En m’entendant franchir la porte de l’appartement, Tori quitte le canapé d’un bond.
— Chloe ?Son air d’impatience se mue en horreur lorsque mes jambes me lâchent et que je m’effondre sur lecarrelage de l’entrée.— Chlo ? s’écrie-t-elle en se précipitant vers moi.Elle me tend la main, mais je suis incapable de la prendre. J’ai mal partout, et respirer relève déjàde l’exploit en cet instant.— Chloe, qu’est-ce qui se passe ?Comme je ne réponds toujours pas, elle s’agenouille par terre près de moi, de plus en plus inquiète. — Qu’est-ce qu’il y a ? Tu es blessée ? Tu as eu un accident... ?Je me mets à rire, d’un rire rauque qui me déchire la poitrine.Je veux lui répondre. Vraiment. Ne serait-ce que pour avoir la paix. MaisPour finir, aucune de nous deux n’apporte les vestiges du blender à Ethan. Je décide d’aller les jeter dans la benne. L’idée était de grappiller deux minutes de solitude afin de réfléchir, mais je le regrette aussitôt. Le soleil estival m’éblouit et accentue ma gueule de bois, rendant impossible toute pensée rationnelle.À l’appartement, Tori a disposé le repas chinois sur la table. Elle est en train de servir du vin dans d’élégants verres à pied. Je n’ai pas du tout envie d’aggraver mon état par une dose d’alcool supplémentaire, et j’apporte donc deux verres d’eau.Tori lève les yeux au ciel, mais ça ne l’empêche pas de prendre la boisson que je lui tends. Elle se donne même la peine d’en avaler deux gorgées avant de passer au vin.— Alors, tu te sens mieux ? demande-t-elle tandis que je m’assieds en face d’elle. Je ne vais pas te cacher que ta colère avait pris des proportions impressionnantes.— Ça va, dis-je en me concentrant de toutes mes forces sur le riz que je su
Lorsque j’arrive au travail, je suis dans tous mes états. J’ignore à quoi je dois m’attendre. Ethan va-t-il me guetter sur le parking ?Vais-je trouver mes affaires remisées dans un carton, en signe de renvoi ?Tout le monde va-t-il me dévisager d’un air entendu lorsque je m’approcherai de mon box ? Peut-être tout ça à la fois ?Finalement, aucune de ces hypothèses n’est la bonne. Au contraire, tout se passe comme d’habitude. Je me gare sur la même place que tous les jours. J’emprunte le même chemin arboré vers le bâtiment qui abrite mon service. J’essuie les mêmes remarques cinglantes de Rick, le stagiaire de deuxième année qui a fait de ma vie un enfer depuis mon arrivée, lorsqu’on m’a confié le dossier brûlant qu’il pensait mériter de traiter.Je sais qu’il e
— Ça suffit ! Je ne supporterai pas ça une minute de plus, déclare Tori en tournant brusquement à droite pour entrer sur le parking du University Town Center.— Ça quoi ?Je contemple d’un air absent le flot de voitures. UTC est l’un des plus grands centres commerciaux de San Diego. Pour Tori, c’est le paradis sur terre. À peine moins bien que Paris ou Rodeo Drive, à Beverly Hills.— Ta déprime ! Ta sempiternelle déprime.Elle s’arrête devant un voiturier. C’est tout juste si elle ne m’arrache pas ensuite du siège passager. — Ça fait deux semaines que tu es malheureuse comme les pierres, reprend-elle, et je n’en peuxplus.Elle n’a pas tort. Je suis effondrée depuis que j’ai abandonné Ethan sur le parking, les yeux pleinsde larmes alors qu’il m’a ouvert son c&oeli
Ethan. Ethan. Ethan.Son nom résonne comme une pulsation dans mes veines, un mantra dans mon âme.Ethan. Ethan. Ethan.Tout ce travail. Toutes ces heures, ces journées, passées à essayer d’avancer. Toutes ces fois où jeme suis répété que j’allais y arriver, que j’en étais capable. Tout ça flanqué par terre en une fraction de seconde.Ethan. Ethan. Ethan.Il est là, juste ici, devant moi. Et malgré tout ce qui s’est passé, je dois lutter pour ne pas me jeter dans ses bras.Je ne sais que faire, que dire, comment me comporter. D’un côté, je n’aimerais rien tant que traverser la pièce en courant pour m’asseoir sur ses genoux. Enfouir mon visage dans son cou et le supplier de ne plus jamais me lâcher. Faire comme si les deux dernières semaines n’avaient jamais exist&eac
— Eh, ça va ?Je sursaute, surprise, avant de me retourner pour voir qui s’est donné le mal de me suivre après ma sortie pas très auguste. Ce n’est pas quelqu’un de Frost Industries, c’est certain. La plupart d’entre eux m’en veulent de sortir avec Ethan, et les autres ont peur de faire un faux pas.En effet, le type qui se tient sur le pas de la porte du restaurant est l’un des juristes juniors de Trifecta. Jake, ou Jace, un truc dans le genre.— Ça va très bien, pourquoi ?Il semble prendre la question pour une invitation à me rejoindre sur la plage, où je regarde le vent secouer les énormes vagues.— Tu es partie sans ton champagne. J’ai pensé que tu le regretterais peut-être, déclare-t-il en me tendant une flûte pleine.C’est à la fois cucul, ridicule et parfait en cet instant –
Les mots d’Ethan résonnent dans le silence, et je suis incapable de bouger, de penser, de respirer. C’est exactement ce que je souhaitais entendre, ce dont j’avais besoin. Que quelqu’un m’aime, me fasse passer avant lui, se soucie de moi. Rien que de moi.Le seul petit ami que j’ai eu avant Ethan a essayé de jouer ma virginité au poker. Après le viol, mes parents ont accepté de garder le silence contre une coquette somme pour lancer leur business. Ceux que je croyais mes amis m’ont tourné le dos à la seconde où Brandon le leur a demandé.Je n’étais jamais assez bien. Jamais assez importante pour qu’on me fasse passer en premier.Sauf pour Ethan. Il y a des semaines qu’il a choisi de me faire passer avant tout le reste, et j’étais trop aveugle pour m’en apercevoir. Et si j’ai le courage d’accepter, il est pr&ec
Lorsque c’est fini, que mon corps cesse de se tordre dans vingt-sept directions différentes et que j’arrive presque à reprendre mon souffle, Ethan me repose doucement sur le sable mouillé et dur.Mais lorsque je tente de me servir de mes jambes pour autre chose que me tenir à Ethan, elles me trahissent et je manque de tomber. Il m’attrape, ses mains tièdes et puissantes dans mon dos.— Ça va ? demande-t-il pour la millionième fois.— Oui, dis-je en levant les yeux avant de l’embrasser à la commissure des lèvres. Et même mieux que ça. Je me sens vraiment bien.Il sourit, et c’est la première fois de la journée que son sourire semble sincère. Je le vois à ses yeux qui s’illuminent comme Times Square malgré la pénombre où nous sommes toujours cachés.— Viens chez moi, dit-il en
— On peut parler ?Les heures ont passé et nous sommes blottis dans le lit d’Ethan après avoir pris un long bain et dévalisé le frigo pour confectionner une omelette. C’est un peu ridicule, quand j’y pense. Ethan a dépensé au moins dix mille dollars pour le dîner de ce soir au Marine Room, et malgré tout, nous nous sommes retrouvés à manger une omelette au fromage, debout dans sa cuisine.Il y a trois mois, une telle idée m’aurait horrifiée. En même temps, il y a trois mois, je n’aurais jamais imaginé être ici, comme cela, avec Ethan.— Tu y tiens vraiment ? dis-je en me mettant à plat ventre, la tête dans les bras. Il est tard. Je suis fatiguée.— Je sais. Mais j’aimerais qu’on en finisse une bonne fois.Il se penche pour m’embrasser les épaules et le dos.Avec
Ethan En cet instant, je n’ai jamais rien vu de plus magnifique qu’elle. Et ce n’est pas rien, quand on sait combien de fois cette pensée m’est déjà venue. Nous sommes dans mon domaine viticole de Toscane, et les vignes s’étendent à perte de vue.En début de soirée, le ciel s’embrase de teintes ocre, rouge et or. La beauté – riche, puissante, inoubliable – apparaît dans chaque pouce de terrain, chaque bouffée d’air. Et malgré tout, Chloe Girard Frost est ce qu’il y a ici de plus beau. En cet instant, elle se tient pieds nus au milieu d’un ancien pressoir à vin, ses longs cheveux roux volant au vent, sa jupe coincée entre ses cuisses. Elle a les pieds bordeaux alors qu’elle piétine les grappes sans relâche, et ses mains sont posées sur son ventre arrondi. L’un des vignerons s’adresse à elle, et je la vois rejeter la tête en arrière pour rire à gorge déployée. C’est un son sublime, magique. Et qui pour moi n’ira jamais de soi.
Ethan part tôt, peu après que nous ayons fait l’amour. Il se glisse hors du lit après m’avoir câlinée quelques minutes et murmuré « Je t’aime ». Il croit que je dors. Je ne le détrompe pas. Ce n’est pas faute d’avoir envie qu’il reste, bien au contraire. Être séparée de lui, la semaine précédente, était aussi atroce que d’être amputé d’un membre. D’une partie de moi-même. À présent qu’il est de nouveau là, j’ai un peu envie de m’accrocher à lui. De le serrer si fort que nos corps se confondent. Que nous nous mélangions et que je sente son amour, sa lumière, rayonner à l’intérieur de moi pour toujours.S’il savait que je suis réveillée et que je le regarde sortir, s’il savait combien je me sens vide sans lui, il lui serait impossible de partir, même pour s’occuper de notre mariage. Et j’ai besoin qu’il me laisse, au moins un moment. Il faut que je réfléchisse à ce que je vais faire ensuite. D’un côté, c’est très simple. Ethan et moi, ensemble. Pour toujours. C’est notre de
— J’y vais, annonce Tori.C’est une bonne chose, car je suis pétrifiée. Elle attrape ses chaussures et son sac Vuitton avant d’ouvrir la porte dans un grand geste cérémonieux.Sans surprise, Ethan se tient sur le seuil, pâle et amaigri. Tori le toise de la tête aux pieds, sans trahir le fait qu’elle milite sans relâche pour lui depuis des jours.— Déconne encore une fois, et je te coupe les couilles, déclare-t-elle d’un ton hautain.Sur ces bonnes paroles, elle s’enfuit, se glissant par la porte avant même que j’aie décidé comment saluer Ethan.Mais ce n’est pas grave, car je n’en ai pas le temps. Il apparaît dans la cuisine, un énorme bouquet à la main, tout son amour écrit sur son visage.— Tu avais raison, dit-il.— À quel propos ?Une petite voix me dit que c’est le moment le plus important de mon existence, alors autant que toutsoit bien clair. C’est un bon conseil. Dommage que mon cœur batte si fort que je risque de ne pas entendre un mot de ce qu’i
— Je crois que je vais appeler le médecin. Voir s’il peut me filer des hormones. Tori s’assied à table en écartant les jambes avec ostentation.— Qu’est-ce qui ne va pas ? Tu es malade ? dis-je, inquiète.— Non, je crois juste que je commence à avoir des boules.— Des boules ? Tu veux dire des ganglions ?Je laisse mes questions en suspens lorsque je comprends ce qu’elle veut dire.— Non mais franchement ! Et moi qui m’inquiétais pour toi.— C’est moi qui m’inquiète pour toi. Tous ces « je t’aime, moi non plus » avec Ethan, c’esttellement tordu que ça commence vraiment à me foutre les boules. Tu passes ton temps à me demander de m’adapter à une chose et son contraire. Tu l’aimes, tu le détestes. Tu l’aimes, tu le détestes. Je ne comprends jamais de quel côté de la barrière je dois me situer à tel ou tel moment.— C’est des conneries et tu le sais très bien. En plus, je n’ai jamais dit que je détestais Ethan, et je ne t’ai pas demandé de lui en vouloir. Ne me
— Eh bien, déclare Vanessa après quelques secondes qui semblent une éternité. Il semblerait que tu sois moins bête que ce que je pensais. Tu es capable d’assembler les pièces du puzzle.Je manque d’éclater de rire en entendant cette phrase, cette idée que je sais reconstituer un puzzle. Moi qui ai passé les cinq dernières années à tenter de recoller les morceaux de moi-même, pour finir par retomber en miettes après chaque tentative.Je croyais que cette fois, c’était la bonne. Après avoir découvert le lien entre Brandon et Ethan, avoir quitté ce dernier puis m’être remise avec lui, après avoir enfin accepté ce qui m’était arrivé et dépassé tout cela, je pensais avoir enfin compris. Avoir trouvé le moyen de recoller tous les morceaux. En les mélangeant à ceux d’Ethan. En construisant quelque chose de nouveau, de brillant et d’entier sur les décombres du passé.Ça aurait dû marcher. Vraiment.Mais il s’avère que ce n’était qu’une illusion, qu’un simple élément d’informatio
— Merci encore, Rodrigo ! dis-je en quittant, titubante, le siège passager de l’un des camions du vignoble.— De rien, señorita Chloe. Appelez-moi si vous avez besoin de quoi que ce soit.— D’accord. Mais je pense avoir tout ce qu’il me faut. Bonne soirée ! Faites un bisou à votre adorable fillette de ma part.— Sí. Ce sera fait, répond-il avec un petit rire, les joues empourprées. Ma petite Padma sera contente ! Sa mère dit que depuis qu’elle vous a rencontrée ce matin, elle ne parle de rien d’autre.— Ça n’est que justice. Moi aussi, j’ai parlé d’elle toute la journée. Elle est tellement mignonne ! — Sí, sí. Je crois que vous avez monté une société d’admiration mutuelle, toutes les deux.— Ce n’est pas faux, réponds-je en le saluant d’un geste de la main avant de m’éloigner vers laporte d’entrée en vacillant.— Ça va, señorita Chloe ? Vous voulez que je vous aide à entrer ?— Non, ça va. Ça va. Je suis juste un peu pompette.Pompette, le mot est peut-êt
J’ignore combien de temps nous restons plantés là. Assez longtemps pour que les propriétaires du SUV garé à côté de nous déchargent leur chariot et s’en aillent. Assez longtemps pour que la petite fille assise sur le banc devant le magasin finisse sa glace. Plus de temps que nécessaire pour que tous ces morceaux, qui me semblaient hier si bien collés ensemble, soient de nouveau mélangés.Nous attendons.J’imagine qu’Ethan va parler. Qu’il va me dire qu’il comprend, que ce n’est pas grave. Ou l’inverse, qu’il ne saisit pas, et que nous avons fait une énorme erreur. Au point où j’en suis, je ne sais plus ce qui serait le pire. Tout ce que je vois, c’est que je ne vais pas supporter de continuer à attendre bien longtemps. Je vais devenir folle.Il refuse de me regarder. Depuis que je lui ai parlé de mon désir de mourir, il n’a pas posé les yeux sur moi.Je finis par ne plus pouvoir endurer ce silence une seconde de plus.— Ethan.Il lève les yeux vers moi. Ils sont fl
— C’est un vignoble. Pour de vrai.— Je te l’avais bien dit.Nous venons d’atterrir chez Ethan à Napa et je me tiens derrière la maison principale, au sommetd’une énorme colline qui domine des hectares et des hectares de vignes.— Oui, mais je pensais que tu n’avais que quelques pieds...Avec un haussement d’épaules, il lève les mains comme pour se déprécier. — J’ai un peu plus que quelques pieds.— Je vois. Tu as aussi des camions, des vignerons et une salle de dégustation. Et tout l’équipement qui va avec. Tu as un domaine viticole, quoi.— Je ne t’ai pas menti.— Non. Mais...— Mais quoi ?— Mais c’est un vignoble !Il sourit d’une oreille à l’autre, comme s’il n’avait jamais rien vu de plus fou que moi. — Tu l’as déjà dit.— Je sais, mais c’est...— ... un vignoble. Oui. C’est vrai. Et même si cette conversation est très profonde, je me demandais si on pouvait passer à autre chose...— Je ne sais pas. Peut-être. Qu’est-ce qu’il y a d’au
Mon alarme sonne à 6 h 30, à peine une heure après qu’Ethan et moi sommes finalement entrés d’un pas chancelant dans la maison pour nous coucher. Avec un grognement, je tends la main vers mon réveil pour l’éteindre, en me disant que je ne dois pas le lancer à travers la pièce... après tout, ce n’est pas sa faute si je suis une véritable idiote.Il en réchappe de peu, pourtant. Ça aurait pu mal finir, mais Ethan me le prend des mains et le dépose par terre doucement avant de m’attirer vers lui, tout contre son torse.— Il faut qu’on se lève..., dis-je.L’idée d’ouvrir les yeux suffit à me donner la nausée. Je suis épuisée, et courbaturée à cause de ma fuite éperdue sur la plage, la nuit dernière. Fuite qui me semble stupide quand on sait comment elle a fini, par une union si totale entre Ethan et moi que, pendant un moment, je n’étais plus consciente des limites de nos deux corps.— J’ai une réunion. Et toi, tu dois sans doute acheter un petit pays.— Deux petits pays,