–non, Renaissance–arrivait. Sans compter la Guerre Sainte. Draconis n’était pas par
Lorsqu’on a plusieurs consciences dispersées entre le passé, le présent et le futur, il est parfois difficile de présenter ça sous la forme d’un tout cohérent. Mais je vais faire un effort pour ton esprit limité, Caine.Tout commence, il y a quatre ans. Le jour où Elias Vendavel a pénétré dans ma ville, la tête remplie d’idéaux et de boniments sans comprendre quels sacrifices avaient été nécessaires pour que l’Humanité survive. Le bien. Le mal. Ces notions manichéennes ne devraient même pas rentrer en compte. C’était facile pour lui de juger. Il n’avait pas connu le Cataclysme, la déchéance, la race humaine mourant à petit feu dans d’atroces souffrances. Et ça, de sa propre main. Bref. Les circonstances ont fait qu’en dépit de ma volonté, ORGANA fut détruite, libérant les Élyséens de «mon joug». À mes yeux, précipitant la chute d’Elysia.ORGANA était mon plan de secours. Lorsque j’ai inventé les circuits magnétiques et développé l’intelligence artifici
Diriger en ouvrant la voie.Guider pour protéger.Prestige et chemin mêlés.Mes mots, précisément. Il y a plus de quatre ans, alors que je me tenais face à la silhouette éventrée de l’Étoile d’Elysia. L’image du corps d’Elias écrasé sur les marches de marbre encore en tête. Ces mots s’étaient comme imposés à moi, comme une certitude. Alors je les avais soufflés, avec toute la conviction que je pouvais avoir. Le désir de paver un chemin nouveau pour le futur, d’apprendre de nos erreurs, de ne pas les répéter. De faire en sorte que le sacrifice d’Elias ne soit pas vain.Ce que j’ignorais, c’est que ces mots, ces Serments, étaient bien plus.C’était des portes.*Dans une chambre des étages supérieurs de Concordia, Inaya prononçait son Serment avant de disparaître dans la lumière de la Faille. Au même instant, sa contrepartie du présent, Destiny, murmurait elle aussi les mots qui avaient guidé sa vie depuis. L
On ne lève pas une rébellion en quelques jours ma fille…Pourtant Claire n’avait pas le choix. Ça faisait deux semaines que la garde Coral avait quitté Orancia. Ils devaient être aux côtes d’Elysia. Elle avait consacré chaque minute de son temps à monter les Abyssaux contre le Pinacle, aller au contact des citoyens, utiliser le réseau des Affranchis, voire du Conseil d’Administration. Elle n’avait trouvé que des gens vidés de leur énergie, qui avait perdu l’envie de se battre. Ils acceptaient leur sort, les épaules baissées. Ils avaient essayé de se rebeller contre Orancia et pour quel résultat? Ils étaient toujours pauvres et même ceux qui luttaient pour eux les avaient abandonnés. Comment les blâmer?Claire n’avait rien d’un leader. Elle le savait. Certaines personnes étaient nées pour diriger. Elle, l’était pour écrire. Elle prit une grande bouffée d’air. Et appuya sur sa montre d’interface. Chaque écran d’Orancia, du Pinacle aux Abysses, devint noir
Trois mois plus tard. L’aube pointait son nez, teintant de couleurs froides les rues vides d’Elysia. C’était le moment le plus calme de la journée. Juste entre la fin des Vespers et le réveil de la ville. Je resserrai les pans de ma veste autour de moi. Le temps était encore frais pour ce printemps déjà bien avancé.À la mémoire de Richard Flyn,Homme du peuple, mort pour le servir.L’Ordre ne fait pas la grandeur. Comme chaque matin, je venais fixer la plaque érigée en l’honneur de l’homme exceptionnel qu’avait été Richard Flyn. Je savais ce qu’il aurait pensé en voyant la coûteuse feuille d’argent à la calligraphie sophistiquée ornant l’entrée du Concil. Il se serait moqué.Putain, gamin, une plaque je veux bien, mais devant le Concil?! Mieux vaut encore aux pieds des Vétéris et leurs p’tits vieux en couche-culotte!Je pouvais pr
Elias était perdu au milieu d’une marée de Leukos. Son sabre virevoltait, tranchant, coupant, parant. De l’ichor bleuté fusait dans l’air. Il n’entendait même plus le cri inhumain des Leukos. En se retournant, il s’aperçut qu’il avait taillé lui-même une percée au sein des forces ennemies. Seule Maya arrivait à le suivre. Leurs styles de combats n’avaient rien à voir. Elle était tantôt aérienne, tantôt frontale, fonçant brutalement vers ses adversaires. Lorsqu’ils comprenaient que la petite cible de chair ne fuyait pas devant eux, c’était trop tard. Ses couteaux d’argent s’enfonçaient dans l’albâtre et la lumière s’éteignait dans le bleu glacial de leurs yeux. Sa tenue de cuir était déchirée à d’innombrables endroits laissant entrevoir sa peau mate, mais pas la trace d’une blessure. Elle était sauvage, indomptable… Inarrêtable.Magnifique, pensa Elias.Il esquiva un bras surnaturellement étiré et s’aida du corps d’un Leuko pour se propulser avant de trancher la tête d’un
Je savourais chaque pas en montant le long escalier de marbre menant au Concil. J’aurais aimé que la situation m’offre plus de temps pour en profiter. Mes doigts glissèrent avec plaisir sur la poignée d’or. J’avais attendu suffisamment longtemps avant de remettre le pied ici.Un brouhaha régnait dans la salle centrale du Concil. Le Parlement. Quelque cinq cents Psys débattaient stérilement, s’invectivant, s’apostrophant. Des enfants se battant pour savoir lequel avait le plus gros jouet. Dressée dans l’entrée, à l’exact opposé de moi, je croisai le regard de Lyna. Elle hocha la tête. Je redressai le nœud de ma cravate, et repoussai une mèche de mes cheveux arrivant à ma nuque.—Silence.Tous se turent instantanément sans que j’aie besoin de hausser la voix. S’il y a quatre ans, face à ORGANA, l’élite d’Elysia n’avait été qu’un tas de couards, ils atteignaient un tout autre niveau aujourd’hui.—Je vous ai manqué?Plusieurs remuèrent s
On ne lève pas une rébellion en quelques jours ma fille…Pourtant Claire n’avait pas le choix. Ça faisait deux semaines que la garde Coral avait quitté Orancia. Ils devaient être aux côtes d’Elysia. Elle avait consacré chaque minute de son temps à monter les Abyssaux contre le Pinacle, aller au contact des citoyens, utiliser le réseau des Affranchis, voire du Conseil d’Administration. Elle n’avait trouvé que des gens vidés de leur énergie, qui avait perdu l’envie de se battre. Ils acceptaient leur sort, les épaules baissées. Ils avaient essayé de se rebeller contre Orancia et pour quel résultat? Ils étaient toujours pauvres et même ceux qui luttaient pour eux les avaient abandonnés. Comment les blâmer?Claire n’avait rien d’un leader. Elle le savait. Certaines personnes étaient nées pour diriger. Elle, l’était pour écrire. Elle prit une grande bouffée d’air. Et appuya sur sa montre d’interface. Chaque écran d’Orancia, du Pinacle aux Abysses, devint noir
Diriger en ouvrant la voie.Guider pour protéger.Prestige et chemin mêlés.Mes mots, précisément. Il y a plus de quatre ans, alors que je me tenais face à la silhouette éventrée de l’Étoile d’Elysia. L’image du corps d’Elias écrasé sur les marches de marbre encore en tête. Ces mots s’étaient comme imposés à moi, comme une certitude. Alors je les avais soufflés, avec toute la conviction que je pouvais avoir. Le désir de paver un chemin nouveau pour le futur, d’apprendre de nos erreurs, de ne pas les répéter. De faire en sorte que le sacrifice d’Elias ne soit pas vain.Ce que j’ignorais, c’est que ces mots, ces Serments, étaient bien plus.C’était des portes.*Dans une chambre des étages supérieurs de Concordia, Inaya prononçait son Serment avant de disparaître dans la lumière de la Faille. Au même instant, sa contrepartie du présent, Destiny, murmurait elle aussi les mots qui avaient guidé sa vie depuis. L
Lorsqu’on a plusieurs consciences dispersées entre le passé, le présent et le futur, il est parfois difficile de présenter ça sous la forme d’un tout cohérent. Mais je vais faire un effort pour ton esprit limité, Caine.Tout commence, il y a quatre ans. Le jour où Elias Vendavel a pénétré dans ma ville, la tête remplie d’idéaux et de boniments sans comprendre quels sacrifices avaient été nécessaires pour que l’Humanité survive. Le bien. Le mal. Ces notions manichéennes ne devraient même pas rentrer en compte. C’était facile pour lui de juger. Il n’avait pas connu le Cataclysme, la déchéance, la race humaine mourant à petit feu dans d’atroces souffrances. Et ça, de sa propre main. Bref. Les circonstances ont fait qu’en dépit de ma volonté, ORGANA fut détruite, libérant les Élyséens de «mon joug». À mes yeux, précipitant la chute d’Elysia.ORGANA était mon plan de secours. Lorsque j’ai inventé les circuits magnétiques et développé l’intelligence artifici
Liv frémit au contact de la pierre froide sous ses pieds. Elle avançait nue sous sa toge de cérémonie, encadrée par deux dévôtaires, le visage masqué. Avec la Guerre Sainte officiellement lancée par Draconis, le recrutement des Dévots s’était intensifié. Et enfin, c’est à mon tour! se réjouit-elle.Dans quelques minutes, elle serait sacrée par le Triumvirat et rejoindrait ses nouveaux frères et sœurs dans un temple de l’érudition. Sa Foi serait portée vers des horizons inédits.Bien sûr, ses parents et ses amis lui manqueraient. Kal et Veil principalement, la plupart de ses autres compagnons étant des livres. Un sourire moqueur étira ses lèvres. J’espère que Kal trouvera une fille bien pour le garder dans le droit chemin. Pitié, pas une de ces cruches de la cour! Elle se faisait plus de soucis pour Veil. Il était si convaincu qu’une nouvelle Ruine–non, Renaissance–arrivait. Sans compter la Guerre Sainte. Draconis n’était pas par
Le temps nous est compté. C’était avec cette phrase qu’Elias s’endormait chaque soir et qu’il se réveillait le matin. Sauf ce jour. Maya passa ses doigts dans les cheveux d’Elias.—Ils ont poussé, nota-t-elle en désignant les racines blanches qui se démarquaient du châtain du reste de sa crinière.—Difficile de trouver une teinture sur une île déserte, sourit-il.Un doux silence s’installa dans la lumière du matin. Les deux derniers jours avaient été rythmés par un certain flottement. Le bonheur intense qu’il avait ressenti de retrouver Maya et Elio en chair et en os, teinté de chagrin.Son retour avait ravivé le conflit entre Elysia et Concordia, entre supporters et détracteurs des Omégas. Mais il avait aussi soulevé un élan d’espoir dans leurs rangs. Comme il l’avait promis, Elias Vendavel était de retour. Et dans son sillon, l’idée qu’avec lui et Maya à leur tête, ensemble, le pire était derrière eux. Il n’avait pas eu la foi de les décourager
Maya avait un lien avec la Mort. Plus intime que quiconque, si ce n’est Elias peut-être. Elles avaient dansé toutes deux pendant des années, se tournant autour, l’une tendant les bras et l’autre s’échappant toujours de son étreinte. Elle la connaissait si bien, que lorsqu’elle voyait son spectre se profiler, elle se préparait à l’accueillir comme une vieille amie.Elle connaissait bien sa Mort. Celle qui était dans son ombre en toute circonstance, présente, mais sans pouvoir la toucher. Mais s’il y avait une chose qu’elle détestait, dont elle avait peur plus que tout, c’était les autres Morts. Celles qui pouvaient surgir et plonger sur quelqu’un sans prévenir. Anéantir, en un instant, une vie entière de possibilité. Une Mort qu’elle, Maya, ne pouvait repousser.Comme chaque jour depuis un mois, elle était au chevet d’Inaya Tempus. Elles ne s’étaient pas connues longtemps, mais avaient noué un lien d’autant plus fort qu’il s’était brisé brutalement. L’espoir qu’elle repren