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Chapitre 5 : Une tour dans un jardin

Author: Eve Terrellon
last update Huling Na-update: 2021-09-03 02:54:53

  Ils roulèrent dans les rues d’Angers durant une vingtaine de minutes. Ses études d’ingénierie achevées, Pierre avait dû quitter sa Touraine natale pour venir s’installer dans cette grande ville de province. Major de promotion, il avait réussi à obtenir un poste à responsabilités dans un des plus grands centres du réseau agronome de la région et, depuis trois ans, il menait sa mission à l’entière satisfaction de son employeur.

     Ils sortirent finalement du centre historique pour rejoindre les quartiers pavillonnaires de l’autre côté de la Maine. Pendant le trajet, la jeune femme lui parla un peu de son travail. Apparemment, elle se rendait fréquemment à l’étranger pour assister les plus grands réalisateurs. Un peu étonné qu’elle ait une carrière aussi brillante à son âge, Pierre se retint de l’interroger. N’était-il pas lui-même un peu en-deçà de l’âge moyen de ses collègues, pourtant tous relativement jeunes ?

     Gaëlle le guidait avec assurance à travers l’espace urbain. Elle semblait parfaitement connaître la ville. Bien mieux que lui, qui arpentait pourtant avec plaisir ses multiples recoins chargés d’histoire depuis qu’il s’était installé dans un grand loft à deux pas du château des ducs d’Anjou. Une merveille architecturale du Moyen Âge, dont il ne se lassait pas d’admirer les tours rondes lorsqu’il sortait sur sa terrasse.

     Compte tenu de la profession de Gaëlle, il s’étonnait qu’elle soit venue se perdre si loin de Paris. Quoique les trajets en TGV rapprochaient considérablement la capitale. Il lui demanda si elle était d’origine angevine, mais elle éluda la question en quelques phrases qui ne manquèrent pas de piquer sa curiosité :

     —Les membres de ma famille cultivent l’indépendance. Une fois adulte, notre première ambition et d’emménager sur un territoire personnel. Une de mes sœurs a vécu de longues années dans le Poitou(1). D’autres sont demeurées un temps à Angers. Certaines y possèdent encore un petit pied-à-terre. Elles vous captiveraient par toutes les histoires qu’elles connaissent sur la région.

     Sa fratrie semblait aussi nombreuse que féminine. À la fois bavarde et mystérieuse sur elle-même, cette jeune femme finissait par le charmer par sa pétulance. Il convenait même que ses sautes d’humeur participaient au pouvoir de séduction de ce drôle de numéro, inclassable et surprenant.

     Ils devisèrent ainsi en se livrant par petites touches, jusqu’à ce qu’ils arrivent dans une rue plantée de vieux tilleuls aux branches dépouillées par l’hiver. Gaëlle lui demanda de ralentir. À en juger aux vastes demeures plus ou moins dissimulées par de hauts murs ou des haies de conifères épais, le quartier semblait plutôt huppé. Une surprise supplémentaire et agréable pour Pierre, qui n’aurait pas dit non à la visite d’une de ces vieilles maisons d’un autre âge.

     Il suivit ses indications pour s’engager dans une allée privée bordée d’arbres centenaires. Au bout d’une vingtaine de mètres, la jeune femme sortit une petite télécommande de son sac pour ouvrir les grilles d’un portail en fer forgé aussi haut que massif. Excité par la découverte, Pierre s’aventura dans un petit parc.

     Un large dégagement gravillonné décrivait un arc de cercle parfaitement délimité par des buis taillés. Pierre gara sa voiture devant une vieille bâtisse. Avec son large perron de pierre, ses chambres mansardées sous les combles, son toit à grandes cheminées et ses fenêtres à balustres, elle avait tout de la maison bourgeoise du dix-neuvième siècle.

     — Vous m’avez promis de porter mes paquets, lui rappela Gaëlle en sortant du véhicule. C’est le moment de tenir parole.

     Tandis qu’il déchargeait les sacs du coffre, il admira les murs de clair tuffeau qui s’illuminaient sous le pâle soleil. Un peu étonné, il nota que tous les volets, peints en bleu, étaient fermés. Il en déduisit qu’elle habitait sans doute un appartement sous les combles, mais il comprit son erreur lorsqu’il la vit dédaigner le grand escalier pour contourner la maison.

     Sur le côté, un jardin à l’anglaise recroquevillait sa végétation dans un fouillis étudié. Intrigué, il la suivit dans une petite allée qui serpentait entre de nombreux rosiers rabattus pour l’hiver. Il se sentait soudain plus enthousiaste qu’un enfant un soir de Noël. Cette course imprévue prenait des allures d’expédition des plus amusantes. Et en découvrant la construction cachée derrière les draperies d’un grand cèdre du Liban, il marqua un temps d’arrêt.

     — Vous vivez dans une tour ! s’exclama-t-il, aussi stupéfait que ravi, alors qu’elle grimpait les trois marches qui la séparaient de la lourde porte d’entrée en bois clouté.

     — Oui, pourquoi ? Vous avez quelque chose contre les architectures rondes ? se moqua-t-elle gentiment en lui faisant face.

     — Non, au contraire, se reprit-il avec un franc sourire. J’ai toujours adoré cela. Mais ça doit être un petit peu difficile à meubler, non ?

     — Effectivement, répondit-elle en plissant son joli nez, comme si cette réflexion ravivait chez elle un souci bien réel.

     Il était vrai que devoir tout redimensionner lui pesait. Elle en avait le pouvoir, mais être sans cesse obligée de remodeler le mobilier qu’elle acquérait finissait par la lasser. Les ébénistes de Féérie avaient au moins l’intelligence de définir au départ toutes les configurations possibles.

     — Entrez, l’invita-t-elle après avoir ouvert le lourd verrou qui protégeait son intimité. Les propriétaires sont des amis de longue date. J’ai toute la latitude pour vous faire visiter ce vieux monument.

     Un long tapis rouge aux arabesques dorées déroulait sa belle laine tissée dans l’étroit couloir en colimaçon qui montait à l’étage. De vraies torchères s’espaçaient à intervalles réguliers, gardiennes de flambeaux allumés qui brûlaient sans dégager la moindre fumée, ni la moindre chaleur. Détail qui troubla Pierre au point qu’il n’hésita pas à poser ses paquets par terre pour présenter un doigt curieux devant les flammes. Elles s’écartèrent aussitôt sans qu’il parvienne à les toucher.

     — Comment faites-vous cela ? s’étonna-t-il, fasciné.

     — Secret professionnel, se contenta-t-elle de répondre en poursuivant son ascension.

     Et c’est ainsi que, sans le savoir, Pierre retrouva Aëlwenn, devenue Gaëlle, en une veille de Noël qui allait modifier le reste de leur existence.

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Note :

(1) Allusion à la fée Mélusine, célèbre dans le Poitou.

   

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