Le silence qui suivit mes paroles semblait éternel, une étendue vide qui m'écrasait sous son poids. Les yeux de Vallon brillaient d’un éclat presque triomphal, tandis qu’Élise, impassible, restait figée à mes côtés. J'avais fait mon choix, mais ce choix m’avait aussi pris une partie de moi-même. Tout ce que je croyais savoir sur moi, sur mon frère, s’était effondré en une fraction de seconde.Je n’avais pas pris cette décision à la légère. Elle me rongeait de l’intérieur, mais je savais que je n’avais pas d’autre option. Je n’avais pas choisi de devenir une pièce dans ce grand échiquier, mais j’étais désormais impliqué, et je devais en accepter les règles. Le pouvoir, l’influence, la vérité — tout cela venait avec un prix. Et ce prix, j’allais devoir le payer.Vallon attendait que je parle à nouveau, un sourire satisfait sur ses lèvres, comme s’il savait déjà ce que j’allais dire. Mais je ne lui donnerai pas cette satisfaction. Je n’allais pas le laisser me dicter la suite. J’avais ma
J'avais pris ma décision. Je n'étais plus le frère de celui qui avait cherché à sauver ce qui restait d'une vérité pure. Je n'étais plus celui qui rêvait de justice, d'un monde meilleur. Non, aujourd'hui, j'étais un homme dans un monde d'ombres, et il était trop tard pour faire marche arrière. L'illusion d'une rédemption, d'un avenir différent, s'était dissipée. À la place, je m'étais engagé dans une guerre silencieuse, où la vérité ne serait jamais plus un idéal, mais une arme à manier avec prudence.Vallon se tenait là, ses yeux fixant les miens avec un calme glacial, presque satisfait de ma soumission. Il avait vu juste, après tout. Il savait que j'allais choisir de m'adapter, de jouer à leur jeu, et pourtant, il n'était pas encore sûr que j'en sortirais gagnant. Parce qu’il y avait une règle fondamentale dans ce jeu de pouvoir : même quand on croit maîtriser chaque mouvement, il y a toujours quelqu'un derrière soi, prêt à frapper.— « Ce n’est pas assez, » dit Vallon, son ton pres
L'air semblait plus lourd, plus étouffant alors que je me préparais à m'effacer. La personne que j'étais, celle qui vivait dans l’ombre de son frère, allait disparaître. Tout ce que j'avais été, tout ce que j'avais cru, allait être noyé dans une mer de faux-semblants. Pour survivre, pour obtenir des réponses, je devais devenir Alexandre. Je devais accepter cette transformation, intérieure comme extérieure.Les heures suivantes furent un tourbillon de préparation. Vallon, toujours aussi méthodique, me guida dans chaque étape. J'étais l’ombre de mon frère, mais un simple reflet dans un miroir ne suffirait pas. Je devais comprendre sa vie dans ses moindres détails, imiter ses gestes, ses décisions, son langage. Chaque aspect de sa personnalité serait mon fardeau, et je devais le porter avec la plus grande des précisions. Je devais être lui, jusqu’à la dernière fibre de mon être.— « Tu dois connaître ses habitudes à la perfection, » me disait Vallon, les yeux fixés sur moi alors que je p
Le silence qui suivit mes mots pesa lourdement dans l’air, comme une menace invisible. Lefevre, toujours debout derrière son bureau, se figea un instant. Il n'eut pas le réflexe que j'attendais — celui de la surprise, de l'étonnement. Non, il demeura parfaitement calme, presque trop calme. Son regard se fit plus perçant, comme s'il cherchait à sonder l'homme en face de lui. Était-il déjà au courant de ma transformation ? Ou bien me testait-il, comme un prédateur évaluant son prochain mouvement ?Je ne bougeai pas. Pas un muscle ne trahit l’angoisse qui commençait à naître en moi. Cette rencontre ne pouvait pas tourner en ma faveur si j’étais trop hâtif. Chaque mot, chaque regard comptait. Je ne pouvais pas me permettre de faire la moindre erreur.Lefevre ne sembla pas pressé de répondre. Il resta là, à me fixer, ses yeux sombres scrutant la moindre faille dans mon discours. Après un moment qui me parut interminable, il haussait légèrement les épaules et se détourna pour reprendre plac
Les mots de Lefevre résonnaient encore dans ma tête comme un écho sinistre. La vérité peut être plus dangereuse que tu ne le penses. Chaque syllabe semblait peser sur mes épaules, et malgré tout ce que je croyais savoir, une angoisse insidieuse commençait à m'envahir. Il y avait une menace sous-jacente dans ses paroles, comme si, en cherchant la vérité, j'étais en train de m'enfoncer davantage dans un piège sans issue.Lefevre me fixait toujours, un regard dénué d’empathie mais empli d'une étrange forme de compréhension, comme s'il savait déjà comment cette rencontre allait se terminer. Je n'avais toujours pas la moindre idée de ce qu’il cachait, mais une chose était certaine : il détenait des informations cruciales, et chaque geste qu’il faisait me rapprochait d'une vérité que je ne pouvais pas encore saisir.Je pris une profonde inspiration, tentant de garder mon calme, malgré le tourbillon d'émotions qui menaçait de me submerger. Je devais rester concentré, et surtout, ne pas lui d
Le mécanisme de la boîte émit un léger clic, et le couvercle s’ouvrit lentement, comme si elle voulait me révéler ses secrets tout en prenant son temps. J'eus un instant de flottement, une impression d’irréalité, avant de m’incliner pour mieux voir ce qu’elle contenait. À l’intérieur, il y avait une simple enveloppe en cuir, marquée d’un symbole que je ne connaissais que trop bien : une clé stylisée, entremêlée dans un motif complexe. Ce symbole était familier. Il apparaissait souvent dans les documents liés à L’Ensemble, un marqueur discret, mais puissant.Je tendis la main avec précaution, mes doigts effleurant l’enveloppe. À cet instant, tout me sembla étrangement silencieux. Le bourdonnement des lumières, le souffle retenu de Lefevre dans la pièce, tout se confondait dans une attente presque palpable. J’avais l’impression que, d’une manière ou d’une autre, l’ouverture de cette enveloppe marquerait la fin d’une époque pour moi. Le début de la fin ou la fin du début — peu importait.
Je n'avais pas fermé l’œil de la nuit. L'enveloppe, ce document, les révélations sur le projet Horizon tournaient sans cesse dans ma tête, en boucle. À chaque pensée, le poids de la vérité semblait se faire plus lourd, plus insupportable. Lefevre avait raison sur un point : il y avait un prix à tout cela. Un prix que je n’étais pas encore prêt à payer. Mais il n’y avait pas de retour en arrière possible. La route était tracée, et elle ne menait qu’à une seule destination : la vérité.Le matin était arrivé, mais il ne m’apportait aucune clarté. Au contraire, il semblait amplifier la confusion qui m’étouffait. Les lumières froides du jour filtraient à peine à travers les stores, projetant des ombres sinistres dans le bureau de Lefevre, où je m'étais réfugié après ma rencontre avec lui. J’étais assis derrière son grand bureau en bois sombre, le rapport toujours devant moi. Je l'avais relu des dizaines de fois, cherchant des indices, un élément, une faille qui me permettrait de comprendre
La porte se referma derrière Lefevre avec un bruit sourd, mais sa silhouette restait gravée dans ma tête. Chaque mot qu’il avait prononcé, chaque phrase, s’entrechoquait dans mon esprit. La vérité, la réelle vérité, était encore plus vaste que ce que je pouvais imaginer. L’Ensemble, un réseau global, une organisation cachée dans les ombres, tirant les ficelles des gouvernements et des multinationales… Mon frère avait défié ce pouvoir, et maintenant, je devais faire face à la même ombre menaçante.Je m’assis sur le fauteuil en cuir, le rapport de mon frère toujours posé devant moi. Le symbole de L’Ensemble, ce signe de la clé entremêlée, m’obsédait. Ce n’était plus juste une enquête. C’était une guerre secrète contre des forces que je ne comprenais même pas encore. Mais une chose était sûre : Horizon n’était qu’une petite partie de quelque chose de bien plus dangereux. Et c’était là, dans cette ombre, que mon frère avait été pris au piège.Je n’avais plus de temps à perdre. Lefevre m’a
ÉliseIl revient.Je le vois de loin, assis sur le même banc, mais aujourd’hui, il est plus proche du bord, comme s’il s’autorisait à frôler ma réalité. Il n’a pas ouvert son livre. Il ne fait même pas semblant de lire. Le simple fait qu’il soit là, à découvert, presque vulnérable, me serre le ventre.Je ne suis pas surprise. Pas vraiment. C’est comme si mon corps, avant même mon esprit, avait su qu’il reviendrait. Comme une de ces douleurs fantômes qu’on apprend à apprivoiser, qu’on cache dans un coin de la poitrine, en espérant qu’elle se taise.Il est là.Et moi, je suis là aussi.Mon fils court devant moi, la joie simple de l’enfance éclatant dans ses pas. Il lance un cri aigu en direction du bac à sable, s’arrête, regarde Samuel et, sans hésiter, lui adresse un petit salut de la main. Samuel répond d’un geste tout aussi doux. Ils se reconnaissent déjà, d’une manière que je n’ai pas encore acceptée.Je m’avance, comme on marche vers une frontière.— T’es revenu, je murmure, presqu
ÉliseIl y a quelque chose dans ses silences qui me trouble plus que mille paroles.Samuel.Ce nom tourne dans ma tête comme un écho qu’on n’arrive pas à faire taire. Je le regarde, chaque matin, assis sur ce banc. Il ne parle pas beaucoup. Il lit. Il écoute. Il me répond parfois avec un sourire doux, presque maladroit. Comme s’il avait peur que je le devine.Et pourtant, je sens bien qu’il cache quelque chose.Personne ne choisit ce banc par hasard. Pas à cette heure, pas chaque matin. Personne ne s’attarde dans le parc d’un quartier aussi gris sans raison. Et surtout, personne ne me regarde comme lui le fait… avec cette espèce de mélancolie retenue, comme s’il s’excusait d’avance de ce qu’il allait me faire.Je suis fatiguée de fuir. Fatiguée de deviner.Alors demain, je lui poserai la vraie question.Celle qui ne se camoufle plus derrière la politesse.Celle qui dit : “Qui es-tu vraiment, Samuel ?”---SamuelElle est venue plus tôt ce matin.Son fils tenait sa main, comme toujours
Élise Mais s’il est comme moi…S’il est juste un autre cœur blessé sous une autre peau brisée…Alors peut-être qu’on pourra, ensemble,changer les règles.Ou au moinsarrêter de se mentir.Ralentir le temps.Laisser nos silences se parler.Parce qu’à force de survivre,j’ai oublié ce que c’étaitd’être simplement en vie.Et si lui aussi l’a oublié…Alors peut-êtrequ’on peut se rappeler ensemble.— SamuelIl y a quelque chose dans sa manière de se tenir.Raide mais fragile.Comme une tour qu’on aurait reconstruite trop vite après un séisme.Elle me regarde comme si j’étais un fantôme.Ou pire : comme si elle m’attendait depuis toujours sans en avoir conscience.Et moi, je reste là.Assis sur ce banc que je n’ai pas choisi par hasard.À prétendre lire un livre que je connais par cœur depuis des années.Elle pense que je suis tombé sur elle par hasard.Mais rien, avec elle, ne sera jamais dû au hasard.---Je m’appelle Samuel.Enfin, ici, c’est le nom que j’utilise.Il y en a eu d’autr
— ÉliseOn m’a appris à ne pas regarder les inconnus dans les yeux.À baisser la tête.À marcher droit.À toujours avoir un trousseau de clés à portée de main, le doigt prêt à appuyer sur la plus longue en cas d’urgence.On m’a appris à survivre.Mais personne ne m’a appris à vivre après la tempête.Et depuis qu’il est là — ce garçon, cet homme, ce Samuel —, le vent recommence à souffler dans ma poitrine.Pas fort. Juste assez pour déranger la poussière.Juste assez pour que je me demande si quelque chose pourrait repousser sous les cendres.---Je l’ai vu avant qu’il me voie.Je le crois, du moins.C’est difficile à dire avec certitude, quand on passe ses journées à surveiller sans avoir l’air d’y toucher.À observer chaque visage, chaque silhouette dans le reflet d’une vitrine ou d’une flaque.À analyser le rythme des pas derrière soi, le claquement d’une portière, la direction du vent.Il a ce regard trouble.Pas menaçant, pas tout de suite. Mais trop calme pour être vraiment innoc
— Samuel (Noah)Je m’appelle Samuel.C’est ce que disent mes papiers, ce que répète mon téléphone quand j’enregistre un message, ce que j’ai appris à dire sans trembler.Samuel , Vingt-deux ans. Études arrêtées. Ancien expatrié revenu au bercail après avoir fui un passé brumeux. Une fiction cousue main.Ils ont tout préparé : un faux CV, des souvenirs fabriqués, des photos retouchées. Même un ticket de cinéma oublié dans la poche de mon manteau.Tout est là pour donner du poids à mon ombre. Pour qu’on me croie.Et pourtant, chaque fois que ce prénom résonne dans l’air, il m’écorche les tympans.Parce qu’il n’est pas moi.Parce qu’il n’est qu’un rôle.Mais dans ce rôle, je deviens invisible.Et pour eux, c’est tout ce qui compte.---Je loge au quatrième étage d’un immeuble sans charme, dans une rue où tout semble s’être figé dans une époque qu’on préfère oublier.Des escaliers trop étroits. Des murs qui transpirent l’humidité. Le papier peint s’effrite comme une vieille mémoire, et le
— NoahJe ne dors pas.Ils m’ont laissé dans une pièce sans fenêtre, avec un lit étroit, un lavabo rouillé et une ampoule qui grésille. Les murs sont d’un blanc sale, couverts de marques grises qu’on ne distingue que lorsqu’on s’attarde trop longtemps. Des ombres de gestes, des traces d’anciens occupants.Je suis allongé, les yeux grands ouverts, fixant le plafond. Il n’y a rien d’autre à faire. Rien d’autre à penser. Pourtant, mon esprit tourne à cent à l’heure.Hugo.Ce nom me revient encore et encore, comme un marteau qui cogne à la porte de ma conscience.Je revois son regard. Sa voix cassée. Sa peur.Et moi… moi, accroupi devant lui, comme un juge silencieux, l’encourageant à livrer ce qu’il ne possédait même pas.J’ai fait ça.Je serre les dents.Je ne suis pas comme eux.Je me répète cette phrase en boucle, comme un mantra. Mais chaque fois, la voix du type au sourire revient me hanter.« Tu apprends vite. »Et ce goût amer revient dans ma gorge.Je me redresse brusquement, m’a
— NoahLe retour au hangar se fait dans un silence de plomb. Le moteur ronronne, la nuit semble s’épaissir autour de nous, comme si elle voulait me dévorer avec mes pensées. Le cuir du siège grince sous mes mouvements nerveux. J’ai beau serrer la mallette contre moi, je ne sens pas son poids physique… je sens celui de ce qu’elle représente.Je repense à ce que le vieux m’a dit. Des preuves. Des noms. Mon frère voulait que tout sorte.Il voulait que tout sorte…Alors pourquoi est-ce qu’il est mort ? Pourquoi est-ce qu’ils m’ont laissé entrer, moi, sans même m’interroger ?Pourquoi m’a-t-on fait confiance si vite ?Et surtout… pourquoi est-ce que je n’ai pas fui ?Le SUV freine brusquement. On est de retour. Le hangar, toujours aussi désert, avale la voiture dans ses entrailles métalliques. La lumière blafarde des néons perce le noir par intermittence, créant des ombres mouvantes sur les murs. J’ai l’impression d’entrer dans une gueule, une mâchoire d’acier prête à se refermer. Le chauf
Nathan Je n’ai pas le temps de douter. À peine ma décision prononcée, les silhouettes autour de la table se lèvent lentement, comme si un rituel venait d’être enclenché. Le regard de l’homme au sourire carnassier s’attarde sur moi une dernière fois avant qu’il ne tourne les talons.« Suis-le. »C’est tout ce qu’on me dit. Pas de nom, pas d’explication, pas de bienvenue. Rien. Je suis un pion sur leur échiquier, et je viens d’être placé sur la première case.Le hangar disparaît derrière moi alors que je suis l’un des hommes à travers un couloir sombre, puis une autre porte, puis des escaliers en métal qui résonnent sous nos pas. Nous sortons à l’arrière du bâtiment. L’air de la nuit est glacial, mais je n’ose pas frissonner. Un SUV noir nous attend, moteur allumé. L’homme monte côté passager, sans un mot. Je prends place à l’arrière.Le chauffeur, un type massif au crâne rasé, se contente de me lancer un regard dans le rétroviseur. Pas hostile, pas curieux non plus. Juste vide.On rou
Je le suivis dans l'obscurité, mes pas s'harmonisant avec les siens alors que nous nous enfoncions plus profondément dans le bâtiment. La lumière vacillante des néons brisés et des ampoules éteintes rendait l'atmosphère plus étrange encore, comme si le temps ici s’était arrêté. Chaque recoin semblait imprégné de secrets, chaque mur, chaque écho résonnait avec la présence d'un passé que je n'étais pas censé découvrir.L'homme ne se retournait jamais, marchant d'un pas mesuré, comme s'il connaissait ce lieu par cœur, tandis que moi, chaque mouvement me rapprochait d'une réalité que je commençais à peine à comprendre. Je savais que ce que je faisais était risqué, que je m'aventurais dans un monde qui pouvait m'engloutir à tout instant. Mais l'idée de rester dans l'ignorance était bien pire.Nous arrivâmes à une porte métallique, plus solide que les autres, et l'homme s'arrêta devant, l'ouvrant sans hésitation. Il me lança un regard en coin avant de pénétrer dans la pièce sombre qui se tr