Grayson venait à peine de retirer sa veste que la porte de son bureau claqua derrière lui.Hattie.Elle n’attendit pas d’être invitée pour entrer. Elle referma la porte doucement, mais son regard, lui, était un coup de tonnerre dans une pièce silencieuse.— Tu me déçois, Grayson Blackwell.Il ferma les yeux, s’adossa au bureau, l’air fatigué.— Pas maintenant, Hattie…— Si. Maintenant. Parce qu’il y a une jeune femme en haut qui se sent trahie, humiliée, perdue… et ce n’est pas à cause de moi. C’est à cause de toi, espèce de crétin arrogant.Grayson inspira profondément, tentant de garder son calme.— Ce que je fais avec Annelise ne te regarde pas.— Oh mais si, répliqua-t-elle en s’avançant d’un pas vif. Parce que tu l’as ramenée ici. Dans cette maison. Tu l’as laissée planter ses griffes dans le cœur d’une fille que tu refuses de voir pour ce qu’elle est : une chance que la vie t’a donnée.Il détourna les yeux.— Ce n’est pas une chance. C’est un piège.— Un piège ? Hattie rit sans
Le soleil n'était même pas levé quand Jade referma doucement la porte de sa chambre.Elle descendit l’escalier sur la pointe des pieds, le cœur lourd mais déterminé.Elle ne voulait pas le voir.Pas aujourd’hui. Pas après la soirée d’hier.Elle portait un jean clair, un chemisier crème et ses cheveux, encore un peu humides, tombaient en une cascade libre sur ses épaules. Elle avait remis ses baskets.Hattie était déjà debout, affairée dans la cuisine. Lorsqu’elle vit Jade, elle s’approcha avec une douceur silencieuse et posa une main sur son épaule.— Il ne s’est pas levé, murmura-t-elle, devinant la question non posée dans le regard de la jeune femme.— Ce n’est pas grave, répondit simplement Jade.Elles partagèrent un regard. Pas besoin de mots. Hattie comprenait.— Il y a des pancakes tout chauds, ajouta-t-elle en souriant doucement. Va voir ton père. Il est déjà réveillé.Jade hocha la tête, saisit l’assiette et sortit par la grande baie vitrée qui donnait sur le petit sentier men
Jade poussa la lourde porte coulissante du Mike’s Garage alors que le soleil commençait à peine à réchauffer les rues de Manhattan. Il n’était pas encore huit heures. Elle avait quitté la résidence tôt, le cœur lourd, mais bien décidée à se changer les idées.— T’es en avance, lança Mike en sortant de sous une voiture, un sourire déjà prêt sur les lèvres.Elle haussa les épaules, s'efforçant de sourire.— J'avais besoin de prendre l’air.Il la regarda de la tête aux pieds. Pas comme un patron jaugeant une employée. Il y avait dans son regard quelque chose de plus doux, plus attentif. Une sorte d’étonnement silencieux devant cette jeune femme qu’il redécouvrait jour après jour.— Tu sais, t’as pas besoin de venir si tôt tous les matins, ajouta-t-il en s’essuyant les mains sur un torchon noir de cambouis. T’as encore le droit de dormir.— Et toi, t’as encore le droit de me laisser bosser, rétorqua-t-elle avec une lueur dans les yeux. Je suis pas faite de porcelaine.Il rit.— Non… t’es
Cela faisait maintenant deux semaines que Jade travaillait au garage de Mike. Et chaque jour, Grayson recevait le même rapport détaillé de Knox Wendell. Des lignes froides, mécaniques, accompagnées de clichés pris à distance.Mais aujourd’hui, en ouvrant le dernier dossier, Grayson sentit quelque chose lui vriller la poitrine.Photo 1 : Jade, un chiffon à la main, penchée sur le capot d’un pick-up. Un sourire léger aux lèvres, concentrée.Photo 2 : Mike, accoudé au véhicule, les yeux rivés sur Jade. Un regard trop attentif. Trop longtemps posé.Photo 3 : Jade et Mike, riant ensemble autour d’un café. Complices.Grayson referma brutalement le dossier, les mâchoires serrées, la colère sourde.— Il se rapproche, murmura-t-il pour lui-même. Et elle… elle ne le repousse pas.Il se leva d’un bond, traversa son bureau comme un fauve en cage. Une pensée le tourmentait plus que les autres : Et si elle finissait par lui préférer à ce type-là ?Mike n’avait rien de lui. Il n’était pas tourmenté,
Grayson était seul dans son bureau, une coupe de scotch à la main, les stores à demi fermés. La lumière tamisée dansait sur les murs, mais son regard, lui, restait figé sur l’écran de son ordinateur portable.Le rapport venait d’arriver. Froid, concis, chirurgical. Typiquement Knox.Il le parcourut une première fois, sans réagir. Puis une deuxième.Et c’est à la troisième lecture que ses doigts commencèrent à se crisper autour de la coupe."Mike lui suggère de penser à ouvrir son propre garage.""Collaboration rapprochée.""Interactions amicales."Et les photos.Grayson les agrandit une à une.Jade, penchée sur un moteur, un peu de cambouis sur la joue. Jade, en train de rire avec Mike, le regard brillant. Jade, concentrée, rayonnante, vivante.Il sentit une douleur sourde lui ronger l’intérieur. Ce n’était pas de la jalousie.Non. C’était pire.C’était de la peur. Peur que Jade tourne la page.Peur qu’elle trouve chez cet homme simple ce que lui, Grayson Blackwell, ne pourrait jamais
— Je veux partir.La voix de Jade, froide et déterminée, fendit l'air comme une lame bien aiguisée.Grayson releva la tête brusquement, encore sous le choc de l’avoir presque perdue deux minutes plus tôt.— Tu veux quoi ?— Vivre chez mon père, reprit-elle sans fléchir. Il y a assez de chambres dans sa maison. Et j’y serai bien mieux que dans cet endroit… étouffant. Il reste onze mois et deux semaines à ce mariage, Grayson. Je ne veux pas passer une minute de plus sous ce toit.Ses mots le giflèrent.Onze mois et deux semaines.Elle les avait comptés. Comme une prisonnière comptant les jours jusqu’à sa libération.Grayson sentit son cœur s’enflammer de colère et de douleur. Il avança vers elle d’un pas lent, menaçant, une main serrée en poing.— Tu crois vraiment que je vais te laisser partir ? Que je vais te laisser vivre là-bas… avec lui ? Ce Mike ?Il cracha ce nom comme un poison.— Mike ?... Tu...La surprise, le choc et la colère se mêlèrent sur son visage. Grayson s’avança vers
Jade claqua la porte derrière elle, le cœur en feu et les yeux pleins de rage contenue. Elle traversa le couloir comme un ouragan silencieux, le dossier du contrat toujours serré contre sa poitrine, comme une preuve honteuse de l’esclavage qu’il osait encore appeler mariage.Elle n'avait pas pleuré devant lui. Elle s'était promis de ne jamais lui accorder ce luxe.Mais dès qu'elle atteignit l’aile est de la maison, là où se trouvait la cuisine et la chambre de service, la façade se fissura.— Hattie ? appela-t-elle d’une voix brisée.La gouvernante, en train de ranger quelques affaires dans le placard à linge, se retourna aussitôt. En voyant le visage de Jade, elle lâcha tout ce qu’elle tenait.— Mon Dieu… Jade !Elle courut vers elle, et sans un mot, Jade s’effondra dans ses bras.— Il… il veut que je reste ici, souffla-t-elle entre deux sanglots. Il veut que je joue à la femme parfaite, comme si… comme si rien de tout ça ne me blessait.Hattie la serra plus fort contre elle, les sou
Grayson poussa la porte de la résidence principale, les épaules tendues, la mâchoire serrée. Il avait passé la journée à régler des dossiers à l’extérieur, mais son esprit était resté prisonnier entre les murs de cette maison… entre les murs de cette chambre où Jade refusait de croiser son regard.Il retira sa veste, la confia rapidement à un employé, puis rejoignit le salon où Hattie triait des dossiers sur la table basse.— Hattie, dit-il d’une voix sèche. J’ai besoin que tu préviennes Jade.Elle releva les yeux, le regard aussi tranchant qu’un pic à glace.— Pour lui dire quoi ?— Qu’elle doit se tenir prête demain. Nous partons pour Singapour. C’est un voyage d’affaires. Elle m’accompagne.Hattie ne répondit pas immédiatement. Elle se contenta de le fixer, d’un calme glacial. Puis elle referma lentement le dossier qu’elle tenait, le posa bien droit sur la pile et se leva.— Tu n’as pas de jambes, Grayson ? demanda-t-elle, mordante. Tu ne sais pas frapper toi-même à sa porte, lui p
La voiture s’arrêta devant la résidence principale. Grayson descendit, ouvrit la portière arrière, et Jade sortit en furie, les cheveux en bataille, les yeux en feu.— Tu es malade ! Complètement malade ! hurla-t-elle en claquant la portière si fort qu’une alarme de voiture se déclencha au loin.Grayson resta impassible, refermant calmement la sienne.— On en parlera à l’intérieur.— À l’intérieur ?! Quoi ?! Tu veux m’enfermer dans une cave maintenant ?! Tu m’as kidnappée dans un parc public, agressé mon collègue et humiliée devant tout le monde ! Et tu veux qu’on en parle à l’intérieur ?!— Tu étais avec lui, Jade. Il te regardait comme si tu lui appartenais. Et tu ne faisais rien pour l’arrêter.— J’AI LE DROIT DE PARLER À QUI JE VEUX !— Pas quand t’es ma femme.— TA FEMME ?! TU TE RAPPELLES DE COMMENT TU M’AS IGNORÉE PENDANT DES JOURS ? TU M’AS TRAITÉE COMME UNE ÉTRANGÈRE ! Une étrangère que tu parades dans les réceptions Blackwell mais que tu relègues dans une chambre vide dès qu
Le parc baignait dans la lumière dorée du crépuscule. Jade riait aux éclats, accroupie dans l’herbe, pendant qu’un énorme American Bully, langue pendante et muscles saillants, se jetait sur une balle en plastique rose. À côté d’elle, Mike, décontracté, lançait la balle de toutes ses forces, son sourire charmeur plus large qu’un boulevard.— Il est incroyable ce chien, dit Jade en caressant la tête du molosse qui bavait gaiement sur ses jeans.— Il s’appelle Diesel, dit Mike en bombant un peu le torse. Il adore les femmes. Moins les hommes. Surtout ceux en costard.— Tu veux dire… les Blackwell ?Ils éclatèrent de rire.Mais soudain, une voiture noire surgit au loin. Elle freina brutalement à l’entrée du parc. Grayson descendit comme une tornade, son manteau volant derrière lui comme s’il sortait tout droit d’un film d’action.John, à contrecœur, le suivit en traînant les pieds.— Bon sang, il va encore faire un carnage…Grayson repéra Jade en deux secondes. Son regard vira au noir qua
Jade décida de rentrer un peu plus tôt ce soir-là, mais son taxi ne s'arrêta pas devant la maison principale des Blackwell. Non. Elle demanda au chauffeur de la déposer plus loin, là où les lumières de la résidence secondaire clignotaient doucement dans la pénombre.Son père, Graham, l’accueillit sur le pas de la porte avec un sourire ravi et un regard attendri. Il n’eut même pas besoin de demander pourquoi elle n’allait pas à la grande maison. Il savait.— J’ai commandé une pizza, dit-il avec fierté, comme s’il venait de signer un contrat avec une multinationale.Jade éclata de rire.— C’est ta grande cuisine gastronomique du soir ?— Une quatre fromages, et j’ai ajouté des olives noires. Je me suis dit que tu serais impressionnée.Elle secoua la tête en riant, entra et se laissa tomber sur le vieux canapé en cuir. Il y avait une odeur de pain chaud, de vieux vin et d’album photo poussiéreux. C’était comme rentrer à la maison. La vraie.Ils mangèrent sur la table basse, les doigts gr
— Hé, t’as deux secondes ? demanda Mike, en s’essuyant les mains.Jade redressa la tête depuis le moteur qu’elle auscultait. Ses joues étaient rouges, son front perlé de sueur, et quelques mèches s’échappaient de son chignon. Elle avait l’air fatiguée, mais déterminée. Farouche.— Ouais, bien sûr, répondit-elle, posant la clé à molette avec un soupir.Mike l’emmena un peu à l’écart, derrière l’un des pick-up en réparation. Il croisa les bras, la regarda un moment sans rien dire.— Tu veux qu’on parle du tyran en costume trois pièces qui a fait irruption ici hier ? demanda-t-il enfin, un sourire au coin des lèvres.Jade haussa les sourcils, surprise.— Pas vraiment.— Je m’en doutais. Mais si jamais t’as envie… je suis là.Elle esquissa un sourire timide. Elle ne s’était jamais demandé si Mike faisait attention à elle. Pas comme ça. Mais dans sa voix, dans ses yeux, elle sentait cette attention calme, sincère. Une douceur inattendue. Un contraste frappant avec l’intensité dévastatrice
La nuit était tombée depuis longtemps. La maison Blackwell baignait dans un silence pesant, comme figée dans une attente invisible.Grayson était debout, dans le couloir, figé devant la porte entrouverte de la chambre de Jade.Il la voyait.Elle dormait, recroquevillée sur le côté, ses cheveux tombant en cascade sur l’oreiller, une main glissée contre sa joue.Elle semblait si paisible… et pourtant, même dans son sommeil, il percevait la tension dans son visage. Comme si son cœur restait éveillé.Grayson serra les poings.Il aurait pu entrer. Il aurait pu s’allonger à côté d’elle, glisser un bras autour de sa taille, enterrer son visage dans son cou et lui murmurer qu’il avait peur. Peur de l’aimer. Peur de la perdre.Mais il resta là. Immobile. Silencieux.Il luttait.Chaque fibre de son corps le poussait vers elle, mais chaque cicatrice de son passé le retenait en arrière.Il revoyait Gina. Son regard avant de mourir. Le petit corps sans vie de ce bébé qu’il n’aurait jamais pu proté
La porte du garage claqua derrière elle avec la rage d’un ouragan.Jade marchait à grands pas dans la rue, les mains tremblantes, la respiration courte, les yeux brûlants. Elle n’avait même pas pris son sac. Juste sa colère. Son amour blessé. Son cœur piétiné.Il l’avait humiliée.Devant tout le monde. Comme si elle n’était qu’un pion, une possession à récupérer à la force du contrat.Mais elle n’était pas un pion.Elle était Jade Carter.Et elle avait des comptes à régler.Elle sauta dans le premier taxi venu, donnant l’adresse de la résidence Blackwell avec une voix dure, étranglée de rage. Durant tout le trajet, elle revoyait le regard glacial de Grayson, la façon dont il avait parlé à Mike, comme s’il marquait son territoire, comme s’il affirmait un droit qu’il n’avait plus. Plus maintenant.Arrivée devant la maison, elle sortit sans un mot et fonça à l’intérieur.Grayson était là. Dans le salon. Un verre de whisky à la main, comme si rien ne venait de se passer. Il leva à peine l
Le garage résonnait d’un morceau de rock old school. Jade, concentrée, resserrait les boulons d’un moteur à moitié démonté. Mike s’approcha, torse en avant, chiffon à la main.— Tu veux que je te montre une astuce pour desserrer ce vieux truc ? demanda-t-il, un peu trop près.— T’inquiète, je sais le faire. Et si je me loupe, je t’offre un café, lança-t-elle avec un sourire.Mike rit doucement. Il lui prit doucement le poignet pour guider ses gestes. Le contact dura une seconde de trop. Jade le sentit mais ne dit rien, croyant à un geste innocent.Puis le vrombissement rauque d’un moteur de luxe fendit l’air. Une Maserati noire s’arrêta juste devant l’entrée. Les gars du garage levèrent les yeux.— Bordel, souffla l’un d’eux. C’est qui, ça ? Batman ?Mike se redressa d’un coup. Jade tourna la tête et elle le vit.Grayson Blackwell. Costume noir. Ray-Ban sur les yeux. Une aura de tempête.Il sortit de la voiture comme on entre dans une guerre. Lentement. Calculé. Froid. Magnétique.— O
Jade inspira profondément en poussant la porte du Mike’s Garage. L’odeur d’huile moteur, de métal chaud et de gomme brûlée l’enveloppa comme une vieille amie. C’était un parfum qu’elle n’avait jamais cessé d’aimer.— Eh, regardez qui est de retour ! lança Mike, en sortant de sous un capot, les mains noircies de cambouis.Il s’approcha d’elle avec un grand sourire, un torchon sur l’épaule. Il ne lui fit pas de remarque sur ses cernes ou sur son air perdu. Il se contenta de lui ouvrir les bras.— J’avais parié que t’allais revenir, dit-il en l’enlaçant brièvement. T’es une vraie, Jade. Ce garage t’aime bien.— Moi aussi, souffla-t-elle, un sourire discret aux lèvres.Le claquement métallique d’une clé à choc se mêlait à la musique rock diffusée en fond.Jade, en combinaison bleue remontée jusqu’à la taille, bras nus, front couvert de quelques gouttes de sueur, vissait une pièce sous le capot d’une vieille Mustang.— C’est du joli boulot, commenta Mike, accoudé à l’aile de la voiture.Il
Jade avait attendu. Espéré. Prié, même.Mais ce soir, c’en était trop.Elle descendit les marches du grand escalier avec détermination. Elle l’avait entendu rentrer. La porte avait claqué doucement. Ses pas l’avaient guidée vers le bureau. Toujours ce fichu bureau. Comme une forteresse qu’il utilisait pour se barricader derrière ses douleurs et ses silences.Elle frappa une fois. Pas de réponse.Elle entra quand même.Grayson leva à peine les yeux de ses papiers.— J’ai besoin de te parler, dit-elle, d’une voix calme, mais ferme.— Je suis occupé, Jade.— Ça ne prendra pas longtemps, répondit-elle, avançant dans la pièce.Il soupira, referma le dossier devant lui, et s’adossa lentement à son fauteuil. Son regard était froid, distant. Presque méconnaissable.— À Singapour… tu étais différent. Tu étais… toi. Vrai. J’ai cru qu’on construisait quelque chose. Et puis tu as changé. Du jour au lendemain.Elle le regarda, les yeux brillants de douleur.— Qu’est-ce que j’ai fait, Grayson ? Tu