Grayson était seul dans son bureau, une coupe de scotch à la main, les stores à demi fermés. La lumière tamisée dansait sur les murs, mais son regard, lui, restait figé sur l’écran de son ordinateur portable.Le rapport venait d’arriver. Froid, concis, chirurgical. Typiquement Knox.Il le parcourut une première fois, sans réagir. Puis une deuxième.Et c’est à la troisième lecture que ses doigts commencèrent à se crisper autour de la coupe."Mike lui suggère de penser à ouvrir son propre garage.""Collaboration rapprochée.""Interactions amicales."Et les photos.Grayson les agrandit une à une.Jade, penchée sur un moteur, un peu de cambouis sur la joue. Jade, en train de rire avec Mike, le regard brillant. Jade, concentrée, rayonnante, vivante.Il sentit une douleur sourde lui ronger l’intérieur. Ce n’était pas de la jalousie.Non. C’était pire.C’était de la peur. Peur que Jade tourne la page.Peur qu’elle trouve chez cet homme simple ce que lui, Grayson Blackwell, ne pourrait jamais
— Je veux partir.La voix de Jade, froide et déterminée, fendit l'air comme une lame bien aiguisée.Grayson releva la tête brusquement, encore sous le choc de l’avoir presque perdue deux minutes plus tôt.— Tu veux quoi ?— Vivre chez mon père, reprit-elle sans fléchir. Il y a assez de chambres dans sa maison. Et j’y serai bien mieux que dans cet endroit… étouffant. Il reste onze mois et deux semaines à ce mariage, Grayson. Je ne veux pas passer une minute de plus sous ce toit.Ses mots le giflèrent.Onze mois et deux semaines.Elle les avait comptés. Comme une prisonnière comptant les jours jusqu’à sa libération.Grayson sentit son cœur s’enflammer de colère et de douleur. Il avança vers elle d’un pas lent, menaçant, une main serrée en poing.— Tu crois vraiment que je vais te laisser partir ? Que je vais te laisser vivre là-bas… avec lui ? Ce Mike ?Il cracha ce nom comme un poison.— Mike ?... Tu...La surprise, le choc et la colère se mêlèrent sur son visage. Grayson s’avança vers
Jade claqua la porte derrière elle, le cœur en feu et les yeux pleins de rage contenue. Elle traversa le couloir comme un ouragan silencieux, le dossier du contrat toujours serré contre sa poitrine, comme une preuve honteuse de l’esclavage qu’il osait encore appeler mariage.Elle n'avait pas pleuré devant lui. Elle s'était promis de ne jamais lui accorder ce luxe.Mais dès qu'elle atteignit l’aile est de la maison, là où se trouvait la cuisine et la chambre de service, la façade se fissura.— Hattie ? appela-t-elle d’une voix brisée.La gouvernante, en train de ranger quelques affaires dans le placard à linge, se retourna aussitôt. En voyant le visage de Jade, elle lâcha tout ce qu’elle tenait.— Mon Dieu… Jade !Elle courut vers elle, et sans un mot, Jade s’effondra dans ses bras.— Il… il veut que je reste ici, souffla-t-elle entre deux sanglots. Il veut que je joue à la femme parfaite, comme si… comme si rien de tout ça ne me blessait.Hattie la serra plus fort contre elle, les sou
Grayson poussa la porte de la résidence principale, les épaules tendues, la mâchoire serrée. Il avait passé la journée à régler des dossiers à l’extérieur, mais son esprit était resté prisonnier entre les murs de cette maison… entre les murs de cette chambre où Jade refusait de croiser son regard.Il retira sa veste, la confia rapidement à un employé, puis rejoignit le salon où Hattie triait des dossiers sur la table basse.— Hattie, dit-il d’une voix sèche. J’ai besoin que tu préviennes Jade.Elle releva les yeux, le regard aussi tranchant qu’un pic à glace.— Pour lui dire quoi ?— Qu’elle doit se tenir prête demain. Nous partons pour Singapour. C’est un voyage d’affaires. Elle m’accompagne.Hattie ne répondit pas immédiatement. Elle se contenta de le fixer, d’un calme glacial. Puis elle referma lentement le dossier qu’elle tenait, le posa bien droit sur la pile et se leva.— Tu n’as pas de jambes, Grayson ? demanda-t-elle, mordante. Tu ne sais pas frapper toi-même à sa porte, lui p
Le soleil s’était à peine levé sur Manhattan que Grayson, impeccable dans son costume, descendait l’escalier principal, prêt à partir pour Singapour.Il ajusta les manches de sa chemise et jeta un rapide coup d’œil à l’heure sur sa montre en or blanc.6h58.Parfait.— Hattie, est-ce qu’elle est prête ? demanda-t-il d’un ton neutre en arrivant dans le hall.La gouvernante leva les yeux depuis son carnet de notes, l’air beaucoup trop calme pour ce qui allait suivre.— Non.Grayson cligna des yeux, comme s’il n’avait pas bien entendu.— Comment ça, non ?— Elle est partie. Elle est déjà au garage depuis une demi-heure.Un silence se fit. Épais. Électrique.Grayson resta figé une seconde, les mâchoires serrées, puis souffla, glacial :— Ce n’est pas vrai…— Apparemment que si, rétorqua Hattie avec un calme olympien. Elle a pris un café en vitesse, m’a saluée poliment… et s’est envolée.Le regard de Grayson vira au noir. Toujours ce maudit garage. Et ce Mike qui tournait autour d’elle comm
Le jet atterrit en douceur sur le tarmac privé de l’aéroport de Changi. Grayson descendit le premier, droit comme une lame, ses lunettes de soleil masquant à peine la tension de ses traits. Derrière lui, Jade sortit, traînant les pieds, décoiffée, sans chaussures qu’elle avait refusé de remettre, les bras croisés et l’air profondément agacée.— Je te déteste, murmura-t-elle, le regard rivé sur la jungle luxuriante qui entourait la piste.— Ça tombe bien, répondit Grayson, sans se retourner. Moi aussi, je te déteste un peu. Mais pas assez pour te laisser entre les bras d’un mécano.— TU REMETS ÇA ?!Il leva une main pour couper court. Deux SUV noirs les attendaient. Une escouade d’agents de sécurité salua Grayson avec la même froideur professionnelle qu’à chaque déplacement Blackwell.— Monsieur Blackwell, la suite présidentielle du Marina One Residences est prête. Le staff a été prévenu de votre arrivée.— Parfait. Jade ? Monte.— JE PRENDS L’AUTRE VOITURE.— Il n’y en a pas.Elle le
Grayson attendait dans le lobby de l’hôtel, debout, les mains croisées dans le dos. Le costume noir qu’il portait ce soir semblait taillé dans l’élégance même, mais son regard était fixé sur les ascenseurs, attentif, impatient.Quand Jade apparut enfin, il sentit ce même vertige familier le frapper de plein fouet.Une robe fluide d’un rouge profond épousait ses formes avec audace, et ses cheveux attachés à la va-vite lui donnaient un air à la fois rebelle et terriblement séduisant. Elle ne fit pas attention à lui en arrivant, se contentant d’un regard froid, distant. Grayson, lui, ne pouvait pas détacher les yeux d’elle.— Tu comptes me fixer comme ça toute la soirée ou on peut y aller ? lâcha-t-elle, sarcastique.Il esquissa un sourire en coin, incapable de répondre autrement. Elle le rendait fou. Littéralement.Ils montèrent dans la voiture, installés l’un à côté de l’autre à l’arrière. L’ambiance était tendue, électrique, comme toujours. Grayson voulait parler, lui dire qu’elle éta
La lumière du matin filtrait doucement à travers les stores de la chambre d’hôpital. Le silence régnait, seulement troublé par le bip régulier du moniteur cardiaque.Grayson n’avait pas quitté la pièce.Il était toujours là, assis à ses côtés, la tête penchée en avant, endormi à force de veiller. Sa main était posée sur celle de Jade, comme s’il avait peur qu’elle disparaisse à nouveau s’il la lâchait.Et puis, un battement de cils.Les yeux de Jade s’ouvrirent lentement, flous, douloureux. Elle cligna plusieurs fois, cherchant à comprendre où elle était. Tout lui revenait par flashs : la voiture, le choc, la peur, les bras de Grayson… son regard paniqué.Son corps était lourd, mais vivant.Elle tourna doucement la tête.Grayson.Il dormait à côté d’elle, comme un enfant perdu. Sa chemise était froissée, son visage fatigué, marqué par l’angoisse et les nuits sans sommeil.Jade l’observa longuement. L’homme qui l’avait enlevée au garage. Qui l’avait traînée à Singapour sans un mot d’ex
La voiture s’arrêta devant la résidence principale. Grayson descendit, ouvrit la portière arrière, et Jade sortit en furie, les cheveux en bataille, les yeux en feu.— Tu es malade ! Complètement malade ! hurla-t-elle en claquant la portière si fort qu’une alarme de voiture se déclencha au loin.Grayson resta impassible, refermant calmement la sienne.— On en parlera à l’intérieur.— À l’intérieur ?! Quoi ?! Tu veux m’enfermer dans une cave maintenant ?! Tu m’as kidnappée dans un parc public, agressé mon collègue et humiliée devant tout le monde ! Et tu veux qu’on en parle à l’intérieur ?!— Tu étais avec lui, Jade. Il te regardait comme si tu lui appartenais. Et tu ne faisais rien pour l’arrêter.— J’AI LE DROIT DE PARLER À QUI JE VEUX !— Pas quand t’es ma femme.— TA FEMME ?! TU TE RAPPELLES DE COMMENT TU M’AS IGNORÉE PENDANT DES JOURS ? TU M’AS TRAITÉE COMME UNE ÉTRANGÈRE ! Une étrangère que tu parades dans les réceptions Blackwell mais que tu relègues dans une chambre vide dès qu
Le parc baignait dans la lumière dorée du crépuscule. Jade riait aux éclats, accroupie dans l’herbe, pendant qu’un énorme American Bully, langue pendante et muscles saillants, se jetait sur une balle en plastique rose. À côté d’elle, Mike, décontracté, lançait la balle de toutes ses forces, son sourire charmeur plus large qu’un boulevard.— Il est incroyable ce chien, dit Jade en caressant la tête du molosse qui bavait gaiement sur ses jeans.— Il s’appelle Diesel, dit Mike en bombant un peu le torse. Il adore les femmes. Moins les hommes. Surtout ceux en costard.— Tu veux dire… les Blackwell ?Ils éclatèrent de rire.Mais soudain, une voiture noire surgit au loin. Elle freina brutalement à l’entrée du parc. Grayson descendit comme une tornade, son manteau volant derrière lui comme s’il sortait tout droit d’un film d’action.John, à contrecœur, le suivit en traînant les pieds.— Bon sang, il va encore faire un carnage…Grayson repéra Jade en deux secondes. Son regard vira au noir qua
Jade décida de rentrer un peu plus tôt ce soir-là, mais son taxi ne s'arrêta pas devant la maison principale des Blackwell. Non. Elle demanda au chauffeur de la déposer plus loin, là où les lumières de la résidence secondaire clignotaient doucement dans la pénombre.Son père, Graham, l’accueillit sur le pas de la porte avec un sourire ravi et un regard attendri. Il n’eut même pas besoin de demander pourquoi elle n’allait pas à la grande maison. Il savait.— J’ai commandé une pizza, dit-il avec fierté, comme s’il venait de signer un contrat avec une multinationale.Jade éclata de rire.— C’est ta grande cuisine gastronomique du soir ?— Une quatre fromages, et j’ai ajouté des olives noires. Je me suis dit que tu serais impressionnée.Elle secoua la tête en riant, entra et se laissa tomber sur le vieux canapé en cuir. Il y avait une odeur de pain chaud, de vieux vin et d’album photo poussiéreux. C’était comme rentrer à la maison. La vraie.Ils mangèrent sur la table basse, les doigts gr
— Hé, t’as deux secondes ? demanda Mike, en s’essuyant les mains.Jade redressa la tête depuis le moteur qu’elle auscultait. Ses joues étaient rouges, son front perlé de sueur, et quelques mèches s’échappaient de son chignon. Elle avait l’air fatiguée, mais déterminée. Farouche.— Ouais, bien sûr, répondit-elle, posant la clé à molette avec un soupir.Mike l’emmena un peu à l’écart, derrière l’un des pick-up en réparation. Il croisa les bras, la regarda un moment sans rien dire.— Tu veux qu’on parle du tyran en costume trois pièces qui a fait irruption ici hier ? demanda-t-il enfin, un sourire au coin des lèvres.Jade haussa les sourcils, surprise.— Pas vraiment.— Je m’en doutais. Mais si jamais t’as envie… je suis là.Elle esquissa un sourire timide. Elle ne s’était jamais demandé si Mike faisait attention à elle. Pas comme ça. Mais dans sa voix, dans ses yeux, elle sentait cette attention calme, sincère. Une douceur inattendue. Un contraste frappant avec l’intensité dévastatrice
La nuit était tombée depuis longtemps. La maison Blackwell baignait dans un silence pesant, comme figée dans une attente invisible.Grayson était debout, dans le couloir, figé devant la porte entrouverte de la chambre de Jade.Il la voyait.Elle dormait, recroquevillée sur le côté, ses cheveux tombant en cascade sur l’oreiller, une main glissée contre sa joue.Elle semblait si paisible… et pourtant, même dans son sommeil, il percevait la tension dans son visage. Comme si son cœur restait éveillé.Grayson serra les poings.Il aurait pu entrer. Il aurait pu s’allonger à côté d’elle, glisser un bras autour de sa taille, enterrer son visage dans son cou et lui murmurer qu’il avait peur. Peur de l’aimer. Peur de la perdre.Mais il resta là. Immobile. Silencieux.Il luttait.Chaque fibre de son corps le poussait vers elle, mais chaque cicatrice de son passé le retenait en arrière.Il revoyait Gina. Son regard avant de mourir. Le petit corps sans vie de ce bébé qu’il n’aurait jamais pu proté
La porte du garage claqua derrière elle avec la rage d’un ouragan.Jade marchait à grands pas dans la rue, les mains tremblantes, la respiration courte, les yeux brûlants. Elle n’avait même pas pris son sac. Juste sa colère. Son amour blessé. Son cœur piétiné.Il l’avait humiliée.Devant tout le monde. Comme si elle n’était qu’un pion, une possession à récupérer à la force du contrat.Mais elle n’était pas un pion.Elle était Jade Carter.Et elle avait des comptes à régler.Elle sauta dans le premier taxi venu, donnant l’adresse de la résidence Blackwell avec une voix dure, étranglée de rage. Durant tout le trajet, elle revoyait le regard glacial de Grayson, la façon dont il avait parlé à Mike, comme s’il marquait son territoire, comme s’il affirmait un droit qu’il n’avait plus. Plus maintenant.Arrivée devant la maison, elle sortit sans un mot et fonça à l’intérieur.Grayson était là. Dans le salon. Un verre de whisky à la main, comme si rien ne venait de se passer. Il leva à peine l
Le garage résonnait d’un morceau de rock old school. Jade, concentrée, resserrait les boulons d’un moteur à moitié démonté. Mike s’approcha, torse en avant, chiffon à la main.— Tu veux que je te montre une astuce pour desserrer ce vieux truc ? demanda-t-il, un peu trop près.— T’inquiète, je sais le faire. Et si je me loupe, je t’offre un café, lança-t-elle avec un sourire.Mike rit doucement. Il lui prit doucement le poignet pour guider ses gestes. Le contact dura une seconde de trop. Jade le sentit mais ne dit rien, croyant à un geste innocent.Puis le vrombissement rauque d’un moteur de luxe fendit l’air. Une Maserati noire s’arrêta juste devant l’entrée. Les gars du garage levèrent les yeux.— Bordel, souffla l’un d’eux. C’est qui, ça ? Batman ?Mike se redressa d’un coup. Jade tourna la tête et elle le vit.Grayson Blackwell. Costume noir. Ray-Ban sur les yeux. Une aura de tempête.Il sortit de la voiture comme on entre dans une guerre. Lentement. Calculé. Froid. Magnétique.— O
Jade inspira profondément en poussant la porte du Mike’s Garage. L’odeur d’huile moteur, de métal chaud et de gomme brûlée l’enveloppa comme une vieille amie. C’était un parfum qu’elle n’avait jamais cessé d’aimer.— Eh, regardez qui est de retour ! lança Mike, en sortant de sous un capot, les mains noircies de cambouis.Il s’approcha d’elle avec un grand sourire, un torchon sur l’épaule. Il ne lui fit pas de remarque sur ses cernes ou sur son air perdu. Il se contenta de lui ouvrir les bras.— J’avais parié que t’allais revenir, dit-il en l’enlaçant brièvement. T’es une vraie, Jade. Ce garage t’aime bien.— Moi aussi, souffla-t-elle, un sourire discret aux lèvres.Le claquement métallique d’une clé à choc se mêlait à la musique rock diffusée en fond.Jade, en combinaison bleue remontée jusqu’à la taille, bras nus, front couvert de quelques gouttes de sueur, vissait une pièce sous le capot d’une vieille Mustang.— C’est du joli boulot, commenta Mike, accoudé à l’aile de la voiture.Il
Jade avait attendu. Espéré. Prié, même.Mais ce soir, c’en était trop.Elle descendit les marches du grand escalier avec détermination. Elle l’avait entendu rentrer. La porte avait claqué doucement. Ses pas l’avaient guidée vers le bureau. Toujours ce fichu bureau. Comme une forteresse qu’il utilisait pour se barricader derrière ses douleurs et ses silences.Elle frappa une fois. Pas de réponse.Elle entra quand même.Grayson leva à peine les yeux de ses papiers.— J’ai besoin de te parler, dit-elle, d’une voix calme, mais ferme.— Je suis occupé, Jade.— Ça ne prendra pas longtemps, répondit-elle, avançant dans la pièce.Il soupira, referma le dossier devant lui, et s’adossa lentement à son fauteuil. Son regard était froid, distant. Presque méconnaissable.— À Singapour… tu étais différent. Tu étais… toi. Vrai. J’ai cru qu’on construisait quelque chose. Et puis tu as changé. Du jour au lendemain.Elle le regarda, les yeux brillants de douleur.— Qu’est-ce que j’ai fait, Grayson ? Tu