Éva, LéoÉvaLe couloir résonne sous mes pas.J’ai la tête haute, le cœur battant trop vite.Il est 7h34.Dans moins d’une heure, le verdict sera prononcé.Chaque pas semble trahir mon calme apparent.J’avance comme on entre dans un champ de bataille, droite, déterminée, mais écorchée à l’intérieur.Les murs du palais de justice me semblent plus hauts qu’à l’accoutumée. Plus froids.Je n’ai dormi que deux heures, à peine. Et pourtant, je ne ressens aucune fatigue. Juste cette tension, fine et brûlante, qui me ronge depuis la veille.Je suis venue seule.J’ai refusé l’escorte, les mots d’encouragement, les regards pleins de pitié.Ils ne comprennent pas. Ce n’est pas une victoire que je cherche. Ce n’est pas la gloire, ni l’éclat d’un triomphe d’avocate.Je veux juste qu’il vive.Je veux juste qu’on lui rende ce qu’on lui a volé.Je serre dans ma main le bracelet qu’il a oublié dans mon cabinet, la première fois qu’il est venu.Un bout de cuir tressé, banal. Usé.Mais il sent encore sa
Éva, LéoÉvaJe n’ai pas bougé.Les marches du palais de justice me blessent les jambes, mais je reste là.Figée dans l’instant d’après.Comme si le monde s’était arrêté juste pour que je puisse retenir ce moment un peu plus longtemps.Le bracelet est toujours dans ma main. Je le serre si fort qu’il imprime sa forme dans ma paume, comme une trace brûlante, comme une promesse qu’on ne pourrait plus effacer.Autour de moi, tout se déchaîne.Les journalistes crient, les micros se tendent, les flashs crépitent.Mais moi, je suis ailleurs.Je suis dans l’instant où ses yeux ont croisé les miens.Dans le battement de cœur où tout a basculé.Là où son regard m’a dit « je t’aime » sans prononcer un mot.Là où le mot liberté a cessé d’être une revendication pour devenir une certitude. Une vérité simple.Notre vérité.Je ne sais pas combien de temps passe.Cinq minutes. Une heure. Un siècle.Puis, je le sens.Ce n’est pas un bruit, pas un mouvement.C’est une onde. Un frisson dans l’air.Un bat
Éva, LéoÉvaJe n’ai pas bougé.Les marches du palais de justice me blessent les jambes, mais je reste là.Figée dans l’instant d’après.Comme si le monde s’était arrêté juste pour que je puisse retenir ce moment un peu plus longtemps.Le bracelet est toujours dans ma main. Je le serre si fort qu’il imprime sa forme dans ma paume, comme une trace brûlante, comme une promesse qu’on ne pourrait plus effacer.Autour de moi, tout se déchaîne.Les journalistes crient, les micros se tendent, les flashs crépitent.Mais moi, je suis ailleurs.Je suis dans l’instant où ses yeux ont croisé les miens.Dans le battement de cœur où tout a basculé.Là où son regard m’a dit « je t’aime » sans prononcer un mot.Là où le mot liberté a cessé d’être une revendication pour devenir une certitude. Une vérité simple.Notre vérité.Je ne sais pas combien de temps passe.Cinq minutes. Une heure. Un siècle.Puis, je le sens.Ce n’est pas un bruit, pas un mouvement.C’est une onde. Un frisson dans l’air.Un bat
Éva, LéoLéoJe me réveille avant l’aube.Pas parce que je le veux.Parce que mon corps ne connaît plus le repos.Parce que mon cœur n’a pas encore compris que la guerre est finie.Il me faut quelques secondes pour comprendre où je suis.Le plafond est blanc.Le silence est pur.Il n’y a plus de cris derrière les murs, plus de portes qui claquent, plus d’ombres qui glissent dans les coins.Et pourtant, je reste figé.Il y a une main sur mon torse.Sa main.Éva.Son souffle est lent. Régulier.Son corps lové contre le mien, comme si le monde entier pouvait s’écrouler, elle resterait là.Et moi, dans cette éternité suspendue, je n’ose plus bouger.Pas par peur de la réveiller.Mais parce que je ne veux pas briser ce miracle.Ce premier matin.ÉvaJe sens qu’il est éveillé.Depuis longtemps.Je sens sa tension, ce mélange de stupeur et de peur contenue.Je sens sa solitude, aussi, cette solitude ancienne, qui hurle en silence.Il n’a pas bougé, mais son cœur bat trop vite.Il se débat en
ÉvaLa porte claque doucement derrière moi.Il est encore tôt. Le silence flotte dans l’air, chargé, électrique.Le salon est baigné de lumière dorée, celle qui rend tout plus doux, plus beau… plus mensonger.Parce que rien n’est doux ici. Ni beau.Tout est en train de s’effondrer.Je pose mes clés, lentement, comme si ce geste pouvait retarder l’inévitable.Il est là. Serge. Assis dans le fauteuil de lin gris qu’il aime tant.Il ne bouge pas. Ne parle pas.Mais je sens son regard peser sur moi.J’ai laissé Léo dans la chambre, encore allongé sur le lit, vêtu d’un t-shirt propre que je lui ai donné.Pas blessé. Pas brisé.Juste… libre.Et c’est moi qui ai signé sa sortie.Moi qui ai franchi ce seuil interdit.SergeElle entre comme si rien n’avait changé.Comme si elle ne venait pas de ramener chez nous le chaos que j’ai mis des années à tenir à distance.Mais je l’ai toujours su.Léo n’a jamais vraiment quitté sa tête.Ni son cœur.Ses gestes sont calmes. Mais son regard est flou.El
ÉvaLe matin s’étire comme un fil tendu entre deux chaises bancales.Je me lève sans bruit.Léo dort encore.Sa respiration est lente, paisible, presque enfantine.Je l’observe quelques secondes.Ce visage-là, je le reconnais.Pas celui du taulard qu’ils décrivaient dans les rapports, pas celui du fuyard.Non. Juste Léo.Celui que j’ai aimé avant que tout ne devienne flou, interdit.Celui dont le rire résonnait dans mes nuits quand j’avais encore foi en quelque chose.Je pourrais le toucher, passer ma main sur sa joue, effleurer ses cils.Mais je n’ose pas.Parce que si je le réveille, je casse ce moment.Et peut-être que je le regretterais aussitôt.Je descends à la cuisine.Pas faim. Pas soif.Juste envie de silence.Mais il n’est plus là.Serge l’a emporté avec lui.Serge et ses silences pleins de sens, ses gestes lents, son regard franc.Et moi, je n’ai plus que des miettes de courage.Je me fais un café que je ne bois pas.J’ouvre la fenêtre.L’air est froid. Tranchant.Il sent l
ÉvaIl pleut. Pas dehors. Dedans.Pas une pluie qu’on voit. Une qui ronge, qui s’infiltre.Dans les gestes, les silences, les regards évités.Dans la façon dont je m’attarde à la fenêtre, sans vraiment regarder.L’eau coule sur la vitre. Dehors, le monde suit son cours.Dedans, le mien s’arrête. Ou tourne en boucle. Je ne sais plus.Léo est encore là.Son sac posé contre le mur.Intact. Prêt.Comme s’il savait. Comme s’il attendait.Peut-être qu’il attend que je dise enfin ce que je n’arrive pas à dire.LéoElle ne parle presque plus.Elle bouge avec lenteur, comme si chaque mouvement était une décision.Je la regarde se servir un café qu’elle ne boira pas.Je la regarde s’asseoir sans bruit, les doigts serrés autour de la tasse froide.Elle porte un pull trop large. Ses cheveux sont en désordre.Mais elle est belle. Abîmée, mais belle.Et je suis là. Encore là.Léo – doucement« Tu veux que je parte ? »ÉvaJe relève les yeux.Il n’y a pas de colère dans sa voix. Pas même de tristess
Éva Je sens sa chaleur avant même d’ouvrir les yeux. Son souffle dans ma nuque. Sa main posée contre mon ventre, légère. Présente. Je reste immobile. Pas par peur de le réveiller. Par besoin de retenir ce moment.Il dort encore. Ou peut-être fait-il semblant. Comme moi. À chercher un refuge dans la douceur quand tout, autour, menace de basculer.Sa peau contre la mienne me donne envie de croire. Que ce n’est pas une erreur. Qu’on peut être autre chose qu’un scandale, une chute, une folie. Je me retourne lentement. Ses paupières bougent à peine. Ses lèvres entrouvertes laissent filtrer un souffle calme.Éva – murmure « T’es beau quand tu dors. »Il sourit. Les yeux toujours fermés.Léo – voix rauque « Et toi, t’es belle quand tu crois que je dors. »Je ris. Un rire minuscule, suspendu. Il ouvre les yeux, enfin. Ils sont pleins de sommeil, pleins de moi.Léo Je pourrais rester là des heures. Juste à la regarder respirer. À effleurer sa peau du bou
ÉvaIl y a des moments où le monde semble ralentir, où chaque seconde devient un reflet d’un autre temps, d’une autre vie. Pourtant, ici et maintenant, dans cette pièce baignée par la lumière dorée de l’après-midi, tout se passe à une vitesse fulgurante. Les bruits de la rue s’estompent derrière les fenêtres, la vie continue à l’extérieur, mais ici, dans notre monde à nous, chaque mouvement, chaque pensée est calculée, précise. L’adrénaline de nos vies passées semble se dissiper, mais l’intensité, elle, demeure. Cette intensité silencieuse, palpable, qui flotte entre nous, une force qui nous pousse à avancer, encore et encore. Nous avons survécu à la tempête, à la rage des éléments, à la douleur. Mais ce n’est pas la fin. Non, c’est le début d’autre chose. D’une ère nouvelle.À mes côtés, Léo, toujours aussi calme et concentré, semble avoir trouvé sa place dans ce monde que j’ai reconstruit. Un monde que j’ai voulu solide, implacable, mais aussi, d’une certaine manière, plus doux. Il
ÉvaLes heures se sont glissées dans le silence, dissimulées dans l’ombre de ce que nous avons traversé. Le passé semble si lointain maintenant, presque irréel, et je m’étonne de voir à quel point il peut se dissiper lorsqu’on laisse place à l’instant présent. La ville autour de nous est silencieuse, comme si elle retenait son souffle, comme si elle savait que ce que nous vivons ici est plus grand que tout. Le vent léger de l’aube entre par la fenêtre, caressant ma peau. L’air est frais et pur, mais dans mon cœur, il n’y a plus que la chaleur de ce qui nous lie. Le monde tout entier semble avoir disparu, et il ne reste que lui et moi, dans cet espace intime, où le temps n’a plus d’emprise.Léo est là, adossé contre le mur, ses yeux rivés sur moi. La lumière douce de l’aube se joue de ses traits, éclairant chaque détail de son visage, chaque nuance de son expression. Dans ses yeux, il y a une calme certitude, comme s’il savait que tout ce qui comptait à cet instant n’était pas tout ce
ÉvaLes lumières de la ville brillent au loin, comme des étoiles égarées.Le vent de la nuit fait frissonner les rideaux.Il est tard, trop tard.Mais il n’y a plus de retour possible.Je regarde Léo, assis près de la fenêtre, les yeux perdus dans l’obscurité.Il est là, près de moi, mais tout semble si lointain.Nous avons traversé un océan de sang et de mensonges, et maintenant, l’eau est calme, trop calme.Un silence lourd comme un secret non dit.Tout est terminé, et pourtant, il reste quelque chose, un écho, un murmure d’un autre temps, une promesse que nous avons échangée.Je m’approche de lui, pose une main sur son épaule.Il sursaute à peine, mais je vois la guerre dans ses yeux.La guerre qui ne cesse jamais vraiment.Même quand les coups sont partis, même quand tout est fini.Éva – doucement« Léo, est-ce que tu penses qu’on peut réellement repartir de zéro ?Ou est-ce que tout ce qu’on a fait n’a été qu’un chemin vers un nouveau commencement ? »Il tourne son regard vers mo
LéoLa nuit est tombée en silence, comme une promesse de calme avant l’explosion.Dans le vieux bureau, les papiers sont éparpillés partout.Les dossiers sont maintenant prêts, les preuves rassemblées.L’odeur de l’encre, du vieux papier, et de l’adrénaline flotte dans l’air, imprégnant chaque recoin du lieu comme une alerte avant le départ.Éva n’a pas dit un mot depuis que nous avons commencé à rassembler les morceaux de l’empire.Mais je vois la tension dans ses gestes.Ses doigts effleurent parfois un document, puis se figent.Elle ne me le dit pas, mais je sais.Elle a la même peur que moi : que tout cela n’ait été qu’un rêve.Je m’arrête un instant, le regard plongé dans l’écran de l’ordinateur.Les premières informations sensibles sont en train d’être envoyées à l’adresse codée.Bientôt, le monde saura.Et à cet instant, tout ce que nous avons, tout ce que nous avons bâti – ou détruit – sera exposé à la lumière.Éva – voix calme mais sûre« Qu’est-ce qui nous attend, Léo ?Tu s
ÉvaIl y a quelque chose d’intime, de précieux, dans ce silence entre nous.Pas celui de l’évitement.Non.Un silence qui apaise, qui dit que l’on peut exister l’un à côté de l’autre sans crainte.Quand il se retourne enfin, il s’approche, prend une miette sur ma lèvre avec le pouce.Geste simple. Presque dérisoire.Mais je sens le poids des choses non dites dans son regard.Léo – bas, presque honteux« J’ai peur, tu sais. »Je ne bouge pas.Je ne réponds pas tout de suite.Je laisse son aveu suspendu dans l’air, comme une note fragile qui ne demande qu’à vibrer plus fort.Éva – doucement« Moi aussi. »Nos regards se croisent.Il y a de la peur, oui. Mais aussi une détermination nouvelle.On a déjà trop perdu.On a déjà trop brûlé.Alors maintenant, il ne reste que ce choix : avancer, ensemble.---LéoJe m’assieds en face d’elle, mes coudes sur la table, les mains jointes.Elle me regarde toujours.Pas avec pitié.Pas avec crainte.Mais avec cette lucidité brûlante qui m’a toujours
ÉvaLe soleil n’a pas encore franchi l’horizon.Pourtant, une clarté douce et chaude baigne déjà la chambre.Non celle du jour, mais la sienne.Sa chaleur, son souffle régulier dans mon cou, sa main qui repose encore sur ma hanche.Il dort.Et pour la première fois depuis si longtemps, son visage s’est détendu.Ses traits d’ordinaire tendus par la douleur ou l’inquiétude sont apaisés, presque juvéniles.Je me retourne lentement, veillant à ne pas rompre cette quiétude fragile.Je le contemple.Léo.Mon tumulte. Mon refuge.Ses cils frémissent, effleurent sa joue.Un soupir glisse de ses lèvres. Peut-être rêve-t-il.Peut-être de nous. Peut-être de rien.Je tends la main, effleure sa joue du bout des doigts.Il ouvre les yeux. Ils sont encore lourds de sommeil, mais leur éclat me frappe comme une évidence.Léo – voix rauque, veloutée par la nuit« Tu es encore là. »Je hoche la tête.Je ne réponds pas.Ce silence contient plus d’engagement que n’importe quelle promesse formulée à voix h
LéoJe croyais que j’aurais plus de temps.Mais à peine deux jours se sont écoulés que déjà, les ombres de mon monde remontent à la surface.Le téléphone vibre. Trois fois. Toujours le même numéro.Celui de mon père.Je n’ai pas décroché.Pas encore.Mais je sens que ça approche. Que le moment vient.Éva est dans la pièce d’à côté.Elle trie des papiers, fait semblant de ranger.Depuis qu’on s’est retrouvés, tout est fragile.Chaque mot pèse. Chaque geste est une promesse silencieuse qu’on n’ose pas encore prononcer à voix haute.Et pourtant, elle est là.Présente.Belle dans ses silences.Je m’approche. Je pose ma main sur sa nuque.Léo – bas« Je dois lui parler. »Elle ne se retourne pas.Éva – calme« Je sais. »---ÉvaJe le sens reculer.Même quand il s’avance vers moi.Il pense que je vais le retenir.Mais ce n’est pas ce qu’il me faut.Je ne veux pas d’un homme qui fuit.Je veux quelqu’un qui reste debout. Même quand tout vacille.Alors je me tourne.Je l’embrasse doucement su
LéoLe train file à travers la campagne.Le paysage défile si vite que j’en ai mal à la tête.Mais je ne détourne pas les yeux.J’ai quitté le manoir cette nuit.Pas un mot. Pas un bruit.Je n’ai pris que l’essentiel : la lettre de ma mère, les documents, et la bague qu’Éva a oubliée sur ma table de chevet un matin où elle était pressée.Elle croyait que je ne l’avais pas vue.Mais je l’ai gardée.Parce qu’elle sentait encore sa peau.Je ne sais pas ce qui m’attend.Mais je sais ce que je laisse derrière.Et je n’ai aucun regret.J’ai tout dit au journaliste.Tout.Les noms. Les comptes. Les morts qu’on a voulu faire taire.Il a promis de publier. De tout dévoiler.Moi, je n’ai rien demandé.Pas de reconnaissance. Pas de pardon.Seulement… que ça s’arrête.Que le silence cesse de couvrir les hurlements.Je pense à elle.À Éva.À la façon dont elle me regardait quand je pensais ne plus rien valoir.À sa patience. Sa colère. Son absence de jugement.Je me suis brûlé à son amour.Mais c’
ÉvaDeux jours.Quarante-huit heures à regarder les aiguilles tourner, à guetter les messages qui ne viennent pas, à remplir les silences avec des souvenirs qui font plus mal qu’ils ne réconfortent.Je fais semblant d’avoir une vie. Je vais au travail, je ris aux blagues de collègues dont je n’entends pas les mots, je rentre chez moi comme si c’était normal.Mais je ne suis plus là. Je suis ailleurs.Là où il est.Ou là où il n’est plus.Le café n’a plus de goût.La musique m’agace.Je n’écoute que les battements irréguliers de mon propre cœur, comme s’il me rappelait chaque minute que Léo me manque. Que tout en moi le réclame.Je dors mal. Les nuits sont pleines de rêves troués.Je me réveille en sursaut, persuadée de l’avoir entendu frapper à la porte.Mais il n’y a que le vent. Et le vide.Le mot qu’il a laissé… je l’ai relu cent fois.Je le garde plié dans mon livre préféré, au creux d’un chapitre sur les départs.Ça me semble ironique. Cruel, même.Et puis ce matin, la lettre.Gl